2312 avant JC
Toute la Terre, Comète précédant le déluge
En réalité: Invention
Une comète (purement inventée) aurait précédé le déluge biblique, inspirant des théories catastrophistes jusqu'au 20ème siècle
Note: Les dates invoquées pour le déluge, s'étalent dans les différentes chronologies, sur près de 1000 ans, et ici, sur seulement 57, parce que les auteurs se recopient les uns les autres. Nous avons pris arbitrairement la date de 2312 av J.C. chez Eckstorm qui est le premier à la citer.

Une comète précédant le déluge? Ce devrait être écrit dans la Bible. Mais que dit la bible, du déluge proprement dit? Consultons le chapitre 7 de la Genèse. Seuls deux versets parlent de l'arrivée du déluge. Le reste est consacré à Noé et son arche.
Voici le texte original (qui se lit de droite à gauche)

Pour être sûr de ne pas être victime d'une erreur d'un traducteur, faisons appel à trois traductions de confessions différentes.

Voici la traduction juive du rabbinat (1902)
11 Dans l'année six cent de la vie de Noé, le deuxième mois, le dix-septième jour du mois, en ce jour jaillirent toutes les sources de l'immense Abîme, et les cataractes du ciel s'ouvrirent.
12 La pluie tomba sur la terre, quarante jours et quarante nuits.

la traduction protestante de Louis Segond (1910):
11 L'an six cent de la vie de Noé, le second mois, le dix-septième jour du mois, en ce jour-là toutes les sources du grand abîme jaillirent, et les écluses des cieux s'ouvrirent.
12 La pluie tomba sur la terre quarante jours et quarante nuits.

Et la traduction catholique du chanoine Osty (1970):
11. En l'an six cent de la vie de Noé, le deuxième mois, le dix-septième jour du mois, en ce jour-là, jaillirent toutes les sources du grand Abîme, et les fenètres du ciel s'ouvrirent.
12. Et ce fut la pluie sur la terre pendant quarante jours et quarante nuits.


Toutes ces traductions sont d'accord: Il n'est pas question de comète dans ce passage. On chercherait d'ailleurs en vain une comète dans la Bible. Aucun livre biblique ne parle de comète, ni d'astre chevelu. Ce n'est qu'à coup d'interprétations tordues qu'on en trouve.

1557, Conrad Lycosthènes ne mentionne pas de comète.

arc d'alliance avec Noé
On devine que si un auteur ancien avait mentionné une comète lors du déluge, Conrad Lycosthènes, grand amateur de prodiges bibliques devant l'éternel, n'aurait pas manqué de la citer. Or il ne parle pas de cette comète dans son Prodigiorum ac ostentarum Chronicon, de 1557, en mentionnant le déluge:

Anno Mundi 1656, Ante Christum 2307
Visitavit Deus iniquitatem populi, ac diluvio totum submersit mundum, posteaquam quadraginta diebus continuis magno cum impetu pluisset in terram.
Dieu vint voir l'iniquité du peuple, et noya le monde entier par le déluge, après qu'il eu plu sur la terre pendant quarante jours de suite avec une grande violence.
(Lycosthenes, p 2)
Note: Pas question de comète, et vu l'opiniatreté avec laquelle Lycosthenes avait rapporté tous les prodiges connus de son temps, on peut penser qu'en 1557, personne n'en avait encore parlé. Il montre d'ailleurs comme un prodige le banal arc-en-ciel que Dieu mit dans la nuée pour témoigner de son alliance avec Noé. Lycosthènes donne la date de 2307 av J.C, quand ses successeurs disent 2312, mais les dates de Lycosthènes sont systématiquement fausses.

1578, Tibianus sort une comète d'on ne sait où.
Johann Georg Schinbain, latinisé en Tibianus, inconnu des dictionnaires, nous a laissé Sternen oder Cometen Buch (Livre des étoiles ou des comètes), écrit en rimes et en langage populaire, qui mentionne les comètes de l'année biblique de la création à 1577.
Als Noach alt sechßhundert Jar/    Anno Mundi 1656
Stünd wider ain Comet embar.
Am dritten tag zuvor eh das
Mit tod abgieng Methusalahs.
Diser Comet der stünd im Visch/
Under dem Regiment Jovis.
In vier wochen mit seinem gang/
Er alle zaichen durchauß trang.
Man schreibt von ihm unfelbar gwiß/
Den sechßehenden Aprilis/
Sey er verschwunden uberal/
Darauff sey kommen vil unfal.

Alors que Noé avait six-cent ans
arriva de nouveau une comète
le troisième jour avant qu'advienne
la mort de Mathusalem.
cette comète se tint dans les poissons
sous la gouvernance de Jupiter
En quatre semaines de sa course
elle parcoutut tous les signes.
D'elle on écrit d'une infaillibilité certaine
que le seizième d'Avril.
Elle a disparu partout
Alors survint le grand désastre.

(Tibianus, 9e feuillet)
Note: On devine plutôt qu'on ne traduit le sens de cet allemand populaire du seizième siècle. Mais l'auteur ne manque pas d'air: "on écrit d'une infaillibilité certaine", alors que Tibianus ne cite pas sa source, et qu'on ne trouve cette histoire chez aucun auteur antique. C'est à croire qu'il l'a trouvé dans un vieux roman de chevalerie.

1579, Georgius Caesius mentionne la même comète.
Un an après Tibianus, Georgius Caesius, auteur de Catalogues nunquam antea visus, omnium cometarum, nous sort lui aussi cette comète, mais en latin. Il fait d'ailleurs une édition en allemand du même livre.
Anno Mundi 1656. aetatis Noah 600. tertia die ante mortem Mathusalah, Cometa toti mundo in signo piscium apparuit, quem omnia signa in 29. diebus percurrisse, et 16. aprilis evanuisse referunt.
Diluvium statim sequitur, quo universus periit orbis. Gen.7.

L'an 1656 de la création, Noé étant agé de 600 ans, on rapporte qu'une comète apparut au monde entier dans le signe des poissons, qui parcourut tous les signes en 29 jours, et disparut le 16 Avril.
Le déluge s'en suivit aussitôt, où le monde entier périt. Genèse, chapitre 7.
(Caesius, neuvième page)
Note: Ce "on rapporte" (referunt) est aussi éloquent que le "on écrit d'une infaillibilité certaine", de Tibianus: qui ça "on"? Georgius Caesius ne cite pas plus ses sources que Tibianus. Il se dispense de citer les témoins: ce fut l'humanité entière (toti mundo). Ben voyons, cette même humanité qui disparut avec le déluge. Mais alors quelles étaient ses sources? bien qu'il en donne quelques unes en vrac, en tête de son livre, dont Melanchthon, on ne trouve rien en les consultant. La seule chose qui soit sûre, c'est que sa source n'est pas Tibianus, car Caesius parle de vingt-neuf jours, contre quatre semaines chez Tibianus. Il est donc très probable que Tibianus et Caesius ont copié une même source d'une fiabilité infame, mais qu'ils jugeaient sûre.

1602, Abraham Rockenbach copie Caesius.
Le texte précédent va étre repris par Abraham Rockenbach, admirateur manifeste de Caesius, et d'ailleurs son émule, car lui non plus ne cite pas ses sources, tout en prétendant qu'elles sont les plus sures et les plus anciennes (En réalité ses sources étaient Lycosthènes et Caesius).
Anno a condito mundo, millesimo, sextentesimo, quinquagesimo sexto, postquam Noa annum aetatis sexcentesimum attigit, triduo ante obitum Mathusalem, Cometa in dodecatemorio piscium, a toto terrarum orbe, conspectus est, quid duodecim signa coeli, unius mensis spatio percurrit, decimoque sexto Aprilis die rursus evanuit. Post hunc, diluvium statim secutum est, in quo omnia viventia, humique serpentia animalia, Noa excepto, reliquisque creaturis, cum Noa in Arcam ingressis, suffocata sunt. De quibus Genesis, cap.7. scriptum est.
L'an 1656 de la création du monde, quand Noé atteint 600 ans, trois jours avant la mort de Mathusalem, une comète fut vue de toute la Terre dans le fuseau des poissons, qui parcourut en un mois les douze signes du ciel, et disparut le 16 avril. Après ceci s'ensuivit le déluge dans lequel toutes les espèces vivantes et rampant sur le sol, furent noyées, excepté Noé et le reste des créatures embarquées avec lui dans l'arche. De quoi parle la Genèse, chapitre 7.
(Rockenbach, p 114)
Note: Ce "de quibus", avec la référence, se rapporte à la dernière phrase où Rockenbach parle du déluge, et non à celle où il parle de la comète. Pour celle ci, la référence est manifestement Caesius. Le "fuseau" des poissons est la tranche d'un douzième de la sphère céleste contenant le signe des poissons.

1607, la même histoire est reprise par David Herlitz.
David Herlitz, latinisé en Herlicius, mathématicien (ce qui signifiait aussi astrologue), médecin, historien et même poète latin, reprend la même histoire dans un petit traité de 78 pages, composé à l'occasion du passage de la comète de septembre 1607:

Man list in den Historien, das im 600. Jahr des alters Nohae, in welchen die straffreiche Welt mit der Sündfluth vertorben, ein Comet in den fischen erschienen sey, unter der gubernation Iovis, der in 29. tagen alle Zeichen des Zodiaci durchgangen, und aller Welt erschienen sey.
On trouve dans l'histoire, que dans la 600e Année de Noé, époque où le monde criminel mourut avec le déluge, une comète apparut dans les poissons, sous la gouvernance de Jupiter, qui parcourut tous les signes du zodiaque en 29 jours et fut vue du monde entier.
(Herlicius, 18ème page)
Note: On remarque la mention de la planète Jupiter, ce qui signifie que le signe des poissons est sous la gouvernance de Jupiter, ou, en termes astrologiques, que ce signe est le "domicile" de Jupiter, où la planète exprime son plein potentiel. Bien entendu, Herlitz, ne cite pas ses sources, il cite l'Histoire. Sa référence à Jupiter est mentionnée par Tibianus, mais non par Caesius. Sa source est donc, soit Tibianus, soit la source commune à Caesius et Tibianus.

David Herlitz

1619, Conrad Dieterich inclut l'histoire dans son sermon sur les comètes:
Ich hab, da ich diese Predigt underhanden, so viel mir müglich gewest, nachgeschlagen, unnd befundeu, daß in dem 1656 Jahr nach Erschaffung der Welt, der erst Comet, so von Gelehrten notirt, erschienen, uff welchen die allgemeine Sündflut, darvon Genes.7. zulesen, erfolget.
J'ai, si j'ai bien compris le but de ce sermon, cherché et trouvé que l'an 1656 ans après la création du monde, la première comète, ainsi noté par les chercheurs, se présenta, d'où s'ensuivit le déluge universel, à lire dans le Genèse, ch.7.
(Dieterich, p 21)
Note: Nous ne sommes pas sûr d'avoir bien traduit ce texte, contenant des fautes d'orthographe, mais encore une fois, l'auteur ne donne aucune source.

1619, David Herlitz remet ça:
Man list in den Historien, das im 600. Jahr des alters Nohae, in welchem die straffreisse Welt mit der Sündfluth verdorben, ein Comet in den fischen erschienen sey, unter der Gubernation Jovis, welcher in 29. tagen alle Signa oder Zeichen des Zodiaci durchgangen, und aller Welt erschienen sey.
(Herlicius2, 24ème page)
Note: Ce n'est, en pratique, que le même texte qu'en 1607 avec une orthographe différente.

1621 Heinrich Eckstorm écrit, sur la foi de l'augure Herlitz:
Anno mundi 1657. h.e. ante C.N.2312. cum Noha natus esset annos 600. diluvium totam terram obruit. Apparuit tum Cometa in piscibus sub Iove, qui spacio dierum 29, omnia Zodiaci signa perlustravit. Refert D.David Herlicius in descriptione cometae A.C.1607. conspecti.
L'an 1657 de la création, c'est à dire 2312 avant J.-C., alors que Noé avait 600 ans, Le déluge recouvrit toute la terre. Une comète apparut alors dans les poissons sous Jupiter, qui parcourut dans l'espace de 29 jours tous les signes du zodiaque. le relate David Herlitz dans la description de la comète observée en 1607.
(Eckstorm)
Note: Eckstorm fait ici un raccourci qui va induire ses successeurs en erreur: il écrit sous [la gouvernance de] Jupiter, ce qui laisse penser que la comète parut dans le ciel au dessous de la planète Jupiter.

1668, Lubienietski copie Eckstorm.

Lubienietski
La même année qu'Hévélius, Lubienietski publie son Theatrum Cometicum
I Anno mundi 1657. hoc est, ante Christum natum 2312. cum Noha natus esset annus 600. diluvium totam terram obruit. Apparuit tum cometa in piscibus sub Jove, qui spacio dierum 29, omnia Zodiaci signa perlustravit. Eckstormius ex D.Herlicii Descriptione Cometae anno 1607. conspecti.
...
Nullus autem Auctorum, quos vidi, hun Cometam annotat, sed nec ipse Eckstormius an praecesserit, vel secutus sit diluvium.

I l'an 1657 de la création, c'est à dire, 2312 avant Jésus-Christ, alors que Noé avait 600 ans, le déluge recouvrit toute la terre. Une comète apparut alors dans les poissons sous Jupiter, qui parcourut dans l'espace de 29 jours tous les signes du zodiaque. Eckstorm d'après la Description de la comète de l'an 1607 de D. Herlitz.
...
Mais aucun auteur que j'ai vu ne signale cette comète, et Eckstorm lui même ne dit pas non plus qu'elle ait précédé ou suivi le déluge
(Lubienietski1, tome 2, p 3)
Mais à la fin de son livre, Lubienietski rajoute des notes, qu'il place en vrac, mais dans l'ordre des comètes mentionnées, pour ne pas avoir à refaire toutes les pages
pag.4. ejus videtur. Meminit hujus cometae diluvio prioris Caesius, Uttenhofferus & Mathematicus Noriberg. anonymus in Comment. de Cometa 1664. ita quidem ut tribus diebus mortem Mathusalem praecesserit, et d. 16. April. disparuerit. Sed nescio unde tam accurata rerum ante diluvium gestarum habeatur narratio, ut quo die hoc vel illud gestum ante diluvium fuerit, indicetur & determinetur.
Mentionnent cette comète d'avant le déluge, Caesius, Uttenhofer et le mathématicien anonyme de Nuremberg dans son commentaire sur la comète de 1664, de sorte qu'elle a certainement précédé de trois jours la mort de Mathusalem, et qu'elle a disparu le 16 avril. Mais je ne sais pas dans quelle mesure l'historique détaillé de ce qui s'est produit avant l'inondation montre quel jour, ou ce qui s'est passé avant l'inondation, est indiqué et déterminé.
(Lubienietski1, tome 2, p 441)
Note: Lubienietski consacre la légende de Jupiter surplombant la comète. Mais Lubienietski avoue qu'à part Eckstorm, Caesius, Uttenhofer et le mathématicien anonyme de Nuremberg, il n'a trouvé cette comète chez aucun auteur qu'il ait lu, ce qui nous évite de chercher chez des auteurs qu'il a consulté, mais nous permet de savoir qu'il n'a pas lu Tibianus, Rockenbach, Herlitz, ou Dieterich.

1668, Hévélius copie Rockenbach, Herlitz et Eckstorm.

Hévélius
Après tous ces "bons auteurs", le très sérieux Johannes Hévélius (Jean Hewelke, pour l'état civil), consacre l'histoire en 1668 dans sa Cometographia:
Anno Mundi 1656. Ante natum Christ. 2292
Anno Mundi 1656, triduo ante obitum Mathusalem, Cometa in dodecatemorio Piscium a toto terrarm orbe conspectus est, qui 12 coeli Signa unius mensis spatio percurrit, dieque 16 Aprilis rursus evanuit. Post hunc diluvium statim secutum est. &c. Rockenbach.
Juxta Calvisium & Helvicum Diluvium incidit Anno Mundi 1656. Ante Christum 2292.
Anno Mundi 1657, h.e. ante C.N. 2312, cum Noha natus esset annos 600, Diluvium totam terram obruit. Apparuit tum Cometa in Piscibus sub Jove, qui spacio dierum 29, omnia Zodiaci Signa perlustravit: ut refert D. David Herlicius in Descrip. Com. 1607. Et Henricus Eckstormius in Historia Comet.

L'an 1656 de la création, 2292 avant Jésus Christ
L'an 1656 de la création, trois jours avant la mort de Mathusalem, une comète fut vue de toute la Terre dans le fuseau des poissons, qui parcourut en un mois les douze signes du ciel, et disparut le 16 avril. Après ceci le déluge s'en suivit aussitôt. etc. Rockenbach
D'après Calvisius et Helvicus, le déluge survint l'an 1656 de la création, 2292 avant Jésus Christ.
L'an 1657 de la création, c'est à dire 2312 avant J.C. alors que Noé avait 600 ans, le déluge recouvrit toute la terre. Une comète apparut alors dans les poissons sous Jupiter, qui parcourut dans l'espace de 29 jours tous les signes du zodiaque. Ainsi que le rapporte David Herlitz dans la description de la comète de 1607, et Heinrich Eckstorm dans L'histoire des comètes.

(Hévélius, p 794)
Note: Hévélius, comme Lubienietski, cite ses sources, qui, malheureusement, ne valent pas tripette. Il recopie Rockenbach, sans savoir quelle était sa source, et recopie Eckstorm, sans rectifier son erreur. Jupiter surmontant la comète, entre maintenant dans la légende. La différence de 20 ans dans la datation du déluge ne doit pas nous surprendre. La chronologie biblique est, en pratique, impossible à rattacher de façon sûre à la chronologie historique admise, et les écarts entre les différentes datations du déluge vont jusqu'à 1000 ans.

1681, J. J. Wagner fait confiance à ses prédécesseurs.
Johann Jacob Wagner, dans sa réédition en allemand du catalogus de Ludwig Lavaters, admet l'histoire de la comète.
Es sind zwaren vorderst etliche die da fürgeben / dass der erste Komet / dessen man schriftlichen Bericht habe / erschinen seye in dem 600.Jahr des alters Noae / in dem Zeichen der Fischen / welcher in einem Monat alle zwölf Zeichen durchwandert habe:
Il y a en effet beaucoup d'apparence que la première comète, dont on ait le rapport écrit, est apparue dans la 600ème année de Noé, dans le signe des poissons, qui a parcouru en un mois les douze signes,
(Wagner, p 10)
Note: C'est plutôt la prétendue première, par un rapport écrit près de quatre millénaires plus tard.

1696, Johann Zahn résume maladroitement.
Johann Zahn, dans Specula physico-mathematico-historica résume les informations d'Eckstorm.
1) Mundi. 1657. Ante Christum Natum 2312. in Piscibus Cometes apparuit per dies 29, qui omnia signa coelestia perlustravit. Eckstormius ex Herlicio
An 1657 du monde, 2312 avant Jésus-Christ. Une comète apparut dans les poissons pendant 29 jours, qui parcourut tous les signes du ciel. Eckstorm d'après Herlitz.
(Zahn, p 162)
Note: Heureusement qu'on connait déjà l'histoire, car ce texte est très maladroit: si cette comète est restée 29 jours dans les poissons, elle n'a pas pu parcourir tout le ciel.

Jusqu'ici, nous n'avons vu que des auteurs de catalogues, qui se recopient les uns les autres, sans penser à remonter à la source initiale, ni réfléchir à l'invraisemblance de ce qu'ils écrivent. Mais voici pire:

1696, Whiston théorise la comète.
Whiston théorise
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En 1696, William Whiston, pasteur presbyterien, va utiliser l'histoire de la prétendue comète du déluge, comme béquille pour une invraisemblable théorie, où tant le déluge que la fin du monde sont causés par une même comète.
D'abord il réécrit la Genèse d'une façon très personnelle, faisant de la terre une comète, percutée par une autre comète lors du péché originel (péché prévu par Dieu).
Puis ayant lu chez Hévélius l'histoire de la comète du déluge, il l'identifie à la comète dont il a besoin pour sa théorie.
Enfin, ayant connu la théorie de Halley identifiant la comète de Jules César, et celle de 1680, avec une période de 575 ans, il donne l'orbite de la comète, et pour faire bonne mesure, il la charge de provoquer la fin du monde.

1726, Newton mentionne l'hypothétique comète de 575 ans, de Halley.

Isaac Newton
En 1726 Newton publie une troisième édition des Principia, ou il discute du calcul des orbites des comètes:

Porro Halleius observando quod cométa insignis intervallo annorum 575 quater apparuisset, scilicet mense Septembri post caedem Julii Caesaris, anno Christi 531 Lampadio & Oreste Coss., anno Christi 1106 mense Februario & sub finem anni 1680, idque cum cauda longa & insigni (praeterquam cum sub mortem Caesaris cauda ob incommodam telluris positionem minus apparuisset) quaesivit orbem ellipticum cujus axis major esset partium 1382957, existente mediocri distantia telluris a sole partium 10000: in quo orbe utique cometa annis 575 revolvi possit.
Halley notant en outre que la comète apparut quatre fois avec un intervalle de 575 ans, à savoir au mois de Septembre après le meurtre de Jules César, l'an 531, Lampadius er Oreste étant consuls, l'an 1106 au mois de février et sur la fin de l'an 1680, et ce avec une queue longue et remarquable (bien que lors de la mort de César, la queue apparut dans une position incompatible) demanda une orbite elliptique dont le grand axe fut de 1382957 parties, la distance moyenne de la Terre au soleil étant de 10000 parties: sur laquelle orbite, la comète pourrait faire sa révolution en 575 ans.
(Newton2, p 501)
Note: La façon de compter de Newton n'est plus la notre. Aujourd'hui on dirait que la comète avait un demi-grand axe de 138.2957 U.A. ou plus exactement, nous dirions 138.3 en tenant compte de l'incertitude. Newton remarque bien que la position de la queue ne correspond pas, pour la mort de César, mais il admet le résultat de Halley, dont la méthode avait déja marché pour la comète de 1682. Il n'a donc aucune raison de réfuter Whiston sur la base de la période.

Voila donc Newton confortant Halley, et par là, Whiston. Il est vrai que Newton avait aussi étudié fort sérieusement l'astrologie, et en était même fier.
En tous cas, excepté chez Pingré qui remonte aux sources, la discussion ne va plus porter que sur le fait de savoir si la comète de 1680 possède, ou non, une période de 575 ans.


1734, Voltaire n'est pas convaincu.

Voltaire
Voltaire croyait en Newton, mais beaucoup moins en la Bible. Aussi, dès 1734, dans ses letres philosophiques, Il dit ce qu'il pense des réveries sur la comète de 1680.
Le savant Mr. Halley croit que la Comete de 1680, est la même qui parut du tems de Jules César. Celle-là sur-tout sert plus qu'une autre à faire voir que les Cometes font des corps durs & opaques, car elle descendit sî près du Soleil qu'elle n'en étoit éloignée que d'une sixième partie de son disque; elle put par conséquent aquérir un degré de chaleur deux mille fois plus violent que celui du fer le plus enflâmé. Elle auroit été dissoute & consommée en peu de tems, fi elle n'avoit pas été un corps opaque. La mode commençoit alors de deviner le cours des Cometes. Le célèbre Mathématicien Jacques Bernoulli conclut par son Système, que cette fameuse Comete de 1680, reparoîtroit le 17 Mai 1729. Aucun Astronome de l'Europe ne se coucha cette nuit du 17 Mai, mais la fameuse Comete ne parut point. Il y a au moins plus d'adresse., s'il n'y a pas plus de sûreté, à lui donner cinq cens soixante & quinze ans pour revenir. Pour Mr. Whiston, il a sérieusement affirmé que du tems du Déluge, il y avoit eu une Comete qui avoit inondé notre Globe, & il a eu l'injustice de s'étonner qu'on se soit un peu moqué de cette idée. L'Antiquité pensoit à peu près dans le goût de Mr. Whiston; elle croyoit que les Cometes étoient toujours les avant-courières de quelque grand malheur sur la Terre.
(Voltaire2, p 129)
Note: Voltaire oublie que ce n'est pas que dans l'antiquité qu'on voyait dans les comètes des présages de catastrophes, mais jusqu'au début du 17ème siècle. Ensuite, il n'a pas bien compris l'idée de Whiston. En effet, si pour Caesius, la comète peut encore être considérée comme l'annonciatrice du déluge, pour Whiston, elle en est bel et bien la cause.

1743, Le Monnier admet toujours la période de 575 ans.

Le Monnier
La solution du fameux Problême sur les Trajectoires des Cométes, si long-temps désirée & enfin déçouverte par M. Newton, l'autorité d'un si grand homme, & les recherches Astronomiques de M. Halleï, doivent donc nous faire comprendre qu'il y auroit de la témérité à vouloir annoncer autrement le retour des Cométes , sur-tout si l'on n'est fondé que sur de simples hypothéses qui ne peuvent être reçues aujourd'hui, parce qu'elles s'écartent de la Loi générale trouvée par Kepler, & démontrée par M. Newton. Il s'est trouvé néanmoins dans la suite qu'on a cru pouvoir déterminer à peu près le temps de la révolution de deux autres Cométes ; mais ce n'a été qu'en joignant la plus profonde érudition, aux principaux élémens tirés de la Table dont nous venons de parler. Le temps de la révolution périodique de l'une de ces Cométes est de 129.ans & l'autre d'environ, 575.ans, Ainfi nous pouvons établir préfentement qu'il n'y a guéres que Trois Cométes dont on puisse aujourd'hui annoncer le retour , sçavoir celles que nous attendons en 1758, & 1789. & celle (que l'on a vue en 1680. ) qui ne reparoîtra que vers le milieu du vingt-troifiéme fiécle.
(Le Monnier, p 72)
Note: Le Monnier commence par s'en tenir avec prudence à Képler et Newton, mais comme cette méthode ne semble valable que pour une seule comète, il admet qu'on puisse en trouver d'autres, avec une profonde érudition. La suite prouvera qu'il se trompe.

1749, Buffon présente la théorie de Whiston pour la dénigrer.
La théorie de Whiston, prétendant traiter de l'origine de la Terre, ne pouvait être ignorée par Buffon, qui, en 1749, dans son Histoire naturelle, commence par une Histoire et théorie de la Terre. Il y consacre donc un chapitre
Du Système de M. Whiston.

Buffon
Cet Auteur commence son Traité de la Théorie de la Terre par une dissertation sur la création du monde ;
...
; il dit ... qu’une comète descendant dans le plan de l’écliptique vers son périhélie, a passé tout auprès du globe de la terre le jour même que le déluge a commencé ;
Note: Ici, Buffon explique soigneusement toute la Théorie de Whiston (et sans rire).
Je ne ferai qu’une remarque sur ce système dont je viens de faire une exposition fidèle ; c’est que toutes les fois qu’on sera assez téméraire pour vouloir expliquer par des raisons physiques les vérités théologiques, qu’on se permettra d’interpréter dans des vûes purement humaines le texte divin des livres sacrez, & que l’on voudra raisonner sur les volontés du Très-Haut & sur l'exécution de ses décrets, on tombera nécessairement dans les ténèbres & dans le chaos où est tombé l'auteur de ce système, qui cependant a été reçu avec grand applaudissement. Il ne doutoit ni de la vérité du déluge, ni de l'authenticité des livres sacrés: mais comme il s'en étoit beaucoup moins occupé que de physique ou d'astronomie, il a pris les passages de l'écriture sainte pour des faits de physique & pour des résultats d'observations astronomiques; & il a si étrangement mélé la science divine avec nos sciences humaines, qu'il en est résulté la chose du monde la plus extraordinaire, qui est le système que nous venons d'exposer.
(Buffon, tome I, p 168)
Note: C'est étonnant, mais Buffon, qui aurait pu trouver maints arguments physiques pour réfuter le système de Whiston, préfère le réfuter pour une raison fleurant la théologie. Il faut dire que le propre système de Buffon, utilise une comète encore plus gigantesque, pour créer le cortège planétaire du soleil. Une hypothèse qui n'est qu'à moitié fausse, puisque la suite du processus avec condensation depuis des anneaux est compatible avec les idées du siècle suivant. Buffon aurait du être plus audacieux encore, et remplacer sa comète par une étoile. Mais sans aller jusqu'à respecter le sacré, il est exact que Whiston en mélangeant la cosmologie biblique (où la Terre est plate et le soleil un simple luminaire), avec l'astronomie moderne, ne pouvait faire qu'une théorie absurde.

1775, Dionis du Séjour doute q'une comète puisse causer un déluge.

Dionis Du Séjour
(139) Je ne puis passer sous silence les remarques suivantes relativement à la Comète de 1680 dont Whiston s'est servi pour expliquer le Déluge. Rien de plus ingénieux que le système de ce célèbre Astronome ; rien de plus savant que les recherches chronologiques qui l'étayent. Il pense que l'inondation qui a couvert la Terre à cette époque, a été occasionnée , soit par la proximité de la Comète qui a pu faire gonfler les eaux de la Mer & de l'intérieur de la Terre, soit par la queue de ia Comète dans laquelle notre Globe s'est trouvé engagé. Comme ce système n'est fondé que sur des possibilités, il est aussi difficile de le réfuter que de l'établir sur des raisonnements démonstratifs. Avec les élémens que l'on a conclus de la derniere apparition de cette Comète, son minimum de distance à la Terre n'auroit été que de 165740 lieues. Est-il probable, d'après les remarques du §.112 , qu'à cette distance, la Comète ait occasionné un aussi grand bouleversement dans les eaux de notre Globe ? On peut dire, à la vérité, qu'avec des élémens un peu différens, la Comète auroit pu approcher beaucoup plus près de la Terre; mais on ne répond point par-là à l'argument tiré de la rapidité de la marche de la Comète. Quant à la queue de la Comète , j'observerai que la grande proximité de cet Astre à la Terre, n'a lieu que dans la branche de sa trajectoire qu'elle décrit avant son passage par le périhélie, tems auquel cette Comète ne s'étant pas encore approchée du Soleil, sa queue n'a rien de remarquable. Dans la branche, au contraire, que la Comète décrit après son passage par le périhélie , la plus courte distance de cet Astre à l'orbite de la Terre , est de plus de neuf millions de lieues. Est-il naturel de penser que l'atmosphere de la Comète, dont la nature nous est d'ailleurs totalement inconnue, produise un si grand désastre à une telle distance ?
(Du Séjour, p 90)

1783, Pingré ne s'en laisse pas compter..

Alexandre Guy Pingré
Vient l'ère de la cométographie vraiment scientifique. En 1783, dans sa cométographie, Alexandre Guy Pingré explique sa notation, et l'applique à la première comète de son catalogue.
Enfin, si la réalité n'est fondée que sur des témoignages absolument incertains & caducs, l'apparition est marquée en lettres penchées, ou de caractères italiques.
  Trois jours avant la mort de Mathusalem, on fait paroître une Comète dans le Signe des poissons, sous la planète de Jupiter: en un mois ou en 29 jours, elle parcourut les douze Signes du Zodiaque; elle disparut le 16 avril. Voila certainement une Comète bien circonstanciée; plus ancienne que le déluge, elle seroit un monument précieux d'antiquité: son apparition malheureusement n'est fondée que sur des autorités qui lui sont postérieures de quatre mille ans.
Hévél. Lubien. Rock. Eckst. Herlic. Caesius. Zahn.
(Pingré, p 255)
Note: les sources ne sont pas rangées dans l'ordre chronologique. Pingré aurait du les mettre dans l'ordre: Caesius. Rock. Herlic. Eckst. Hévél. Lubien. Zahn. Ces sources s'étalent sur 117 ans, en se recopiant les unes les autres, après près de quatre millénaires de silence assourdissant. Pingré est encore poli de parler de témoignage caduc. D'autres parleraient de canular.

1787, François Hemsterhuis n'a vraiment rien compris.

François Hemsterhuis
4°. La première comète dont il est fait mention chez les cométographes , parut dans le signe des Poissons , l'an 2312.avant l'ère chrétienne , c'est-à-dire, l'an du déluge universel. Elle parcourut tout le Zodiaque dans l'espace de vingt-neuf jours. L'illustre Hevelius la rapporte dans sa cométographie d'après l'histoire des comètes de Henri Eckstormius, et celui-ci l'a tirée de la description de la comète de 1607 de David Herlicius , qui l'a prise des Orientaux.
Note: Quels Orientaux? Herlicius l'a prise de Rockenbach, qui l'a prise de Caesius, sans citer sa source.
Le père Riccioli , ce savant astronome, dans son Almageste, et le célèbre M. Struyk dans sa Géographie universelle , ne parlent pas de cette comète; et plusieurs grands astronomes n'ont fait aucun cas d'une observation aussi précaire, aussi ancienne et aussi absurde en apparence , qui ne leur pouvoit être d'aucune utilité dans leurs recherches sur une théorie de ces astres.
Note: Vu les bétises qu'ont écrit Riccioli, qui multiplie les comètes, et Struyk, qui prend un feu St Elme pour la comète de Halley, ce n'est pas la meilleure référence.
Cependant si l'on considère cette observation vraie ou fausse sans préjugé, on trouvera qu'il est beaucoup plus raisonnable de croire que nous la devons à quelque tradition prodigieusement ancienne, que de la supposer forgée pour un certain but ; car ce but seroit sensible pour tout astronome, d'un côté , par le temps de la révolution , qui est le même que celui de la révolution apparente de la lune , et de l'autre , parce qu'on fait parcourir tout le Zodiaque à cette comète ; ce qui est impossible à toute comète tant par leur petitesse que par la prodigieuse longueur du grand axe de leurs orbites, à moins que leur voisinage et l'action de la terre ne les obligent de rester avec nous , comme Hypsicles nous le dit de la lune.

Note: Heu... si nous avons bien compris, l'impossibilité de cette histoire tend à prouver qu'elle n'est pas inventée? Avec le même genre de raisonnement, il n'y a plus de canular. Le père Noël existe, et la marmotte met bien le chocolat dans le papier d'alu. Il est vrai que François Hemsterhuis n'est qu'un philosophe de troisième magnitude.
(Hemsterhuis, p 173)

1840, John Martin consacre dans un tableau l'existence de la comète du déluge.

La veille du déluge, avec la comète

détail avec Mathusalem mourant
John Martin, né en juillet 1789 (ce qui le prédisposait à être révolutionnaire), se consacra à la peinture, en commençant comme peintre d'armoiries, puis s'orienta vers la représentation de scènes antiques et surtout bibliques, comme Josué commandant au soleil, ou la chute de Babylone, et finit par asseoir sa réputation en 1820, avec le festin de Balthasar.
Ses compositions, et ses couleurs sont en rupture avec l'art classique, mais il va s'attirer la faveur de l'aristocratie. Il devient le peintre officiel du prince Leopold de Saxe-Cobourg, futur roi des belges, et se lie avec Albert de Saxe-Cobourg, futur prince consort. C'est le prince Albert qui, voyant dans son atelier un tableau représentant le déluge (1834), lui conseilla d'en faire une trilogie, avec la veille du déluge, et l'apaisement des eaux. Car, bien entendu, il n'était pas question de douter de la réalité du déluge universel. John Martin réalisa donc ces deux tableaux qu'il présenta à la Royal Academy en 1840. La veille du déluge (the eve of the deluge) fut acheté l'année suivante par le prince Albert.
Il faut Une image de grande dimension pour en voir tous les détails, notamment l'arche de Noé sur un promontoire lointain. Le tableau montre principalement, sur un escarpement, la mort de Mathusalem, entouré de la famille de Noé, mort indispensable au déluge, puisque Mathusalem vécut jusqu'au déluge, et qu'il ne fut pas dans l'arche. Mais ce qui nous intéresse est la présence d'une brillante comète dans le ciel, qui provoque l'étonnement de personnages au second plan. Pour son inspiration, il est possible que John Martin se soit rappelé de la grande comète de 1811, qu'il avait du observer à l'age de 22 ans. Dans un catalogue, il s'explique:
The sun, moon and a comet are represented in conjunction, as one of the warning signs of the approaching doom.
Le soleil, la lune et une comète sont représentés en même temps, comme l'un des signes avant-coureurs de la catastrophe qui approche.
Ainsi, John Martin consacre la légende des comètes annonciatrices de catastrophes, mais il n'est pas sûr qu'il fasse référence à la théorie de Whiston, qu'il serait bien excusable d'avoir ignoré.


1857, Arago réfute (posthumement) la théorie de Whiston.
Mais à la même époque ou l'art Victorien consacre la comète, Arago ne s'embarrasse pas de théologie. Au troisième volume de son astronomie populaire, il démontre, par l'observation et la mécanique céleste, que la théorie de Whiston n'est qu'un roman.

François Arago
LE DÉLUGE A-T-IL ÉTÉ OCCASIONNÉ PAR UNE COMÈTE?

Whiston ne se proposa pas seulement de montrer de quelle manière une comète pouvait avoir occasionné le déluge de Noé dont nous avons précédemment indiqué la date géologique (chap. ix, p. 98); il voulut, de plus, que son explication s'adaptât minutieusement à toutes les circonstances de cette grande catastrophe données par la Genèse. Voyons comment il y est parvenu.
Le déluge biblique eut lieu l'an 2349 avant l'ère chrétienne, selon le texte hébreu moderne, ou l'an 2926, d'après le texte samaritain, les Septante et Josèphe. Or, y a-t-il quelque raison de supposer qu'à l'une ou à l'autre de ces époques il se soit présenté une grande comète?
...
La comète de 1680 brillait d'une vive lumière. En adoptant 575 ans pour la durée de sa révolution, il y aurait vraiment lieu de s'étonner que les écrivains grecs n'eussent fait mention d'aucune de ses apparitions antérieures à celle qui a coïncidé avec l'époque de la mort de César.
...
Puisque nous n'avons aucune observation exacte des comètes apparues en — 43, en 531, en 1106; ... rappelons-nous du moins que celles de 1680, de 1106, de 531 et de —43 étaient très-brillantes ... et il est possible de supposer que les comètes de la mort de César, de 531, de 1106 et de 1680 n'ont été que les réapparitions d'un seul et même astre qui, après avoir parcouru toute son orbite, après avoir fait sa révolution complète en 575 ans environ , redevenait visible de la Terre. Or, si l'on multiplie cette période de 575 ans par 4, on trouve 2,300, qui, ajoutés à 43, date de la comète de César, nous ramènent, avec la seule différence de 6 ans, à l'époque du déluge résultante du texte hébreu moderne. En multipliant par 5, on trouve la date des Septante, à 8 ans près.
...
Pour peu qu'on se rappelle les notables différences que la comète de Halley a présentées ( liv. xvn, chap. vi, t. H, p. 286) dans la durée de sa révolution autour du Soleil, on reconnaîtra que Whiston a pu légitimement supposer que la grande comète de 1680 ou de la mort de César, était voisine de la Terre quand le déluge arriva, et qu'elle eut quelque part à ce grand phénomène.
Je rappellerai cependant que M. Encke, ayant soumis à de nouveaux calculs l'orbite probable de la comète de 1680, a trouvé une durée de révolution bien différente de celle supposée par Whiston; cette durée serait de 8.813 ans (liv. xvn, chap. xvn, t. n, p. 348).
Note: Les calculs de Encke arrivent après que Gauss eut développé une méthode capable de calculer une orbite d'après un nombre suffisant, mais quelconque, d'observations. Avant Gauss, Newton s'était contenté d'une méthode approximative à la règle et au compas. Halley s'était contenté d'une coincidence d'écarts pour trouver 575 ans. Euler aurait par le calcul trouvé 170 ans, et Pingré 15 874 ans. En dépit des apparences les résultats d'Encke er de Pingré sont proches, car ils aboutissent à des différences très faibles dans les positions observées. Avec le demi grand axe admis aujourd'hui, on trouve 9368 ans.
A l'époque du déluge, la comète de 1680, selon Whiston, était à 3,000 ou 4,000 lieues seulement de la Terre ...
Whiston ayant eu besoin d'une immense marée pour expliquer les phénomènes bibliques du grand abîme, ne s'est pas contenté de faire passer sa comète extrêmement près de la Terre au moment du déluge; il a donné, de plus, à cet astre une très-forte masse : il la suppose six fois plus grande que celle de la Lune.
Une pareille supposition est tout à fait gratuite, et c'est là cependant son moindre défaut, car elle ne suffit pas à l'explication des phénomènes. Si la Lune, en effet, produit de si grands effets sur les eaux de l'Océan, c'est que son mouvement angulaire diurne n'étant pas très-considérable, elle correspond verticalement, pendant un temps assez long, presque aux mêmes points du globe; c'est que dans l'espace de quelques heures sa distance à la Terre varie à peine; c'est que le liquide qu'elle attire a toujours le temps de céder à son action avant qu'elle se transporte dans une région où la force qui en émane sera tout autrement dirigée. Il n'en était pas de même de la comète de 1680. Près de la Terre, son mouvement angulaire apparent à travers les constellations, devait être extrêmement rapide. En peu de minutes elle correspondait à une nombreuse série de points situés sur des méridiens terrestres fort éloignés les uns des autresl. Quant à sa distance rectiligne à la Terre, elle put être très-petite, sans doute, mais seulement pendant quelques instants très-courts *. L'ensemble de ces circonstances était extrêmement peu favorable à la production d'une grande marée.
... il suffirait de grossir la comète, de faire sa masse trente ou quarante fois plus considérable que celle de la Lune; mais je réponds qu'on n'a pas cette latitude pour la comète de 1680. En effet, dans cette année, le 21 novembre, elle passa près de la Terre; il est démontré qu'à l'époque du déluge sa distance n'était pas moindre; or on sait qu'en 1680 elle ne produisit ni cataractes célestes, ni marées intérieures, ni rupture du grand abîme; que sa queue, que sa chevelure ne nous inondèrent point; et comme personne ne supposera que le même astre qui de nos jours n'a engendré sur le globe aucune révolution sensible, ait anciennement tout bouleversé, quoiqu'il fût plus éloigné, nous pourrons dire avec confiance que la théorie de Whiston est un simple roman, à moins qu'abandonnant la comète de 1680, on ne prétende attribuer le même rôle à un autre astre de cette espèce, beaucoup plus considérable.

(Arago, t III, p 107)
Note: Nous avons beaucoup élagué la démonstration, qui reprend certains argument de Dionis Du Séjour, mais elle est imparable. Pour Whiston la comète du déluge était celle de 1680. Or non seulement la période supposée par Whiston était fausse, mais en la supposant quand même vraie, elle n'aurait pas causé plus de déluge qu'en 1680, même en étant plus proche. Il n'y a donc plus besoin de comète pour expliquer le déluge (d'autant que la dite comète n'a jamais existé, et que le déluge universel, noyant jusqu'aux plus hautes montagnes, n'est plus aujourd'hui qu'un mythe).

1875, Amédée Guillemin descend en flammes la Théorie de Whiston.

Amédée Guillemin
Amédée Guillemin fut un vulgarisateur, dont les livres sont encore recherchés. En 1875, il publie "Les comètes", un livre qui servira de référence sur le sujet pendant près d'un siècle. Ne pouvant ignorer la comète de 1680, il lui consacre un chapitre, ou il parle abondamment de la théorie de Whiston. Et sa conclusion est la même que celle d'Arago.
§ V — LA COMÈTE DE 1680, LE DÉLUGE ET LA FIN DU MONDE
Voici une comète qui a beaucoup fait parler d'elle dans l'histoire. Ce serait elle, si l'on adopte les calculs de Halley, confirmés d'abord par Newton, qui aurait paru dans les années 531 et 1106 de notre ère, annoncé en l'an 43 avant J.-C. la mort de César, présidé au grand événement de la prise de Troie, et enfin aurait été, onze à douze siècles plus tôt, la cause directe de la grande catastrophe des récits mosaïques, du déluge.
...
Un Anglais du XVIIe siècle, contemporain de Newton, à la fois théologien et astronome, W. Whiston, publia en 1696 une Nouvelle théorie de la Terre (A new Theory of the Earth) où il se proposait d'expliquer par l'action d'une comète les révolutions géologiques qu'on rapportait alors au récit de la Genèse. Sa théorie était d'abord entièrement hypothétique, ne s'appliquant à aucune comète particulière ; mais quand Halley eut assigné à la fameuse comète de 1680 une orbite elliptique, orbite qu'elle parcourait dans une période de 575 ans, et que Whiston, remontant dans l'histoire, trouva pour dates de ses apparitions anciennes 2344 et 2919, c'est-à-dire deux des époques fixées par les chronologistes pour celles du déluge mosaïque, le théologien astronome n'hésita plus ; il précisa sa théorie et donna à la comète de 1680, non-seulement le rôle d'exterminateur du globe terrestre et du genre humain par l'eau, mais encore celui d'exterminateur par le feu, dans les siècles futurs.
Note: Nous avons vu que ce n'est pas tout à fait exact. Whiston a identifié sa comète dans la deuxième édition de son livre, en se basant sur Hévélius, qui ignorait qu'il citait une invention de Georgius Carsius. C'est dans une édition ultérieure qu'il découvre la période de sa comète, grace aux supputations (fausses) de Halley.
C'est donc avec raison que nous avons donné à ce paragraphe son titre de : la Comète de 1680, le Déluge et la fin du monde (1).
couverture
Le livre recherché
Donnons une idée sommaire de la singulière théorie de Whiston. Parlons d'abord de la partie de cette hypothèse qui concerne le déluge.
D'après lui, la Terre est une ancienne comète qui avait son périhélie très-voisin du Soleil. Ainsi s'explique, en raison de l'excessive température que l'astre subissait à chacun de ses passages, la chaleur centrale de notre globe, chaleur toujours subsistante. Quand il s'est agi d'en faire une terre habitable, une seule opération dut suffire : diminuer la force centrifuge de la comète, rendre ainsi son orbite moins excentrique ; néanmoins, cette transformation effectuée, l'excentricité était encore assez forte pour que l'hémisphère, qui devait servir de séjour à l'homme et aux animaux, jouît de la présence du Soleil pendant neuf à dix mois. Grâce à ces changements, l'atmosphère épaisse de l'ancienne comète s'épura, l'équilibre de l'air, du sol et des eaux se fit peu à peu : le Soleil et la Lune se montrèrent ; l'homme et les animaux apparurent.
« Lorsque l'homme eut péché, une petite comète passa très-près de la Terre, et, coupant obliquement le plan de son orbite, lui imprima un mouvement de rotation. C'est sans doute à cette même comète qu'il faut attribuer la parfaite circularité de l'orbite terrestre qui, selon Whiston, doit être reconnue avant le déluge. » Ceci est un commentaire ajouté par le chanoine de Sainte-Geneviève au texte du théologien anglais. « Dieu avait prévu, continue-t-il, que l'homme pécheroit, et que ses crimes, parvenus à leur comble, demanderoient une punition terrible; en conséquence, il avoit préparé dès l'instant de la Création une comète qui devoit être l'instrument de ses vengeances. Cette comète est celle de 1680. » Comment se fit la catastrophe?
Le voici sommairement d'après Whiston :
Soit le vendredi 28 novembre 2349, soit le 2 décembre 2926, la comète se trouva à son nœud, coupant le plan de l'orbite de la Terre en un point dont notre globe, à cet instant même, n'était éloigné que de 3614 lieues de 25 au degré. « La conjonction arriva lorsqu'on comptait midi sous le méridien de Pékin, où Noé, paraît-il, demeurait avant le déluge. » Maintenant quel fut l'effet de cette masse à laquelle W histon donne pour valeur le quart de la masse de la Terre?
Celui d'une marée prodigieuse qui s'exerça non-seulement sur les eaux des mers, mais aussi sur celles qui se trouvaient au-dessous de la croûte solide, depuis que le mouvement de rotation avait disloqué cette croûte, et enfin sur la partie fluide, laplus dense, du noyau terrestre. Les chaînes des montagnes d'Arménie, les monts Gordiens qui se trouvaient les plus voisins de la comète au moment de la conjonction, furent ébranlés et s'entr'ouvrirent. Et ainsi « furent rompues les sources du grand abyme ». Là ne s'arrêta point le désastre.
L'atmosphère et la queue de la comète atteignant la Terre et sa propre atmosphère, la chargèrent de parties aqueuses et terreuses, qui tombèrent pendant quarante jours ; et ainsi « furent ouvertes toutes les cataractes du ciel ». « La profondeur des eaux du déluge fut, selon Whiston, de six milles anglais (9656 mètres) dont un mille fut dû à l'éruption du fluide intérieur, cinq milles environ à l'atmosphère ou à la chevelure de la comète, et très-peu de chose à la queue de la comète. »
C'est donc bien, comme on voit, une véritable inondation, un déluge universel que causa, selon ce singulier système, le passage à son nœud de la comète de 1680, à la faible distance où se trouvait le globe terrestre, il y a 4223 ans selon les uns, il y a 4800 ans selon les autres. Les secousses auraient peut-être suffi à l'œuvre de destruction, mais une profondeur de 10 kilomètres d'eau tout autour était à coup sûr un moyen d'anéantissement plus certain.
Maintenant, comment cette comète, qui a noyé une première fois les êtres vivants, pourra-t-elle les brûler un jour à une seconde rencontre ? Whiston n'est point embarrassé. Un second passage dans le voisinage de la Terre, mais derrière ou à son occident, retardera le mouvement de notre globe, changera son orbite presque circulaire en une ellipse très-excentrique. « La Terre, à chaque passage par son périhélie, se trouvera très-voisine du Soleil, elle y éprouvera une chaleur d'une extrême intensité ; elle entrera en combustion. »
...
Tel est le roman conçu par Whiston, par un homme d'une grande érudition et d'une grande science, mais qui eut le tort — c'était celui de son époque — de vouloir accorder ses conceptions tout à la fois avec la théologie et avec l'astronomie. Ici, c'est le côté de la science qui seul nous occupe ; et il est certain — il l'était déjà il y a un siècle - que la théorie de Whiston ne peut se soutenir. Notons seulement deux difficultés capitales : la première, celle de l'énorme masse qu'il est obligé de supposer à la comète de 1680, et qu'aucun astronome à notre époque n'admettrait .comme vraisemblable; la seconde, c'est que, même dans l'hypothèse d'une masse pareille, on a vu que l'action exercée par elle serait nécessairement, à cause des vitesses relatives de la comète et de la Terre, d'une si courte durée, que les effets supposés n'auraient pas eu le temps de se produire. Mais nous croyons que les géologues auraient bien d'autres objections à faire à une hypothèse que nous avons rapportée parce qu'elle est célèbre dans la science, parce que le rôle attribué par Whiston aux comètes est vraiment curieux.
Une dernière et capitale objection est celle-ci : la discussion des éléments de la comète de 1680, faite par Encke avec des documents plus précis sans aucun doute que ceux de Halley, est venue bouleverser totalement la concordance chronologique de Whiston, et celle des apparitions antérieures supposées. D'après ces nouveaux éléments, ce n'est ni une période de 170 ans (Euler), ni une période de 5861 ans (Pingré), ni la période de 575 ans (Halley), mais une de 8814 ans qui conviendrait au mouvement de la fameuse comète.

1. C'est le 28 novembre 2349 ou 2348, selon le texte hébreu moderne, le 2 décembre 2926, selon le texte samaritain, l'an 3308 selon d'autres, qui serait l'exacte date chronologique du déluge biblique. Entre 2349 et 2926, il y a 577 ans, 2 ans seulement de plus que la durée de la période calculée par Hallèy pour la comète de 1680.
Note: Les quelques petites erreurs que commet Guillemin semblent indiquer qu'il n'a pas lu les livres de de Whiston (assez indigestes, il est vrai), mais s'est plutôt basé sur Buffon et Arago.

1880, Camille Flammarion résume l'argumentation de Guillemin.
couverture
L'Astronomie populaire
Aujourd'hui, ceux qui se rappellent avoir lu quelque chose à propos de Whiston, le doivent au résumé qu'en a fait Camille Flammarion. Dans son Astronomie populaire, celui ci consacre évidemment un chapitre aux comètes, et aux terreurs qu'elles ont suscité, ce qui lui donne l'occasion de parler de la Théorie de Whiston:
Contemporain de Newton, à la fois théologien et astronome, cet Anglais publia en 1696 une Théorie de la Terre où il se proposait d'expliquer par l'action d'une comète les révolutions géologiques et les évènements du récit de la Genèse. Sa théorie était entièrement hypothétique, ne s'appliquant à aucune comète particulière, mais quand Halley eut assigné à la fameuse comète de 1680 une orbite elliptique parcourue en 575 ans, et que Whiston, remontant dans l'histoire, eut trouvé pour dates de ses apparitions anciennes l'une des époques fixées par les chronologistes pour celle du déluge, le théologien astronome n'hésita plus; il précisa sa théorie et donna à cette comète, non seulement le role d'exterminatrice du genre humain par l'eau, mais encore celui d'incendiaire pour l'avenir.
« Lorsque l'homme eut péché, dit-il, une petite comète passa très près de la Terre, et, coupant obliquement le plan de son orbite, lui imprima un mouvement de rotation. Dieu avait prévu que l'homme pécherait, et que ses crimes, parvenus à leur comble, demanderaient une punition terrible; en conséquence, il avait préparé dès l'instant de la création une comète qui devait être l'instrument de ses vengeances. Cette comète est celle de 1680. »
(Flammarion, p 602)
Note: Ce que dit Flammarion est assez inexact. Whiston prétend effectivement expliquer les révolutions géologiques par une comète, et dans la première édition, ne savait trop quelle comète invoquer, mais il n'a pas attendu Halley pour trouver la coupable: il a connu l'existence de la comète du déluge grace à Hévélius. Quand à sa citation, elle parait purement inventée, puisque Whiston ne dit pas que la comète qui fit tourner la Terre était celle de 1680. Surtout, cette pseudo citation mélange l'iniquité des hommes qui leur valut le déluge, avec le péché originel. Manifestement, Flammarion n'a pas lu Whiston, et s'est contenté de recopier ce que disait Guillemin. L'ennuyeux, c'est que la plupart des lecteurs francophones qui connaissent la théorie de Whiston, ne la connaissent que d'après Flammarion.

1950, Velikovsky récupère la Théorie de Whiston.

Immanuel Velikovsky

Après toutes ces démonstrations, on aurait pu croire la cause entendue, la théorie de Whiston définitivemnt enterrée, et la comète du déluge avec. La théorie de Whiston, peut-être, mais le catastrophisme cométaire va relever la tête en 1950 sous la plume d'Immanuel Velikovsky, dans Worlds in collision, ou entre autres astres vagabonds, Il nous ressort la comète du roi Typhon, ce qui lui donne l'occasion de découvrir la théorie de Whiston.
Tandis que je recherchais si la collision Terre-comète avait été l'objet de discussions antérieures, je découvris que W. Whiston, successeur de Newton à Cambridge et contemporain de Halley, tentait de prouver, dans sa « Nouvelle théorie de la Terre » ( 1ère édit. 1696) que la comète de 1680 à laquelle il attribuait (inexactement) une période de 575 ans et demi provoqua le déluge biblique lors d'une lointaine rencontre avec la terre.
(Velikovsky, p332)
Note: Et voila! Les grands esprits se rencontrent. Sauf que Velikovsky n'a pas remarqué qu'il utilisait la même comète de Typhon, que Whiston utilisait pour noyer la terre, à provoquer un autre cataclysme, au temps de l'exode.

2007, Michel Alain Combes propose de réhabiliter Whiston.

épouvantable catastrophe comètaire imaginée en 1857
Pourrait on croire qu'aujourd'hui, on cherche à réhabiliter Whiston? C'est pourtant ce qu'envisage Michel Alain Combes, qui, dans la dernière édition de La Terre bombardée, voit en Whiston un précurseur du catastrophisme.
Mais avec tout le respect qu'on doit à la théorie actuelle du catastrophisme, on ne peut s'empécher de penser que Whiston n'a pas droit à un tel honneur. On peut bien considérer comme un précurseur l'auteur malheureux d'une théorie, cohérente de son temps, qui n'eut pas de succès, et fut retrouvé plus tard. Aristarque de Samos, génial théoricien de l'héliocentrisme au 3ème siècle avant notre ère, est ainsi un grand précurseur, et Apollonius de Myndos, qui affirmait, avant notre ère, que les comètes étaient des astres comme les planètes, en est un autre. Mais la théorie de Whiston n'entre pas dans ce cas de figure:
Elle n'était déjà pas cohérente du temps de Whiston, mélangeant comme cela arrangeait l'auteur, des éléments tirés de la Bible, à d'autre tirés de la science objective. A l'aune de la science de Newton, elle échouait déja à rendre compte du déluge, sauf à admettre une intervention divine supplémentaire. Elle n'avait donc tout simplement pas droit au titre de théorie
Elle n'était pas catastrophiste au sens où nous l'entendons. Une catastrophe est un évènement fortuit et irrémédiable. Aujourd'hui sont considérés comme catastrophes cosmiques, l'impact avec un autre astre, la traversée d'un nuage interstellaire, ou bien encore un bombardement de particules du à une éruption solaire, ou à l'explosion d'une supernova proche. Autant de phénomènes naturels et fortuits, susceptibles de rendre notre planète, localement ou totalement, invivable. Or les comètes alléguées par Whiston étaient envoyées par Dieu, et obéissaient à un plan précis, car Whiston était d'abord un théologien.
Finalement, comme l'avait dit Arago, la prétendue théorie de Whiston, n'était qu'un roman, un roman catastrophiste, dont la seule ressemblance avec l'impactisme moderne tient en deux mots: "comète" et "cataclysme". A ce compte là, on pourrait voir dans Lucien de Samosate et son voyage à la lune, un précurseur de l'astronautique.

Remarquons que, même une réhabilitation de Whiston ne ressuciterait pas pour autant la comète du déluge, froidement -ou pieusement- inventée au XVIe siècle.

Analyse:
Avec, ou sans Whiston, l'impossibilité de la comète du déluge saute aux yeux: Une comète qui vient du fin fond de notre système, puis y retourne, comme l'avait déjà compris les Chaldéens, ne risque pas de faire le tour complet du zodiaque en une lunaison
L'impossibilité que nous en ayons connaissance est encore plus flagrante: A part Noé et sa famille, les témoins de cette comète disparurent avec le déluge. En sorte que s'il existait un témoignage de cette comète, c'est dans la Bible qu'on le trouverait, puisqu'on y trouve un prodige bien plus banal: l'arc en ciel que Dieu place dans la nuée comme signe de son alliance avec Noé. Passe encore que Caesius ou Tibianus n'aient pas vu l'impossibilité astronomique, dont l'astronome Hévélius est moins excusable. Mais il ne pouvaient ignorer l'impossibilité logique: Comment pouvaient il savoir mieux que la bible, ce qui s'était passé avant le déluge?
D'autre part si c'est la première comète de Caesius, ce n'est pas la seule dont on ne trouve aucune trace antérieure. Tibianus et lui en citent une autre en l'an 1944 de la création, une autre en 2018, une autre en 2128 (que Tibianus place en l'an 228), une autre en 2237, une autre en 2770 et une autre en 2787. Autant de comètes que recopiera pieusement Rockenbach, qui sera lui même recopié par Hévélius. Ainsi les sept premières comètes citées par Caesius et Tibianus sont aussi suspectes d'invention les unes que les autres. On pourrait penser qu'ils les ont copié dans un ouvrage alors récent, dont l'auteur lui inspirait confiance. Caesius aime se référer aux commentaires de Pline par Jacob Milichius, mais cet ouvrage n'invente aucune comète. Il se réfère aussi à Philipp Melanchthon, Camerarius, Peucer et autres bons auteurs de l'époque, mais aucun de leurs ouvrages susceptibles de parler de comètes ne contient ce que nous cherchons. Comme Tibianus est antérieur d'un an à Caesius, et qu'il donne parfois des renseignements différents, force nous est d'admettre que Caesius et Tibianus ont copié sans la moindre méfiance une source pleine de légendes, qui nous reste à retrouver.

Le même problème a fait beaucoup travaillé Göran Johansson, de Lund, en Suède qui résume ses recherches sur cette page.. Il explique en particulier:
1. I have tried to find out what the authors had in common. This has given me the impression that the solution should be among the Wittenberg astrologers. Preferably Phillipp Melanchthon or Caspar Peucer.
2. In 1524 many astrologers discussed the possibility that there would be a Flood, which would had given an ideal opportunity to discuss Noah's comet.

J'ai essayé de savoir ce que les auteurs avaient en commun. Cela m'a donné l'impression que la solution doit être parmi les astrologues de Wittenberg. De préférence Phillipp Melanchthon ou Caspar Peucer.
En 1524, de nombreux astrologues ont discuté de la possibilité qu'il y aurait un déluge, ce qui aurait donné une occasion idéale pour discuter de la comète de Noé.

Nous n'avons rien trouvé dans ce que nous avons pu lire de Melanchthon, rien dans Peucer, et rien non plus dans la polémique entre Tannstetter et Stöffler à propos du déluge annoncé pour 1524.
Depuis, il a progressé en retrouvant le livre de Tibianus, paru un an avant celui de Caesius. Mais pas plus que nous, il n'a encore trouvé la source de ces deux auteurs. Par contre il a trouvé d'autres auteurs qui ont copié, soit cette même source, soit Caesius.

Au total, et pour la période d'avant notre ère, c'est d'ailleurs pas moins de quatorze fausses comètes qu'on trouve dans le catalogue de Caesius, une confusion, pour 168 AC, et 13 inventions pour les années 2312, 2024, 1949, 1835, 1510, 1193, 1176, 220, 154, 110, 60, 29 et 23 AC. Pour Tibianus, c'est encore pire: 19 fausses comètes, mais il faut dire qu'il y a des doublons. D'autres auteurs comme Letzener, Rockenbach, Herlitz, reprennent les mêmes fausses comètes sans citer leur vraie source. Pourquoi ont-t-il puisé dans une source pour nous si douteuse? Une réponse serait que cette source étair religieuse, et donc empreinte d'une véracité sacrée. Une autre que cette source était un traité d'astrologie auquel seuls quelques auteurs trop naïfs ont fait confiance, les autres recopiant les premiers.
Mais pour l'instant, le mystère demeure.

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Dernière mise à jour: 23/07/2020