L'hallucinante confusion de Quarouble

L'affaire de Quarouble, c'est le premier cas d'atterrissage de soucoupe volante, avec "martiens" et traces, de la grande vague française de 1954. Croirait-on que cette affaire qui intriga toute la France et fit l'objet de nombreux chapitres de livres, et même d'un livre entier, se réduise à une simple confusion avec deux objets aussi banals qu'un fourgon et un bolide?
C'est pourtant ce qui c'est passé, mais néanmoins, l'affaire garde un coté extraordinaire par son étonnant concours de circonstance.

Nous allons raconter et expliquer l'affaire, en nous basant sur les documents d'époque, et les enquètes les plus fiables, et non sur les récits enjolivés des livres d'ufologie.

Quarouble est une commune, bien discrète, à 8 km de Valenciennes, sur la route, à l'époque Nationale 29, menant vers la Belgique.
Le témoin, Marius Dewilde, n'avait rien d'un notable. C'était un petit ouvrier métallurgiste, atterri à Quarouble, parce qu'il avait "éloigné" de Paris par la police. Aussi les Quaroubains l'appelaient ils "l'parisien", alors que ses proches l'appelaient "Mario". Il passait pour un "dur", et aussi comme un hableur
Il s'était installé avec sa femme de l'époque, dans une maisonnette, au Passage à niveau 79, qu'il avait eu en sous location auprès d'un agent de la SNCF. Ce passage à niveau n'avait pas de barrières: C'était juste un chemin de terre, dit "chasse des saules", traversant deux voies uniques, l'une de la SNCF, l'autre des Houillères. Il n'y passait qu'un convoi par jour.
La maisonnette, de deux pièces, était sans eau courante, sans gaz, sans électricité et sans téléphone. Dewilde n'avait même pas la radio.

Ce Vendredi 10 septembre 1954, il est environ 22 H 30. Marius Dewilde lit dans un hebdomadaire illustré, le récit du naufrage du remorqueur "Abeille IV", au Havre, car il aurait travaillé plusieurs années dans la marine marchande.
Dehors son chien, Kiki, s'agite, aboie. Marius Dewilde tend l'oreille, mais n'entend tien. Kiki aboie de plus en plus fort, et finit par hurler à la mort. Pensant à quelque rodeur, Dewilde prend une lampe de poche, et sort.
Il ne voit d'abord rien, mais son chien attire son attention sur sa gauche, et il remarque alors, à cinq ou six mètres, une masse sombre qu'il prend pour un chariot de récolte abandonné là.

Entendant un bruit de pas, Dewilde se tourne vers la droite, et voit alors, derrière la barrière à claire voie, une silhouette, puis une autre, débouchant d'un sentier voisin, qui marchent rapidement vers la forme sombre. Ils semblent petits, seule leur tête dépasse la barrière. On dirait des contrebandiers ployant sous leur charge. Braquant sa lampe sur la tête de l'un deux, le rayon lumineux se réfléchit "comme sur du verre".
Soudain, une vive lumière jaillit du supposé chariot, et Dewilde se trouve à la fois ébloui, et incapable de bouger. Il ferme les yeux mais entend nettement les deux êtres marcher sur la dalle de ciment qui est devant la porte de la courette. Puis il entend un bruit de porte à glissières. La lumière s'éteint et il retrouve l'usage de ses membres.
Ceci clot la première phase de l'observation.

Qu'a observé jusqu'ici Marius Dewilde?
Pour y voir plus clair dans cette première phase, voyons le plan des lieux dressé d'après la carte IGN, les photos aériennes, et les photos des lieux publiées à l'époque:

L'objet stationné sur la voie est là où les traces ont été découvertes ensuite. Mais il se trouve entre une cloture et des fils téléphoniques, et pour un engin volant, c'est absurde: il aurait atterri dans la pature voisine et non sur la voie. La première idée du témoin, celle d'un chariot, n'avait, elle, rien d'impossible.

C'est vers cet "engin", une masse sombre, grosse comme un chariot de récolte, que se dirigeaient les petits hommes. C'est de cet engin, muni d'une porte à glissière, que jaillir la lumière qui éblouit le témoin. Or, une soucoupe volante qui se respecte possède une porte qui se ferme sans bruit, et sans qu'on puisse la distinguer une fois fermée. Une porte à glissière trahit donc un engin bien terrestre.
Or, en 1954, il existait effectivement un type d'engin terrestre, de la taille d'un chariot de récolte et muni d'une porte à glissière: cela s'appelait un fourgon!
Il y en avait deux modèles à l'époque, un Citroën et un Renault, mais dans l'obscurité, Dewilde n'avait pas pu reconnaitre un fourgon.

Le sentier d'où venait les petits ètres s'appelait le "sentier des contrebandiers", parce qu'il était autrefois emprunté par ceux qui faisaient de la contrebande à dos d'homme, et justement, Dewilde a cru voir des contrebandiers, des fraudeurs, ployant sous leur charge. Ils cherchaient à se cacher, comme des gens faisant quelque chose d'illicite.

Dewilde les avait décrit, avec des vétements amples, des épaules larges, avec une sorte de casque relétant la lumière de sa lampe, et surtout ne faisant pas pas plus d'un mètre. Mais à Jacques Lob, il a déclaré que seule leur tête dépassait par dessus la barrière, et les photos de l'époque montrent que la barrière faisait environ 1.20 m. D'autre part, ces deux êtres marchaient sur le talus, juste derrière la barrière, et leur pieds devaient se trouver 15 cm plus bas que la bas de la barrière. Enfin, nos hommes marchaient courbés, et le commissaire Gouchet, qui enquéta sur l'affaire, fit marcher un de ses hommes sur le talus contre la barrière, courbé, et vétu d'une combinaison fourrée. Il paraissait alors petit et large d'épaule. En tenant compte de tous ces détails, nous arrivons à une taille avoisinant 1.60 m. Rien à voir avec des nains.

Reconstitution de Lob et Gigi.
Reconstitution tenant compte de la nuit et de la barrière

La meilleure tentative de reconstitution des deux êtres était celle de Robert Gigi, à gauche, mais Marius Dewilde objecta que le casque était beaucoup trop gros. Surtout, les êtres sont représentés dans une perspective que n'a pas vu le témoin. Nous avons représenté les êtres comme le témoin les a vu, à l'aide d'un dessin qu'il a fait pour la revue Nord France, et tenu compte de la nuit et de la barrière. Nous voyons qu'il n'y a pas besoin de martiens, et que des fraudeurs de petite taille, portant une casquette à visière luisante, conviennent très bien.

Jusqu'ici, tout colle: des fraudeurs d'occasion, ont caché leur fourgon sur la voie, et reviennent vers lui chargé de marchandises. Dewilde les surprend. A ce moment, leur complice resté dans le véhicule braque une puissante lampe torche vers Dewilde, qui s'en trouve tout surpris et ébloui, ferme les yeux, et ne peut plus qu'entendre les petits hommes marcher sur la dalle de béton et rentrer dans l'engin.

Mais il aurait été paralysé par un rayon vert? Non, s'il l'avait été, il se serait tout simplement effondré. Il a subi un blocage nerveux assorti de picotements, et s'est retrouvé incapable de faire un mouvement volontaire. Car Dewilde avait des séquelles nerveuses d'un traumatisme cranien subi un an plus tôt. La couleur verte, est une des couleurs qu'on voit en cas d'éblouissement, et le rayon vert est un thème de Science fiction.

Rouvrant les yeux, Dewilde voit l'engin osciller en émettant de la fumée, ainsi qu'un léger ronronnement. Puis la scène tourne à la fantasmagorie: l'engin s'élève à une dizaine de mêtres. Enfin l'objet rougit jusqu'à ressembler à une boule de feu, et disparait vers l'ouest à une vitesse prodigieuse.

Mais une boule de feu filant dans le ciel à une vitesse prodigieuse, ça s'appelle un bolide. Et justement, à cette heure là, un bolide s'est montré dans la région: Une dizaine de témoins décrivent un bolide filant vers l'ouest, en particulier à Onnaing, et à Vicq. Mais on l'a vu de bien plus loin, de Dieppe et de la Villeneuve-en-Chévrie, ce qui s'accorde bien avec l'hypothèse d'un bolide.

Au début, un fourgon. A la fin, un bolide. Mais les fourgons n'ont pas l'habitude de s'élever dans les airs pour se transformer en bolide. Alors?
Alors le témoin a tout simplement reconstruit inconsciemment son observation pour éviter une dissonance cognitive. Il a été victime d'une illusion très classique transformant deux images successives en un mouvement continu illusoire. Le fourgon oblique vers l'ouest, dans la chasse des saules, allume ses feux, donc aussi ses feux arrières rouges et disparait dans la nuit. A cet instant il semble réapparaitre, plus lumineux au dessus du bois qui se trouve en face, et le témoin va rester persuadé que c'est bien le même objet qui s'est elévé à hauteur du bois.
La coincidence peut paraitre extraordinaire, mais si elle n'avait pas eu lieu, il n'y aurait tout simplement jamais eu d'affaire de Quarouble.

Mais ce ne sera pas la seule coincidence ayant construit l'affaire de Quarouble. Dewilde ayant rapporté son observation au commissariat d'Onnaing, un journaliste, faisant "les chiens écrasés" prend connaissance de l'affaire. D'autres journalistes locaux rappliquent. On en serait resté à un engin mystérieux, si quelques jours avant n'avait eu lieu une observation de "soucoupe volante" dans la Somme. Et tous nos journalistes vont donc parler de "la soucoupe volante de Quarouble". Pire, à cette époque, le film "La Guerre des mondes (où les martiens attaquent la Terre) vient de passer sur nos écrans. Résultat: Quatre jours après l'observation, on ne parle plus que des "martiens de Quarouble", pourtant Dewilde n'a jamais parlé de "martiens".
Entretemps, la police de l'air est venu inspecter les lieux, car les engins volant sans permis, c'est de son ressort. Le Samedi, rien n'a été trouvé (malgré trois inspections différentes), mais le lundi, on découvre de grosses éraflures sur les traverses semblant confirmer la version de Dewilde. Le chef de voie, lui, n'y verra que des coups de burin.
En l'espace de quelques jours, c'est la célébrité. Le nom de Marius Dewilde, le petit ouvrier sableur, "l'parisien", l'obscur, le sans grade, apparait dans tous les journaux. C'est l'homme qui a vu des "martiens". Il passe aux actualités cinématographiques. Des dizaines de journalistes défilent chez lui, et l'harassent d'un flot de quetions auxquelles il est bien en peine de répondre. Il a droit à "la Une" de la revue RADAR (dans une reconstitution complètement fantaisiste). Il a même droit à une reportage fait par des journalistes (prétendument) martiens.
Mais cette célébrité imprévue lui vaut des ennuis. Non seulement les Quaroubains en ont marre de cette histoire de "martiens" et prennent Dewilde pour un visionnaire, un hurluberlu, voire un imposteur, mais La SNCF apprend que la maisonnette du P.N. 79 est occupé par un individu n'appartenant pas à la SNCF, et il est sommé de déguerpir.

Pour Marius Dewilde, c'est une dure épreuve qui va lui laisser des séquelles psychologiques, d'autant qu'il a tendance à s'inventer de faux souvenirs. C'est probablement ainsi qu'il va s'inventer une nouvelle observation ou vont apparaitre tous les détails dont il a été frustré lors de la première. Mais il va alors entamer un chemin de croix qui, de rencontre d'ufologues en rencontre d'ufologue, va lui faire terminer sa vie dans la peau d'un "contacté".