Les amis des visiteurs de l'espace
La longue attente
les habitants du soleil selon Boitard(1839) |
La croyance aux "hommes de l'espace" est apparu à la suite de la révolution Copernicienne. En effet, dans le système de Copernic, les planètes ne sont plus de simples luminaires mobiles décorant la voûte céleste, mais des astres comme la terre.
Après la révolution de l'astronomie instrumentale, initiée par Galilée, ces astres furent même des globes solides, avec tout au moins pour la lune, des plaines et des montagnes, voire des nuages. Elles pouvaient donc abriter selon la géniale anticipation de Lucrèce, "d'autres espèces vivantes", et pourquoi pas, d'autres humanités.
Dès le XVIIème siècle, la littérature s'empare du sujet et prends prétexte de voyages dans l'espace (le moyen important peu) pour apprendre au public l'humilité et le relativisme. C'est ainsi qu'on se mit à imaginer et à dessiner les habitants des autres planètes, de la lune, et même du soleil. Oui, du soleil, car certains pensaient au XVIIIème siècle que le soleil était à une température modérée, sa chaleur prenant naissance dans l'atmosphère terrestre.
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Les tentatives de "contact"
habitation de Jupiter selon Victorien Sardou |
N'était il pas dommage que nous ne puissions les rencontrer? Mais peut être pouvait on avoir des contacts? dialoguer?
Le télégraphe optique ayant fait ses preuves à l'époque de la révolution française, on imagina au début du XIXème siècle, de tracer dans le Sahara ou la Taïga, de gigantesques figures géométriques, qui puissent être vues de la lune, voire de Mars. En espérant bien sur que nos éventuels correspondants en comprennent le sens. On proposait, en particulier, de reproduire la figure du théorème de Pythagore
Ces projets (pharaoniques) n'eurent pas de suite, et les premiers "contacts" allégués vinrent d'une méthode moins coûteuse, mais aussi moins sûre: Les visions mystiques.
Les spirites "rationalisèrent" le procédé et utilisèrent l'écriture automatique et les tables tournantes pour bavarder avec leurs amis d'outre-espace. Il nous reste ainsi de curieux dessins médiumniques de Victorien Sardou
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Puis, le progrès des instruments d'optique permettant de mieux surveiller les planètes voisines, on découvrit de mystérieuses formations rectilignes sur Mars dans les années 1880. Mars était couverte de canaux! Puis on observa d'énigmatiques points lumineux. Pas de doute, les Martiens existaient, ils nous faisaient des signaux!
Arriva la TSF. Elle fit bientôt un médium très convenable: Dans l'entre deux guerres, on tenta de discerner des messages martiens dans le crachouillis des écouteurs.
le vénusien d'Adamski |
Et puis en 1947, on entra dans l'ère des "soucoupes volantes". On crut d'abord à des engins secrets. Mais, vers 1950, devant les performances alléguées de ces mystérieux "engins", on osa imaginer qu'ils venaient d'autres planètes. Mais alors? "Ils" viennent chez nous.
L'américain Van Tassel comprit que les E.T. pouvaient venir nous "contacter" à domicile. Il fit école.
C'est ainsi qu'un inoubliable 20 novembre 1952, un Vénusien blond nommé Orthon vint dans un réverbère à gaz volant de 35 cm, se lier d'amitié avec le "professeur" George Adamski. Il se parlèrent pas télépathie, mais l'information passa très bien, et permit à Adamski de raconter son aventure en 1953, dans "les soucoupes volantes ont atterri" (flying saucers have landed).
Hélas, on apprit plus tard que Vénus était un enfer à plus de 400°C, couvert de nuages d'acide sulfurique. Adieu les Vénusiens...
Néanmoins les « contactés » se multiplièrent, et curieusement, situèrent presque tous leur premier contact en 1953.
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"Ils" sont là!
Les "anciens" et les forts en histoire se souviennent peut être de la grande vague de "soucoupe volantes" qui submergea la France à l'automne 1954. Les journaux signalaient des dizaines d'observations par jour, et l'on estime que leur nombre total est d'environ 10000, dont furent 2000 publiées. Comme on entendait parler un peu partout d'atterrissages de "martiens", et que lors de leur première sortie, ils auraient paralysé le témoin, il se créa vite une psychose des "martiens", qui donna lieu à quelques "bavures"
A Sinceny (Aisne), un certain M. Faisant tira sur un "martien" qui réparait sa soucoupe, mais se révéla n'être que son voisin qui réparait sa voiture (et qui porta plainte)
A Walscheid (Moselle), des villageois armés vaille que vaille voulurent aller faire un sort à une troupe de "martiens", ... pour découvrir d'inoffensifs chrysanthèmes.
Là-dessus, le maire de Châteauneuf-du-Pape édicta un arrêté interdisant le survol de sa commune par les soucoupes, sous peine de mise en fourrière par le garde-champêtre.
A Montabon (Côte-d'Or), un cultivateur déchargea son fusil sur un "martien" narquois, qui n'était heureusement qu'un vieux tronc d'arbre, dont un ver-luisant figurait l'oeil.
A Tain-l'Hermitage (Drôme), un vigneron frappa jusqu'à lui décoller l'oreille, un autre "martien" qui n'était toujours qu'un de ses voisins (et qui dut consulter le médecin).
à Troussey (Meuse), les courageux habitants aidés de la maréchaussée capturèrent et ligotèrent un "martien" qui n'était qu'un betteravier polonais hirsute qui faisait du feu dans la campagne.
Toutes ces agressions soulevèrent l'indignation des aréanthropophiles (amis des Martiens).
A Bruxelles, Mr Marcel Rubens, ingénieur, créa fin octobre un "comité de réception pour les premiers martiens", dont la première réunion eut lieu de 5 novembre
A Voorburg, près de La Haye, M. Dorsman créa début novembre une association "soucoupes volantes" dans le même but.
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Fernando Sesma
Fernando Sesma (à droite) lors d'une réunion |
Le « professeur » Fernando Sesma Manzano (1908-1982), employé du télégraphe dans le civil, mais éminent spécialiste des sciences parallèles et perpendiculaires, ne pouvait rester indifférent à un tel climat. Il s'était déjà fait connaître par divers articles dans un journal local sur l'ésotérisme et les soucoupes volantes, en particulier à propos du contact de George Adamski avec son vénusien. Il créa donc lui aussi, à Madrid, la société des «amis des visiteurs de l'espace », (amigos de los visitantes del espacio).
Cette respectable assemblée commença par tenir ses séances dans divers café de Madrid, avant de se fixer au sous-sol de la brasserie « Leon », rue Alcalá, dans la salle dite de la "ballena alegre" (ainsi appelée parce qu'elle était décorée d'une fresque ou apparaissait une baleine hilare, que nous verrons plus bas. Vu ce qu'on entendait dans ces réunions, cxette hilarité se comprend...).
A peine était elle crée qu'elle eut entre les mains rien moins qu'un message des martiens tant attendus!
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La pierre mystérieuse
Alberto Sanmartin Comes |
la mystérieuse pierre |
En effet selon le quotidien "El Alcazar", le 17 novembre 1954, Alberto Sanmartin Comes, infirmier dans un hôpital pour aliénés, qui était parti se promener pour oublier son mal de dents, rencontra sur la route de la Corogne, un être étrange, vêtu comme un pilote, qui lui fit signe d'attendre, prit quelque chose dans sa soucoupe volante et lui confia avant de remonter dans son engin pour disparaître dans le ciel.
C'était une sorte de pierre, couverte de 9 signes. Un message des hommes de l'espace! Sesma invita Sanmartin à devenir membre à vie du comité directeur de la société.
Mais que signifiait le message? Les discussions allaient bon train chaque vendredi soir dans la salle de la "ballena alegre".
Le "professeur" Fernando Sesma Manzano, féru de cryptographie et de graphologie, proposa le déchiffrement suivant:
" Nous venons des hautes sphères célestes, vers votre monde divisé.
Bientôt l'arc du ciel s'unira à la droite terrestre. Mais, pour éviter le choc, il y aura une période de contacts préliminaires. L'union sera heureuse.
Vous vous appuierez sur nous et votre croix sera moins lourde à porter.
Vous surmonterez vos mauvais penchants quand nous nous abriterons tous sous un même toit.
Et vous connaîtrez enfin la paix. " (1)
Et tout cela, en 9 signes! Il était vraiment fort le "professeur" Sesma!
A noter qu'après plusieurs examens et analyses, la pierre semblait bien produite par l'industrie humaine.
D'autre part, on voit mal pourquoi des extraterrestres, censés être techniquement en avance sur nous, auraient utilisé une technique du temps des pharaons.
Mais puisque c'était un extraterrestre qui nous l'avait apporté, hein?
Hilare, la baleine, hilare...
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Sesma est enfin contacté
la baleine hilare du café Lyon |
Pouvait on aller plus loin? Fernando Sesma eut l'idée de reproduire les mystérieux signes de façon qu'il soient visibles du ciel. Une sorte d'accusé de réception pour les hommes de l'espace. C'est ainsi que, quelques années plus tard, renouant avec les méthodes imaginées au XIXème siècle, il traça ces signes sur le sol aux environ de la "Casa de Campo".
Son attente finit par être récompensée. Vers 1960, Il commença à recevoir des messages "télépathiques". Puis en 1962, il fut contacté par téléphone par un certain Saliano, de la planète Auco. Cet "extraterrestre" inonda bientôt Sesma et d'autres membres de sa société, de messages sybillins, voire absurdes. Cependant, ces messages furent lus religieusement lors des séances. (avec une baleine hilare en toile de fond).
Cette activité pittoresque rendit Sesma de plus en plus connu. Il le sera bientôt encore plus car, début 1965, il reçoit - toujours télépathiquement - la permission de publier ses contacts. Il publie alors: "Moi, le confident des hommes de l'espace" (Yo, confidente de los hombres del espacio).
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Les mystificateurs s'amusent
Pauvre "professeur" Sesma... |
Ainsi, fin 1965, tous ceux qui ont lu le livre de Sesma savent que sa naïveté en fait une proie rêvée pour les mystificateurs de tout poil. Les dits mystificateurs ne laisseront pas passer l'occasion, et le pauvre Sesma continuera d'engranger ses messages, en n'y voyant que du feu.
Le 2 août 1968, ils téléphonèrent pendant 20 minutes à Sesma pour lui laisser ces deux messages:
- "Ne cueille pas de roses avec trois mains, enterre plutôt ton pied dans le sable."
- "Les nuages couvrent la nudité de la jeune fille quand elle se prépare à tuer le cochon doré.".
Le sens de ces phrases sybillines étant tout à fait fortuit, il semble bien que les mystérieux correspondants de Sesma s'amusaient à dire n'importe quoi. Mais le pauvre Sesma marchait. Il essayait de trouver le sens de cette prose hermétique. Il interprétait ainsi la deuxième phrase: " Ils approuvent la lutte de la jeunesse contre la société de consommation. " (2)
On comprend mieux pourquoi Sesma recevait tant de messages. Il devait être connu à Madrid comme "le naïf aux extraterrestres". Pour le prix d'une communication téléphonique, les farceurs de la ville pouvait se payer du bon temps.
Fernando Sesma Manzano mourut avec ses illusions en 1982. Après sa mort, un dernier coup de téléphone dévoila le pot-aux-roses. Une astrologue confessa à José Luis Jordan Péña que c'était elle qui, avec un artiste peintre japonais (probablement pour son accent exotique), s'était amusée au dépens de Sesma en inventant Saliano).
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Notes et références
(1) FIF International Features. 317-29356.Communiqué de Martin Bernvelt, correspondant à Madrid.
(2) France-Soir, 8 août 1968.
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