1600 Simon Goulart fait un catalogue thématique
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Simon Goulart |
Simon Goulart, né à Senlis en 1543, étudia le droit à Paris, puis embrassa la réforme et partit pour Genève, où il fut reçu pasteur, et succéda en 1607 à Théodore de Bèze.
Il fut éditeur, traducteur et écrivain
En tant que traducteur, il a traduit Plutarque, Xénophon, l’Histoire de Portugal d’Osorius et Les devins de Caspar Peucer
En tant qu'écrivain, outre des commentaires, il a publié Memoires de l’estat de France, couvrant la période 1576-1598 en 6 volumes
Ce qui nous intéresse est son Thrésor d'histoires admirables et mémorables de nostre temps, qui eut plusieurs éditions en 1600, 1610, 1614, 1620 et 1628. C'est un recueil d'histoires extraordinaires, comme celle de la dent d'or ou celle de Martin Guerre, et de prodiges supposés être des signes divins. Tout ceci recueilli des meilleurs auteurs, et présenté comme édifiant.
Le tout est présenté par ordre alphabétique, ce qui rappelle le futur dictionnaire infernal de Collin de Plancy.
La première édition est en trois livres foliotées, en un seul volume. chaque livre est suivi de sa table. Les éditions suivantes sont paginées.
Le premier livre contient des histoires de "Visions merveilleuses en l'air". En voici une, la quatrième, qui donne le ton: c'est une fantasmagorie proprement onirique.
L’an mil cing cens trente quatre, le troisiesme jour de Juillet apres midi, le ciel estant clair et descouvert, ceux d’une petite ville nommee Schesvvitz, virent en l'air des Lions acourans de diuers endroits pour s'entrebattre,et pres d’eux un homme de cheval armé de toutes pieces, branslant une javeline. Non gueres loin de cest homme gisoit une teste humaine, sans corps, ornee d'un diademe imperial. Assez pres y avoit une hure de sanglier avec ses broches, et deux dragons vomissans le feu. Puis apparut l'image d'une bien grande ville seule, pres d'un lac, assiegee par terre et par eau, et dessus icelle une croix de couleur de sang, qui peu à peu devint noire. Un autre cheualier, flamboyant et portant en teste une couronne d’Empereur, se presenta incontinent, suivi d’un cheual sans conducteur:puis
au milieu d'vne spacieuse plaine apparurent deux chasteaux en feu ; proches d’une haute montagne, sur laquelle
estoit un grand aigle cachant la moitié de son corps derriere la montagne, et apparurent aussi quelques petits d’aigle ayans le pennage blanc, et fort luisant, ensemble la teste d'un Lion couché et couronné, un coq frappant du bec ceste teste, tant et si longuement qu’elle fut separee du corps ( lequel on vid longuement) et s'esvanouit. Il y avoit d'autres lyons, et pres de la hure du sanglier une licorne qui se changeoit
peu a peu en figure de dragon : avec grand nombre d’autres animaux de forme et grandeur non acoustumee. Outreplus, sur une haute roche paroissoit vne forteresse environnee de deux camps, et tout le pays sembloit plein de villes, bourgades et chasteaux : mais incontinent tout cela fut saisi et consommé par feu, et toutes les ruines de ceste estendue semblerent fondre et se perdre en un grand estang, ne restant rien que quelques tours, à l’endroit où la grande ville estoit aparue. A la rive du lac fut veu un puissant chameau, faisant semblant de boire, et comme arresté sur ceste riue là.
Note: On se demande qui pourrait croire à une quelconque réalité derrière cette vision. La source indiquée est la même que celle de la première histoire, c'est à dire Caspar Peucer, au livre 5 des divinations.
L'édition de 1610 contient un chapitre sur les comètes. Des comètes qui, bien sûr, sont présages de grandes calamités.
COMETES
En cette section, je representeray briesvement les Comestes veües en l'Europe depuis cent ans ou environ, y adjoutant ce que Garcaeus en sa meteorologie, Lycosthenes et autres ont remarqué sur ce point.
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En l'an mil cinq cent six une Comete aparut au mois d'Aoust vers le Septentrion, couvrant les signes du Lyon et de la Vierge, ayant près du chariot une queue espaisse et luisante, espandue entre les roues de ce chariot à raison de quoi quelques Astronomes la surnommerent queue de pan. Au mois de Septembre s'ensuivit le trespas de Philippe I Roy d'Espagne, père de Charles et Ferdinand depuis Empereurs. Au même an les Turcs furent desfaits en bataille rengee par les Perses, et d'autre part, prindrent sur les Chrestiens Modon en la Morée, et desirent leurs flottes. Puis survint guerre civile entre Bajazet et son fils Selin. Francisque Sforce Duc de Milan fut prins en Italie par les François. Quant à ce qui apparut es années suivantes, l'histoire de nostre temps le monstre, soit au regard des guerres, inondations, mort d'illustre personnage, changemens merveilleux en l'Europe, dont nous n'attribuons les causes sinon aux justes jugements de Dieu punissant les pechez du monde. Nous disons seulement que souvente fois les Cometes semblent estre comme les avant-coureurs et trompettes de ces merveilleux jugements du souverain.
Note: La merveilleuse crédulité de l'auteur lui fait croire que les comètes sont avant tous des présages, alors que deux millénaires avant lui, les astronomes Chaldéens savaient déjà que les comètes sont des astres circulant sur des orbites très allongées, et que leurs retours obéissent aux lois des mouvements célestes et ne peuvent donc rien annoncer du tout.
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La plus redoutable de toutes les cometes de nostre temps, fut celle de l'an 1527. Car le regard d'icelle donna telle frayeur a plusieurs qu'aucuns en moururent, autres tomberent malades. Elle fut veue de plusieurs milliers d'hommes paroissant fort longue et de couleur de sang. Au sommet d'icelle fut veue la representation d'un bras courbé tenant une grande espee en sa main, comme s'il eust voulu frapper. Au bout de la pointe de cette espee, il y avoit trois estoiles: mais celle qui touchoit droitement la pointe estoit plus claire et luisante que les autres. Aux deux costez des rayons de cette comete se voyoyent force haches, poignards, espees sanglantes, parmi lesquelles on remarquoit grand nombre de testes d'hommes descapitez, ayant les barbes et cheveux herissez horriblement. Et qu'a veu l'espace de 63 ans depuis toute l'Europe, sinon les horribles effects en terre de cest horrible presage au ciel?
La description ci dessus ne vient pas de Garcaeus, ni de Lycosthenes, mais de Pierre Boaistuau, car elle reprend l'affirmation de plusieurs milliers de témoins, que Boaistuau est seul à donner. La comète en question n'en était pas une. Les diverses sources disponibles à l'époque parlaient d'une durée d'une heure un quart, alors que Pline l'ancien dit pour le durée des comètes: Le plus court espace de temps noté durant lequel elles ont été visibles est de 7 jours, le plus long de 80. L'autorité de Pline n'étant pas contestée à l'époque, Goulart pouuvait en déduire que ce n'était pas une comète, mais un météore particulier. Aujourd'hui, on sait que c'était une aurore boréale.
Goulart en rajoute aussi en parlant de "barbes et cheveux herissez horriblement", quand Boaistuau dit simplement "herissez"
Il en rajoute encore dans la série "tremblez, bonne gens", et il y va même fort, en attribuant toutes les calamités des 63 années précédentes, à cette funeste "comète", qui n'en était même pas une. Et d'ailleurs, depuis 1527, il s'était écoulé 73 ans, et non 63. Les autres auteurs se contentait de relier à une comète toutes les calamités qui avaient suivi jusqu'à la comète suivante. Goulart n'est même pas cohérent puisqu'il se met à ignorer les nombreuses autres comètes, bien réelles, celles là, qui auraient du, en durant plus longtemps, concurrencer l'effet de la prétendue comète de 1527.
A ce stade nous pouvons décerner à Simon Goulart la palme de l'ignorance et de la crédulité. Mais néanmoins pas celle de la mauvaise foi.
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