1730 Le père de Colonia n'a rien compris d'Agobard
Chapitre II. SAINT AGOBARD
§ IV.
On doit placer au nombre des écrits les plus curieux & les plus sensez, celui que publia. saint Agobard , au sujet des tempêtes & des orages mêlez de grêle , que le voisinage du Mont-Pila , & les vapeurs de nos deux rivieres retenuës par les montagnes de Forets & par les Alpes les plus proches, ne nous attirent que trop souvent. C’étoit ici un entêrement général que ces tempêtes étoient uniquement l’ouvrage des Sorciers du Païs, qu‘on regardoit comme de vrais tirans de l’air , qui faisoient à leur gré tomber la grêle fur les bleds & fur les fruits de la campagne. Le nom qu’on leur donnoit vulgairement , marquoit l‘idée qu’on en avoit. Ils étoient nommez Tempestarii , c’est-à-dire faiseurs de tempêtes ; & les orages qu’ils excitoient toutes les fois qu‘il leur plaisoit , êtoient nommez aura levatitia. Car il faut se souvenir que la langue latine étoit encore en ce tems-là la langue du peuple. Ce ne fut guère qu’après le milieu de ce neuvième siecle qu‘elle commença à se corrompre tout-à-fait , & que les mots Latins prirent une terminaison Françoise. On apperçoit déja des vestiges sensibles de cette corruption dans la lettre qu’Elipand de Tolède avoir écrit quelques années auparavant en faveur de son systême Nestorien & de celui de son ami Felix d’Urgel.
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* credunt et dicunt quamdam esse regionem, quae dicatur Magonia, ex qua naves veniant in nubibus, in quibus fruges, quae grandinibus decidunt, et tempestatibus pereunt, vehantur in eamdem regionem, ipsis videlicet nautis aereis dantibus pretia Tempestariis...
** vidimus plures in quodam conventu hominum exhibere vinctos quatuor homines, tres viros, et unam feminam, quasi qui de ipsis navibus ceciderint quos... exhibuerunt in nostra praesentia, tanquam lapidandos Agob. contra insulsam opinionem de grandine & tonitruis initio |
Au reste ce n’étoit point à pure perte pour eux que nos Sorciers * nous causoient ici tant de dommages. Ils sçavoient bien , disoit-on , mettre a profit les malheurs publics. Tous les fruits que la grêle avoit abbatus , leur appartenoîent de plein droit. Ils les faisoient passer dans une region éloignée qu‘on nommoit Magonie , où ils les vendoient aux gens du Païs. Ils se servoient de certains vaisseaux Aëriens & de Pilotes de même espéce, pour les y transporter. Rien de plus rare que l‘avanture que nous raconte là-dessus saint Agobard , dans le Traité dont nous parlons. Quatre de ces Sorciers ** Aëriens se laisserent un jour tomber ici , je ne sçai par quelle avanture ; c‘étoit trois hommes & une femme. Le peuple accourut , les saisit , les traîna en prison, & voulut les lapider. Saint Agobard les ayant examinez avec soin, les fit mettre hors de cours & de procez. Et ce fut à cette occasion qu‘il publia son ouvrage sur la grêle & le tonnerre. Il y démontre aux Lyonnois ce que Saint Augustin , qu‘il avoit beaucoup lû , avoit déja démontré contre les Manichêens: que le mal Physique , comme la grêle , la disette , & les maladies , entre dans les vûës & les dispositions de la Providence , tout comme le mal moral : mais avec cette difference que Dieu ordonne le premier & permet simplement le second.
Cet ouvrage d‘Agobard êtoit alors fort nécessaire. La noblesse , dit-il, aussi bien que le peuple ; les gens de la Ville , comme ceux de la Campagne, avoient donné dans cette grossiere illusion.
Les Freres de la Rose-Croix , & les autres Cabalistes , dont les visions se reveillent aujourd‘hui , & recommencent à gâter les esprits foibles , n’ont pas laissé tomber cette avanture de Lyon. Ils l’ont mîse en oeuvre pour autoriser leurs chiméres. Le Comte de Gabalis , en la racontant à son nouvel adepte, y traite d‘incredule saint Agobard , parce qu’il n‘avoit pas voulu croire , comme tous les honnêtes gens de Lyon le croyoient, que ces hommes aériens tombez du Ciel , étoient des Ambaffadeurs envoyez par les Sylphes , pour lier commerce avec, les hommes , & pour s‘immortaliser par leur moyen. Mais ce Comte Allemand n’étoit pas bien au fait de nôtre Histoire , quand il a dit qu’Agobard étoit Archevêque de Lyon sous Charlemagne & qu‘il avoit été Moine. Il ne le fut jamais & il ne fut Archevêque que du tems de Loüis le Debonnaire. |
SOURCE: Père De Colonia, Histoire littéraire de la ville de Lyon, F. Rigollet, 1730, p. 111
Remarques:
Nous plaçons ce récit dans le courant anecdotiste plutôt qu'historique, car s'il insiste sur l'anecdote, il ne respecte pas complètement le texte d'Agobard.
Par ailleurs, l'auteur prend le comte de Gabalis pour un comte allemand et réel, bien qu'insuffisamment instruit, alors que c'est un personnage fictif.
De plus, il est mal placé pour critiquer, puisque lui-même, tout en citant (mal) le texte d'Agobard, n'y a rien compris: Il semble croire que quatre occupants d'un navire aérien tombèrent réellement à Lyon, alors qu'Agobard dit bien que ceux qui l'avaient prétendu se trouvèrent confus comme un voleur surpris.
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