CHAPITRE VI

VINGT ANS APRÈS

Où en sommes-nous?
1. La science à côté de l'astrologie
2. Responsabilité de la presse et de la radio-télévision
3. Les signes du Zodiaque.
4. Radio et télévision.
5. Les hebdomadaires.
6. Le pouvoir de prédiction.
II - L'astrologie par ordinateur
1. Les promesses.
2. La grande astrologie.
3. Après la défense, l'attaque.
4. Isoler l'adversaire.
5. L'expérience de M. G... et de « Science et Vie»
La riposte.
III. - Des erreurs très instructives
A) La Lune rousse.
B) Radio transatlantique et planètes.
2. Corrélations fausses. - A) Le signal du sourcier.
B) Un triomphe de la télépathie avec le sous-marin « Nautilus »
3. Erreurs temporaires: les rayons N; Lyssenko et le mitchourinisme.
4. Sur la valeur d'une probabilité.
IV. - Le cas de M. G...
Statistiques des naissances.
La planète Mars.
L'hérédité planétaire.
Déontologie des chercheurs.
Le jugement du Comité belge Para.

I. - Où en sommes-nous?

Vingt ans après, ce petit livre ayant été réimprimé jusqu'à présent sans modification, il devient nécessaire d'ajouter un chapitre complémentaire.
A cause de ce livre, les astrologues ne m'ont épargné ni leurs insultes ni leurs menaces; je les en remercie: mon propos n'était pas de leur plaire. Quelques-uns ont pris la peine d'en discuter quelques passages: je n'ai trouvé dans leurs propos ni fait, ni argument, de nature à me faire modifier une seule ligne.
Pendant ces vingt années aussi, j'ai vu. au jour le jour, s'accroitre les vaticinations ineptes, le charlatanisme, l'exploitation des dupes: cela n'incite pas à l'indulgence. La valeur de l'astrologie reste ce qu'elle a toujours été: absolument nulle. Parallèlement aux progrès de la vraie science et de ses applications, nous assistons à une recrudescence navrante des fausses sciences (astrologie, radiesthésie, etc.) et même des formes les plus puériles de la superstition (cartomancie, marc de café, numérologie. etc.).
Le raz de marée astrologique a envahi toute la planète. L'astrologie est devenue l'espéranto de la crédulité. Les puissants moyens dont l'épidémie use pour s'accroître posent un grave problème d'hygiène sociale: elle a mis à son service une grande partie de la presse, la radio, la télévision et, depuis peu, les ordinateurs.
C'est de bonne heure, à l'école, qu'une hygiène préventive du jugement serait efficace. Il faudrait rappeler aux enfants que le témoignage de nos sens est souvent trompeur (c'est la Terre qui tourne et non pas le ciel et ses astres), qu'une idée plaisante n'est pas forcément juste (et vice versa) ; il faut leur apprendre à se méfier des coïncidences fortuites, à discerner ce qu'est une preuve, à connaître l'exigeante, mais si féconde, méthode scientifique.
On ne saurait être trop sévère à l'égard des formes même les plus anodines de la superstition. Car l'habitude de l'erreur est dangereuse; l'accoutumance mène au pire: amollir l'esprit critique, le sens du réel, affermir une conception magique du monde qui n'est que trop répandue, tout cela peut ébranler de bons sprits, décourager ou détraquer les faibles.
Si l'influence des planètes est inexistante sur le destin particulier d'un être, celle des horoscopes peut être grande. Il n'est pas sans danger d'annoncer à des esprits crédules et sensibles qu'ils risquent un accident de voiture - ou qu'ils n'auront jamais d'enfant - ou qu'ils doivent se méfier des « natifs du Sagittaire ». Des prédictions de ce genre peuvent modifier la vie de ceux qui en tiennent compte. Certains fidèles ne font rien d'important sans consulter l'astrologue, qui devient à la fois leur parasite et leur directeur de conscience. Les charlatans prétendent avoir un rôle bénéfique: regonfler les timides, rendre espoir aux désespérés. Peut-être; mais cette bienveillance tarifée ne doit pas rassurer le client au point qu'il ne revienne jamais!

1. La science à côté de l'astrologie. - La conquête de la Lune, les prodiges de l'électronique, la greffe d'organes essentiels, l'accroissement étonnant de la vie moyenne, la découverte des mécanismes intimes de la vie, voilà des performances récentes de la science assez inattendues pour mériter le nom de miracles. Mais ces succès mêmes ont disposé à croire n'importe quoi.
D'autre part, la science, aux performances prodigieuses, est mal comprise: notre civilisation qui vit de ses applications ne l'accepte pas vraiment et ne l'aime pas. Pour plusieurs raisons.
La plus profonde est sans doute que la science détruit nos illusions: elle nie notre anthropocentrisme inné, elle détruit l'idée d'une alliance providentielle de l'homme avec la Nature.
La plupart des hommes confondent la science, qui est recherche de la vérité, des lois de l'Univers et de ses propriétés, avec ses applications dont les unes sont bonnes, vitales même pour l'humanité, et les autres exécrables (bombe atomique, pollution, évolution non contrôlée de la société, et trop rapide parfois - d'où chômage -, moyens de pression abusifs, etc.). Mais la société seule est responsable, par imprévision, des mauvaises techniques et des applications indésirables. Il est inepte (comme le font même des tribunes officielles) d'en charger la science pure, pour excuser les responsables ou les systèmes de gouvernement.
Ne pas aimer la science, c'est reconnaitre qu'on préfère l'illusion ou le mensonge, et refuser à l'humanité sa seule chance d'un destin meilleur - si elle profite des applications bienfaisantes, en excluant les autres.
Par contraste, les fausses sciences, et en particulier l'astrologie, ont un pouvoir de performance nul: on ne peut leur attribuer depuis l'Antiquité aucun progrès de la civilisation. En revanche, elles ont un grand pouvoir d'invasion chez les humains: elles fournissent d'emblée une interprétation du Monde (fausse, bien entendu, et dénuée de preuve réelle). Supposer l'avenir prédéterminé et avoir soif de le connaitre, avoir besoin de puissances tutélaires sont des besoins venus du fond des âges, pour dissoudre en partie l'angoisse humaine: les astres veillent, savent notre avenir et peuvent le dire; prévenu, l'homme peut se concilier le ciel et infléchir ses arrêts. Quelle aubaine ! Et comme c'est commode, mises à part les lourdes redevances qu'on apporte au mage consolateur et guide !

2. Responsabilité de la presse et de la radio-télévision. - Rendons d'abord hommage aux journaux et aux hebdomadaires qui respectent leurs lecteurs et savent que la presse doit contribuer à élever les esprits, et non pas les habituer à accepter l'erreur. En cela, ils montrent beaucoup de désintéressement, en même temps que de conscience, car ils perdent la substantielle publicité des mages de tout poil - et aussi, hélas !, la masse de lecteurs avides de futilités et de faux-semblants.
Ces journaux-là, malheureusement, sont une minorité. Ceux qui méprisent leur clientèle au point de lui fournir chaque jour des horoscopes d'un niveau mental consternant l'emportent, et de loin.
Je consacrerai peu de lignes à la presse spécialisée, exclusivement consacrée à l'astrologie. Ses lecteurs réguliers sont irrécupérables: si la lecture de trois. ou quatre numéros consécutifs ne les a pas écoeurés, quel raisonnement pourrait les convaincre?
Mais il existe des publications (revues ou livres) beaucoup plus dangereuses. Car, sous le masque d'une science ancienne, ou méconnue, ou ésotérique, elles cultivent une vision magique du Monde et préparent leurs lecteurs aux superstitions, aux fausses sciences, au mépris de la vraie science, présentée comme sectaire, bornée, « officielle» (ce qualificatif est devenu une insulte, selon ces messieurs).
Cette littérature dangereuse pour la saine raison connait de prodigieux succès de librairie. On gave le lecteur de sensationnel, à un niveau assez anecdotique pour ne décourager personne; on y mêle quelques informations correctes, pour se piquer d'aimer la science, mais on la combat sous le manteau en donnant comme probables des fariboles, du fabuleux, du magique. Tout lecteur équilibré saura reconnaitre, à ces traits, cette pernicieuse littérature, dont le pavillon suffit à rendre suspecte, a priori, toute marchandise qu'elle recouvre.

3. Les signes du Zodiaque. - D'un intérêt nul pour l'astronomie, les signes sont des rectangles théoriques, qui ne renferment plus les constellations dont ils ont conservé le nom et les prétendues propriétés. La presse et la radio nationale et la loterie du même nom ont incité les Français à connaitre leur signe de naissance, qui n'a pas plus de vertu, et n'est rien d'autre, qu'un mois de naissance un peu décalé. Or, c'est devenu le thème premier des conversations quand on se connait peu, pour faire connaissance: « Ah ! vous êtes Vierge? moi, je suis Taureau! » Cette superstition du signe sous-entend que tous ceux qui sont nés entre le 20 avril et le 21 mai, par exemple, ont le même tempérament, caractériel ou physique. C'est tout bonnement délirant: il suffit de regarder nos contemporains ou de lire l'Histoire pour s'en apercevoir. Il existe pourtant de prétendus psychologues qui en tiennent compte, a priori, dans leurs jugements.
Selon le prince de nos astrologues, cette futilité est un heureux commencement: elle fera le lit, un jour, de pratiques plus rentables pour lui et ses congénères.
Croire qu'il existe entre les natifs du 19 mai et ceux du 23 mai une dissemblance essentielle, sous prétexte qu'ils sont de signes différents, n'a aucune justification astronomique, puisque la barrière entre signes est symbolique: elle n'est même plus astrale!
Une enquête récente a montré que 38 % des gens consultés croient à un lien entre leur caractère et leur signe, et ont eu envie de faire établir leur horoscope; 43 % tiennent les astrologues pour des hommes de science et 28 % pensent que les prédictions se réalisent. Que plus du quart des Français adultes aient encore cet état d'esprit moyenâgeux, ce n'est pas réjouissant.

4. Radio et télévision. - Elles se proposent de nous distraire, mais revendiquent aussi une mission culturelle. Les postes d'Etat, qui n'ont pas besoin de basse démagogie pour exister, ne devraient-ils pas se donner pour devoir de désintoxiquer le public?
Ces offices audio-visuels ont de bons reporters scientifiques: pourquoi ne pas leur adjoindre des démolisseurs du charlatanisme, des démonstrateurs de méthode expérimentale? (Les mêmes .journalistes qualifiés pourraient, je pense, y suffire, si on le leur proposait ?)
J'ai le regret de constater que notre O.R.T.F. ne remplit pas cette mission. Au contraire, elle propose assez souvent des histoires où l'irrationnel s'étale complaisamment, suivies de débats prétendus contradictoires, où les antiscientifiques ont la part belle. D'abord, au nom de quelle « égalité des chances », de quelle « égalité des deux sons de cloche» mettrait-on sur un pied d'égalité devant le public ceux à qui l'Etat confie la tâche d'enseigner la vraie science et les champions des doctrines fallacieuses que la loi condamne? Mais il y a pire: n'ai-je pas vu un soir un savant, de mes amis, seul pour faire face à une meute d'adversaires? Il a lutté pied à pied, mais je ne crois pas qu'un tel spectacle soit éclairant, pour les téléspectateurs.
L'O.R.T.F. se livre fréquemment à un festival autour des signes du Zodiaque: la Loterie nationale a plusieurs fois placé ses tirages sous leur patronage. J'ai dit combien les astrologues considèrent ce « conditionnement » du public en faveur des signes comme un premier pas vers leur industrie.
Et combien de fois un invité de la radio n'a-t-il pas dû d'abord faire connaitre son signe? le meneur de jeu se chargeant ensuite d'expliquer par ce signe la voix charmeuse, l'humour ou le flegme de l'invité.
Il existait autrefois un Comité des Sciences, à la radio, qui veillait à expurger nos ondes des astrologues. Il n'y réussissait pas toujours, ces derniers trouvant parfois des complaisances dans la maison. Ce Comité a disparu et nos ondes, depuis, ont souvent véhiculé une radiomagie.
Ai-je besoin de rappeler ici le sauvetage d'un poste périphérique en perte de vitesse par une mirobolante prêtresse? Les lignes téléphoniques du poste n'ont pas suffi pour canaliser les appels des amateurs: il a fallu rationner la clieptèle. Que notre O.R.T.F. n'envie pas cette ruée attristante! Il a un rôle plus noble et plus sain à jouer.

5. Les hebdomadaires. - Les périodiques scientifiques exceptés, la quasi-totalité des périodiques à grand tirage - ceux qui s'adressent aux femmes en particulier - consacrent une ou deux pages, davantage parfois, aux niaiseries astrologiques. Les responsables prétendent que le public le veut. Mais la vérité est autre: on a créé une habitude, puis on dit qu'il faut satisfaire la demande. J'ai connu un journal de modes que son courageux directeur préservait de l'épidémie. Après son départ, le journal a capitulé aussitôt en disant: « Maintenant que la preuve scientifique est faite des mérites de l'astrologie, que sa vérité est établie, nous serions coupables d'en priver nos lectrices, etc.» En effet, on trouve aujourd'hui dans ce journal une rubrique du même niveau mental que celles de ses concurrents.

6. Le pouvoir de prédiction. - L'année 1968 fut féconde en grands événements, en France et dans le Monde. Rappelons par exemple:

Pour la France:
- les événements révolutionnaires de mai;
- la dissolution de la Chambre et les élections de juin;
- la tornade qui secoua le franc en novembre.

Pour le Monde:

- la première greffe d'un coeur par Barnard;
- l'assassinat du sénateur Robert Kennedy;
- l'assassinat de l'apôtre noir Martin Luther King;
- l'invasion en août de la Tchécoslovaquie par les troupes du pacte de Varsovie;
- la mise en orbite autour de la Lune, pour Noël, de trois hommes en capsule Apollo.

Faites l'expérience: consultez, dans leurs collections, tous les journaux, tous les hebdomadaires, tous les bulletins astrologiques spécialisés, à la veille ou au début de 1968 : vous n'y trouverez rien, absolument rien, qui concerne sans ambiguïté l'un des événements précédents. Certes, les déclarations vagues, passe-partout, pullulent: un grand personnage disparaitra, certains pays auront bien du malheur, etc. Bref: du vague, du flou, qui s'applique à n'importe quoi, à n'importe qui...
Comme l'a dit un humoriste: « Ah ! comme les prophéties sont difficiles à faire, ... surtout quand elles concernent l'avenir! »

II - L'astrologie par ordinateur

Un ordinateur peut être programmé en vue de la fabrication rapide des horoscopes. On lui fournit le lieu, la date et l'heure de la naissance du consultant, et l'appareil en déduit la carte du ciel de naissance. Rien de nouveau, sinon la rapidité: les données astronomiques ont été mises en mémoire et l'appareil recopie correctement celles qui lui sont demandées. Bien entendu, on a abrégé les documents fournis par l'astronomie et la machine doit aussi procéder, pour chaque cas, à des interpolations entre les données mémorisées. Ce programme est rempli de façon satisfaisante: l'imprécision sur l'heure de la naissance entraine des incertitudes beaucoup plus grandes que les approximations précédentes. La configuration du ciel étant tenue pour bonne, un astrologue a fourni à la machine un commentaire prétendument approprié aux diverses situations que peut présenter une configuration du ciel. L'horoscope débité par la machine sera la juxtaposition des phrases « appelées » par chaque « aspect » du ciel. Ce travail d'arlequin est perceptible par un certain décousu, et, parfois, par des phrases contradictoires: la machine ne fait pas de lissage; et la variété des commentaires enregistrés n'est pas telle qu'on ne retrouve souvent les mêmes phrases passe-partout. Mais ces discontinuités comptent peu, en regard du vice fondamental de l'astrologie: quel rapport y a-t-il entre telle configuration céleste et la vérité de l'individu? Avec ou sans ordinateur (nous croyons l'avoir montré au cours de ce livre et nous le redirons dans les pages qui suivent) ce rapport est nul et l'éloquence de l'astrologue interposé n'y saurait rien changer.

1. Les promesses. - Pour un prix assez élevé, on vous promet:
- votre portrait psychologique en profondeur ;
- un calendrier du rythme annuel de votre existence (tiens, tiens, tel mois, mai par exemple, serait-il toujours ou glorieux ou néfaste pour un individu donné? Je n'ai rien constaté de tel au cours de ma vie...) ;
- les périodes fastes ou néfastes que le consultant doit prévoir dans les dix années à venir. (L'auteur du programme, nous allons le voir, prétend par ailleurs que l'astrologie ne peut pas prédire. Mais là, il prédit tout de même; après un coup manqué, il fera valoir qu'il ne s'agissait que de probabilités, de mises en garde.)

2. La grande astrologie. - Le directeur B... de l'entreprise par ordinateur méprise les besogneux de l'astrologie courante, les navrants chroniqueurs des journaux et des hebdomadaires, qui osent se flatter « d'une divination absurde». Foin de cette astrologie de pacotille.
Mais B... rend grâce tout de même « à ces pâtures, grâce auxquelles la croyance astrologique est devenue un fait acquis: tout le monde est plus ou moins familiarisé avec le bestiaire zodiacal... (Ces chroniques) n'en ressuscitent pas moins, dans le monde même de la vie intellectuelle, une tradition savante, etc. ».
En regard de ces pauvretés, B... va pouvoir nous sortir sa grande astrologie, celle qui est presque une science, celle que, seuls, en France, selon lui, cultivent deux ou trois cents esprits supérieurs, l'astrologie véritable, éminente et subtile. B... est d'ailleurs trop modeste: il est « le chef de file de l'école astrologique moderne » et « le plus grand astrologue de son époque ».
J'ai reçu de B... une brochure où il m'étrille et où il précise ce qu'est cette astrologie nouvelle.

« Elle n'est pas une physique, elle est une psychologie de la vie aux sources de notre être intime: le « natif » est posé au centre du monde, exclusivement (?) concerné par la focalisation (?) unique de son moment et de son lieu de naissance...
« - C'est l'astrologie qui établit le pont entre la dialectique de l'externe astronomique et de l'interne humain, et qui fournit l'algorithme de l'union symbolique du signifiant et du signifié...
« - Il ne faut pas oublier que l'homme « astralisé » est une créature de l'univers qui participe à ses divers rythmes, et l'originalité de l'astrologie est d'introduire la spécificité d'un temps manifesté qualitatif comme facteur nouveau de connaissance...
« - Au terme de sa méditation, l'astrologue chevronné en arrive finalement à concevoir non plus un être astralisé mais la dialectique d'une configuration et d'un « configuré » ,passage du phénomène « en soi » au phénomène « pour soi ». »

3. Après la défense, l'attaque. - Sont spécialement pris à partie M. G... et moi (M. G..., pour l'enquête que vous lirez plus loin). Selon B..., nous sommes

« chaussés de gros sabots - nos jugements sont à coups de marteau - notre ignorance du sujet éclate au grand jour - le primitivisme de nos esprits de choc nous fait tourner automatiquement le dos à la vérité - nos critiques sont des parasites de l'esprit - ce n'est pas sur le chemin de la filouterie (faire passer l'astrologie pour ce qu'elle n'est pas et ne pas la faire passer pour ce qu'elle est), de la grosse farce ou du mépris que l'on rencontre la vérité ».

Ainsi, pour ces messieurs, nous sommes les filous, car, sur le plan du désintéressement, ils sont imbattables. Quant à la grosse farce, attendez, pour accorder la palme, de lire l'enquête de Science et Vie.

4. Isoler l'adversaire. - Selon B..., dans la même brochure toujours, je serais « l'ultime détracteur contemporain » de l'astrologie. C'est me faire trop d'honneur. Je lui suggère un sondage: il existe un annuaire, officiel de tous les astronomes, professionnels ou amateurs, qui font partie de l'Union astronomique internationale (Astronomer's Handbook, environ 2 000 membres, appartenant à 43 nations), Qu'il leur écrive: s'il trouvait parmi eux quelques champions de sa cause, je publierais leurs opinions dans la prochaine édition de ce « Que sais-je? »)

( Au risque d'être immodeste, je dois dire qu'un grand nombre de ces collègues ont bien voulu me féliciter d'avoir écrit ce petit livre, qu'il est traduit en plusieurs langues, et que les Astronomical News Letters (E,-U.) l'ont donné pour le meilleur ouvrage contre les superstitions astrologiques.)

Que dire de la brochure? On y trouve réunis tous les caractères qui trahissent les causes indéfendables : à côté d'affirmations sans preuves, de considérations plutôt obscures (j'en ai donné un échantillon), on s'efforce de discréditer et d'isoler le contradicteur.

5. L'expérience de M. G... et de « Science et Vie» (août 1968, n° 611). - Et maintenant, l'astrologie raffinée, nuancée, éthérée, de B... aboutit à quoi, en pratique? A garnir l'ordinateur des réponses à donner aux consultants, onéreuses certes, mais, à n'en pas douter, sublimes. Vous allez en juger.
Science et Vie et M. G... ont demandé à l'ordinateur les horoscopes de dix grands criminels des dernières décennies, en fournissant leurs dates, heures et coordonnées de naissance, comme il est prescrit. Naturellement, pour que l'expérience soit significative, les demandes d'horoscope furent faites (et payées) séparément, avec des adresses postales discrètes (ni l'ordinateur ni les astrologues ne demandent qu'on les prévienne qu'il s'agit de cas graves, ni qu'on leur fournisse au préalable le curriculum vitae des consultants). L'astrologie subtile promet précisément de déceler chez eux la nature profonde, les tendances dominantes, les vérités essentielles qui les conduisent vers leurs états de haute réalisation.

Cela étant, pour nos dix criminels, l'horoscope ne va pas manquer de manifester quelque inquiétude, d'avertir l'intéressé, de tirer la sonnette d'alarme?
Vous n'y êtes point ! Les dix horoscopes sont tous favorables (il ne faut pas mécontenter le client, que diable !) et, en dépit de la nébulosité coutumière à ce genre de papiers, ils manifestent une telle fausseté qu'on en est gêné pour l'ordinateur (ce lion humilié, comme l'a dit une journaliste intelligente).
Ces analyses gentilles, lénitives, où des qualités de bonté, d'humanité, de sens social sont attribuées aux pires monstres qu'on ait pu trouver dans les annales criminelles récentes, c'est à donner la nausée. Voilà du moins la preuve par neuf (non, par dix !) de l'inanité de l'astrologie nouvelle, tout aussi nulle que l'astrologie ancienne sous des décors plus somptueux, un appareil très coûteux, et derrière le paravent d'une para- ou méta- ou infra- psychanalyse, appuyée sur le néant.
Le dossier des dix cas pèse, parait-il, deux kilogrammes. Bornons-nous à en résumer quelques pièces.

A) Le Dr Marcel Petiot. - Né à Auxerre le 17 janvier 1897 à 3 heures. Arrêté le 31 octobre 1944. Condamné à mort pour 27 meurtres (il s'en attribuait cyniquement 63). Exécuté le 26 mai 1946.
Ce médecin attirait les personnes qui, voulant se soustraire aux persécutions nazies, espéraient que Petiot les ferait passer en Amérique avec leur argent et leurs biens les plus précieux. Dans une pièce secrète de son domicile, Petiot les assassinait et dissolvait leurs corps dans la chaux vive.
Dans son horoscope, on peut lire: « Son caractère adaptable débouche sur le savoir-faire et l'efficacité..., tendance à l'ordre, au contrôle, à la mesure. Nature bien insérée dans les normes du social, éprise de convenances et pourvue d'un sens moral confortable. Cet être vénusien... d'une sensibilité frissonnante d'amour universel... don de soi désintéressé... » (C'est macabre, quand on sait de quoi il s'agissait!)
Quant au rythme annuel, fourni au consultant, il ne lui signale rien pour la fin d'octobre (arrestation), mais pour l'époque de sa condamnation à mort (début de mars) : « le sujet appartient pleinement à sa nature vénusienne; sa vie sensible, son chez soi, son cadre intime occupent le devant de la scène. »
Ne commentons point.

B) Le curé d'Uruffe. - L'abbé Guy D..., né à Gerbecourt (M.-et-M.), le 24 février 1920 à 8 heures. Evite un premier scandale en envoyant celle qu'il avait séduite se faire oublier dans le Midi. Ayant récidivé, l'abbé Guy D... assassine une jeune fille, devenue sa maîtresse, en décembre 1956. Condamné aux travaux forcés à perpétuité en janvier 1958.
Voici les perles que l'on peut trouver, entre autres, dans la consultation.
a) Dans le cadre de son travail: « Ce saturnien tend à vivre sur le régime d'un coup de frein donné à l'instinct (!)... le caractère se fait timoré, timide, ... sujet aux excès de scrupules (!)... prudent, rangé, sobre, ... un nerveux qui peut trouver une lumière de l'esprit... »
(Nota. - Ce portrait est à l'opposé du modèle: avant son crime, l'abbé D... était considéré comme un homme dynamique et moderne, animateur des distractions, des baignades avec la jeunesse du village - tourné, non pas vers la méditation, ni les aspirations intellectuelles, mais vers la vie extérieure.)
b) Profil psychologique: « Etre bon, humain..., son don de soi, son sacrifice réalisateur (!)... »
c) Rythmes annuels: Pour le mois du crime (décembre), rien à signaler. En revanche, pour la semaine de la condamnation à perpétuité, l'ordinateur voit son client « soumis à un courant vénusien, éveillé aux manifestations de l'amour, de l'affection, de la sympathie ou de la faveur d'autrui ».

C) Albert Millet. - Né le 2 juillet 1929 à 17 heures, à Hyères. Gangster, auteur de deux assassinats. Travaux forcés à perpétuité (début d'avril 1954).
L'ordinateur nous trace du tueur ce « profil psychologique » : « Nature heureuse, euphorique, ... son climat de vie est printanier, ensoleillé, volontiers élégant et mondain... Son caractère gai, agréable, chaleureux, plein d'entrain et de bonne humeur communicative, est fait pour le bonheur... Ce souple est conciliant et coopératif (!)... Disposition à vivre l'amour heureux, chaud, gai, etc. »
N'insistons pas.

D) La femme Ducourneau. - Née Elisabeth Lamouly, le 1er septembre 1904, à 6 heures, à Belin (Gironde). Empoisonne sa mère et son mari; condamnée à mort, exécutée le 8 janvier 1941 (ce fut la dernière femme guillotinée).
L'ordinateur a lu dans le ciel ce portrait d'Elisabeth Ducourneau : « La toile de fond vierge de la personnalité contribue à effacer la trace de l'instinct et à mettre en surimpression le pouvoir de l'esprit. C'est le règne de l'être de raison, qui peut modeler un monde moral fait de réserve, de sobriété, d'économie, de discipline, de maîtrise, de scrupulosité, de respectabilité, de pureté, de perfection. »
De grâce, n'en jetez plus!
Dans le chapitre des avertissements au client et des rythmes contraires, rien sur le 8 janvier (voir ci-dessus).
Tout commentaire nuirait à la beauté de cette réussite.

La riposte.- Pris en flagrant délit, l'ordinateur s'est fâché. On a parlé de traquenard inadmissible et menacé des tribunaux. J'ignore ce qu'il en fut, mais B... et son état-major ont dû préférer avaler la couleuvre, car une grande publicité donnée au désastre n'aurait pas redoré le blason de l'ordinateur.
Mais la réplique de B... se lit dans Science et Vie, n° 614 (nov. 1968). En voici l'essentiel et ce qu'on peut en dire.
a) L'enquéteur était hostile. Il aurait dû ètre neutre. - En quoi la nature du client peut-elle modifier l'horoscope? Quel neutre recevant ces réponses ne fût devenu hostile? Publiant ces réponses, le neutre fût devenu pour B... un borné, un scientiste, un filou (voir p. 96-97 son vocabulaire).
b) En excuse aux commentaires de l'ordinateur, si malheureux dans dix cas sur dix, D... invoque son propre passé, « le cadre d'une oeuvre moderne de recherche... une tradition vénérable... ». Quelle réclame pour cette oeuvre, si on l'associe à cette enquête, et quelle tradition de l'erreur!
c) L'ordinateur ne couvre que l'éventail des valeurs de la vie normale. - Le choix de dix criminels est intolérable et, d'ailleurs, on évite les interprétations traumatisantes. Très bien: mais pourquoi la publicité copieuse de la firme ne prévient-elle pas ses clients que seules les banalités seront dites? Voilà bien la « position de repli » typique ! Et quel aveu! Les réponses ne conviendront qu'au Français moyen, très moyen, et ne le contrarieront guère.
d) L'enquéteur est un faussaire. - Pensez-donc: en un endroit d'un horoscope, il a écrit « très bientôt » et il y avait « peut-être bientôt ». Et il a « refusé d'entrer réellement dans la psychologie des personnages ». On croit rêver! Voyons: c'est bien l'ordinateur (et non l'enquêteur) qui était payé pour entrer réellement, etc. Et s'il a trouvé l'opposé de ce qu'on connait des modèles, pourquoi ne pas avouer que, par mégarde, il est entré à reculons?
e) B... nous rappelle qu'un petit décalage dans l'heure de la naissance, dix minutes, quatre minutes seulement parfois, peuvent changer le tableau psychologique et « remettre en question la validité de cette étude ». Or, pour neuf sur dix des criminels, on ne possédait que l'heure ronde de naissance. Soit! Mais quel aveu! Mais pourquoi le prospectus ne prévient-il pas le client avant qu'il paye? 85 % des Français ne savent que l'heure ronde de leur naissance, et 95 % au moins ne la savent pas à dix minutes près. Pourquoi risquer de vendre des produits erronés? Mais je n'ai pas entendu dire que l'ordinateur ait refusé un seul client.
f) Faire cette épreuve et constater son échec, c'était « rechercher systématiquement la négativité ». Ah! l'heureuse formule! Avis aux 50 millions de consommateurs: contrôler la qualité du produit vendu, c'est se rendre coupable de négativité. C'est en recherchant précisément les négativités que la science établit les positivités, c'est-à-dire des lois. C'est par cette recherche qu'elle a pu ranger l'astrologie (même avec ordinateur) parmi les négativités.

III. - Des erreurs très instructives

1. Corrélations vraies, déductions fausses. - Devant la coincidence de deux phénomènes, on peut se tromper sur le sens de la causalité. Le primitif entend les grenouilles coasser par temps humide: il imitera les coassements pour faire pleuvoir. La magie est née de ces faux espoirs.
Mais une corrélation étroite entre deux phénomènes ne prouve absolument pas qu'il existe une relation causale entre eux. Il est fort difficile de remonter d'une corrélation vraie à l'explication des faits. Bornons-nous à deux exemples.

A) La Lune rousse. - On nomme ainsi la lunaison qui commence en avril. A cette époque de l'année, les bourgeons naissants sont fragiles et il arrive que des nuits soient alors assez froides pour geler, pour roussir, ces jeunes pousses, au grand dommage des récoltes. La lumière de la Lune rousse est accusée de ces dégâts. Il existe en effet une corrélation évidente entre le gel des bourgeons et la présence de la Lune au ciel, dans ces nuits néfastes.
Pourtant la Lune et sa lumière sont parfaitement innocentes. Le mécanisme de ces gelées est maintenant bien connu: si le ciel est clair, le rayonnement du sol et de ses végétaux vers le ciel est intense: la perte de chaleur peut aller jusqu'au gel. Si, au contraire, le ciel est couvert, le rayonnement est faible sous le manteau de nuages: il y a « effet de serre », la chaleur reste.
Dans le premier cas, on voit la Lune sans obstacle ; dans le second, on ne voit pas la Lune, cachée par les nuages.
Ainsi la Lune n'est qu'un indicateur de ciel clair : sa lumière n'a aucun pouvoir calcinateur. D'une corrélation exacte, on avait tiré une conclusion fausse. La Lune pourrait n'avoir jamais existé, les bourgeons n'en seraient pas moins roussis, parfois, en avril.

B) Radio transatlantique et planètes. - Aux Etats-Unis, les liaisons radio par-dessus l'Atlantique Nord sont reçues, en permanence, par des équipes travaillant chacune 8 heures. Chaque équipe signale si le trafic a été normal, ou perturbé, P. Ayant les résultats de ces observations pour cinq années différentes, un ingénieur eut l'idée de les confronter aux positions relatives des six planètes les plus voisines du Soleil (y compris la Terre). Il chercha les jours où deux quelconques de ces six planètes furent alignées avec le Soleil (conjonctions ou oppositions) et les jours où elles étaient vues, du Soleil, dans deux directions perpendiculaires (quadratures). Il nomma jour zéro, Z, toute journée où s'était produite une telle configuration.
Ensuite, l'ingénieur situa chaque perturbation radio (notée P) par rapport au jour Z, le plus proche. P survenait tantôt un jour zéro, Z, tantôt la veille (jour -1) ou le lendemain (jour + 1), l'avant-veille (jour - 2) ou le surlendemain (jour + 2), etc. Ce classement fournit, chaque année, un graphique A (fig. 12) en forme de cloche: les P sont le plus nombreux aux jours 0, encore nombreux aux jours - 1 et + 1, et se raréfient ensuite peu à peu. Devant cette « courbe de Gauss » familière, l'ingénieur conclut à une corrélation puissante entre configurations planétaires et perturbations radio - comme si ces « aspects » chers aux astrologues déclenchaient des troubles de la radio sur la Terre (avec le relais du Soleil, peut-être).
Publiés en 1951 dans un grand journal de radio aux Etats-Unis, puis diffusés par la B.B.C., ces résultats furent accueillis avec une stupeur inquiète par les milieux scientifiques et surtout par les astronomes.
Notre collègue A. Hunter, de l'observatoire de Greenwich, décida d'analyser de très près l'opération.

Les documents de base étaient corrects, aussi bien du côté astronomique (aspects planétaires) que du côté télécommunications (périodes P).
Hunter nota d'abord que, sur les 1 100 périodes annuelles de 8 heures, environ 200 étaient notées P, c'est-à-dire, en moyenne, environ une sur 5,5, tandis que les configurations planétaires étudiées se montaient à un peu plus d'une centaine par an ; en moyenne, un jour sur 3,5 était un jour Z = 0.
Si vous associez un événement P du premier lot au jour significatif Z = 0 du second lot, vous obtenez bien la distribution A (fig. 12), mais vous l'obtenez TOUJOURS, que les événements des deux lots soient, ou NON, causalement liés, qu'ils soient apparentés, ou étrangers les uns aux autres. Le graphique A dépend de la statistique, est impliqué par elle, et n'entraine aucune corrélation entre les deux lots d'événements.
Si vous en doutez, regardez le graphique B (fig. 12). Il ressemble beaucoup au graphique A (la corrélation paraît même un peu plus forte).

Fig. 12

Or le graphique B a été obtenu par Hunter en associant aux jours Z = 0 des configurations planétaires les jours P où le spectacle des Folies-Bergère a été donné en matinée, par le même processus de décalages 0, ± 1, ± 2, etc.

Quel astrologue osera suggérer que les aspects planétaires décident des matinées aux Folies-Bergère?

Ce travail, réduisant à néant les influences spécifiques des planètes sur la radio, a paru en mai 1952 dans le journal de la British Astronomical Association. Pourtant, dans la
préface d'un ouvrage paru en 1966, un professeur italien se porte encore garant de l'existence certaine de l'effet des planètes.

2. Corrélations fausses. - A) Le signal du sourcier. - Je tiens à attirer l'attention maintenant sur une tentative d'explication scientifique de la radiesthésie, parce que nous aurons l'occasion d'y revenir.
En 1962, un physicien en renom s'interrogea sur l'éventuelle cause des prétentions des sourciers. La présence d'eau dans le sol pouvant provoquer de très faibles inégalités du magnétisme terrestre, il supposa que l'être humain pourrait être sensible à ces inégalités infimes. Il institua des expériences nombreuses où des fluctuations de l'ordre du millième de gauss par mètre, furent détectées régulièrement par des sujets non spécialistes en sourcellerie (l'intensité du champ magnétique terrestre en notre pays est de l'ordre du demi-gauss). Il s'agissait donc là d'une incroyable sensibilité magnétique de l'homme, mise en évidence par un récepteur grossier (une baguette de bois) et par les réactions musculaires des bras.
Le Comité belge a repris les expériences en divers lieux, avec différents opérateurs, y compris le physicien en question, avec toute la rigueur souhaitable. Hélas, la prétendue sensibilité invoquée s'est révélée nulle: une variation de champ magnétique n'est pas décelée par la baguette du sourcier, car les réponses des opérateurs auraient pu, tout aussi bien, être tirées à pile ou face, le pourcentage de succès eût été le même. L'expérimentation initiale était donc fautive.

B) Un triomphe de la télépathie avec le sous-marin « Nautilus ». - En 1959, au cours d'un voyage en plongée de seize jours autour du Globe, le sous- marin atomique américain le Nautilus fut crédité d'une merveilleuse expérience de télépathie.
Deux fois par jour, à heures régulières, un expérimentateur présent à bord et un expérimentateur demeuré aux Etats- Unis établirent entre eux une liaison purement télépathique : la transmission des pensées fut parfaite. Toutes les précautions, disait- on, avaient été prises: choix de pensées, ou de figures géométriques imprévisibles, suggérées par des contrôleurs et notées sur des registres. Accord parfait. Désormais, la transmission spontanée des pensées à des milliers de kilomètres sous l'eau était prouvée. La presse donna grande publicité à ces résultats stupéfiants. Les partisans du « réalisme fantastique » exultèrent, on dauba sur la « science officielle » une fois de plus. Leurs articles firent des ravages partout, mais surtout en U.R.S.S., où des parascientifiques refoulés leur firent écho; les escroqueries éculées du début du siècle renaquirent: spiritisme, lecture par la peau, ectoplasmes, envoûtements, etc.
Or toute l'affaire du Nautilus était une mystification, un canular. On ne retrouva jamais, aux Etats-Unis, la moindre trace des prétendus expérimentateurs et un démenti officiel, déniant toute existence au phénomène, fut publié avec tant de discrétion qu'il passa inaperçu, ou fut escamoté!
Des revues sérieuses avaient publié l'information du Nautilus télépathique sans commentaires dubitatifs. Pourtant, nous connaissons les potentiels très faibles et les énergies minuscules mis en jeu dans le cerveau. Supposons que le cerveau émette des radiosignaux (il n'y parait pas apte, et rien de tel n'a été constaté jusqu'à présent) : ces éventuels signaux si peu énergiques ne franchiraient pas quelques décimètres d'eau sans être absorbés. Quant à les recevoir à travers des milliers de kilomètres d'eau de mer...

3. Erreurs temporaires: les rayons N; Lyssenko et le mitchourinisme. - La vraie recherche scientifique peut, parfois, s'égarer temporairement. L'homme de science, dans son désir ardent de trouver du nouveau, peut endormir son esprit critique, s'abandonner à l'idée préconçue, se suggestionner lui-même. Qui, au cours d'une longue carrière, ne s'est engagé sur une fausse route, plus ou moins loin avant de revenir sur ses pas?
Mais on rencontre aussi dans l'histoire des sciences un certain nombre d'erreurs collectives, qui ont «fait école », quand un homme, jouissant d'autorité en sa spécialité, a proclamé l'existence d'un phénomène illusoire. L'histoire des rayons N est un exemple stupéfiant d'illusion contagieuse. De 1903 à 1905, à la suite du physicien René Blondlot, des centaines de chercheurs ont précisé les propriétés physiques, chimiques et biologiques de rayons... qui n'existent pas. Lisez les pages qui sont consacrées à ce phénomène par Jean Rostand dans son livre Science fausse et fausses sciences (Gallimard, 1958). Malgré les critiques qui s'étaient manifestées dès le début dans les cercles de spécialistes, les rayons N eurent une expansion impétueuse pendant deux longues années; puis, les critiques se faisant plus vives, plus persuasives, le nombre des fidèles décrut, puis devint nul, comme si une hypnose avait cessé. L'affaire fut enterrée.
Rappelons aussi les tristes années où les théories aberrantes de Lyssenko et la biologie mitchourinienne firent des ravages en U.R.S.S. Mais là, le délire idéologique réussit à obtenir l'estampille officielle et à se faire imposer par le pouvoir, pour le malheur de ses courageux adversaires. A l'erreur scientifique, se superposa le scandale de la politisation de la science... jusqu'au jour où les échecs économiques du lyssenkisme firent s'évanouir les mirages.

4. Sur la valeur d'une probabilité. - Le jugement qu'on doit porter sur la probabilité d'un événement donné doit tenir compte de toutes les expériences analogues qu'on a pu faire avant de le découvrir.
Ainsi, considérons les 450 premières décimales du nombre dont tout le monde connait les toutes
premières = 3,1415926...

A priori, chacun des dix chiffres doit apparaitre environ 45 fois dans la liste des 450, si ces décimales sont distribuées au hasard. Or, voici le résultat de la statistique:

Chiffres0123456789Total
Nombre de fois 43534746484645294845450
Ecarts à la moyenne 45 -2+8+2+1+3+10-16+30

Les seuls écarts notables sont ceux du chiffre 1 et du chiffre 7. L'écart du chiffre 1 n'est pas inquiétant: dans un tirage au hasard, on trouverait un écart 8 une fois sur cinq. Mais l'écart 16 du chiffre 7 étonne: il ne devrait se rencontrer qu'une fois sur cent environ (probabilité 0,012).
Mais la probabilité a priori d'avoir cette anomalie était la même pour n'importe quel chiffre. Comme il y a dix chiffres, on doit s'attendre à constater un tel écart dans la distribution, pour l'un des chiffres, une fois sur huit environ (car 0,012 x 10 = 0,12). Il se trouve ici que c'est le 7 qui fait le grand écart, mais le cas n'apparait plus comme exceptionnel.
On voit comment la probabilité d'un résultat obtenu en une expérience unique peut différer beaucoup de la probabilité du même résultat, obtenu après une longue suite d'autres tentatives.

IV. - Le cas de M. G...

Ce cas est des plus singuliers. M. G... est un chercheur sincère, cultivé et d'une grande activité, adversaire déterminé de l'astrologie ancienne et commerciale. Nous venons de le voir affronter la vindicte des puissants exploitants de l'ordinateur.
Au cours de statistiques destinées à montrer la vanité de l'astrologie, M. G... a découvert des corrélations entre la position de certains astres à la naissance et la réussite des individus en question dans telle ou telle carrière.
Bon nombre des conclusions de M. G... se trouvaient reprendre, derrière une façade statistique, celles de l'astrologie ancienne (nous citerons plus loin).
En conséquence - à son corps défendant, mais c'était facile à prévoir -, M. G... est devenu le rempart des astrologues. Même ceux qu'il a étrillés mettent en avant ses travaux lorsqu'on les attaque.
Depuis dix-sept ans, j'ai reçu des centaines de lettres à propos de L'astrologie. Celles qui émanaient des astrologues (sincères ou trafiquants) me faisaient savoir que mon petit livre était anéanti, dépassé par les calculs de M. G..., et l'on jubilait! Les autres lettres confessaient leur inquiétude et demandaient mon opinion. C'est pour ces lecteurs inquiets que j'écris ces pages.
Recevant en 1955 le premier livre de M. G... (qui m'était d'ailleurs dédié en second rang, à ma grande surprise), je fus choqué par l'influence qu'il attribuait en fin de compte aux planètes, sur la profession et le caractère de notabilités. Citons.
« Lorsqu'une planète (tout au moins Mars, Jupiter et Saturne)... vient de passer à son lever, à sa culmination et à l'opposé de ces deux points, elle exerce une influence telle qu'il y a une liaison entre ses positions particulières et la naissance de certains individus aux caractéristiques bien déterminées.
.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
« Les planètes semblent avoir une action positive dans chacune de ces zones pendant deux heures et demie environ, en moyenne... Dans ces zones la planète ne possède pas d'emblée toute son influence positive, son intensité augmente progressivement, passe par un maximum, pour diminuer ensuite.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
« Il existe des groupes professionnels « purs », c'est-à-dire pour lesquels une seule des trois planètes a manifesté son influence (c'est pour ces distributions que nous avons d'ailleurs obtenu les écarts les plus improbables) : Mars chez les sportifs, Jupiter chez les acteurs, Saturne chez les prêtres.
« Il est donc permis de penser que l'analyse de ces trois groupes professionnels sera particulièrement fructueuse pour la description de l'influence particulière de ces trois planètes » (c'est moi qui souligne).
Dans les secteurs ainsi définis:

Les trois astres étudiés ont (donc) des actions qualitativement différentes. Pourtant nous trouvons pour une même planète des résultats semblables sur des groupes différents. Mars + (agit positivement) à la fois chez les sportifs, les militaires, les médecins. Jupiter + à la fois chez les acteurs, les militaires, les députés (?). Saturne + à la fois chez les savants et les prêtres »...

Après étude des principales caractéristiques de ces groupes sociaux, l'auteur conclut que la relation, l'affinité, entre ces planètes et les groupes sociaux se décrit en termes de caractère:
Mars: l'énergie, la lutte, l'activité concrète; Jupiter: le goût de représenter, l'esprit tourné vers l'aspect extérieur et public des choses;
Saturne: le désir de méditer, de réfléchir, l'esprit tourné vers l'aspect profond des choses.
Même en tenant pour acquises, rigoureuses, les corrélations publiées par M. G..., nous savons qu'il y a loin d'une corrélation à la découverte de sa cause réelle et que d'une corrélation vraie on peut tirer des conclusions fausses. Il suffit de relire les pages qui concernent la
Lune rousse ou les communications transatlantiques par radio.
Même présentées comme hypothèses initiales, les conclusions de M. G... allaient au-delà des faits dans une direction telle qu'elles ne pouvaient manquer de rendre service aux charlatans.

Onze ans plus tard (en 1966) je lis dans un ouvrage de M. G...:

« Bien à propos, l'effet planétaire d'hérédité est venu lever la plus lourde des hypothèques qui pesaient sur la vraisemblance de nos résultats. L'espèce de prédestination qu'un aspect particulier du ciel de naissance semblait conférer au nouveau-né disparaissait, cédant la place à une interprétation opposée: seul notre bagage héréditaire détermine notre comportement dans la vie. La planète n'apparait plus que comme un déclencheur passager de la naissance... En outre, l'effet planétaire n'est plùs attaché à la naissance de certains hommes célèbres. Il devient une loi générale de la nature humaine. On peut le retrouver chez n'importe quel homme, n'importe quelle femme» (c'est moi qui souligne).

Ainsi M. G... abandonne l'influence de la planète sur le tempérament de l'homme. On se sent soulagé. Merci !
Le changement est radical: l'hérédité est bien purement et uniquement biologique. Les astres, à un endroit ou à un autre du ciel de naissance, n'y sont pour rien. Nous naissons tels que nos parents nous ont engendrés. Le milieu, l'éducation et les hasards de la vie feront le reste.
Mais voyons comment M. G... précise les choses en 1970:
« L'enfant hérite de l'un de ses parents la tendance à naitre de préférence au lever de Mars (par exemple) comme on hérite de telle ou telle couleur de cheveux... Nous devions donc rassembler des groupcs de parents nés au moment où Mars se lève à l'horizon, puis regarder si leurs enfants naissent, eux aussi, quand Mars occupe cet endroit du ciel... Le nombre des similitudes héréditaires fut si grand qu'il ne pouvait pas être attribué au hasard... Il y avait 499999 chances contre une que l'hérédité planétaire soit une réalité.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
« L'enfant naît à cet instant parce que son organisme serait apte à réagir aux perturbations provoquées par cette planète-horloge au moment de son passage à l'horizon ».

« Les enfants ont tendance à naître lorsque l'un ou l'autre de ces astres (Lune, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne) se lève ou culmine, si le même astre s'était trouvé dans les mêmes régions du ciel à la naissance de leurs parents. »

On pouvait légitimement douter que les minimes flux planétaires fussent capables de déclencher l'accouchement. Mais le relais du Soleil pourrait entrer en jeu. Lisons M. G... (1969) :

« On peut émettre une hypothèse: l'effet planétaire ne s'exercerait pas directement sur nous, mais à travers le champ solaire. S'il en était ainsi, l'effet devrait se trouver influencé par l'activité plus ou moins grande du Soleil, ou, si l'on préfère, par l'agitation plus ou moins marquée du magnétisme terrestre. C'est bien ce que l'on observe en reprenant nos données de naissance. L'effet d'hérédité planétaire est deux fois plus marqué les jours où le magnétisme est perturbé que les jours où il est calme.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
« Qu'un diagnostic sur le tempérament héréditaire de l'enfant soit possible lorsqu'on connaît la planète qui vient de se lever ou de culminer à l'heure de sa naissance, est une constatation lourde de conséquence. C'est un fait qui mérite d'être vérifié, approfondi, expliqué ou contredit par tous ceux qui ne se contentent pas d'illusions confortables, etc. »

Ainsi, selon M. G..., les horoscopes resteront utiles: s'ils échappent désormais à la compétence et aux commentaires sans valeur des astrologues, leur examen par des psychologues sera précieux. Notre avis est tout différent (jugement du Comité Para.).

Statistiques des naissances. - Je n'ai pas à exposer ici les techniques de M. G... : il les expose fort bien lui-même et ce petit livre n'y suffirait pas. Au surplus ce n'est pas dans les statistiques que gite le lièvre essentiel, sans doute. Cependant, il faut bien rappeler au lecteur que les documents de base ne sont pas dénués d'incertitudes. L'heure de naissance étant admise, la position des planètes, tirée des annuaires astronomiques, est dénuée d'ambiguité. Mais il n'en est pas de même des heures de naissances.
a) 85 % des déclarations ne mentionnent qu'une heure ronde, ce qui n'est pas très précis. Ces heures rondes sont souvent fautives. Ainsi M. G... étudie 2 088 sportifs - en moyenne 87 à chaque heure. Or, on en trouve 102, 21 et 129 déclarés respectivement à 23 heures, 0 heure et 1 heure. Le trou à 0 heure montre la répugnance universelle à utiliser 0 heure (ou 24 heures) et à laisser le jour indécis (on a reporté les naissances aux heures voisines, car la moyenne des trois heures, 84, est normale). Dans certains pays. on note une préférence pour les heures paires. Je gage aussi qu'on trouverait un trou les vendredi 13. Notons aussi que l'heure exacte ne s'est popularisée qu'avec la radio. Avant 1891, en France. toutes les heures étaient locales, donc différentes entre elles: une heure anarchique régnait, dans les campagnes surtout. Tenons compte aussi des fantaisies du déclarant (je connais une famille où les quatre filles sont déclarées un samedi - ce qui n'est pas vrai pour les deux dernières).
Enfin, l'usage ancien. et assez courant. du forceps altère l'heure naturelle de bien des naissances, que l'on devrait éliminer du choix.
b) Rythme diurne des naissances. - Les naissances n'ont pas lieu uniformément au cours de la journée (Mme G... a consacré d'intéressantes publications à ce sujet). Avant de caractériser une distribution anormale, il convient de définir, le mieux possible, la normale. Pour une moyenne de 100 naissances par heure, on en trouve de 140 à 150 à 4 heures, 5 heures et 6 heures du matin, et de 70 à 75 seulement aux heures de l'après-midi, de 13 heures à 18 heures, et à 21 heures.
C'est la courbe (grossièrement sinusoïdale) tirée des recensements qui définira la normale du rythme diurne et qu'on devra retrancher des distributions étudiées pour définir les écarts. Il semble que ce rythme diurne ait évolué au cours du siècle dernier. Il peut différer, je pense, selon les races, selon les zones climatiques habitées et le genre de vie des femmes
Enfin, le cycle naturel est maintenant remplacé, dans les maternités, par un cycle artificiel, les médecins préférant, grâce à des médicaments appropriés, provoquer les naissances aux heures où tout leur personnel est présent. Il faut en tenir compte, ainsi que des cas où une naissance prématurée s'est imposée médicalement.
En résumé, pour toutes ces raisons, un flou inévitable pèse sur les documents de base. Il a été démontré, assure-t-on, que cela ne nuit pas à la fermeté des conclusions. Admettons.

La planète Mars. - Je m'étais autrefois intéressé un peu aux positions de Mars, celles qui donnent à M. G... les répartitions les plus improbables. Mes remarques conservent leur intérêt puisqu'un contrôle récent a porté sur une corrélation de même nature.
Je reprends les 2088 champions répartis entre 12 secteurs. La présence de Mars favorise les secteurs 1 et 4, où l'on trouve 240 et 212 champions. Par rapport à la moyenne 174, l'excès de champions est de 66 et de 38. Ainsi 104 champions seulement, sur 2088, auront été appelés par Mars. Je suis sûr que les lecteurs seront déçus.
D'autant plus que des millions d'humains, nés avec Mars en ces secteurs favorables, ne sont pas devenus des champions.
Certes, pour un mathématicien, un écart de 66 dans cette distribution n'a qu'une probabilité d'un millionième, et il faut l'expliquer. Il y a peut-être des raisons astronomiques pour qu'il en soit ainsi. La planète Mars a un mouvement complexe et un siècle ne suffit pas pour que tous les cas de distribution théorique possibles se soient présentés.
Mais un phénomène plus fondamental va nous apparaitre : la position de Mars n'est pas indépendante de l'heure.

Mars et l'heure du jour.- Le croquis simple (fig. 13) montre que nous ne voyons la planète Mars à plus de 90° du Soleil, c'est-à-dire à plus de 6 heures d'écart (en plus ou en moins), que pendant un quart de l'année environ. En effet, cela a lieu pendant que la Terre parcourt l'arc TT' de sa trajectoire (27 % de l'orbite). Donc pendant 9 mois sur 12 (grosso modo) Mars est vu, dans le Zodiaque, assez près du Soleil. Donc l'heure du lever de Mars (ou de son passage au méridien) est en forte corrélation avec notre heure solaire. Toute statistique correcte doit montrer Mars, les trois quarts du temps, à moins de 6 heures du Soleil - qu'il s'agisse de la naissance - ou de la mort -, des sportifs, des médecins, des savants ou des illettrés. Cela étant, le problème change de nature. Si l'on m'avait dit, par exemple, que les sportifs ont une certaine propension à naitre à l'aube, cette propriété biologique m'eût semblé intéressante, curieuse, mais non invraisemblable - et du ressort des physiologistes.
Si Mars s'en mêle, ce sont des commissions d'astronomes qu'il faudra consulter, avant de conclure.

Fig. 13. - Le petit (arc TT' de l'orbite terrestre où l'on voit Mars à plus de 6 heures du Soleil ne représente que 27 % de l'année.

L'hérédité planétaire. - Les interprétations nouvelles des statistiques me semblent moins inacceptables que les anciennes. La planète n'est plus responsable des qualités du nouveau-né: elle n'a plus qu'un rôle de déclencheur de naissances pour ceux qui sont sensibles à sa présence en certains lieux du ciel.
Est-ce à dire que je me rallie au rôle de presse- bouton, apanage de cinq planètes (dont la Lune) ? Non, je trouve que c'est encore leur donner trop de pouvoir, même si on leur accorde le relais du champ solaire. Je ne sais pas si je vivrai assez longtemps pour qu'on découvre une interprétation qui me paraisse vraisemblable. Je n'aime pas ces astres qui agissent en certains lieux du ciel, et qui n'agissent pas du tout s'ils sont ailleurs.
On peut faire aussi à l'action de ces astres, qui serait générale et s'appliquerait (selon les mots même! de M. G...) à n'importe quel homme et à n'importe quelle femme, des objections qui me semblent graves dans certains cas particuliers.
Cinq astres (Lune, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne) peuvent intervenir chacun pendant 5 heures (2 h 30 après le lever, 2 h 30 après la culmination). Au total, 25 heures d'intervention qui, si elles sont bien réparties, peuvent couvrir les 24 heures du jour. En sorte que nous n'avons pas à être inquiets, en général, quant aux possibilités de venir au monde pour les humains, quelque que soit leur planète presse-bouton.
Mais j'évoque avec angoisse le cas des populations qui vivent au nord du cercle polaire. Prenons le cas de Mourmansk, ville de 250 000 habitants, à près de 70° de latitude Nord. Il est facile de calculer ceci: lorsque Mars se trouve sur sa trajectoire au voisinage du solstice d'hiver ('), cette planète reste plus de 3 mois sans se lever au-dessus de l'horizon de Mourmansk. De .même, Jupiter restera environ 22 mois, et Saturne 4 ans et demi, sans se lever. Qu'adviendra-t-il des foetus qui auront besoin de ces déclencheurs pour naitre ? Y a-t-il des drames, à Mourmansk? Et les statistiques manifestent-elles des déficiences à ces époques?
Inquiétant aussi, le cas de Vénus est plus variable. Elle s'éloigne peu du Soleil (au maximum 47°) et, comme lui, elle devient invisible à Mourmansk, tous les ans, aux approches du solstice d'hiver. En moyenne, elle doit ne pas se lever pendant presque deux mois, mais sa disparition peut durer beaucoup plus (ou nettement moins) selon les années, selon que son mouvement propre, sur son orbite apparente, la retiendra plus ou moins dans la région du Sagittaire, invisible.
Le cas de Mourmansk n'est pas isolé et on trouverait plusieurs villes dont le cas est analogue (Petsamo, Tromso, etc.) ou plus inquiétant encore, parce que plus au nord (en Sibérie, en Alaska, au Grand Nord canadien, au Groenland, etc.).
Le cas des villes qui, comme Reykiavik, en Islande, ne sont pas éloignées du cercle polaire est bien singulier aussi: lorsque ces mêmes planètes avoisinent ', elles se lèvent à peine au-dessus de l'horizon: leur lever et leur passage au méridien se succèdent vite et leurs 5 heures de travail quotidien hypothétique, envisagé pour nos climats par M. G., se réduisent alors aux quelques minutes consacrées aux secteurs sensibles 1 et 4.
J'évoque aussi avec tourment les époques, heureusement rares, où tous les astres déclencheurs se trouvent rassemblés en une même aire zodiacale A. La Lune s'écarte vite, mais la conjonction des autres peut durer. Le gros des naissances quotidiennes doit alors s'effectuer en deux lots, au lever de A, puis à son passage au méridien, quelques heures plus tard. Les statistiques mondiales des naissances doivent être stupéfiantes, en ces occasions-là, et le surmenage intense, dans les maternités, aux heures favorisées.

Déontologie des chercheurs. - Certes, il convient qu'un chercheur soit audacieux, non conformiste, iconoclaste s'il le faut (qui le fut davantage qu'Einstein ?). Mais il convient aussi de ne pas être trop réceptif aux propriétés stupéfiantes, aux sensibilités inouies, aux correspondances étranges. Le spectre des rayons N ne devrait-il pas prévenir les emballements prématurés?
Etre capable de formuler des doutes, de cerner les risques d'erreur de l'interprétation, est certainement une qualité scientifique aussi nécessaire que l'imagination et l'audace.
Dans un de ses livres, M. G... trouve que les justifications de la radiesthésie dont nous avons parlé sont « proches de ses préoccupations ». La découverte d'une sensibilité magnétique extraordinaire chez l'homme rend, dit-il, notre organisme « apte à deviner la position des horloges solaire et lunaire ». Il est dommage que des expériences mieux conduites aient montré que cette sensibilité n'existe pas.
Dans un autre livre (1965), M. G...a accepté de son préfacier un éloge dithyrambique de l'effet spécifique des planètes sur la réception des ondes radio à travers l'Atlantique. « Les différents faits que je viens de rapporter sont parfaitement établis » écrit ce professeur. On a pu voir ce qu'il en est de ces effets garantis. Pourtant, en 1965, il y avait douze ans que leur inanité était certaine. Il est vrai que les phénomènes mirobolants sont annoncés à grand tam-tam, tandis que les démentis ne reçoivent qu'une place minime - ou nulle.
Les publications du laboratoire de M. G... se consacrent à l'exposé des méthodes, à des listes de documents et à l'analyse statistique des résultats. Leur étude serait du ressort des spécialistes et je n'ai rien à en dire à mes lecteurs; ce sont des volumes austères et techniques, dont j'admire l'abondance, sincèrement.
Dans ses livres populaires, M. G... montre souvent qu'il n'est pas hostile à l'insolite, aux phénomènes et aux pouvoirs inconnus, dans bien des domaines. Je suis cependant surpris qu'il ait confié l'un de ses ouvrages à une firme dont les publications sont souvent suspectes aux scientifiques et font le plus grand tort à une saine information du public.
L'un des fondateurs de la maison, par exemple, est le responsable, par ses articles élogieux, de,la diffusion, en Occident et en U.R.S.S., du canular du Nautilus et de l'épidémie télépathique, métapsychique et occultiste qui a suivi, et qui a fait rage surtout à l'Est pendant quelques années.>
Sur la couverture de ce livre de M. G..., on lit cette citation: « Je me suis inscrit à l'Université de Cambridge pour voir ce qu'il y avait de vrai dans l'astrologie » (Newton). Si M. G..., après un début analogue, et malgré des interprétations prématurées, parvient à fournir au Monde l'équivalent de l'oeuvre de Newton, nous serons comblés. Nous lisons d'ailleurs, quelques lignes plus bas, qu'il est sur la bonne voie:

« Il y a cent ans, Gregor Mendel découvrait les lois fonda mentales de l'hérédité génétique... M. G... a sans doute réalisé une découverte du même ordre... Mendel établissait une relation entre les plantes et les hommes. G... prouve qu'il existe une relation entre les hommes et les astres. »

Dans une page intérieure d'un autre volume, sous le titre Repères historiques, lisons la fin d'un tableau:

1955 : Démonstration d'une relation entre le cosmos et le moment de naissance de célébrités professionnelles (M. G...).
1958 : Les satellites sont lancés dans l'espace... (j'abrège).
1961 : Découverte de l'effet d'hérédité planétaire (M. G...) (1).
1963 : Une enquète montre que 43 % de la population croit encore que l'astrologie est une science (j'abrège).
1969 : L'homme pose pour la première fois le pied sur la Lune.

(1) Là. le nom de M. G... a été oublié: réparons l'omission.

Ainsi n'avons-nous pas la crainte que les relations proposées par M. G... soient sous-estimées; relations, écrit un autre de ses préfaciers, « qui inspirent la terreur à certains, mais qui restent assurément les plus passionnantes et les plus importantes de toutes pour la pensée scientifique moderne ».
Je ne crois donc pas que M. G... puisse se plaindre de son sort. Il est le chef de file d'une école qui se ramifie à l'étranger. Il est encensé, dans les milieux favorables, d'une manière à combler les plus exigeants.
Le nombre et l'ampleur des publications statistiques allant croissant, il n'est plus question qu'un vérificateur solitaire s'attelle à la tâche. Reconnaissons que M. G... sollicite depuis longtemps qu'on contrôle ses statistiques - et c'est tout à son honneur.

Le jugement du Comité belge Para. - Ce Comité qui a pour devise: « Ne rien nier a priori, ne rien affirmer sans preuve », a déjà été présenté ici et l'une de ses nombreuses études mentionnée. M. G... lui a demandé de se pencher sur ses travaux.
Le Comité a repris la question de Mars au ciel de naissance d'éminents sportifs, à laquelle j'ai consacré deux pages.
M. G... avait établi que la distribution de Mars n'est pas uniforme et qu'en particulier on trouve Mars plus souvent que prévu au voisinage de l'ascendant (Mars vient de se lever). M. G... en avait conclu que Mars a une influence sur le tempérament sportif.
Sur un échantillon nouveau de 535 sportifs nés de 1872 à 1945 (intervalle de 74 ans), le Comité, adoptant la technique même de M. G..., a trouvé un diagramme des positions de Mars présentant bien la même allure que celle annoncée par M. G...
Sur ce point, le Comité marque donc son accord avec M. G..., mais sur ce point-là seulement. Car, avant de conclure à une relation entre Mars et sportifs, il a voulu savoir s'il y a vraiment anomalie et dans quelle mesure ces résultats sont anormaux. Pour en juger, il faut rechercher quelles valeurs théoriques de la distribution correspondent rigoureusement aux évolutions de Mars sur le ciel entre 1872 et 1945, afin de les confronter aux valeurs observées, dont on vient de parler.
Naturellement M. G... a effectué ce travail et a proposé des méthodes et des formules théoriques que le Comité a soigneusement analysées et qu'il vient de rejeter comme inexactes, en ces termes (j'abrège les reproches) :
Le Comité conteste la validité des diverses formules adoptées par M. G...
Elles ne tiennent pas compte correctement de la probabilité théorique d'arrivée des configurations (voir ci-après)
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. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le Comité ne peut donc accepter les conclusions de M. G... aussi longtemps qu'elles seront basées sur les méthodes et les formules que celui-ci préconise.
Configurations. Leurs probabilités très inégales. - En un lieu donné, à une date donnée, la marche diurne de Mars est définie par deux éléments: sa distance au Soleil en ascension droite (de 0 à 24 heures) et la durée de séjour de Mars dans chacune des classes diurnes envisagées par M. G... Au coure des 74 années (de 1872 à 1945 inclus) cette durée a varié entre 1 h 15 et 2 h 45 (variation: 90 minutes).
On nomme configuration le schéma de ce déplacement, où s'insérera plus tard la naissance de l'individu (selon son heure). . Or les configurations possibles sont loin d'être également probables.
Pour le montrer, le Comité a calculé les 888 configurations relatives au premier jour de chaque mois (74 ans = 888 mois).
Puis il a considéré 6 domaines de 4 heures en ascension droite pour la distance de Mars au Soleil (de 0 à 4 heures, de 4 à 8 heures, ..., de 20 à 24 heures); ensuite, la durée du séjour de Mars dans chaque classe diurne a pris place en l'un des 9 domaines suivants: de 1 h 15 à 1 h 25, de 1 h 25 à 1 h 35, etc., jusqu'à 2 h 35 à 2 h 45. Au total, 54 domaines (6 x 9) différents, où les 888 configurations vont trouver place, chacune dans un seul domaine.
Si les configurations étaient également probables, on en trouverait 16 ou 17 dans chaque « casier» (888 : 54 = 16,44).
L'un des casiers n'en contient que 3, cependant qu'un autre casier convient à 44 configurations. Ces dernières sont donc 15 fois plus probables que les précédentes.
Quatorze casiers (sur 54) conviennent chacun à moins de 9 configurations tandis que 11 casiers conviennent chacun à plus de 23.
Comme la fréquence d'une configuration est le facteur principal (l'autre étant la probabilité de naissance à telle heure du jour) qui décidera de la distribution théorique des positions de Mars (à confronter à la distribution observée), l'énorme variation de cette fréquence rend indispensable que ce facteur soit déterminé avec une grande précision.

M. G... a certainement sous-estimé la complexité des questions astronomiques qu'il a cru représenter fidèlement par des formules élémentaires. Les astronomes et les statisticiens du Comité Para, après une consciencieuse étude, déclarent ces formules inadéquates. .
Cette conclusion soulagera tous ceux que les propositions de M. G... ont alarmés

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