La propagation rectiligne des bobards
Jacques Bergier |
Le rôle de Jacques Bergier en ufologie est controversé. Il faut dire qu'il croyait aux extraterrestres, mais pas aux "soucoupes volantes", ce qui peut paraître étonnant pour le grand public, habitué à identifier les éventuels OVNIs à des engins extraterrestres. Mais aujourd'jui, on admet que les engins extraterrestres ne sont jamais qu'une hypothèse, même si certains lui accorde une probabilité écrasante. On peut donc croire à l'un sans croire à l'autre, et même considérer Jacques Bergier comme un précurseur.
Donc, Jacques Bergier ne croyait pas aux soucoupes volantes, mais il admettait, bien sûr, que des témoins croient en voir. Simplement, pour lui, il s'agissait d'erreurs d'observations, souvent démystifiées trois numéro plus tard, par le journal qui les avait mentionnées.
Mais que pensait-il de la théorie de l'orthoténie, énoncée par Aimé Michel, qui prétendait conforter l'existence des soucoupes volantes en montrant que les observations de soucoupes volantes se disposent en ligne droite?
Hé bien, si l'on en croit Henry Durrant (Didier Serres pour les intimes), Jacques Bergier aurait dit:
"Il a découvert la loi de la propagation rectiligne des bobards » (Les dossiers des OVNI, p. 215)
Notons qu'on ne trouve guère d'autre source qu'Henry Durrant pour cette supposée boutade, dont nous allons voir qu'elle est plus sérieuse qu'elle n'en a l'air.
Mais surtout, Aimé Michel a prété un rôle à Jacques Bergier dans la genèse de la théorie de l'orthoténie.
Aimé Michel a raconté comment il fit cette découverte, en ayant pointé sur une carte les observations bourguignonnes:
De Poligny jusqu'à un point situé un peu au sud de Gueugnon, en Saône-et-Loire, cinq punaises présentaient une disposition rigoureusement rectiligne sur une distance de 130 kilomètres. Le long de cette ligne se situaient successivement d'est en ouest les observations du Bois de Poligny, de Saint-Germain-du-Bois, de Saint-Romain-sous-Gourdon, de Ciry-le-Noble (Départementale 60), et enfin du Bois de Chazey (Dépale 25).
... J'étudiai alors cette ligne droite de 130 kilomètres : l'alignement, absolument rigoureux pour le Bois de Poligny, Saint-Germain, Saint-Romain et Chazey, présentait un écart de quelques centaines de mètres pour l'observation de la Départementale 60 : la ligne passait un peu au sud de l'endroit où se trouvait le témoin. Or, précisément, ce témoin déclare que « l'engin le survola légèrement sur la droite (il roulait d'ouest en est : sa droite est donc le sud) à basse altitude, et poursuivit sa route vers l'ouest (exactement l'orientation de la ligne).
(SOUCOUPES VOLANTES: l'étrange découverte d'Aimé Michel, Science & Vie, n° 485, p. 29)
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Reportons tout ceci sur une carte
A en croire l'auteur l'alignement est donc bien rigoureux. Mais l'est il vraiment? Il faudrait connaitre l'emplacement exact des témoins.
Voyons cela sur sur une carte à plus grande échelle.
Gueugnon
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Ciry le noble
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St Romain sous Gourdon
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St Germain du bois
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Poligny
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Les tracés en mauve, montrent l'emplacement possible du témoin.
On voit qu'à Gueugnon, l'incertitude n'est que d'une centaine de mètres, car le témoin a donné un détail topographique (la dernière ferme avant la route nationale) qui permettait de le situer.
Par contre à St Romain sous Gourdon, on ne sait pas où se trouvait le témoin. On sait seulement qu'il se trouvait sur la route qui mène aux Brosses Tillots, et alors qu'Aimé Michel parle d'un alignement rigoureux, l'incertitude fait bien deux kilomètres.
Sur la D60, on remarque un endroit où la route est exactement sur l'alignement, en sorte que, contrairement à ce qu'affirme Aimé Michel, le témoin était peut être juste sur l'alignement.
Enfin à Poligny, et à St Germain, on ne sait pas où se trouvaient exactement les témoins.
Au final, comme pour tous les alignements trouvés par Aimé Michel, il faut un "couloir" d'au moins deux kilomètres de large, et même plutôt trois pour y faire rentrer tous les points d'observation.
Cet alignement "Michélien" fut ensuite baptisé "CHAPO" (Chazey - Poligny", par Jacques Vallée.
En dépit de la largeur des couloirs nécessaires, Aimé Michel alla plus loin: il découvrit que le recoupement de certains alignements formait des "étoiles". Il explique que cette possibilité lui avait été suggérée par Jacques Bergier:
A l'époque où les premiers cas d'alignements venaient de se révéler à mes yeux, le savant et écrivain scientifique Jacques Bergier, à qui j'avais montré ce curieux phénomène me dit:
« Ce qui serait amusant, ce serait de trouver un jour quelque chose comme ceci. »
Et il traça, sur la nappe où nous déjeunions, une dizaine de lignes droites se coupant au même point, et présentant l'image d'une toile d'araignée, ou d'une roue avec des rayons.
« L'intérêt de cette disposition, ajouta-t-il, serait double. Tout d'abord, du point de vue mathématique, il y aurait une jolie démonstration de répartition non aléatoire. Supposez en effet que vous trouviez d'abord deux alignements. Ou bien ils sont parallèles, ce qui serait intéressant, ou bien ils se coupent. Prenons ce dernier cas et supposons que vous trouviez un troisième alignement. Quelle chance a-t-il de rencontrer par hasard les deux autres à leur point d'intersection? Une chance pour ainsi dire nulle. Mais si pendant une journée vous trouvez par exemple une doueaine d'alignements, et qu'ils se coupent trous au même endroit, alors, on s'amuserait vraiment. »
(Aimé Michel, Mystérieux Objets Célestes, Arthaud 1958, p 173)
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Aimé Michel dit aussi que Jacques Bergier lui aurait signalé l'existence d'un septième cas d'observation, au Portugal, sur l'alignement Bayonne-Vichy, qui en comptait déjà six. En fait, non seulement ce cas se situait à plus de 40 kilomètres de l'alignement, mais il fut démystifié le lendemain de sa parution.
Enfin, pour bien démontrer que l'alignement des observations prouve la matérialité des "soucoupes volantes", Aimé Michel affirma péremptoirement:
l’alignement aléatoire d’un phénomène psychologique a une probabilité nulle.
(Aimé Michel, Mystérieux Objets Célestes, Arthaud 1958, p 128)
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Nulle? Voire...
Nous pouvons constater avec les observations du 3 octobre 1954, que les confusions lunaires s'alignent tout aussi bien que les observations restées non identifiées.
Mais allons plus loin. Quel phénomène est plus psychologique qu'une psychose de sorcellerie, au XVIIe siècle?
Il semble difficile de trouver mieux, sauf à sombrer dans la paranoia. Hé bien nous allons voir que les cas de psychose s'alignent tout aussi bien, et même beaucoup mieux:
Nous avons trouvé, en effet, une psychose de sorcellerie, ayant sévi dans le cambrésis (notre région) au XVIIe siècle. Cette psychose est mentionné dans l'ouvrage "Prophètes et sorciers dans les Pays Bas , XVIe-XVIIIe siècle", de Marie-Sylvie Dupont-Bouchat, Willem Frijhoff et Robert Muchembled.
Or, les auteurs donnent une carte où apparaissent les communes où la psychose a été intense, et cette carte montre un phénomène aussi inattendu que celui que crut trouver Aimé Michel..
Ces six foyers de psychose de sorcellerie sont disposés d'une façon curieuse: quatre paraissent alignés.
Traçons la ligne qui joint les églises de Hem-Lenglet et de Bazuel sur une carte Michelin
Elle a l'air de passer "pile poil" sur les communes de Rieux-en-Cambrésis et Quiévy.
Vérifions sur sur une carte à grande échelle.
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Rieux-en-Cambrésis
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Quievy
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Bazuel
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La précision est étonnante: le "couloir" nécessaire ne fait que quelques dizaines de mètres. Presque cent fois moins que les couloirs Michéliens.
Il faut bien se rendre à l'évidence: contre toute attente, les phénomènes s'alignent d'autant mieux qu'ils sont plus psychologiques.
On pourrait donc énoncer ainsi, la loi de la propagation rectiligne des bobards:
La précision de l'alignement des phénomènes est directement proportionnelle à leur irréalité.
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Jacques Bergier s'en serait probablement amusé, mais ce pauvre Aimé Michel doit s'en retourner dans sa tombe...
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