Les erreurs des sondages

Les sondés doivent être représentatifs de la population

En 1936, lors de l’élection présidentielle américaine, le magazine Literary Digest entreprit un gigantesque sondage, comme il le faisait depuis 1916. Il établit une liste de dix millions d'électeurs, envoya autant de coupons, et reçut plus de 2 300 000 réponses, ce qui lui permit de prédire l’élection du candidat républicain, Alfred M. Landon avec 55% de voix.
Avec un tel échantillon, la marge d'erreur aurait du être nettement inférieure à 0.1%. Pourtant, c'est le démocrate Franklin D. Roosevelt qui fut réélu avec 61% alors que son concurrent n'obtint que 37%. La colossale erreur de ce sondage détruisit la crédibilité du magazine, qui disparut dans les mois qui suivirent. Il faut dire que le Literary Digest avait établi sa liste en se servant de son lectorat et de listes de propriétaires de voitures et d’abonnés au téléphone. Ainsi le magazine n'avait pas sondé l'américain moyen, mais l'américain aisé, et l'on comprend qu'en cette période de dépression économique contre laquelle luttait Roosevelt, l'américain modeste, voire nécessiteux, était bien plus tenté par Roosevelt que par son challenger.
gallup
George H Gallup
De plus, on avait supposé que le quart des réponses était représentatif de l'ensemble, sans remarquer que le fait de répondre ou de ne pas répondre au courrier du journal, pouvait générer un autre biais

À l’inverse, l’institut que venait de fonder George H. Gallup se basa sur un échantillon limité à 5000 sondés, mais représentatif de la population américaine. Il prédit l’élection de Franklin D. Roosevelt au poste de président des États-Unis avec 56% de voix. Le succès le la prédiction de Gallup consacra la méthode et intoduisit une nouvelle profession. L'institut Gallup collabora bientôt avec 60 journaux, et 110 en 1940. L'écart entre la prédiction et l'élection réelle s'expliquait probablement par l'erreur que nous allons maintenant examiner.

Le sondage n'indique que l'opinion du jour du sondage

Pour avoir méconnu cette règle, l'institut Gallup subit un cuisant échec lors de l'élection présidentielle américaine de 1948, en donnant le candidat républicain, Thomas E. Dewey, largement vainqueur contre le président sortant, Harry S. Truman

Persuadé par les sondages qu'il serait élu s'il ne disait pas de bétises, Dewey se contenta, dans sa campagne, de discours d'une platitude caricaturale, que The Courier-Journal résumait ainsi: "L'agriculture c'est important. Nos rivières sont pleines de poisson. Nous ne pouvons pas avoir de libertés sans la Liberté. Notre avenir est devant nous". A croire que ses discours avaient été écrits par Pierre Dac.
L'institut Gallup cessa ses sondages trois semaines avant le scrutin, tant l'élection de Dewey paraissait assurée.

truman
Truman, réélu, jubile: ils ont annoncé sa défaite
Or dans ces dernières semaines, les cinémas américains passèrent les films de campagne des deux partis.
Le film de Dewey, fait avec un gros budget, avait une allure professionelle, mais Dewey y apparaissait trop distant.
Le film de Truman donnait du président l'image d'un homme travailleur et compétent. Son film eut beaucoup d'influence sur les indécis, et persuada nombre d'électeurs que la crise pourrait revenir avec le parti républicain.

Résultat: le jour du scrutin, Truman obtint plus de deux millions de voix de plus que son concurrent

Le malheureux Chicago daily tribune, devant boucler son édition avant que les résultats soit connus, se fia aux sondages et titra "Dewey bat Truman", ce qui provoqua la jubilation du président, qui se fit photographier brandissant la une du journal. Des années plus tard, Truman s'amusait encore à imiter la voix du journaliste H. V. Kaltenborn annonçant sa défaite à la NBC
Le jour de son investiture, les sénateurs de l’Indiana observèrent une minute de silence « à la mémoire du Dr Gallup ».

Les sondés peuvent mentir

Consternation
2002: L'horrible vérité
Le problème le plus vicieux est celui de la bonne foi des sondés. Les sondeurs se méfient comme ils peuvent, mais il se peut que, même sans intention de tromper, le sondé ait honte de son choix. C'est le syndrome de l'électeur honteux, cauchemar des instituts.
On l'a vu à l'oeuvre, en France, aux élections présidentielles de 2002. Seize candidats étaient en lice, provoquant un émiettement des voix. Les derniers sondages créditaient le candidat du Front National, Jean Marie Le Pen, de 13 à 14% d'intentions de vote, ce qui l'aurait placé derrière le principal canditat de gauche, Lionel Jospin. Or, surprise: le jour du scrutin il obtint 16.87% de voix, ce qui lui permit de figurer au second tour, à la consternation des électeurs de gauche, et à l'indignation presque générale.

Lepen
2007: L'horrible vérité
Les instituts de sondage, embarrassés, durent bien admettre que certains sondés avaient menti. Jean Marie Le Pen était un cas particulier de la politique française, avec 80% de mauvaises opinions. Les "lepénistes honteux" n'avaient pas osé donner leur vrai choix. Pour corriger cet effet malencontreux, les instituts se mirent à augmenter artificiellement le score des candidats du Front national.
Oui, mais...
Mais la présence de Jean Marie Le Pen au second tour de l'élection avait crédibilisé sa candidature et déculpabilisé ses électeurs. Ainsi le syndrome de l'électeur honteux disparut au moment même ou on tentait d'en tenir compte. Résultat: Au élections présidentielles de 2007, les sondages, corrigés en gonflant le score, créditent Jean Marie Le Pen de 14 à 16% d'intentions de vote. Lui même, sachant que les instituts d'étaient déja trompé, s'imaginaient qu'ils s'étaient trompés une nouvelle fois dans le même sens, et que son score frolerait les 18%
Et le jour du scrutin il est tout étonné de découvrir qu'il ne fait que 10.44% de voix.

Si les sondés ne mentent plus, à qui se fier mon bon monsieur?

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