"L'enlèvement" de Cergy-Pontoise
Trois personnages en quête de scénario
trois témoins "dignes de foi"... |
A quoi pensait Jean-Pierre Prévost, le soir du 25 novembre 1979 ? Ce marchand forain de vingt-cinq ans, connu depuis son enfance pour son goût du canular, se moquait de son frère Philippe, correspondant d'un groupement américain d'étude des OVNI. Mais...
Depuis le 3 octobre, sa revue de programmes TV publiait un curieux roman photo. Une personne enlevée par un OVNI y retrouvait la mémoire grâce à l'hypnose. Un journaliste connu enquêtait. Un « spécialiste » annonçait que c'était ce journaliste, et non l'enlevé, que les extraterrestres - les E.T. - cherchaient à contacter.
Le 7 novembre, une émission télévisée présentait l'aventure de Raël, contacté par les OVNI, en évoquant ce que cela lui avait rapporté...
Le 12, les médias parlaient d'une Caravelle espagnole poursuivie par un OVNI, et contrainte à se poser...
Et puis, il y avait eu cette représentation d'hypnose au Novotel local...
A quoi pensait-il, Jean-Pierre Prévost, ce soir du 25 novembre, en discutant dans son appartement de la rue de la Justice Mauve avec son ami Frank Fontaine, 19 ans, et son voisin de palier, Salomon N'Diaye, 25 ans, après que FR3 ait diffusé « Les mystères du ciel » où l'on parlait d'OVNI... ?
La disparition de Frank Fontaine
Le lendemain, 26 novembre à 5 heures du matin, Salomon N'Diaye téléphone au commissariat de Pontoise: « Mon copain a été enlevé par un OVNI. » (Plus tard il dira qu'il ignorait jusqu'à la signification du mot OVNI).
Vingt minutes plus tard, les polices de Cergy et de Pontoise sont sur le lieu de « l'enlèvement »: le boulevard de l'Oise, près du parking de l'immeuble de Jean-Pierre Prévost. Il est bordé d'un champ de choux. Salomon, raconte qu'à 4 heures, ils sont descendus avec Frank charger un break Taunus de blue-jeans qu'ils devaient vendre au marché de Gisors. (Premières invraisemblances dans le récit: ils auraient eu 2 heures d'avance, et comme aucun d'eux n'avait de permis, un ami devait les conduire. Or, le break étant plein, il ne serait resté près du conducteur qu'une place libre pour eux trois).
La voiture n'ayant ni démarreur, ni ralenti, il a fallu la pousser et Frank s'est mis au volant. Voyant une traînée lumineuse descendre vers la centrale électrique, il est parti en voiture voir le phénomène de plus près. Salomon, qui pensait à la chute d'un avion, est parti chercher son appareil photo, espérant vendre le cliché. Jean-Pierre est remonté chercher le parasol, qui restait à charger.
Quand Jean-Pierre et Salomon sont redescendus, ils ont vu la voiture plongée dans une brume lumineuse, entourée de petites sphères. Le nuage s'est résorbé en un cylindre qui, après quelques secondes, a disparu dans le ciel « à une vitesse vertigineuse».
Quand ils se sont approchés du véhicule, Frank avait disparu...
Le commandant s'étonne |
La gendarmerie étant prévenue, envoie ses représentants sur les lieux indiqués, mais les gendarmes n'observent ni traces, ni radioactivité, ni rémanence magnétique, ni réaction du chien policier. Il est vrai que les témoins n'ont pas parlé d'un engin matériel posé au sol.
Aucun écho radar suspect n'a été détecté non plus.
Le commandant de gendarmerie en vient à déclarer: « Ce qu'il y a d'extraordinaire, c'est que physiquement nous ne trouvons rien ».
Les ufomanes entrent en scène
L'histoire va faire le tour du monde. Jean-Pierre (qui prétendra ne pas chercher la publicité) prévient RTL vers 14 h. C'est le délire. A Cergy les gens alertent la gendarmerie pour un réveil brusque, ou un aboiement de chien qu'on met en relation avec l'OVNI.
Dans la nuit du 27 au 28 des milliers de madrilènes, laissant leur voiture au milieu de la chaussée, observent plusieurs heures un objet irisé « qui n'est pas une étoile ». D'innombrables appels téléphoniques bloquent les standards des autorités et des stations de radio. Rue de la Justice-Mauve, les curieux, radiesthésistes, ufomanes, parapsychologues, mages, prophètes, visionnaires et autres illuminés convergent en rangs serrés vers l'appartement de Jean-Pierre. Une femme médium explique que Frank n'est ni sur Terre, ni dans les airs, ni dans l'eau, mais « dans le temps ».
Dehors, dans le champ de choux, on cherche des traces. Un ufologue trouve une résistivité du sol de 900000 ohms/cm à « l'endroit exact » de l'enlèvement, contre 480000 alentour. D'autres trouveront 130000 ohms/cm à « l'endroit exact » et 13000 alentour. (II y a jusqu'à 80 mètres de distance entre les divers « endroits exacts ».)
Les choux de la bordure sont flétris. Pas de doute: ils ont subi une « déshydratation induite par l'OVNI ». (En fait, ils avaient été plantés six mois avant les autres) . A Menucourt, non loin de Cergy, on trouve un autre « témoin », un mécanicien. Le jour de l'affaire, à 4 h, il a entendu pendant 18 minutes un bruit « comme une résonance de réacteur ». (Les « témoins » de Cergy n'ont rien entendu. Celui de Menucourt n'a jamais pensé qu'à un avion).
Ce qu'ignorait tout ce petit monde, c'est que sur les lieux mêmes de « l'enlèvement » et à la même heure, un habitant avait tout vu. C'est à dire rien. Rien d'autre que la voiture et les deux prétendus témoins. (Ce détail ne sera révélé qu'un an plus tard).
Le retour de Frank Fontaine
Le 3 décembre, coup de théâtre: Frank est revenu! A 6 h 40, Salomon annonce anonymement à RTL qu'il a vu Frank réapparaître « dans une aura de lumière » à l'heure et à l'endroit exact de sa disparition. Une journaliste de la Gazette du Val d'Oise est aux premières loges pour décrire les émouvantes retrouvailles.
Frank explique qu'alors qu'il roulait, la mystérieuse traînée lumineuse avait disparu. Une boule blanche, venue du champ voisin, sauta sur le capot. Il voulut sortir, mais les portières étaient bloquées. Il sentit un picotement aux yeux et s'endormit. Il se réveilla dans le champ de choux, pensant n'avoir dormi que quelques dizaines de minutes, et crut qu'on lui avait volé la voiture. Il ne se souvient de rien, sinon d'avoir rêvé. Il a sur lui le même billet de 100 F qu'à sa disparition, une barbe de huit jours, et les doigts jaunis de tabac. (Selon le folklore ufologique, un caporal chilien enlevé par un OVNI en avril 1977 avait fait sa réapparition au bout d'un quart d'heure avec une barbe de huit jours: preuve que pour lui le temps s'était dilaté. Mais la distorsion temporelle ayant joué pour Frank en sens inverse, il aurait dû au contraire revenir imberbe.
Et pourquoi avoir transformé l'OVNI en fumoir pendant une semaine? La fumée ne semble pas déranger les E. T.
Prévenue par RTL, la gendarmerie retrouve Frank et le trio est interrogé l'après-midi par le substitut du procureur de Pontoise, en présence du GEPAN. Frank avoue maintenant qu'il se souvient de ce qui s'est passé pendant sa disparition, mais refuse de le révéler.
Une deuxième vague d'assoiffés de merveilleux se rue chez Jean-Pierre, au point qu'on prête à Frank ce mot: « Je ne savais pas qu'il y avait tellement de fous en France ». Un radiesthésiste avise « l'enlevé » dormant sur un divan. Il agite son pendule et conclut à la réalité de l'enlèvement. (Pas de chance, le dormeur n'était pas Frank, c'était Jean-Pierre...)
Le trio joue à cache-cache avec le GEPAN pour ne pas être examiné à la clinique psychiatrique de Bonneval
Feu Jimmy Guieu, grand maître des "sciences avancées" |
Par contre, il accueille à bras ouverts l'IMSA « Institut Mondial des Sciences Avancées », qui propose de mettre Frank sous hypnose. Frank refuse, mais Jean-Pierre accepte et l'IMSA lui fait raconter sous hypnose, ce qu'il a « vu », puis ce qu'il « aurait vu » s'il s'était trouvé à côté de la voiture!
(L'IMSA, fondée par feu l'écrivain de science fiction Jimmy Guieu, s'est spécialisée dans l'hypnose, la voyance, la télépathie, le pouvoir des Pyramides, les Templiers et leurs secrets, les fantômes, les yétis, les petits hommes verts et d'autres couleurs.
L'hypnose permet de faire ressurgir des souvenirs « occultés », qu'ils aient été, ou non, vécus par le sujet. Elle est souvent employée quand un témoin de rencontre rapprochée d'OVNI ne peut se remémorer une phase cruciale de son expérience. Dans le cas présent, non seulement on l'applique à celui qui n'a pas été « enlevé », mais on lui fait décrire ce qu'il n'a pas vécu !... Autant lui demander ce qui s'était passé au même moment dans la chambre à coucher de Ronald Reagan...)
Le GEPAN finit par obtenir un entretien de 4 heures.
Le lendemain 5 décembre, le GEPAN revient pour faire faire une nouvelle prise de sang à Frank, par son médecin habituel. Surprise: Jean-Pierre (qui ne « cherche pas la publicité »), est en train d'organiser une conférence de presse. Ce qui permet à France-Inter de diffuser à 13 h cette intéressante interview.
(Frank): J'me souviens de rien tant qu'j'ai pas la garantie de l'état.
(Journaliste): De l'état?
(Frank): C'est-à-dire que, qu'on va pas me subir... me faire subir des tas d'examens, enfin ceci, cela. Tant qu'j'suis sûr que on m'blanchira pas, quoi, officiellement.
(Journaliste): Mais alors, il faut passer p'tèt par des examens scientifiques pour ça. J'crois que tu as refusé?
(Frank): Ah non! Ah non! C't'examen, euh, euh, c'est du bidon pour moi, parc 'que, bon, ben, j'leur ai proposé... J'ai discuté avec eux... Des Scientifiques qui sont reconnus par l'état... m'ont écouté une demi-heure, i. z'étaient fatigués alors qu'j'étais prêt à engager une conversation qui pouvait bien durer toute la nuit.
(Journaliste): On avait parlé d'hypnose, pendant laquelle ils pouvaient vérifier si tu...
(Frank): Ouais, Jean-Pierre a été hypnotisé.
(Journaliste): Mais toi pas?
(Frank): Non, non! Moi non, parc'que, j'veux pas qu'on sache, euh...
Hormis les hebdomadaires à sensation, les médias restent réservés. Le propre père de Frank préfère penser que son fils s'est simplement caché chez un ami pendant sa disparition. Le sang de Frank se révèle normal, mais d'après le « président» d'une association ufologique, le GEPAN a trouvé un taux de cortisol double. Selon d'autres il en possède même une lettre citant un taux triple...(il semblerait plutôt qu'il s'agisse d'un taux de +0.3, ce qui est très différent)
Le 8 décembre, Jean-Pierre se prétend menacé par les « hommes-en-noir ».
Plus tard, il les décrira: « Ils sont trois... Leurs yeux ne sont qu'une masse blanche, effrayante... Celui qui parle est bien concret, mais les autres, je sais qu'ils sont VIDES...» (Dans le folklore des OVNI, ce sont des personnages mystérieux, tout de noir habillés, qui font taire, voire disparaître, ceux qui en savent trop. L'enquêteur dont je tiens ces renseignements s'est aperçu que l'homme-en-noir - vêtu de vert - c'était lui !).
Les « témoins » monnayent leur savoir
Le trio accorde à Paris-Match une interview rémunérée (on parle de 8000 F). A ce prix, Frank se souvient: Lors de son enlèvement, il a repris connaissance, allongé sur une sorte de table, dans un laboratoire entouré de machines plaquées de verre opaque et couvertes de cadrans. Deux boules lumineuses flottèrent près de lui en émettant des sons agréables, qu'il perçut progressivement comme des voix d'homme et de femme, qui lui tinrent à peu près ce langage:
« Ne crains rien... Nous prenons contact avec les Terriens pour étudier leur évolution mentale. Nous cherchons à vous protéger et à parvenir à un contact officiel pour sauver votre planète ». (Le même laboratoire est décrit par tous ceux à qui on demande sous hypnose d'imaginer qu'ils sont « enlevés» dans un OVNI. Le message est archétypique : dans les « visions », la Vierge, les saints et les E.T. disent la même chose).
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Bien que, lors de "l'enlèvement", les témoins n'aient pas photographié l'OVNI, le Parisien Libéré publie une photo le 4 janvier.
Explication des trois témoins: le 23 décembre, sur une « impulsion» de Frank, ils sont allés sur les lieux de l'enlèvement avec un polaroïd. Une boule lumineuse apparut, qui en largua 2 autres, qui parlèrent respectivement à Jean-Pierre et à Salomon. Trois clichés furent réussis, dont celui qui a été rephotographié pour Le Parisien. Ces clichés n'existent plus car la mère de Frank les a détruits. (Règle générale: pour toute histoire invraisemblable, il a existé des preuves indubitables, devenues, hélas, inaccessibles).
En fait, le mère de Frank a bon dos, mais les clichés n'ont pas été détruits puisqu'en voici une copie ci-contre
Le livre de Jimmy Guieu |
Il ne faut pas qu'une observation d'OVNI aussi capitale reste perdue pour l'histoire!
Il faut écrire un livre, mais vite! Si le public oublie... la vente s'en ressentira.
Jimmy Guieu s'en assure l'exclusivité et emmène les témoins chez lui. Jean- Pierre lui remet un manuscrit que Guieu rewrite... et enrichit, car...
Coucou! Les clichés détruits réapparaissent - pardon, se rematérialisent. (Les photos ne montrent que de simples taches blanches sur fond noir).
Curieusement, plus les Jours passent, plus Frank se souvient des révélations des E. T.
La vie existe partout, même sur la Lune. si, si!
Les E.T. ont des milliers d'apparences diverses (ça explique pourquoi les ufologues ont recensé tellement de types d'occupants d'OVNI)
Ils ont de nombreuses bases sur Terre.
Ils ont même poussé la bienveillance jusqu'à recommander à Frank ce qui était justement son intention: ne pas se laisser interroger sous hypnose (Que ne l'avait il expliqué plus tôt )
Un dessin montre le « laboratoire» où Frank aurait été séquestré: des murs nus, avec quelques symboles en décoration pour faire plus exotique. Mais pour représenter une technologie en avance sur la notre, il faudra repasser: Les cadrans de ce laboratoire évoquent une technologie d'avant guerre!
Finalement, l'enlèvement n'est plus qu'accessoire et le personnage central, c'est Jean-Pierre.
Changement de rôle
Maintenant, c'est bien Jean-Pierre Prévost la vedette, car c'est lui, et non l'enlevé, que les E.T. voulaient contacter (comme dans le roman-photo de sa revue de TV).
Que la volonté des E.T. soit faite! Un soir à Manosque, Jean-Pierre sort, sur une « impulsion », et se retrouve « ailleurs », bavardant toute la nuit avec une « présence» qui lui fait d'importantes révélations. Le grand contact est pour le 15 août 1980. « Pour ce qui est du visuel, vos yeux en auront plus qu'ils ne peuvent supporter» L'humanité a jusqu'au 15 août 1983 pour changer de voie, après quoi, elle commencera à s'autodétruire. (probablement faut il comprendre: par la pollution ou l'arme nucléaire, mais trente ans plus trad, nous étions toujours là.)
Pour Jean-Pierre aussi les E. T. sont prévenants. il ne doit se laisser hypnotiser que par l'IMSA. (Pratique, non ?).
A l'aube, avant de disparaître, son compagnon lui fait la grâce de se montrer de face. Il est beau de visage. C'est Haurrio, son E. T. gardien. Jean- Pierre réalise alors qu'il a été « télétransporté » à Notre-Dame de la Garde, à Marseille. Pour rentrer à Manosque, il doit prendre un taxi qui se révélera conduit par un E.T. déguisé.
La base des E.T. se trouve à Bourg-de-Sirod (Jura) dans un tunnel désaffecté que Jean-Pierre connaît bien pour avoir été moniteur dans la région. Ce tunnel, affirme-t-il, a disparu en 1977, « comme s'il n'avait jamais existé. Les villageois refusent d'en parler. Le tunnel est passé dans une autre dimension ». (C'est bête de creuser des tunnels quand les trains n'ont qu'à passer par une autre dimension ).
En fait, le tunnel, qui existe toujours, abritait une ancienne voie de tramway, et ne sert plus qu'à abriter un sentier de randonnée
Bourg-de-Sirod sur la carte IGN |
le tunnel et le tramway installé en 1927 |
le tunnel aujourdhui |
intérieur du tunnel |
Le dessin de la base des E.T., dans le livre de Jimmy Guieu, vaut le coup d'oeil. Une escadrille de soucoupes de 6 m chacune y est en pleine manoeuvre! (Le tunnel ne fait pas plus de 4,5 m de large).
Admirez la science des extra-terrestres capable de faire évoluer une telle escadrille dans un tunnel de 4.5 m de large!
Jimmy Guieu a soin de rapporter d'autres affaires où les matérialisations succèdent aux dématérialisations grâce à des « sphères à transfert ». (Brevetées S.G.D.G., probablement).
Les E. T. auraient enlevé 4000 soldats dans les Pyrénées en 1720, 650 zouaves en Cochinchine en 1858, un régiment des ANZAC à Gallipoli en 1915, et même une division japonaise au grand complet en Nouvelle-Guinée lors de la dernière guerre!
Le lendemain de la réapparition de Frank, à Sion-les-Mines, un artisan a vu une boule orange absorber la voiture qui le précédait. Il est allé chercher ses trois fils, et cette fois ce fut à leur tour d'être poursuivis. Brrr... (Enquête faite par le GEPAN, la boule n'était que la Lune à son lever, et la disparition, une illusion d'optique).
Le livre aurait encore dû raconter l'enlèvement d'un membre de l'IMSA, prévu par Jean-Pierre pour février. En mars, les E.T. ayant sans doute changé d'avis, le livre est confié tel quel à l'imprimeur, les droits d'adaptation cinématographique sont vendus, et l'impression est terminée le 9 avril.
Les « témoins » poussent le bouchon trop loin
Une campagne de publicité s'impose. Un article dans Paris-Match du 25 avril (indispensable, comme l'a prouvé la promotion des prophéties de Nostradamus). Un passage à la télé le 26 dans l'émission « Temps X » des frères Bogdanoff. Un article dans France-Dimanche le 28, Etc... Pour pousser l'affaire le plus loin possible, un M. Bouchon fonde avec le trio l'AURIAU (Association pour l'Unification de la Recherche Internationale Aérospatiale et Ufologique). Jean-Pierre écrit une « Lettre ouverte à Messieurs les chefs d'état ».
L'affaire devient tellement « hénaurme » que des ufologues à la naïveté proverbiale, ou au sens commercial prudent, affichent leur scepticisme. Jean-Claude Bourret lui-même parle de mystification. Lors d'une de ses conférences, Salomon l'apostrophe:
« Un jour, je vous lancerai un défi public et, sous les yeux de 500 personnes, je me dématérialiserai!, et vous en resterez sur le cul! ». En rapportant le fait, Jimmy Guieu conclut:« Puisses-tu le faire, ami Salomon, même si tu dois recourir à l'antique savoir des sorciers de ton peuple ».
Ce que Jimmy Guieu ne dit pas, c'est que Jean-Claude Bourret prit son interlocuteur au mot. Les 500 personnes était là, et Salomon, qui était bien en peine de se dématérialiser, se dégonfla piteusement...
Les milieux crédules sont tellement divisés en « pros » et en « antis » que la revue Nostra (hebdomadaire d'occultisme commercial), donne la parole à tout le monde, d'où quelques belles polémiques.
Ouvert aux «sciences avancées» (par analogie avec le camembert), l'ordre rosicrucien AMORC entend fin mai une conférence de Jimmy Guieu : « La caverne d'Ali Baba s'ouvrait à l'aide d'un système électrique... Les miroirs magiques étaient des écrans vidéo... La baleine de Jonas était un sous-marin ». Etc... Bien entendu, le conférencier est en danger, car les gouvernements éliminent ceux qui en savent trop. C'est pourquoi les E. T. ne viendront pas le 15 août si les autorités sont là.
Le grand jour arrive...
Un millier de personnes, dont certaines campent depuis la veille, se réunissent à Cergy pour accueillir les E.T. avec le cérémonial qui convient.
D'autres, préfèrent aller à Bourg-de-Sirod, puisque c'est là que se trouve la base des E.T.
A Bourg-de-Sirod, rien. « Les extraterrestres n'étaient pas au rendez-vous » titrera Nostra.
Nuit de folie à Cergy
A Cergy, c'est la foire. Europe 1, RMC et FR3 sont là. L'AURIAU fait du prosélytisme. Le « commodore de l'escadre galactique 666» déambule incognito et en civil, sans antennes ni désintégrateur. Frank n'arrive qu'en fin de matinée. Après un accident de moto, il a dû se faire « recharger » par le magnétiseur de l'IMSA.
Les E. T. sont en retard. Jimmy Guieu improvise une conférence. Le soir il fait former une « chaîne ». Il règne un « champ de force bio-psychique » à faire griller les neurones. A chaque apparition d'un point lumineux dans le ciel, l'espoir renaît : « Les voilà! ». On fait des signaux, et le silence devient tellement religieux... qu'on entend ronronner l'avion.
Mais qu'est-ce qu'«ils» fabriquent? Vers minuit, on reforme une chaîne, on hurle des « mantras ». Hélas, des badauds moqueurs émettent un « courant négatif ». Le marchand de glaces sera le seul à n'être pas venu pour rien. Les E. T. ne viendront pas.
Un « initié » évoque un « bouchon sur les routes spatiales ». Un accordeur de pianos, contacté quotidiennement par les E.T., explique qu'il suffisait d'être accordé sur la bonne fréquence. Le lendemain, la presse n'aura pas assez de quolibets pour ce « lapin du 3ème type ».
ciel Est à Pontoise le 16/08 à 4H 20 |
A 4 H 20, les membres de l'IMSA vont se coucher. Alors, la bataille finie, l'OVNI (d'Offenbach) apparaît ! Rentrant à l'hôtel, trois des participants à la cérémonie voient approcher une étoile brillante, qui recule, clignote, bascule et change de couleur. Ce sont« eux » ! Vite, au boulevard de l'Oise!
Bientôt une vingtaine de personnes regardent, discutent, s'interrogent. N'est-ce pas Vénus? Non! De prétendus astronomes amateurs leur montrent la « vraie » Vénus. Des jumelles passent de mains en mains. Elles montrent une sphère blanche au sommet orange, et une petite boule à son équateur, tandis qu'une autre petite boule va et vient, reliée à la grande par un câble très fin.
Une déléguée de « Lumières dans la nuit » demande « télépathiquement » un signe à Haurrio. Les témoins découvrent alors une sorte de traînée d'avion, puis une autre, puis un petit nuage qui les relie pour former un H... H comme Haurrio !
(Ces astronomes amateurs devraient prendre des cours du soir. L'heure, la direction et l'aspect prouvent qu'iI s'agissait bien de la planète Vénus, observée dans des jumelles d'optique médiocre. Quant aux traînées d'avions...)
Jimmy Guieu triomphe: « Les OVNI étaient bien au rendez-vous de Cergy-Pontoise ». Et il le prouve en publiant des photos « infrarouges »... Car les OVNI s'étaient rendus invisibles.
Le cliché est taché ... donc "ils" étaient là! |
En effet, la nuit du 14 au 15, un photographe est venu à Cergy. Croyant que le « contact » ne serait pas matériel mais « psychique », et sentant près du champ de choux « quelque chose d'important et de tout proche », il en a pris des photos en infrarouge. Alors qu'un orage allait éclater, il a compris que les E. T. «faisaient une manipulation dans les nuages ». Puis ayant remarqué deux voitures « suspectes », il s'en est approché, mais il ne put tourner le regard vers elles.
...Ce qui prouve que des E.T. étaient au volant! Ses photos développées, il y découvrit des boules lumineuses. Les OVNI n'étaient donc visibles qu'en infrarouge. (Un photographe, même amateur, y reconnaît sans peine des taches de développement).
Ainsi, crédule ou sceptique, chacun garde son opinion après l'expérience du 15 août, d'autant qu'il doit y avoir un « contact de repêchage » le 15 août 1983.
Les invraisemblables révélations de Jean-Pierre Prévost
Une sordide question d'argent brouille Frank et Jean-Pierre, qui quitte l'IMSA avec l'écrivain Roger Luc Mary, convaincu qu'il y a en son compagnon « une force d'amour agissante ». Ils donnent des conférences à résonance mystique, Frank et l'IMSA continuant les leurs.
Le livre de Jean-Pierre Prévost |
Jean-Pierre fonde une revue, et, fin 1980, publie un livre: Le grand contact -la vérité sur l'affaire de Cergy- Pontoise. Il y révèle qu'il est contacté par les E.T. depuis 1975. (En 1979, il déclarait ne pas avoir cru aux OVNI jusqu'à son expérience).
Fin 1979, raconte Jean-Pierre, un représentant de commerce, «irrésistiblement poussé», a conduit Jean-Pierre à Bourg-de-Sirod.
Devant le tunnel, il a retrouvé 6 autres contactés, venus de divers pays. Ils se comprenaient tous, en s'exprimant pourtant chacun dans sa langue natale.
A minuit, (heure qu'attendent tous les fantômes qui se respectent) ils sont enveloppés d'une lueur éclatante, et c'est alors que, resplendissant dans toute sa gloire, Haurrio apparaît! Il fait place à Uriel, une charmante E.T. qui fait visiter la base aux 7 élus. Ils y admirent une soucoupe de 10 mètres de diamètre. (Le tunnel fait toujours 4,5 m de large).
Heureux Jean-Pierre! Un soir, à Cergy, il est « transféré » dans une clairière jurassienne où l'attend une grandiose soucoupe qui ne fait pas moins de 20 mètres. Il a l'honneur de monter à bord et d'apprendre d'Haurrio le secret jusqu'alors refusé à tout autre mortel: le principe de fonctionnement des OVNI:
(Attention, prenez une aspirine, et cramponnez vous à votre fauteuil)
La structure de la matière de l'OVNI, dénuée de toute molécule vivante, est extraite de l'univers, et son rôle programmé est en relation avec les acquis régénérateurs de cette structure, existant dans la masse universelle. A l'état actif cette structure est l'instructrice de la raison d'être. La programmation moléculaire, entreprise par l'action du psychisme sur la matière, est canalisée par un générateur actif, fait d'une matière opposée à celle qu'il canalise, et dont il est puissamment isolé par répulsion magnétique. La matière canalisée est entretenue dynamiquement par une spirale active, et la demande de matière inerte est satisfaite par la projection de molécules vivantes dans la structure globale de l'appareil.
La dématérialisation, dont le triangle des Bermudes est un cas, relève du même procédé, par reprogrammation de la molécule vivante.
(Je serais reconnaissant à tout lecteur qui serait sur d'avoir compris de bien vouloir m'expliquer)
Haurrio est formel, sa planète gravite à 153 milliards de km de la Terre.
Un calcul rapide montre que son « soleil», qui doit être à peu près à la même distance, doit être 10000 fois plus lumineux pour nous que Sirius, et nous éclairer autant que la pleine lune. Or une telle étoile n'existe pas dans le ciel. Donc ce prétendu soleil est éteint (encore une grève, ou alors c'est une panne). Dans ce cas, seul notre propre soleil peut encore chauffer cette malheureuse planète à environ... -264° C. Pauvre Haurrio qui se les gèle sur sa planète
Trois mois plus tard, le GEPAN publie enfin ses résultats. Son enquête est précise bien que les protagonistes soient affublés de pseudonymes (feu Jimmy Guieu y est baptisé "Ignace", c'est un p'tit nom charmant )
Ses conclusions sont négatives. (Bref c'est du bidon!) Les médias leur donnent un certain retentissement.
L'affaire se dégonfle
Le 2 août 1982, la presse révèle que Frank a été arrêté pour vol.
En juin 1983, Jean-Pierre avoue sur les ondes de Radio-Korrigan: « l'affaire de Cergy, c'est bidon. J'ai tout Inventé ».
Prévenu par la presse, Jimmy Guieu rétorque aussitôt que ce sont les E.T. eux-même qui ont voulu cette rétractation.
les "adventistes" forment une chaine |
15 août 1983: le rendez-vous de la dernière chance.
A Cergy quelques dizaines de personnes, dont l'inévitable commodore de la 666ème escadre galactique, côtoient les voitures de TF 1, RTL et France-Inter. Le journal télévisé de 20 h rappelle que la fatale échéance est pour ce même soir à 21 h. La foule arrive.
On scrute le ciel. Tous les satellites artificiels, planètes et étoiles brillantes sont consciencieusement pris pour autant d'OVNI. Mais cette fois, les avions sont reconnus comme tels. Comme en 1980, on forme une chaine pour mieux communier avec l'énergie bio-cosmique. (vu les lignes à haute tension, c'est surtout un champ électrique à 50 Hz que cette chaine aurait du capter)
Des ufologues tracent de savantes figures géométriques sur une carte de France. Ils en déduisent que le contact pourrait avoir lieu à Arcachon. Hélas, Ils n'ont pas le temps de s'y rendre...
Sans doute le regretteront-ils, car à Cergy, les E.T. posent un deuxième lapin mémorable. Une nouvelle fois les participants repartent avec leurs convictions. Les croyants peuvent encore espérer que si l'humanité doit s'autodétruire, les E.T. reviendront sauver du désastre l'élite des justes.
Les leçons de l'affaire
Cette lamentable bouffonnerie n'aura pas été sans utilité. Une vingtaine d'« ufo-sociologues» questionnait les adventistes de Cergy. Les 110 questionnaires collectés ont été dépouillés à l'université de Montpellier. Voici les résultats.
75 % des participants étaient du sexe masculin, ce qui est significatif et s'accorde bien avec une semblable observation réalisée sur les associations d'étude des OVNI. Ceci s'interprète bien dans l'hypothèse où l'OVNI est perçu dans le public comme relevant de la technique.
80 % des participants avaient moins de 35 ans. Ce résultat, en accord avec d'autres enquêtes, confirme que la thématique OVNI est surtout familière à la génération qui a grandi dans l'intense propagande médiatique faite aux OVNI, à la science fiction, et à la conquête spatiale.
Pour 12 % des questionnés le nom de Cergy-Pontoise évoque un canular, pour les autres un phénomène OVNI. Parmi ces derniers, 45 % pensent à un contact avec les E.T., et 14 % seulement évoquent un enlèvement. Le phénomène est donc d'autant moins admis, ou avoué admis, qu'il est plus étrange.
58 % espéraient voir un OVNI, dont 38 % attendaient un contact avec les E.T. Les autres étaient venus voir ceux qui étaient venus voir les OVNI. Mais certains n'ont pas osé avouer, ou ont avoué à demi-mot, qu'ils n'étaient pas sûrs qu'il n'y aurait pas d'OVNI.
85 % connaissaient l'affaire depuis le début, donc par les médias.
59 % des enquêtés et 73 % de ceux qui attendaient les OVNI, avaient lu le livre de Jimmy Guieu.
28 % seulement appartenaient à un groupe d'études, dont 5 % étaient ufologues, et 6 % membres de l'IMSA. Le recoupement avec les tranches d'âge suggèrent que l'engagement social croît avec l'âge.
Curieusement 58 % étaient au courant des rétractations de Jean-Pierre Prévost. Il semble que nombre d'entre eux n'aient pas su intégrer cette Information dans leur système de croyances (problème de la dissonance cognitive).
Epilogue
Morte et enterrée, l'affaire de Cergy? Pas tout à fait...
Le dernier livre... |
D'abord Jimmy Guieu ne renonça jamais à cette affaire, qui était pour lui le plus beau fleuron de l'ufologie française. Pensez: Un contacté français enlevé pendant huit jours par les E.T.! Un autre qui a été initié au secret du fonctionnement des soucoupes volantes!
Aussi dans son dernier livre, Nos "Maîtres" les Extraterrestres (tout un programme), il revient à la charge, et se fonde sur plusieurs certitudes:
- Jacques Vallée ne considère pas la disparition de Frank Fontaine comme un canular, au point qu'il y consacre un chapitre de son livre révélations
Oui mais...
Vallée ne croit pas que Frank ait été enlevé par les E.T., mais par les services spéciaux français
- Jean-Pierre Prévost s'est trouvé incapable d'expliquer où se trouvait Frank pendant sa disparition
Oui mais...
Ce n'est pas Jean-Pierre Prévost, mais Frank, qui avait imaginé le coup de la disparition et de la planque
- les graphiques du détecteur d'OVNI de l'ingénieur Alexandre Laugier, montre une détection le 26 novembre 1979 entre 4 H et 4 H 30
Oui mais...
On ne sait pas ce que détecte réellement l'appareil d'Alexandre Laugier, qui détecterait un "effet alpha", prétendument connu en physique et qui aurait une portée alléguée de 900 km
La prétendue relation avec la réaction du détecteur n'est pas évidente du tout, quand on regarde le graphique qui montre des observations sans détection, et beaucoup de détections, dont celles à signal fort, sans observation
détections d'effet "alpha" pendant la période du 20 au 27 novembre 1979
Et ensuite, L'affaire de Cergy a finalement inspiré une bande dessinée. Non, Jimmy Guieu n'en est pas le scénariste. Non, aucun extraterrestre n'y intervient. La transposition est évidente, mais cette fois l'enlevé est de bonne foi, et le personnage central est un journaliste de télévision. Un journaliste sceptique
Cergy est devenu Argenteuil, dans cette B.D. en attente d'album
Dommage qu'elle soit plutôt baclé, car on aurait pu sortir un album valable en s'inspirant à fond de l'affaire de Cergy.