Le paradoxe du ciel noir

Un faux problème

On parle de temps à autre du paradoxe du ciel noir, ou encore du paradoxe d'Olbers. L'ennuyeux, c'est que:
Il n'y a pas de paradoxe.
Le ciel n'est pas noir.
Le problème n'a pas été découvert par Olbers.

Il n'y a pas de paradoxe, comme nous allons le voir, mais seulement un problème contre-intuitif, qui ne crée un paradoxe apparent que quand on n'examine pas toutes les conditions du problème.
Le ciel nocturne n'est pas noir. Tous les cosmonautes on pu le vérifier: pour eux, le ciel est gris. Quant à nous autres, pauvres terriens rampants, nous n'avons nul besoin d'aller dans l'espace pour le découvrir. Il nous suffit d'ètre à la campagne, la nuit dans une cour non éclairée, ou dans une clairière, pour constater que les batiments ou les arbres profilent leur silhouettes sur le ciel, qui ne peut donc être noir.
Et si Olbers a bien évoqué cet apparent paradoxe, il oubliait de dire que Loys de Chéseaux l'avait traité avant lui.

Le temps des apparences.

Dans l'antiquité, qu'elle soit haute ou plus récente, les savants comme le bon peuple ne se sont jamais préoccupé que des apparences. Et que la Terre fut plate, ou sphérique, elle était supposée au centre d'un univers, que l'on imaginait borné par une sphère céleste parsemée d'étoiles. Certains, comme Isidore de Séville, n'imaginaient même pas que ces étoiles aient une lumière propre. En dépit des idées de quelques précurseurs comme Aristarque de Samos, qui imaginait une Terre mobile, ou Lucrèce, puis Nicolas de Cusa, qui imaginèrent un univers peuplé d'autres mondes, l'idée dominante resta jusquau XVIème siècle, celle celle d'un univers fini dans un monde clos.

La révolution copernicienne fait apparaître les conditions d'un problème.

Au XVIème siècle, le système de Copernic (qui reprend celui d'Aristarque), va mettre près d'un siècle et demi à triompher. Mais ses conséquences ne font pas qu'anéantir les idées d'Aristote, et le géocentrisme de Ptolémée, elles ébranlent la conception même qu'on avait de l'univers: la Terre n'est plus au centre de l'univers, et la voûte céleste ne tourne plus autour de la Terre en 23H 56 mn. Du coup, il n'est plus nécessaire que cette voûte soit un globe parsemé d'étoiles entourant notre univers comme un mur. Il est bien plus logique que ce soit la vision en perspective d'un espace rempli d'étoiles, dont les éclats très divers peuvent s'expliquer par leurs distances à la Terre. Mais alors on ne sait plus jusqu'où s'étendent ces étoiles. C'est pourquoi en 1576, Thomas Digges imagine sérieusement un univers infini, régulièrement rempli d'étoiles.



L'univers selon Thomas Digges (au centre de l'image, le système terre-lune): « infinitely up », les étoiles s'étendent à l'infini

Mais ce système s'accorde mal avec l'observation: On ne voit que quelques milliers d'étoiles. Digges supposa que les étoiles trop lointaines étaient naturellement invisibles.
«la plus grande part [des étoiles] nous reste invisible en raison de leur merveileuse distance».
Digges a raison. Au dela de la sixième grandeur, il y a encore des étoiles, invisibles à l'oeil nu mais que la révolution instrumentale, initiée par Galilée, va révéler. Mais Digges ne se préoccupe pas des conséquences de son hypothèse: Qu'observerait on si les étoiles s'étendaient effectivement à l'infini? C'est là que va apparaître un problème.

La révolution instrumentale révèle le problème.

portrait de Galilée
Galiléo Galiléi
Galilée ayant découvert à Venise le secret de la «lunette hollandaise» (qui ne grossit guère que 3 fois), construit ses propres lunettes. Après en avoir présenté une grossissant 9 fois au sénat de Venise, il en construit, une grossissant 20 fois, et la tourne vers le ciel. D'autres avant lui avaient remarqué que la lunette hollandaise montre plus d'étoiles que l'oeil nu. Certains accusaient même la lunette de voir faux, car elle montrait parfois deux étoiles là ou l'oeil n'en voyait qu'une.
Mais Galilée, qui sait, par l'observation terrestre, que sa lunette voit juste, fait confiance à son instrument. Dans la voie lactée les étoiles fourmillent. Dans les Pléiades, dans Orion les étoiles apparaissent par dizaines, par centaines. Galilée le note, le dessine, et le publie avec ses autres découvertes célestes dans son Sidéréus Nuncius ( le messager céleste ). C'est la "révolution instrumentale". Le ciel ne sera jamais plus comme avant. Galilée démontre ainsi ce qu'avait pressenti Thomas Digges: les étoiles sont bien plus nombreuses que ce que nous en voyons à l'oeil nu.
étoiles d'Orion
étoiles dans Orion

Kepler
Jean Képler
dissertatio
la réponse de Képler
Les découvertes de Galilée (Il avait découvert plus de merveilles que tous les astronomes précédents) ne pouvaient laisser Képler indifférent. Il en fit aussitôt un commentaire dans Dissertatio cum Nuncio Sidereo (conversation avec le messager céleste).
Képler se méfie. Giordano Bruno à prétendu peupler l'univers d'une infinité d'étoiles, de planète et d'espèces vivantes. Képler ne l'accepte pas. Dans son système héliocentrique, le soleil est au centre de l'univers. Aussi rappelle-t-il son argument de de stella nova.
«... laissons nous aller à l'hypothèse que les étoiles fixes sont distribuées jusqu'à l'infini... Tout observateur, installé sur la ceinture d'Orion, et ayant notre Soleil, - le centre de l'Univers - , au dessus de sa tête, verrait au premier coup d'oeil, un océan solide, continu, d'étoiles fixes, comme si elles se touchaient les unes les autres. Ce n'est pas ainsi que le ciel nous apparaît!»
Képler est le premier à signaler la luminosité quasiment solaire de la voûte céleste, comme conséquence de l'infinitude de l'univers. Mais pour lui ce n'est pas un paradoxe. C'est simplement la démonstration de la finitude de l'univers.

Képler est d'ailleurs tellement attaché à son système héliocentrique, qu'il préfère imaginer que les étoiles invisibles à l'oeil nu sont intrinsèquement plus faibles, et non plus lointaines. Képler ne peut imaginer que la lumière des étoiles trop lointaines n'ait pas eu le temps de nous parvenir depuis la création, car, contrairement à Galilée, il croit à la propagation instantanée de la lumière. Néanmoins, il aurait pu concilier l'héliocentrisme et l'infinitude de l'univers, à l'aide d'une astuce géométique projetant à l'infini les étoiles les plus lointaines de son système. Il eut obtenu un système fini dans un espace infini, ou la densité des étoiles décroissait avec la distance au soleil. Mais son argument va resservir

Képler limite le nombre des étoiles en les enfermant dans un monde fini, mais en 1672 Otto de Guericke imagine un autre système qu'il compare à une forèt. Au dela des dernières étoiles s'étend un espace vide infini. Entre rien, et l'espace vide, la différence est subtile, mais elle a fait polémiquer des générations de philosophes.

Newton se retrouve face à un paradoxe.

Newton
Isaac Newton
Le système purement héliocentrique de Képler ne survit pas à la théorie de la gravitation universelle de Newton.
Pour Képler, Le soleil fait tourner les planètes, qui font tourner les satellites.
Pour Newton, tout les astres attirent tous les astres, avec comme conséquence que les étoiles doivent s'attirer aussi. Mais tout Newton qu'il soit, il oublie qu'elles peuvent elles aussi orbiter, tout comme les planètes et les satellites, autour d'un centre de gravité (cette idée ne sera émise que par Thomas Wright en 1734)
Résultat: Isaac Newton se trouve devant un vrai paradoxe: Si les étoiles s'attirent, pourquoi, ne se rassemblent elles pas en une masse commune?
Newton en déduit donc que l'univers ne peut ètre fini sans s'effondrer. Mais il se rendra compte ensuite que si l'univers est infini, il est néanmoins instable si les étoiles ne sont pas régulièrement disposées, ce qui ne semble pas correspondre à l'observation.
Donc l'observation refuse de correspondre à la théorie et Newton a bon droit de n'y rien comprendre.

Les astronomes de la fin du XVIIème siècle ne savent plus à quelle théorie se vouer:

Au point de vue de la théorie, ils sont coincés entre deux paradoxes: Ou l'univers est fini, et il devrait s'effondrer, ou il est infini, et la voute céleste devrait ètre entièrement couverte d'étoiles.

Au point de vue de l'observation, le ciel est sombre, comme dans un univers fini, mais le nombre d'étoiles observables augmente avec la puissance des télescopes, comme dans un univers infini.
Alors?...

Alors le problème va recevoir des solutions diverses, pendant 3 siècles, et des réfutations de ces solutions, qui parfois n'en seront pas moins fausses, elles aussi

Au XVIIIème siècle, on trouve une explication par l'absorption.

Hartsoeker
Nicolas Hartsoeker
En 1706, Nicolas Hartsoeker, plus connu pour ses observations au microscope, écrit dans ses Conjectures Physiques:
«Mais bien plus, MONSEIGNEUR, quand on pense que cet espace, quelque immense qu'il soit, n'est pas un poinct, mais plûtôt un véritable néant en comparaison de l'étenduë infinie, que je croirais volontiers être tout de même parsemée de toutes parts de feux ou d'Etoiles fixes, comme l'espace dont nous venons de parler; & par consequent que leur nombre est infini: d'où l'on peut inférer, MONSEIGNEUR, que les rayons de lumière doivent s'affoiblir & se perdre en chemin, sans quoi tout le ciel seroit lumineux comme le soleil.»

Nicolas Hartsoeker ne donne pas de démonstration géométrique, comme le fera plus tard Chéseaux, et il n'indique aucune cause à l'affaiblissement qu'il invoque, quoique "se perdre en chemin" évoque bien une absorption. Cependant son idée va ètre reprise pendant près d'un siècle et demi ( et parfois attribuée à d'autres )

Halley
Edmund Halley
En 1721, Edmund Halley expose le problème à la Royal Society. Après quelques arguments métaphysiques contre la finitude de l'univers, il élude le problème de la répartition des étoiles dans un univers infini:
«On trouvera, par un calcul évident, que lorsque la Lumière des Étoiles Fixes diminue, leurs distances entre elles diminuent dans une proportion moindre, l'une comme l'inverse des Distances, l'autre comme celui de leurs Carrés.»
Hum! Ce qui est évident c'est que la dimension angulaire intervient elle aussi au carré, tout comme le nombre d'étoiles, et que l'augmentation du nombre d'étoiles avec la distance compense donc exactement la diminution d'éclat. Halley s'est donc complètement planté.

Mais comme deux arguments convainquent mieux qu'un seul, il ajoute:
«Ajoutons à cela que les Étoiles plus distantes, et d'autres beaucoup moins lointaines, n'apparaissent pas même dans les meilleurs Télescopes du fait de leur extrême petitesse, de sorte que, bien qu'il soit vrai que certaines Étoiles aient effectivement ces positions, leurs Rayons, même aidés par n'importe quel moyen connu, ne sont pas suffisamment puissants pour affecter nos Sens; de la même manière qu'une petite Étoile fixe visible au Télescope n'est aucunement perceptible à l’oeil nu.»
Décidément, Halley persiste dans l'erreur. Il semble croire qu'en dessous d'un certain éclat, la lumière d'une étoile n'existe tout simplement plus. Or c'est idiot, puisque si un instrument de détecte pas la lumière d'une étoile, un instrument plus puissant la montrera, et le fait que nos sens ne perçoivent plus rien n'implique pas que la lumière d'une étoile n'existe pas, car à ce compte là, il faudrait admettre que, puisqu'il existe des aveugles, les étoiles ne brillent pas, donc n'existent pas.

En fait, Halley ne fait jamais que reprendre l'argument de Thomas Digges, mais le fait que les étoiles ne soient pas individuellement perceptibles, n'empèche pas que la lumière d'un amas globulaire nous est perçue, quand bien même nous ne pouvons voir aucune étoile qui le compose. Cette erreur d'Halley est d'autant plus curieuse que c'est lui qui avait découvert, en 1714, le grand amas globulaire d'Hercule. Mais il est vrai qu'il ne fut résolu en étoiles que plus tard par Messier.

L'affaire est entendue. Deux arguments faux ne valent pas un argument vrai, et Halley n'a rien compris au problème.

Jean-Philippe Loys de Chéseaux
Cheseaux
En 1744, Jean-Philippe Loys de Chéseaux, jeune astronome suisse ( il n'a que 25 ans ) commence à donner une formulation photométrique exacte au problème. En imaginant l'univers structuré en couches successives d'égales épaisseurs, centrées sur notre soleil, Il montre que, tandis que la surface apparente d'une étoile diminue comme l'inverse du carré de la distance, le nombre d'étoiles de chaque couche augmente dans la proportion inverse, en sorte que la surface apparente totale des étoiles d'une couche reste pratiquement constante.
Chéseaux calcule qu'avec 760 000 milliards de couches successives, de 4 années-lumière d'épaisseur, la voute céleste seraient entièrement couverte d'étoiles ( il suppose qu'il n'y a pas lieu de tenir compte des autres étoiles plus lointaines cachées derrière ce mur d'étoiles ). Mais cela ferait donc une distance de plus de 3 millions de milliards d'années-lumière, et une faible absorption suffirait au bout de cette immense route, à tout obscurcir.
Chéseaux, qui ne fait pas intervenir les paramètres de temps et d'énergie, imagine donc que l'énergie se perd en route par absorption.

Olbers
Heinrich Olbers
argument d'olbers
l'argument d'Olbers
En 1823 Heinrich Olbers, reprend le problème dans la même forme que Chéseaux ( mais sans le citer ). Plutot qu'un calcul d'empilement de couches, il utilise un argument plus simple:
«S'il y a réellement des soleils dans tout l'espace infini, qu'ils soient séparés par des distances a peu près égales, ou répartis dans des systèmes de Voies lactées. leur ensemble est infini et alors, le ciel tout entier devrait être aussi brillant que le soleil. Car toute ligne que j'imagine tirée à partir de nos yeux rencontrera nécessairement une étoile fixe quelconque et par conséquent tout point du ciel devrait nous envoyer de la lumière stellaire, donc de la lumière solaire»
Puis il pointe l'erreur de Halley:
«Il mélange et confond manifestement les grandeurs apparentes et les réelles et c'est seulement ainsi qu'il peut conclure que le nombre des étoiles fixes croît certes comme le carré, mais les intervalles entre elles comme le bicarré de leur distance or c'est tout à fait faux»
Il ne reste plus qu'à trouver une autre explication et Olbers reprend celle de l'absorption, sur la base de calculs photométriques. Supposant arbitrairement ( il le reconnait ) que 1/800 de la lumière de Sirius soit absorbée en route il déduit que, pour la lumière d'une étoile:
«A la distance de 1842,9 fois celle de Sirius, elle n'est plus que 1/10e, à 3 681,8 seulement 1/100e, à 5 522,7 1/1000e, et ainsi de suite de la clarté originelle»

Jusqu'ici: On avait d'abord supposé l'univers fini, et il n'y avait donc pas de problème
Puis avec Thomas Digges, on l'avait supposé infini, mais sans voir le problème
Puis avec Newton, on avait vu un problème, sans trouver immédiatement de solution
Enfin, dès le XVIIIème siècle, on avait trouvé des solutions: Les étoiles ne se rassemblent pas puisqu'elles décrivent des orbite, et leur lumière ne transforme pas la voûte céleste en photosphère, car elle se perd par absorption.
Et quand un astronome découvrait que la solution est fausse, il la remplaçait illico par une autre.

L'histoire se repète et en 1848 John Herschel flanque par terre l'explication par l'absorption: l'énergie absorbée doit ètre réémise, juqu'à donner à l'équilibre la même luminance au milieu absorbant qu'aux étoiles ( il n'imagine cependant pas que la luminance tende vers l'infini ).

Y a-t-il donc un paradoxe?

Voyons cela de plus près. Pour simplifier la discussion, nous supposons que la brillance de toutes les étoiles est du même ordre que celle du soleil.

Pour qu'il y ait vraiment un paradoxe, il faut supposer que:

1) l'univers est infini dans l'espace
2) la densité des étoiles est constante à partir d'une certaine échelle
3) l'univers est infini dans le temps
4) La durée de vie émissive d'une étoile est infinie ( l'étoile brille éternellement )


Ces quatre conditions sont nécessaire dans la cas d'une vitesse finie de la lumière. Dans l'hypothèse de Képler d'une transmission instantanée de la lumière, les conditions 1) et 2) suffisent. La condition 4) implique, bien sûr, la condition 3), et l'on suppose que les lois physiques sont identiques dans tout l'univers.

Sous ces quatre conditions, tout rayon partant de l'observateur vers la sphère céleste doit finir, à une distance certes prodigieuse, par rencontrer une étoile. On pourrait donc penser que le ciel nocturne devrait donc avoir la même brillance que la photosphère d'une étoile.

Mais c'est pire, car sous les 4 conditions précitées la luminance du ciel devrait être INFINIE!
En effet, ni Chéseaux, ni Olbers ne tenaient compte des étoiles cachées derrière ce mur d'étoiles, mais si nous en tenons compte, chaque étoile est elle même éclairée par cette voûte céleste, de même luminance énergétique que sa propre surface. Donc l'énergie émise ne s'évacue plus. Elle est simplement échangée avec les autres étoiles, chaque étoile rendant autant d'énergie à la voûte céleste qu'elle en recoit. Conséquence, l'énergie émise indéfiniment par les étoiles ne fait qu'aumenter la luminance énergétique de leur photosphère et de la voûte céleste, et comme le fait se produit depuis toujours, la luminance est infinie.
Comme l'avait remarqué John Herschel, le problème ne change pas en supposant de la matière absorbante intermédiaire, qui réémet l'énergie recue. John Herschel n'avait simplement pas imaginé une luminance infinie

Mais la condition 4) n'est plus qu'une légende. Aucun astrophysicien n'admet aujourd'hui que les étoiles puissent briller éternellement ( ce qui n'était pas évident du temps de Newton ).
Mais alors apparait le paradoxe inverse: le paradoxe du ciel NON noir
Car si nous supposons les condition 1), 2) et 3), mais pas 4). L'univers est infini et existe depuis toujours, mais les étoiles ne brillent que pendant un intervalle de temps fini.
Conséquence, toute étoile à une probabilité nulle d'ètre dans une phase brillante, et le ciel doit paraitre uniformément noir!

Or la luminance du ciel n'est, ni celle du soleil, ni infinie, ni nulle. Elle est finie et faible, et vaut environ .0001 cd/m², c'est à dire 15000 milliards de fois inférieure à celle du soleil.
Et heureusement, car sinon nous ne serions pas là pour en discuter
C'est à partir de cette constatation qu'il faut trouver quel modèle d'univers puisse en rendre compte.

Puisque nous savons que la condition 4) n'est pas remplie, et que le ciel n'est pas rigoureusement noir non plus, il nous faut abandonner la condition 3)

Mais alors le problème change complètement, et la réfutation de John Herschel de l'explication d'Olbers ne vaut à son tour plus rien. Si la matière absorbante imaginée depuis Hartsoeker n'est chauffée que depuis un temps limité, elle n'est chauffée qu'à une faible température.
En fait, comme la vitesse de la lumière est finie, sans la condition 3), il existe un «horizon» de l'univers visible. qui empèche de tester la condition 1)

Mieux encore, nous savons que la densité des étoiles décroît avec l'échelle. La densité est plus faible dans une galaxie que dans un amas d'étoiles. Plus faible dans un amas de galaxies que dans une galaxie, plus faible dans l'univers observable que dans un amas de galaxies. La condition 2) ne correspond pas non plus à l'observation, du moins pour ce qui est de l'univers observable

Il n'y a donc pas de paradoxe du tout, mais ce qui peut paraître, paradoxal, c'est que le problème n'ait jamais été posé correctement. On peut remarquer que les quatre conditions citées plus haut n'ont jamais été exposées explicitement, ce qui explique peut-être pourquoi on a vu un paradoxe quand il n'y avait qu'un simple problème.
Képler, qui croyait à la propagation instantanée de la lumière, n'avait pas besoin de la condition d'éternité de l'univers, ni de l'éternité des étoiles, mais du temps de Newton, ces conditions ne pouvaient plus être ignorées. Or, nous venons de voir qu'avec certaines de ces conditions, la luminance du ciel est nulle, et qu'avec d'autres, elle est infinie, alors que ces deux situations n'ont jamais été envisagées. Par contre on a envisagé une luminance égale à celle du soleil, qu'on ne retrouve avec aucunes conditions.
Voici donc comment on aurait du présenter le problème.

ordre de grandeur de la luminance du ciel
univers éternel univers d'age limité
étoiles éternelles étoiles d'age limité étoiles d'age limité
univers infini infinie nulle faible
univers fini faible nulle faible

En se rappelant que des étoiles éternelles ne peuvent pas exister, nous voyons tout de suite quelles hypothèses sont à éliminer. Seules les deux colonnes de droite sont valides.
Mais nous voyons aussi que l'infinitude de l'univers dans l'espace ne change rien. Seule l'infinitude dans le temps montre une différence: ciel vraiment noir, sans étoiles avec un univers éternel, ciel seulement sombre dans le cas contraire, en sorte que l'étude de ce problème ne nous renseigne pas sur l'infinitude de l'univers dans l'espace, comme on l'avait pensé, mais sur son infinitude dans le temps. On ne sait pas si l'univers est fini ou infini dans l'espace, mais on sait qu'il n'est pas là de toute éternité.

Mais en fait, le problème ne fut jamais posé ainsi, un peu comme si les savants d'autrefois n'avaient jamais bien conçu le problème

La résolution historique du prétendu paradoxe

Les premières solutions plausibles apparaissent en 1848.

Edgar Poe
Edgar Allan Poe
Edgar Poe entrevoit l'un des éléments de la solution. Si la condition 3) n'est pas remplie, la lumière des astres lointains n'a pas eu le temps de nous atteindre.
Il écrit dans «Eureka : A Prose Poem»:
«Si la succession des étoiles était illimitée, l'arrière-plan du ciel nous offrirait une luminosité uniforme, comme celle déployée par la Galaxie, puisqu'il n’y aurait absolument aucun point, dans tout cet arrière-plan, où n'existât une étoile. Donc, dans de telles conditions, la seule manière de rendre compte des vides que trouvent nos télescopes dans d'innombrables directions est de supposer cet arrière-plan invisible placé à une distance si prodigieuse qu'aucun rayon n'ait jamais pu parvenir jusqu'à nous.»
( il ne semble pas que Poe, qui donne une logique au vieil argument de Thomas Digges, se rende compte qu'il démolit la réfutation d'Olbers par John Herschel )

John Herschel
John Herschel
En même temps, John Herschel entrevoit une autre solution . Il imagine que la condition 2) ne soit pas remplie.
A l'occasion d'une critique de Cosmos, le livre d'Alexandre de Humboldt, Il explique dans «The Edinburgh Review », que même si les étoiles sont en nombre infini, le ciel ne luit pas nécessairement d’une lumière stellaire en tout point.
Il écrit même:
« Rien n’est plus facile que d’imaginer dans l’espace des arrangements systématiques d’étoiles (…) en accord avec ce que nous voyons autour de nous. »
Il suggère en fait, un univers hiérarchisé, solution déja imaginée par Kant en 1755, qui sera reprise ultérieurement, et qui correspond bien aux observations modernes

La Populäre Astronomie de Johann Heinrich Mädler, reprend dans son édition de 1861, l'explication du paradoxe par la finitude de l'age de l'univers. Beaucoup de sources, ignorant Edgar Poe, fixent ainsi à 1861 l'apparition de cette solution

Parallèlement, l'idée d'un univers fini garde des adeptes, comme la vulgarisatrice Agnès Clerke, dans A Popular History of Astronomy, 1885, qui reste fidèle à l'univers limité à la voie lactée, comme le concevait William Herschel, ou Richard Proctor, partisan d'un univers hiérarchisé mais fini (Other Worlds Than Ours , 1871)

Un autre modèle d'univers fini aurait été imaginé en 1871 par Johann Karl Friedreich Zöllner, le promoteur de la photométrie. Son modèle était un univers non euclidien, fermé, à quatre dimensions. Hélas, Zöllner voulut appliquer sa théorie pour expliquer les tours du medium Henry Slade, qui prétendait faire apparaitre sur des ardoises des messages écits par les esprits des morts. En réalité Slade était un fraudeur, qui utilisait des ardoises déja couvertes d'inscriptions, ou écrivait sous la table le message avec ses orteils. La fraude fut découverte dans les années suivantes, et Zöllner se trouva discrédité.

En 1878, Simon Newcomb, imagine une nouvelle solution: La lumière à besoin du support de l'éther pour se transmettre (comme le son à besoin de l'air). La lumière des astres lointains ne peut donc nous parvenir si elle doit traverser des zones vides d'éther
John E. Gore reprend cette idée dans Planetary and Stellar Studies(1888)
(Une théorie de plus au cimétière des idées fausses)

Kelvin
Lord Kelvin
En 1884, William Thomson, alias Lord Kelvin, apporte une démonstration scientifique à la solution d'Edgar Poe, en ne gardant que la condition 2).
Il calcule une limité de visibilité, et démontre que le ciel soit sombre ne peut plus servir de test à la condition 1).
Il conclut:
« ...si toutes les étoiles de notre immense sphère ont commencé de briller en même temps ( ... ) la lumière atteignant la Terre à chaque instant ne proviendrait au plus que d'une quantité d'étoiles extrêmement limitée»

Sa démonstration est publiée en 1901

Et voila, comme notre tableau le montrait, si l'on tient compte du facteur temps, que l'univers soit fini ou infini, le ciel est sombre dans les deux cas.

Il reste à étudier scientifiquement les conséquences de la hierarchisation de l'univers, qui n'est pas seulement une solution, mais aussi un fait d'observation.

modèle

Le modèle de Fournier d'Albe
Une première modélisation apparait en 1907, dans Two New Worlds d'Edward Fournier d'Albe qui passe en revue plusieurs hypothèses:

- une infinité d’étoiles invisibles sont alignées derrière les étoiles visibles (pour mémoire... ou pour rire)

- la plupart des étoiles sont en fait des corps non lumineux (mais cette solution tombe, comme la matière absorbante, sous le coup de la réfutation de John Herschel, si on ne fait pas appel au facteur temps)

- L'univers observable est fini car l'univers est d'age fini (solution de Poe et Kelvin)

- L'univers à une structure hiérarchique fractale.

Fournier d'Albe utilise un octaèdre dont chaque sommet est lui même un octaèdre du même type. Le facteur d'échelle est tel que la masse croit comme le rayon, avec comme résultat que la densité tend vers zéro quand l'échelle tend vers l'infini

Le modèle de Fournier d'Albe est plutôt un exercice qu'un vrai modèle. Il est bien trop régulier. Aussi en 1908 (dans un article repris en 1922) Carl Charlier le généralise à une structure quelconque. Selon lui, un univers hiérarchique est transparent sous la condition, qu'à tous les niveaux de hiérarchie, le carré du diamètre de l'amas est supérieur au nombre d'étoiles de l'amas multiplié par le carré du diamètre d'une étoile.

En 1911 Svante Arrhénius refuse le modèle hierarchique, et combine la solution de l'age fini avec la solution de l'absorption (qui a plus de deux siècles). C'est plutot un combat d'arrière garde qu'une innovation

Nouvel accès d'indépendance en 1925. William MacMillan prétend s'affranchir du carcan de la thermodynamique:
« ...Il n'y avait aucune raison de supposer que l'entropie augmenterait toujours et laisserait l'univers comme une soupe froide de rayonnement»
Il imagine donc qu'au lieu de creer un ciel brillant, le rayonnement se transmutait en matière, engendrant ainsi un univers stationnaire en création continue. Est il besoin de dire que cette solution «hérétique» ne fit pas l'unanimité?

Vinrent les grandes découvertes. A partir des années 1920 commence le passage définitif d'un univers «herschélien», limité à la voie lactée, à un univers «hubblien», extragalactique, peuplé de galaxies présentant un effet Doppler proportionnel à leurs distances
Dans ce cadre, une nouvelle solution apparait: «l'horizon de Hubble». A une certaine distance les objets lointains paraissent s'enfuir à la vitesse de la lumière, et par conséquent, au dela de cette limite, aucune lumière n'est plus valable ;-)

en 1952, Hermann Bondi, auteur avec Thomas Gold d'une théorie de l'univers stationnaire, défendue par Fred Hoyle, devéloppe une nouvelle solution dans Cosmology
«Si l'Univers est un système en expansion, les étoiles des couches lointaines s'éloignent de nous et les couches très lointaines s'éloignent très rapidement. La lumière qu'elles émettent est donc considérablement plus affaiblie que ne le prévoit l'argument d'Olbers, et l'intensité du fond lumineux céleste sera bien inférieure à celle calculée auparavant»
Autrement dit, le décalage vers le rouge affaiblit l'énergie des photons venant des astres lointains.

En 1977, Edward Harrison argue que l'Univers ne contient pas suffisamment d'énergie par unité de volume pour engendrer un ciel brillant. Se basant sur une densité d'un atome d'hydrogène au m³ il trouve après conversion de la matière en énergie, une température de fond de ciel de 20 K, qui n'a rien à voir avec les 6000 K attendus d'un ciel brillant

Aujourd'hui l'affaire est entendue: Il n'y a pas de paradoxe dans le fait que le ciel est sombre. Non seulement, il y a une explication, mais il y en a plusieurs, comme le rappela André Maeder dans une synthèse faite en 1988.
le problème n'est plus «pourquoi le ciel est-il noir, si l'univers est infini?», mais «Quels modèles d'univers s'accordent avec la luminance mesurée du ciel nocturne?»

En se souvenant que cette luminance est 15000 milliards de fois plus faible que celle du soleil, on en déduit qu'elle éclaire environ 167 millions de fois moins que le soleil à la distance de la Terre. Or nous savons parfaitement quelle température est atteinte à l'équilibre dans ce dernier cas. Il suffit d'appliquer la loi de Stefan, qui veut que l'énergie varie comme la 4ème puissance de la température, pour trouver que la température à l'équilibre avec le rayonnement du fond du ciel est 113 fois plus faible, c'est à dire environ 2.7 K
Or c'est bien ce qu'on trouvé en 1965 Arno Penzias et Robert Wilson.

Le paradoxe d'Olbers? Une légende savante.

Hermann Bondi
Bondi:
J'ai lu ça dans Olbers
Heinrich Olbers
Olbers:
Il me fait trop d'honneur
Au fond, hormis à l'époque où Newton pataugeait, pour n'avoir pas compris les conséquences de sa propre théorie, il n'y a jamais vraiment eu de paradoxe, jamais de contradiction entre l'observation et l'idée qu'on se faisait, même si elle était fausse. Dès qu'une explication s'effondrait, elle était remplacée par une autre.
D'ou vient alors cette légende du «paradoxe d'Olbers»?

Elle vient de Hermann Bondi, qui fit de ce «paradoxe», le cheval de bataille de sa cosmologie, et qui apparemment ne le connaissait que d'après Olbers. C'est lui qui le baptisa « Olbers's paradox ».
Aujourd'hui on devrait plutôt parler du « problème du ciel sombre ». Quant au paradoxe, il devrait s'appeler « légende de Bondi », une légende savante...

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Dernière mise à jour: 26/05/2018