62 Sénèque expose les superstitions de ses ancètres
VI Non tempero mihi quo minus omnes nostrorum ineptias proferam. Quosdam peritos observandarum nubium esse affirmant et praedicere cum grando ventura sit. Hoc intellegere usu ipso potuerunt, cum colorem nubium notassent, quem grando totiens insequebatur. Illud incredibile, Cleonis fuisse publice praepositos chalazophylacas, speculatores venturae grandinis. Hi cum signum dedissent adesse jam grandinem, quid expectas? ut homines ad paenulas discurrerent aut ad scorteas? Immo pro se quisque alius agnum immolabat, alius pullum: protinus illae nubes alio declinabant, cum aliquid gustassent sanguinis. Hoc rides? Accipe quod magis rideas: si quis nec agnum nec pullum habebat, quod sine damno fieri poterat, manus sibi afferebat, et, ne tu avidas aut crudeles existimes nubes, digitum suum bene acuto graphio pungebat et hoc sanguine litabat; nec minus ab hujus agello grando se vertebat quam ab illo, in quo majoribus hostiis exorata erat. |
VI. Je ne puis m'empécher de t'exposer toutes les sottises des notres. Ils affirment que certains sont experts dans l'observation des nuages et prédisent quand la grêle surviendra. Ils ont pu l'apprendre par l'expérience, en notant la couleur des nuages, que la grêle suivait si souvent? Fait incroyable, à Cléone il y avait des préposés publics, chalazophylaques, pronostiqueurs de la grêle. Au signal qu'ils donnaient de l'approche de la grêle, qu'attends tu? Que les gens couraient aux manteaux, aux couvertures? Non : chacun, selon ses moyens, immolait soit un agneau, soit un poulet; et vite, ayant goûté quelque peu de sang, la nuée glissait plus loin. Tu ris? Ecoute : tu vas rire plus encore. N'avait-on ni agneau, ni poulet; sans risquer de se faire grand mal, On portait la main sur soi-même. Et ne crois pas que les nuages fussent bien avides ou cruels : un poinçon bien affilé piquait le doigt jusqu'au sang, et telle était la libation. Et la grêle ne se détournait pas moins du champ de ce pauvre homme que de celui où de plus riches sacrifices l'avaient conjurée. |
VII Rationem hujus rei quaerunt: alteri, ut homines sapientissimos decet, negant posse fieri ut cum grandine aliquis paciscatur et tempestates munusculis redimat, quamvis munera et deos vincant. Alteri suspicari ipsos aiunt esse in ipso sanguine vim quandam potentem avertendae nubis ac repellendae. Sed quomodo in tam exiguo sanguine potest esse vis tanta, ut in altum penetret et illam sentiant nubes? Quanto expeditius erat dicere: mendacium et fabula est. At Cleonaei judicia reddebant in illos quibus delegata erat cura providendae tempestatis, quod neglegentia eorum vineae vapulassent aut segetes procidissent. Et apud nos in XII tabulis cavetur "ne quis alienos fructus excantassit". Rudis adhuc antiquitas credebat et attrahi cantibus imbres et repelli, quorum nihil posse fieri tam palam est, ut hujus rei causa nullius philosophi schola intranda sit. |
VII. On demande la raison de ces choses. Les uns, comme les plus sages, nient que quiconque puisse faire un pacte avec la grêle et se délivrer de l'orage par de petites offrandes, combien qu'elles vainquent les charges et les dieux. Les autres supposent dans le sang une vertu particulière qui détourne les nuages et les repousse. Mais comment si peu de sang aurait-il assez de force pour pénétrer si haut et agir sur les nuages? Il était bien plus simple de dire : Mensonge et fable! A Cléone, on rendait des jugements contre ceux qui étaient chargés de prévoir l'orage, lorsque, par leur négligence, les vignes avaient été ravagées ou les moissons renversées. Et, chez nous, les douze Tables ont prévu "que personne ne frappe d'un charme les récoltes d'autrui". Les ignorants anciens croyaient encore attirer et repousser les pluies par des chants, dont c'est tellement impossible, que pour la cause de ces choses, il ne faut entrer dans l'école d'aucun philosophe. |
SOURCE: Sénèque, Questions naturelles, livre IV
Remarques:
On voit que les superstitions sur la grèle et l'orage ne datent pas d'hier. La différence avec ce que racontera plus tard Agobard, c'est que les gens se protègent eux mêmes, sans avoir à payer un magicien, et qu'il n'est pas question de sorciers faisant tomber la grèle pour vendre les moissons abattues à des étrangers venus par la voie des airs.
Sénèque est d'ailleurs bien sévère avec les pronostiqueurs de grêle: Il n'est pas du tout absurde de prévoir la possibilité de grêle d'après l'aspect d'un nuage. Mais cela ne peut pas marcher à tous les coups, et les Cléoniens étaient eux aussi bien sévères de punir ceux qui n'avaient pas su prévoir la grêle. Ils auraient d'ailleurs tout aussi bien pu punir ceux qui n'avaient pas fait de sacrifice.
On voit aussi que, les crédules mis à part, apparaissent deux types d'explications pour ce phénomène apparemment impossible: la négation pure et simple, et la tentative d'explication physique. On retrouvera cette dualité deux millénaires plus tard.
Cependant Sénèque est bien optimiste de penser qu'on n'a pas besoin d'être instruit pour constater l'inanité de ces pratiques.
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