1983 Guy Breton mélange tout et en rajoute

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Guy Breton

Guy Breton, né en 1919 à Gien, journaliste, écrivain, et animateur d'émissions radiophonique, fut un grand spécialiste de la "petite histoire", surtout des histoires d'amour, ou des histoires extraordinaires.
Sur les ondes de la télévision, il a animé de 1959 à 1960, le Cabaret de l'Insolite puis de 1969 à 1974, le Cabaret de l'Histoire.
Il présenta ensuite quotidiennement sur France Inter Histoires magiques de l'histoire de France, avec son ami Louis Pauwels.
Il en fit ensuite un livre, paru en 1977, et réédité en 1980 sous le titre Histoires extraordinaires.
Et comme on n'abandonne pas un filon, tant qu'il n'est pas épuisé, pas plus qu'on ne change une équipe qui gagne, Il récidiva avec Louis Pauwels, en publiant en 1983 Histoires fantastiques.


Les vaisseaux du ciel.

GUY BRETON

L'ÉVÉNEMENT QUE JE VAIS VOUS RACONTER S’EST PASSÉ UN matin du XII siècle, à Bristol, dans une église dont, malheureusement, les chroniqueurs ne nous ont pas laissé le nom.
Note: En fait, il se serait aussi passé en d'autres endroits, notamment à Gravesend, à Londres et à Cloena.
C'était un dimanche et les bonnes gens, réunis dans la nef, suivaient la messe avec recueillement. Or, au moment où le prêtre, ayant chanté le Kyrie, allait entonner le Gloria, un bruit bizarre fit tourner les têtes vers le porche. L'assistance stupéfaite aperçut alors, par les portes demeurées ouvertes, — on était au mois d'août — une sorte d’ancre de marine qui se balançait au bout d’une corde.
Note: Breton invente le moment précis, ainsi que le mois d'août, que les auteurs précédents ne mentionne pas.
  Sans doute un mauvais plaisant avait-il grimpé dans le clocher avec l'intention de troubler le saint office par ce moyen ridicule.
  Quelques hommes se levèrent et sortirent pour identifier le coupable.
  À peine étaient-ils dehors qu’ils poussèrent de grands cris :
— Venez voir ! Vite !..
  Tous les fidèles, intrigués, quittèrent alors leurs bancs et se précipitèrent sur le parvis de l’église.
Note: Breton invente les cris, et reprend la précipitation des fidèles du récit du Speculum Regale, où le navire est visible.
  Ce qu'ils virent les stupéfia : la corde à laquelle était attachée l’ancre montait vers le ciel et son extrémité disparaissait dans les nuages.
Note: cette fois Breton reprend le récit des Otia imperialia où le navire est invisible.
  Croyant à un miracle, les bonnes gens s’agenouillèrent et récitèrent leurs patenôtres. Peut-être pensaient-ils que le Seigneur, dans Son infinie bonté, cherchait, par ce moyen nouveau, à agripper quelques élus pour les attirer tout vivants dans son paradis. Ne s’était-il pas présenté jadis comme un pêcheur d'hommes ?
Note: récit garanti Breton à 100%.
  Tandis que la foule priait, l'ancre se balançaït toujours, cognant de-ci, de-là, dans les pierres de la façade, rebondissant sur une corniche ou éraflant une statue, jusqu’au moment où elle s’immobilisa, accrochée à la voussure du portail.
Note: Ni les Otia imperialia, ni le Speculum Regale ne citent cette promenade de l'ancre, mais ça fait plus vivant.
  La corde alors se tendit, comme si le Seigneur, du haut du ciel, éprouvant une résistance, tirait fortement pour remonter son ancre.
  Très impressionnée, la foule des fidèles à laquelle s'était joint le clergé bourdonnait d’oraisons lorsque, soudain, un grand coup de vent dispersa les nuages qui couvraient la ville depuis le matin.
  Des cris s’élevèrent :
  — Regardez ! Regardez !
  Là, au-dessus de l’église, à environ soixante pieds, une espèce de vaisseau flottait littéralement dans l'air. Et ce vaisseau avait à son bord un équipage. On distinguait, en effet, très nettement, des êtres penchés sur le bastingage qui tiraient la corde et s’efforçaient de dégager l’ancre, toujours coincée dans l’ornement du portail. Tous semblaient fort embarrassés par l'incident qui les immobilisait. On les voyait discuter en faisant de grands gestes ; mais, très curieusement, leurs voix ne parvenaient en bas que fort étouffées.
Note: Et voila! Grace à un coup de vent sorti de son outre d'Eole personnelle, Breton peut unifier les récits des Otia imperialiaet du Speculum Regale.
  Tout à coup, les fidèles assistèrent à une scène ahurissante : l'un des « marins aériens », sautant du vaisseau, plongea dans le vide et descendit vers l’église en « nageant » à la façon des pêcheurs de perles.
  Lorsqu'il atteignit le portail, la foule, apeurée, courut se réfugier dans la nef.
Note: Invention malencontreuse: tous les récits précédents disent que les gens essayèrent de le saisir.
L'homme se mit alors en devoir de dégager l’ancre en s’aidant d’une espèce de poignard. Tandis qu’il œuvrait ainsi, quelques paroissiens sortirent sans bruit, s’approchèrent de lui et le ceinturèrent. Le curé les rejoignit. Voyant que le « marin » avait l’air de suffoquer comme un poisson hors de l’eau, il fut pris de pitié et exigea qu'on lui rendît immédiatement la liberté. Ce qui fut fait.
Note: comme Charroux, Breton se contente d'un curé, alors que dans le Speculum Regale, il s'agissait d'un évêque.
  Aussitôt, l'étrange personnage remonta vers le vaisseau dans lequel ses compagnons l’aidèrent à se hisser.
Note: Breton préfère la version du Speculum Regale à celle des Otia imperialia, où l'homme meurt.
  Les fidèles avaient repris leur place sur le parvis. De nouveau, le nez en l'air, ils surveillaient le navire qui se balançait doucement sur des vagues invisibles. L'équipage avait disparu. Sans doute s’occupait-on du plongeur qui était remonté mal en point.
  Au bout d’un quart d'heure environ, un homme apparut sur le pont, armé d’une hache. Il marcha le long du bastingage, jusqu’à la proue. Là il cracha dans ses mains et, d’un coup sec, coupa la corde qui retenait l’ancre. Alors, le vaisseau, libéré de son entrave, glissa lentement vers l’ouest et disparut dans le ciel...
Note: récit garanti Breton à 100%, mais ça fait tellement vrai qu'on se croirait dans un film.
  Les habitants de Bristol ne le revirent jamais.
  Quant à l’ancre, elle resta longtemps accrochée au portail de l’église.
Note: mais la corde qui la tirait vers le haut étant coupée, elle aurait du tomber.
Jusqu'au jour où le comté de Gloucester fut balayé par une tempête qui souleva les toits, ébranla les maisons et la fit choir de sa voussure.
Note: Et voila, pour n'avoir pas compris que les ancres tombent, comme les pommes, Breton est obligé d'inventer une tempête.
Recueillie par le curé, elle fut portée chez un forgeron. Elle en ressortit, transformée en une croix que l’on érigea sur le parvis où elle témoigna, pendant des siècles, du passage merveilleux d’un étrange vaisseau venu du ciel...
Note: Dans le récit de Geoffroy du Breuil, le premier ou apparait l'ancre, on ignore ce quelle est devenue: Dans le récit des Otia imperialia, l'ancre est transformée en ferrures pour la porte de l'église. Dans le récit du Speculum Regale, l'ancre reste dans l'église. Breton est le premier à en faire une croix, qui ne peut plus rien témoigner du tout, sauf l'habileté du forgeron.

RÉPONSES À L’INCRÉDULE

— Bizarre ! Bizarre ! Où avez-vous trouvé cette histoire ?
— Elle est contée, à quelques détails près, par plusieurs chroniqueurs qui, d’ailleurs, ne la situent pas tous au même endroit. Mais les faits sont rigoureusement les mêmes. Celui qui nous donne le plus d'indications est Gervais de Tilbury, dans son Otia Imperialia. Gervais de Tilbury était originaire de l’Essex. Il fut nommé maréchal du royaume d’Arles vers 1191. Il avait alors quarante ans.
Son œuvre est dédiée à l’empereur Othon IV de Brunswick, empereur germanique qui régna de 1209 à 1214, année où il fut vaincu à Bouvines par Philippe Auguste. C’est dans le livre I, chapitre XIIL, intitulé De mari, qu'il raconte cette histoire de vaisseau du ciel. Tout un passage est d’ailleurs consacré à ce qu’il appelle « les mers d’en haut ».
Note: le faits ne sont pas les mêmes, puisque dans les Otia imperialia, le navire est invisible, le marin meurt, et l'ancre est transformée en ferrures, alors que dans le Speculum Regale, le navire est visible, le marin regagne le bord, et l'ancre reste dans l'église.

— Que faut-il en penser ?
— Il est difficile de porter un jugement sur un récit qui correspond à d’autres mentalités que les nôtres. Le vocabulaire même ne correspond pas à celui que nous employons. Que peuvent désigner les chroniqueurs du XIII* siècle par « vaisseau du ciel » ? De même, nous ignorerons toujours ce qu’ils entendaient par les « mers d’en haut »...
Note: à signifie simplement qu'à l'époque on croyait à l'existence d'un océan aérien, au dessus de notre atmosphère, pour lequel notre air était comme l'eau pour nous.

— Vous considérez donc qu'un tel fait, pour aussi extraordinaire qu'il paraisse, peut être vrai ?
— Entendons-nous : je crois que le récit de Gervais de Tilbury est le reflet d’un événement authentique. D'abord parce que l’histoire avec ses quatre éléments principaux : 1) l'apparition d’un bateau volant ; 2) l’ancre qui s'accroche au portail d’une église ; 3) le « plongeur » qui tente de la libérer ; et 4) l'intervention du forgeron, est racontée par de nombreux chroniqueurs.
Note: Mais il ne s'agit pas de chroniqueurs, à l'exception de Geoffroy du Breuil, qui était chroniqueur, mais qui a inclus dans sa chronique un évènement dont il n'avait pu connaitre que la rumeur. Et dans son récit, il n'y a ni évèque, ni forgeron. Cette histoire qui réapparait épisodiquement en changeant de localisation est typique d'un réécriture d'un récit antérieur, ce qui s'apparente à de la rumeur écrite, comme en feront plus tard les auteurs de "canards".
Ensuite, parce qu’elle se retrouve, avec les mêmes détails, dans des légendes. Or, les légendes, vous le savez, contiennent presque toujours un fond de vérité. Certains folkloristes vont même jusqu’à soutenir qu’il n’en existe aucune qui soit complètement inventée. On peut donc penser qu'il s’est réellement passé quelque chose d'étonnant, quelque chose qui a frappé les esprits et dont le récit s’est transmis par tradition orale dans toute l’Angleterre, et même en Irlande.
Note: Voila qui est peu fort! La preuve de la réalité du fait, c'est qu'on le retrouve dans les légendes. Tout ce que ça prouve, en fait, c'est qu'à l'origine, il y eut des gens qui crurent voir quelque chose d'étonnant.

— Mais quel serait donc l'engin mystérieux que ces gens des temps anciens auraient pris pour un vaisseau naviguant dans le ciel ? Un de vos chers Ovnis ?
— Pourquoi pas ?
Note: Pourquoi pas non plus un tapis volant? Un OVNI étant un objet non identifié, il est absurde de s'en servir pour identifier quoique ce soit.

— J'étais sûr de votre réponse.
— Ne souriez pas ! Souvenez-vous plutôt des apparitions d'objets volants dans le ciel du Moyen Âge que Louis Pauwels et moi avons rapportées dans un précédent ouvrage”.
Note: A ce détail près que ces apparitions n'existaient que dans cet ouvrage.

— En admettant même cette hypothèse, il reste deux détails fort étranges : 1) l'ancre. On n'a jamais signalé de soucoupe volante munie d’une ancre. Et 2) le personnage qui plonge dans l’air et qui suffoque au bout d’un moment. Avez-vous une explication ?
— Aucune. Je me contenterai de vous citer une phrase d’un chroniqueur anonyme à qui nous devons une autre version de notre histoire. Il écrit : « L'homme semblait ne pas pouvoir respirer, comme s’il était étouffé par notre air grossier ainsi qu’un naufragé est étouffé par la mer. »
Note: il ne s'agit pas d'un chroniqueur, ce texte est repris de Michel Bougard, qui le tenait manifestement de H.T.Wilkins, qui ne donna pas sa source,mais situe l'incident à Gravesend, alors qu'en 1843, une histoire de Gravesend remontant à l'antiquité ne le mentionne pas.

— Étrange. Car s'il avait été habitué à une autre atmosphère, il aurait porté un scaphandre à la façon de nos cosmonautes… Et puis, quelle curieuse façon de se mouvoir dans l’espace...
— Je vous signale que dans les Mirabilia Hiberniae, manuscrit du XII siècle conservé à la Bibliothèque nationale, il est question d’un roi et d’une armée entière qui voient apparaître un « vaisseau volant » d’où part une espèce de « javelot » qu’un « navigateur » vient reprendre en « nageant dans l'air ».
Note: les Mirabilia Hiberniae parlent bien d'un vaisseau volant et d'un javelot, mais pas d'une armée.

— Autre sujet d'étonnement : ces êtres ne semblent pas se soucier des hommes qui se trouvent au-dessous d'eux. On a même l'impression qu'ils ne les voient pas.
— Vous avez raison. Et David R. Haffner écrit à ce sujet : « Tout se passe comme si ces personnages vivaient dans un autre monde et que nous nous trouvions, par rapport à eux, dans un au-delà invisible. »
Note: mais il en serait de même dans un roman.

— Extraordinaire hypothèse !
— Haffner ajoute : « Maïs tout comme les morts nous voient (selon les théories spirites), nous voyons ces êtres et pouvons même les toucher, ce qui semble avoir été le cas si l'incident du « plongeur » ceinturé par les fidèles de Bristol est bien authentique... »
Note: il y a là une incohérence, car ce sont ces êtres qui devraient nous voir, et pas l'inverse.

— Des chroniqueurs français ont-ils signalé l'apparition de vaisseaux volants au-dessus de notre pays ?
— Bien sûr ! Et Agobard, qui était évêque de Lyon au IX siècle, nous apprend, dans un de ses ouvrages consacré au tonnerre et à la grêle, que les gens de son époque croyaient que ces calamités étaient causées « par les habitants de Magonia, contrée du ciel d’où viennent les vaisseaux que l’on voit dans les nuées… ». Ces vaisseaux volants sont d’ailleurs mentionnés dans des actes officiels de l’époque, les Capitulaires de Charlemagne. Plus tard, Montfaucon de Villars parlera également de « navires aériens d’une structure admirable dont la flotte voguait au gré des zéphyrs ».
Note: Nous voila en pleine fable. Agobard n'a jamais dit qu'on voyait des vaisseaux dans les nuées, mais que le peuple le disait. Ces vaisseaux ne sont absolument pas mentionnés dans les capitulaires de l'époque, que Breton n'a jamais lu. Quant à Montfaucon de Villars, son récit est une fiction parodique.

— S'il s’agit d’un phénomène de contact fortuit entre deux univers parallèles, comme semble le penser Haffner, pourquoi ne voit-on plus, aujourd’hui, de ces vaisseaux dans le ciel ?
— N’en sachant pas plus que vous, je vous répondrai par cette pensée de Chesterton : « Éloignez-vous des hommes qui prétendent répondre à toutes les questions. Ce sont des ignorants ou des imbéciles. »
Note: Eloignez aussi de ceux qui racontent des faits auxquels ils ne connaissent rien. Ce sont des fous ou des charlatans.

SOURCES
DAVID R. HAFFNER, Les Univers parallèles.
GERVAIS DE TILBURY, Otia Imperialia, publié par Leibniz dans ses Scriptores rerum Brunswicensium illustrationi inservientes, Hanovre 1707-1711, vol. I et II.

Note: On ne trouve aucune trace des univers parallèles de David R. Haffner, que Google ne trouve que chez Guy Breton. Quant à la référence des Otia Imperialia, de Gervase of Tilbury (et non Gervais de Tilbury), elle est recopiée du texte de Michel Bougard, sans que Breton en ait lu le texte: Il le confond avec celui du Speculum Regale, et le texte est d'ailleurs en latin.


SOURCE: Guy Breton, Louis Pauwels, HISTOIRES FANTASTIQUES, Albin Michel, 1983

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