1665. A Hambourg, la lune trompe un "astronome"

David Galley fait un documentaire sur les OVNI du passé

David Galley, grand mystériographe devant l'éternel, a cru bon de nous gratifier le 14 novembre 2015, d'une intéressante émission télévisée, Les effroyables signes du ciel. Il y fait le point sur les anciennes observations d'OVNI, avec la participation de plusieurs "spécialistes".
Il donne en particulier la parole à l'historien Yannis Deliyannis, qui explique que le "discours des terribles et espouventables signes apparus sur la mer de Gennes", n'est jamais que la transposition, sous forme d'un "canard", du récit des festivités données à Florence pour le mariage de Cosme II de Médicis et Marie-Madeleine d'Autriche en novembre 1610.

Commentaire du narrateur:
Falsifications, témoins influencés par leur culture ou leur imagination, mauvaise interprétations de symboles religieux ou de phénomènes naturels, il parait donc très difficile de trouver la preuve irréfutable d'observations d'OVNI dans le passé. Difficile, mais pas impossible. Il existerait quelque cas troublants qui ne trouvent aujourd'hui encore aucune explication valable. C'est le cas d'une observation faite à Hambourg en 1665 par un astronome et écrivain polonais.

Yannis Deliyannis prend alors la parole:
Dans le Theatrum Cometicum de Stanislaw Lubieniecki, on... retrouve plusieurs gravures... heu... qui représentent, pour la plupart, des comètes.
Parmi celles-ci, une gravure particulière ne représente pas une comète. Heu... l'auteur est... heu... également l'observateur... de ce phénomène, il l'observe de chez lui. On voit sur la gravure... heu... qu'il a même marqué l'emplacement de l'observation, c'est à dire sa maison, son grenier. Il observe le phénomène de chez lui, et... heu... l'auteur, qui est rompu à l'observation des comètes, il vient d'en observer une la même année, quelques mois plus tôt, en avril, voit ce phénomène apparaitre au dessus de sa ville, heu... on est en... juillet, il observe donc, un autre phénomène, qui pour lui n'est pas une comète.
Ce n'est pas une comète, c'est un phénomène qui n'apparait pas sur plusieurs jours. Il est visible... heu.. que quelque temps, heu... quelques heures, heu... je crois, au dessus... heu... de la ville, et il note, sur cette gravure, il représente les différents états de ce qu'il voit. Et c'est très particulier, c'est assez intéressant, ça... on a l'impression d'avoir un phénomène heu... lumineux, qui heu... prend différentes formes, qui change d'orientation, et qui se sépare en deux.


Commentaire du narrateur:
Difficile cette fois de remettre ce témoignage en cause ou d'y trouver une explication naturelle connue.

Difficile, mais pas impossible. Remettre en cause le témoignage, non, mais lui trouver une explication naturelle, si, et très banale, en plus.

Stanislas Lubienietski, historien des comètes et témoin.

Lubienietski
Stanislas Lubieniecki

Stanislas Lubienietski (ou Lubienecki, mais il signait Lubienietzki) est né en 1623 à Rakow, dans une famille de la noblesse polonaise.
Il fit d'abord ses études en Pologne, puis les continua en 1646 à l'université d'Orléans. En 1649, il s'inscrivit à l'université de Leyde, où il eut l'occasion de discuter avec Descartes. Rentré en Pologne, il fut pasteur socinien en 1654, mais dut s'exiler à Hambourg en 1658, sous la pression des luthériens.
Bien qu'on le présente souvent comme astronome (on a donné son nom à un cratère lunaire), il fut surtout théologien et historien.
Pour les astronomes, son oeuvre majeure est son Theatrum Cometicum, publié en 1668, qui contient dans le deuxième volume une anthologie illustrée de 415 comètes, pour laquelle il a collecté tout ce qu'il a pu trouver chez les "bons" auteurs concernant les comètes observées depuis l'origine du monde jusqu'à l'année 1665

Mais ce qui nous intéresse se trouve dans le premier volume. Après avoir longuement discuté des comètes observées en 1664 et 1665, l'auteur se laisse aller à discuter des phénomènes qui ressemblent à des comètes, mais qui n'en sont pas.



voici le texte concernant l'observation proprement dite:
Ego nudius tertius post horam decimam, cum nonnulli e familia mea, observavi etiam ad occasum ignitum phoenomenon. Duae primum faculae scintillantes in linea recta, ovali fere figura apparuerunt, nube in medio eas, cinguli instar, dividente. His paulo post tertia facula a latere partis inferioris laevo assiluit, & cum iis juncta corpus majus ardens, nube tamen spissiori in medio divisum, conflavit. Id aliquanto tempore postquam luxisset, ad laevam inclinari & ad instar litui incurvariae minui caepit, usquequo disparuit.
... Figuram hujus phoenomenu adjungo.


en français:
Moi, j'ai encore observé il y a deux jours, après 10 heures, avec quelques uns de ma famille, un phénomène igné au couchant. D'abord, apparurent deux lueurs scintillantes en ligne droite, presque de la forme d'un oeuf, un nuage en leur milieu les divisant comme une ceinture. Peu après une troisième lueur les rejoignit sur le bord inférieur gauche, et jointe avec elles, forma un corps ardent plus grand, cependant divisé au milieu par un nuage plus épais. Quelque temps après qu'il ait brillé, incliné vers la gauche et incurvé comme une trompette, il se mit à diminuer jusqu'à ce qu'il disparaisse.
... je joins le dessin de ce phénomène.


La gravure jointe est très précise, et comporte même une espèce de boussole, en bas, à droite, pour l'orienter. En essayant de reporter la direction de l'ouest à l'emplacement de l'observateur, il semble que l'azimut de l'objet, c'est à dire la ligne de visée, rabattue sur l'horizon, soit nettement à droite. Mais il faut tenir compte que la boussole est vue en perspective. En en tenant compte, on retrouve simplement la direction indiquée par l'auteur: "ad occasum", c'est à dire à l'ouest.


Figure se rapportant à ce phénomène de Hambourg le 6 (julien) 16 (grégorien) Juillet de cette année 1665, vu par l'auteur

Une ressemblance troublante.

Sachant que la partie centrale de l'objet est en fait un nuage qui en masque une partie, ces dessins et cette description évoquent des observations d'OVNI déja connues.
Comparons donc avec ces descriptions d'engin mystérieux du 3 octobre 1954.

Lille, 59
un engin volant prenant successivement la forme d'une sphère, grossissant à vue d'oeil, pour se scinder en deux «cigares», et retourner à sa forme primitive
(Nord Eclair, 6 octobre, p 10)

Chéreng, 59
On aurait dit un croissant de lune arrondi vers le bas. La partie centrale de l'engin légèrement renflée paraissait plus éclairée. Tout à coup, la partie renflée s'éteignit. C'est alors que j'eus l'impression, et les personnes présentes également, de voir deux cigares. L'engin qui évoluait lentement, pivota puis disparut.
(La Voix du Nord, éd. Lille+, 6 octobre, p 6)

Marcq en baroeul, 59
Il vit très nettement l'engin de forme ronde qui émettait des lueurs oranges. A un certain moment un deuxième disque se détacha du premier, s'éclaira et reprit ensuite sa place.
(Nord Eclair, 6 octobre, p 10)

Marcoing, 59
une très grosse boule de feu à laquelle était suspendue une seconde en forme de nacelle, qui se balançait, restait immobile dans le ciel... Durant plus d'un quart d'heure, les deux boules de feu resteront presqu'immobiles... se déplaçant verticalement par moments. Brutalement, elles se transformèrent en une forme allongée que l'on qualifie volontiers de cigare
(La Voix du Nord, 5 octobre, p 3)
Note: les témoins sont les gendarmes de la brigade de Marcoing

La Chapelle d'Armentières, 59
Un engin en forme de demi-lune de couleur doré, barré au centre par un trait de couleur verdâtre
(Nord-Matin, 5 octobre, p 10)

RN 336 près d'Estrées Deniecourt, 80
De la forme et de la grosseur apparente d'un « pain de quatre livres » (sic), bombé sur le haut, la « chose », de la couleur du minium, était immobile... une barre sombre, verticale, occupant environ le 1/5 de la largeur de celui ci, apparut au milieu de la tache lumineuse, et s'y maintint tout le temps que dura l'observation, soit environ 10 minutes.
(Le Courrier Picard, 6 octobre, p 3)
Note: le témoin principal est boulanger

Lievin, 62
un engin lumineux ayant la forme d'un croissant qui oscillait légèrement... De cet engin de forme oblongue, se détacha la partie inférieure qui descendit vers le sol et vint reprendre peu après sa position contre la partie supérieure.
(Nord-Matin, 5 octobre, p 10)

Nous disposons de 44 observations pour cette mémorable soirée, dont certaines impliquent des dizaines de témoins. Nous venons d'en extraire celles qui se rapprochent le plus de celle de Hambourg. Or tous ces "engins", furent vus à peu près à la même heure, dans la même direction, qui était aussi celle de la lune. Or les témoins n'ont pas vu la lune, quoiqu'ils aient parfois cru un instant voir la lune. Par ailleurs, 9 témoins ont donné à l'engin la forme de la lune.
Cerise sur le gateau: le témoignage d'un professeur de géologie de la faculté des sciences de Lille:

J'attendais avec impatience le journal de ce matin et j'ai éprouvé un vif plaisir à la lecture des récits de vos correspondants: car, dimanche soir, j'ai vu aussi « la soucoupe volante ». Les descriptions qui en sont données concordent en tous points avec mes observations personnelles. Seulement je ne suis pas d'accord sur leur interprétation, car en l'occurrence, il s'agissait tout simplement d'un coucher de lune.
Dimanche, à la tombée de la nuit, la lune brillait par temps clair sous forme d'un beau croissant. Plus tard, elle disparaissait dans la zone brumeuse qui surmontait l'horizon, pour réapparaitre quelques instants, rougeâtre et déformée - ce qui est normall à ce niveau - et barrée d'un trait en passant derrière un stratus. Enfin elle s'estompait définitivement en rentrant à nouveau dans les nuages.

(La Croix du Nord, 6 octobre, p 2)

Conclusion: ces engins mystérieux, c'était tout simplement la lune. Mais alors...

Alors, comme nous connaissons l'heure et la direction du phénomène observé par Lubienietski, nous pouvons vérifier.
L'observation a eu lieu à Hambourg, le 16 juillet après 10 heures (en temps local, soit après 21H 20 TU), vers l'ouest, ce qui nous est confirmé à la fois par la gravure, et par la description (au couchant).
Et qu'est ce qui était visible à cette heure là, à l'ouest, à Hambourg? Demandons le au logiciel Stellarium.



Gagné! La lune en croissant était visible à moins de 10 degrés de l'ouest, et l'on imagine sans peine que, masquée partiellement par deux petits nuages, elle ait pu avoir l'aspect que montre le dessin le plus à gauche.

Ainsi, cette observation de Stanislas Lubienietski est actuellement la plus ancienne confusion lunaire connue.

Remarquons cependant que l'observateur n'était pas réellement astronome: s'il l'avait été, il aurait noté soigneusement la position, la taille angulaire et l'heure du phénomène pour chacune de ses phases. De plus dans son catalogue de comètes, il y a un peu de tout: bolides, affirmations de charlatan, doublons. On voit que l'esprit critique n'était pas son fort (mais s'il en avait eu, il n'aurait probablement pas été pasteur et théologien).
Mais il n'était pas astrologue non plus! il n'y a pas vu un présage. Il a vu un mystérieux phénomène igné. Il aurait tout aussi bien pu dire: un mystérieux objet céleste. C'est à dire qu'au fond, il s'est comporté comme un ufologue (mais pas un soucoupiste).
Il est d'ailleurs cocasse que l'observateur de la première confusion lunaire connue ait son nom... sur la lune!

Remercions tout de même Yannis Deliyannis d'avoir attiré notre attention sur cette superbe pièce d'anthologie des confusions lunaires. Son interview a malheureusement été passablement "charcutée", en sorte qu'on pourrait croire que, comme le narrateur, il trouve cette observation difficile à expliquer par un phénomène naturel connu. Il n'en est rien. Il montrait seulement que Lubienietski avait mentionné ce phénomène comme mystérieux (pour lui).

Dernière mise à jour: 27/11/2015

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