CAMILLE FLAMMARION
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LES
TERRES DU CIEL
VOYAGE ASTRONOMIQUE
SUR
LES AUTRES MONDES
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LIVRE V
LA LUNE, SATELLITE DE LA TERRE
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CHAPITRE III
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GEOLOGIE LUNAIRE - LES RAINURES
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   On se formera une idée exacte de la nature des terrains lunaires par l'admirable photographie que nous avons reproduite sur notre planche VI; elle est due au talent et à la longue persévérance de Nasmyth, et est extraite du magnifique ouvrage que nous avons déjà signalé plus haut à l'attention de nos lecteurs. Ne dirait-on pas, à l'aspect de cette photographie, que l'on est transporté en ballon à quelques lieues seulement au-dessus du sol lunaire, et que de là nous en saisissons dans tous ses détails le relief si étrange? Chaque cirque, chaque cratère, chaque crête de la chaîne de montagnes, chaque rocher, pour ainsi dire, est visible, non seulement par lui même, mais encore par l'ombre qu'il projette à l'opposé de l'éclairement solaire. L'astre du jour, élevé depuis peu au-dessus de l'horizon de gauche, éclaire le relief du sol par ce côté, et les ombres se projettent sur la droite en s'allongeant sur le terrain, comme nous le yoyons: ici au soleil levant et au soleil couchant. La grande chaîne qui s'étend sur la région supérieure et tout l'angle gauche de la photographie est la plus élevée et la plus accidentée des chaines de montagnes lunaires: c'est la chaîne des Apennins qui ne mesure pas moins de 720 kilomètres de longueur, et dont les plus hauts sommets dépassent 6000 mètres de hauteur. Le terrain s'élève insensiblement, comme on le voit, à partir du nord-ouest, et atteint de montagne en montagne ces hauteurs formidables qui surplombent à pic la plaine où l'on voit s'allonger leurs ombres. C'est assurément là une des scènes les plus grandioses et les plus sublimes de la nature lunaire... Combien de fois ne suis-je pas resté l'œil attaché au télescope, pendant des heures entières, dans les soirées qui avoisinent le premier quartier, en contemplation et presque en extase devant cette merveille éblouissante, apparaissant précisément telle qu'on la yoit ici photographiée, et attirant invinciblement l'œil et la pensée sur ce grand spectacle, vu de trop loin encore!

   Au nord des Apennins, le grand cratère béant qui domine est Archimède (54e de notre carte). dont le diamètre est de 83 kilomètres et la hauteur de 1900 mètres. A côté de lui on remarque deux autres cratères: le premier, à l'ouest (le supérieur), est Aristillus, le second, au-dessous, est Autolycus (comparer cette région sur notre carte de la Lune).
   Cette même photographie montre les rainures bizarres qui se sont ouvertes à travers certaines plaines lunaires. L'une commence au rempart sud d'Archimède et s'étend à près de 150 kilomètres, d'abord large d'un kilomètre et dèmi, puis s'amincissant; l'autre commence de l'autre côté du même cratère et descend en serpentant vers le nord. Ces fissures ont plusieurs kilomètres de profondeur, et en certains endroits des éboulements en ont obstrué ie fond: leur chute est presque à pic. Deux autres rainures considérables filent le long des Apennins, au soleil comme à l'ombre des montagnes, etc. - Supposons qu'un voyageur, arrivant du petit groupe de montagnes situé à l'ouest de,ces deux cratères, pense traverser la plaine pour arriver entre eux et continuer son chemin par le nord d'Archimède pour se rendre vers le cratère Ératosthènes qui borde l'est (droite) de notre photographie. Le voilà tout à coup arrêté par un abime de 1300 mètres de large! Quel détour ne devra-t-il pas faire pour le con- tourner! Et quel autre détour ne devra-t-il pas subir encore lorsqu'en arrivant au nord d'Arçhimède, il trouvera à ses pieds un autre précipice non moins formidable!
   Que l'on juge, du reste, de l'importance de tous ces accidents de terrain par l'échelle kilométrique tracée au bas de notre photographie!


(1) THE MOON, considered as a Planet, a World, and a Satellite. by J. Nasmyth and Carpenter. London, John Murray 1874.