Le mystérieux phénomène de Cherbourg


Un phénomène ostentatoire mais élusif

Le phénomène de Cherbourg, d'avril 1905, est un cas d'école, en ufologie.
Jusqu'à la fin du 20e siècle, nous n'avons pu disposer que de deux points de vue opposés: celui de Camille Flammarion, qu'il avait exposé à la fois dans l'Astronomie, et dans l'Illustration, et celui de Charles Fort, dans New lands.
Avec l'arrivée des bibliothèques digitales, il devenait enfin possible de consulter facilement les divers journaux de l'époque. En fait, surtout des journaux parisiens, ceux qu'avait consulté Flammarion, mais aussi Cherbourg éclair, le journal local de Cherbourg.
A en croire les journaux, ce mystérieux phénomène n'aurait été principalement visible qu'à Cherbourg, mais cette visibilité n'existait précisément que dans les journaux. Partout ailleurs, comme M. Jourdain, on observait le mystérieux phénomène sans le savoir.

Alerte aux signaux lumineux

Ce serait le 30 mars que l'alerte aurait été donné par Mr Oudaille, le vigilant commissaire spécial de police de Cherbourg. Il crut se trouver en présence de signaux lumineux émis depuis un ballon, et prévint les autorités maritimes.
Le vice-amiral Besson, préfèt maritime, officier en fin de carrière, commandeur de la légion d'honneur, officier de l'instruction publique et ancien commandant de navire-école, pris l'affaire au sérieux. Il s'agissait peut être de signaux faits à l'aide d'un ballon captif par un torpilleur anglais opérant dans nos eaux territoriales. l'expérience aurait consisté à mesurer la portée des signaux que pouvait faire un navire vers la cote anglaise (à cette époque, la TSF n'était pas encore inventée).
Le vice-amiral tenta de le faire éclairer avec les projecteurs de la digue, mais sans succés, car leur portée était insuffisante
... et pour cause, comme nous le comprendrons plus loin . Puis il mit ses torpilleurs en alerte, donna des consignes de guet à ses sémaphores, et prévint le gouvernement. ( 1 )
En y réfléchissant, le brave vice-amiral eut été bien mieux inspiré d'utiliser un télémètre d'artillerie, qui lui eut appris que l'objet était optiquement à l'infini, et donc hors de l'atmosphère.

Mais qu'avait donc eu sous les yeux le vigilant commissaire de police? Il convient de demander à Stellarium de faire une reconstitution du ciel, supposé dégagé, pour ce soir du 30 mars 1905

ciel du 30

On constate la présence de trois "étoiles" brillantes vers l'ouest. Ce sont les planètes Vénus (en haut), Jupiter (au milieu), et Mercure (en bas)
Si le ciel était clair, trois "étoiles" brillantes, c'est trop pour le témoin non prévenu, pour lequel l'une de ces lumières ne doit pas être une "étoile" mais a du "s'inviter". Et cette "invitée", c'est naturellement la plus brillante, c'est à dire ici Vénus
Si le ciel était voilé de brume, les étoiles n'étaient pas visibles, mais Vénus, élargie, floue et ceinte d'une couronne, n'était guère reconnaissable en tant que planète.

Les journaux s'émeuvent

Une rafale d'articles de journaux parut le 3 et le 4 avril. Pourquoi seulement le 3, alors que les cherbourgeois commencaient massivement à observer le phénomène dès le samedi premier avril, jour ou le ciel était bien clair? C'est que les témoins du premier avril ne furent pas spécialement pris au sérieux par les autres Cherbourgeois. Un premier avril, vous pensez! C'est pourquoi les premières dépèches ne partirent que le 2 avril, parce qu'on craignait que l'affaire ne soit prise pour un poisson d'avril.

Voici l'article princeps du journal local: ( 30 )

Phénomène météorologique mystérieux
Ballon ou bolide? - une enquète
  Ceci n'est plus une farce de premier avril;
Bien que le fait ait été plus particulièrement remarqué dans la soirée de samedi, il avait déjà été observé la veille et l'avant veille.
  Il s'agit d'un globe lumineux, qui samedi soir vers huit heures fut aperçu à une certaine hauteur dans les airs, au dessus de la digue, venant du Nord, et qui, après avoir décrit une large courbe au dessus de la ville, disparaissait vers onze heures, dans la direction d'où il était primitivement venu.
  Des officiers, des personnes ayant une certaine compétence, ont parfaitement vu ce phénomène lumineux, qui donnait l'impression d'une lampe à arc électrique qui se serait ainsi promenée dans l'espace, semblant suivre une route déterminée.
  On n'a pu savoir, même approximativement, à quelle hauteur cette lumière pouvait bien planer, et on peut encore moins établir, quant à présent, s'il s'agit d'une planète, d'un météore quelconque inobservé jusqu'à présent bien entendu, ou d'un ballon, qui dans ce cas, serait parfaitement dirigeable, à moins qu'il ne fut captif, car pendant les trois soirs, il est apparu et disparu aux mêmes heures, après avoir parcouru le même cycle.
  On a pensé que peut être il s'agissait d'un ballon captif, qui se serait trouvé retenu à bord d'un navire étranger se livrant à des exercices de signaux dans nos naux territoriales.
  Quelques personne croient avoir remarqué que l'aveuglante lumière était devenue, par instants, verte et rouge, mais il peut y avoir là une illusion d'optique.
  En tous cas, samedi soir, M. le vice-amiral Besson, préfet maritime, avait fait fonctionner des projecteurs électriques, mais leurs rayons s'éparpillèrent bien avant d'atteindre l'altitude ou planait le «bolide», et on ne fut pas plus avancé qu'auparavant.
  M. le préfet maritime a donné des ordres pour que des torpilleurs suivent ce soir ou jours suivants le phénomène, s'il venait à réapparaitre.
  A l'Observatoire de la marine, on se perd également en conjectures, mais on va tout faire pour pénétrer ce mystère, qui intrigue au plus haut point les autorités maritimes, et qui a fait l'objet d'un rapport spécial adressé au ministre.

On remarque qu'avec l'image d'une lampe à arc à bonne distance, l'aspect du phénomène est assez bien décrit, que la course régulière du phénomène est compatible avec un phénomène astronomique et que l'hypothèse d'une planète n'est pas exclue. Les journaux parisiens n'auront pas la même objectivité.

l'article du Matin, ( 2 ), le premier paru à Paris, est une pièce d'anthologie (nous l'abrégeons):

LUEUR ETRANGE DANS LA NUIT
    ---

Un corps lumineux, venant du large, passe dans les hauteurs, erre trois heures durant au dessus de Cherbourg, et rentre dans les profondeurs mystérieuses de l'horizon
CHERBOURG, 2 avril - Dépèche particulière du « Matin ».- De crainte que les lecteurs du Matin ne croient à une mystification du 1er avril, j'ai attendu à aujourd'hui pour vous relater un évènement qui intrigue au plus haut degré notre population et, en particulier, les milieux maritimes.
Hier soir, vers huit heures, on aperçut, venant du large, et à une altitude qui ne peut être, même approximativement, déterminée, une énorme boule lumineuse, qui, après avoir décrit une courbe au dessus de la ville, disparut vers onze heures, dans la direction d'où elle était venue.

Déjà, il faut remarquer que le titre et le sous-titre sont de la rédaction parisienne, qui n'a rien vu, et non du correspondant local de Cherbourg. Derrière ce langage imagé, il faut traduire: Un corps lumineux, apparaissant au nord-ouest, reste trois heures dans le ciel avant de disparaitre à l'horizon
C'est plus objectif, mais c'est moins vendeur. Quant au correspondant local, on ignore s'il a vu lui même le phénomène

Quant à l'article de l'Humanité, ( 3 ), du 4 avril, il vaut son pesant d'ignorance prétentieuse (nous l'abrégeons)

A vos lunettes!
Les astrologues sont invités à résoudre un problème qui, depuis trois ou quatre jours, intrigue passionnément les habitants de Cherbourg.
...
Est ce un météore, bolide ou planète, subitement entré dans le cercle de notre système astral ? est ce une comète qui s'est pour quelques jours, arrétée dans sa marche afin de contempler curieusement notre globe terraqué ?
Les astronomes ne le pensent point: ils inclinent plutôt à croire que des aéronautes font, à l'aide d'un ballon captif, des signaux lumineux...

Il n'y a pas une ligne de vraie, dans l'article de ce journaliste qui confond astrologie et astronomie

Le vice-amiral agit

Impatient d'en savoir plus sur ce mystérieux objet, le vice-amiral enjoignit au commandant du croiseur Chasseloup-Laubat de profiter de ses prochains essais en mer, après ses réparations à l'arsenal, pour déterminer la nature du phénomène. ( 4 )

1916
Le Chasseloup-Laubat, du nom d'un ancien ministre de la marine, qui partit observer Vénus en pleine mer

Les badauds s'en()mèlent

On peut déja s'étonner qu'un officier de marine au long cours, habitué à faire le point en mer, à l'aide des étoiles, ne sache pas reconnaitre Vénus. Mais ce ne fut pas le pire, car à partir de ce premier avril, badauds, officiers, journalistes, et même astronomes, se mirent à faire un concours à qui se montrerait le plus ignorant et dirait le plus de bétises. A la décharge du badaud, qui, le plus souvent, n'avait pas d'opinion, il faut remarquer que Vénus se montrait souvent nimbé par la brume, et que des nuages l'atténuait à l'occasion, donnant l'impression d'un projecteur qui change d'orientation.

Les premières descriptions connues à Paris, parlaient d'un disque, d'une lentille, d'une boule, avec un diamètre de 15 cm, et une auréole de 75 cm. Mais en même temps on avouait qu'il avait été impossible de déterminer l'altitude du phénomène. Comment en connaissait on le diamètre alors? Tout simplement parce qu'il s'agit d'une estimation arbitraire de la part des témoins, qui traduisent les valeurs angulaires en cm. Ainsi, le diamètre de la lune est estimé à 25 cm, et la longueur d'une comète s'étendant sur 2 ° sera estimé à 1 m. Ceci nous donnerait un diamètre de 18 ', et une auréole (la couronne) de 1.5 °. Pour le diamètre, cela parait trop, mais Vénus parait bien plus grand qu'une étoile, à cause de l'irradiation rétinienne, et la nébulosité empéchait de bien distinguer le disque (en fait, un croissant)

Et tous les soirs, les badauds s'assemblent, regardent, discutent.

Le Matin tient ses lecteurs en haleine. ( 5 )

CHERBOURG, 5 avril. - Dépèche particulière du « Matin ». - Aujourd'hui, le temps est légèrement couvert. La place Napoléon regorge de curieux, bourgeois, officiers de tous grades et de toutes armes, dames en très grand nombre, venus là pour observer le phénomène que je vous ai signalé, il y a deux jours. A huit heures trente du soir, à peu près exactement, le disque lumineux est réapparu au dessus du musoir central de la digue. Il a suivi de nouveau et avec une régularité mathématique le chemin qui lui est ordinaire. Il est onze heures et il vient de disparaître dans les profondeurs de l'horizon borné par la mer.
...
On accorde un bienveillant intérèt à la remarque d'un monsieur qui a constaté que la planète Vénus, qui brille d'un incomparable éclat à notre firmament depuis quelques jours, a échappé ce soir à son observation.
place napoleon
la place Napoléon à Cherbourg

La place Napoléon, proche du port, est noire de monde: ( 6 )

Cherbourg, 8 avril...
Hier, le temps était couvert, et l'observation impossible; mais avant hier, plus de trois mille personnes, les verres de lorgnettes ou de jumelles à l'oeil, suivirent le disque, dont la présence dans notre ciel dura, comme les jours précédents, trois heures à peine, après lesquelles il s'enfonça au nord-ouest, dans le vaste horizon fermé par la mer.

Puis la lune vient se mettre de la partie, histoire de compliquer le jeu pendant quelques jours.

ciel du 7

Le ciel de Cherbourg pour le 8 avril (la lune est à l'échelle)

dessin
A Paris, on est aussi sceptique sur la réalité du phénomène de Cherbourg que sur celle du prétendu complot napoléonien, ourdi par le capitaine Tamburini, qui défrayait la chronique à l'époque, comme le montre le dessin de Caran d'Ache, ci-contre, mélant les deux affaires.

légende: Quant au chef (du complot), impatient d'agir, il planait au dessus de Cherbourg, dans un ballon captif et lumineux. ( 7 )

Car, bien sûr, le meilleur moyen de se cacher est évidemment de se placer dans un engin qui attire tous les regards...
cdt de kerillis
le cdt Calloch De Kerillis
Le Chasseloup-Laubat étant rentré de ses essais en mer, on pouvait s'attendre à ce que son commandant délivre immédiatement aux esprits impatients, la vérité toute chaude. Mais c'est une promotion qui l'attendait. ( 31 )

A BORD DU CHASSELOUP-LAUBAT
  Samedi matin le Chasseloup-Laubat a arboré la cornette de commandement de M. le cap. de vaisseau Calloch de Kerillis, nommé chef de division de l'Atlantique Nord. Une salve de sept coups de canons a été tirée à bord. Le navire, qui a terminé ses essais, est prèt à rallier son poste.

Notons que Henri Augustin Calloch De Kerillis était officier de la légion d'honneur, et même officier d'académie. Nous verrons plus loin que cela n'implique rien en matière d'Astronomie.

Pendant ce temps, les autorités montaient le quart sur la place Napoléon ( 6 )

Cherbourg, 8 avril...
Toutes les autorités du port ont tenu conseil et, durant trois nuits, montèrent le quart sur la place Napoléon. De leurs observations, il a résulté qu’il fallait renoncer à l’hypothèse d’un ballon ou de signaux en mer, et qu’il s'agissait incontestablement d’un phénomène cosmique auquel demeurait étrangère toute participation humaine. Le disque lumineux était un astre.

Donc, le 8 avril, les autorités ont compris qu'il s'agissait d'un astre, mais sans savoir lequel.

Puisque les autorités, les savants, les augures, étaient si décevants, il ne restait plus qu'à lancer un appel général à ceux qui sauraient découvrir la clé de l'énigme. ( 31 )

Phénomène météorologique mystérieux
Malgré tout les avis de personnes ayant quelque compétences, malgré les solutions empruntées à des personnes de vaste imagination, on en est encore réduit aux plus larges conjectures sur le phénomène lumineux qui intrigue tant à Cherbourg.
...
Aussi avons nous pensé à faire appel à nos lecteurs et à solliciter leurs impressions sur ce phénomène.
...
Peut-être encore une fois aurons nous à constater que de la discussion jaillit la lumière.

Mais cette intention sera mal comprise, par Le Matin: ( 20 )

Je vous aurai indiqué l'état d'esprit de la population quand je vous aurai dit qu'un journal local, inaugurant un moyen incontestablement nouveau d'investigation, vient d'ouvrir un référendum, conviant ses lecteurs à apporter leur avis. C'est une originale façon de résoudre l'énigme. Les astronomes ayant refusé de braquer leur télescope, c'est M. Tout-le-monde qui décidera.

Voila une conception très "démocratique" de la Science, mais ce n'est pas tout à fait ce qu'avait écrit Cherbourg éclair, d'autant qu'avec cette méthode, la Terre serait encore plate.

Le Petit Journal est aussi sur la place Napoléon (où les cafetiers, s'il y en avait, devaient faire des affaires). ( 8 )

Cherbourg, 9 avril, soir.
Pendant toute la soirée une foule nombreuse s'est pressée sur la place Napoléon et dans les rues pour observer avec attention le phénomène dont le Petit Journal a déjà parlé.
Quelle que soit l'importance du météore, on peut dire qu'il aura fait couler des flots d'encre. Presque tous les journaux étrangers, particulièrement les anglais, demandent à leurs correspondants des renseignements très détaillés sur le disque lumineux.
Il est certain que cette constellation n'est pas ordinaire...

Les astronomes sont lamentables

observatoire
l'observatoire de Lucien Rudaux à Donville
Les journalistes les plus consciencieux, ou les plus compétents, en tous cas, les plus prudents, plutôt que d'étaler leur ignorance, allèrent consulter les augures, pardon, les savants.
Les savants, en l'occurrence, c'étaient les astronomes. Hélas, il n'y avait pas - ou plus exactement, il n'y avait plus - d'astronome à Cherbourg, et aucun astronome ne daigna se déplacer jusque là. Il fallut chercher alentour, et ce ne fut pas mieux.

Le premier "astronome" à être consulté, fut Lucien Rudaux.

Astronome amateur à Donville (Manche) ou il avait installé un petit observatoire en 1903, il commençait à être connu dans son département, comme le "directeur de l'observatoire de Donville". Il était donc logique que le journal local aille le consulter ( 32 ).

Et voila ce que ça donne:

Phénomène météorologique mystérieux
M. Lucien Rudaux, directeur de l'observatoire de Donville, près de Granville (Manche), et ayant par conséquent une expérience spéciale de cette région céleste ne pense pas que le phénomène « puisse être astronomique »; il ne correspond à rien qui ait été observé d'analogue jusqu'à présent en aucune station astronomique, ou autre. Les dimensions indiquées pour le disque lumineux n'apprennent pas grand chose. On sait - et c'est une base - que le disque de la lune observé à 57 centimètres de l'oeil présente un diamètre d'un demi-centimètre, soit celui d'un pain à cacheter. L'astre de Cherbourg - si c'en est un - avec ses 15 centimètres de diamètre, serait donc énorme et prodigieux en comparaison, et l'hypothèse d'un ballon captif lumineux est plus vraisemblable.

Le Temps reprend le texte de l'article de Cherbourg Eclair, sans le citer. (nous ne donnons que le début, la suite du texte étant identique). ( 9 )

Nous avons, d'autre part, demandé l'avis de M. Lucien Rudaux, directeur de l'observatoire de Donville, près de Granville (Manche), et ayant par conséquent une expérience spéciale de cette région céleste. M. Rudaux ne pense pas que le phénomène « puisse être astronomique »;

Hé non, mon brave Rudaux! Les 15 cm à bout de bras, ce n'est pas une base. Pour le témoin moyen, les 15 cm, sont à imaginer sur la "sphère céleste personnelle" de l'observateur. Sachant que le diamètre de la lune est comparé à celui d'une assiette, et que la longueur d'une comète s'étendant sur 2°, est estimée à 1 m, on en déduit le rayon de cette "sphère céleste personnelle", de l'observateur moyen: environ 28 m.
Ramener ces 15 cm à bout de bras, c'est donc diminuer la distance d'un facteur d'environ 50. C'est en fait 18' qu'il faut compter, et non 15 °. Mais supposons néanmoins que le diamètre apparent ait été de 15 °. Pour que ce fut un ballon, à une distance hors de portée des projecteurs du vice-amiral, il eut fallu qu'il soit de dimensions colossales: 500 m à 2 km, 790 m à 3 km, 1 km à 4 km!
Inversement, en oubliant les projecteurs, et en prenant une dimension vraisemblable pour un ballon militaire, c'est la distance qui devient trop courte: avec un ballon de moins de 20 m, la distance est inférieure à 75 m. C'est à dire que l'objet aurait du troner au milieu du port. Et personne ne s'en serait aperçu?
Heureusement Lucien Rudaux se rattrapera plus tard, en écrivant d'excellents ouvrages de vulgarisation, dont L'astronomie, pédagogiquement meilleur que l'astronomie populaire de Flammarion.

Le Matin, regrette qu'on ne puisse plus s'adresser à l'augure local: ( 6 )

Tout le monde, ici, s'accorde à regretter le décès de notre ancien maire, Emmanuel Liais, savant astronome, jadis directeur de l'observatoire du Brésil, et dont les connaissances spéciales auraient permis de lever le voile de cette énigme.

Le Siècle, remarque que c'est déjà un progrès que de faire appel à un astronome: ( 33 )

  Les gens sont intrigués. Ils ne s'expliquent pas le phénomène. Et savez-vous ce qu'ils disent, lorsque, le soir, ils regardent, le nez en l'air, l'azur sombre où se promène le météore?
  Ils disent: il faudrait un astronome. Pourquoi n'envoie-t-on pas un astronome de Paris, qui viendrait avec sa grande lunette et nous renseignerait?
  C'est justement le fait de demander un astronome pour expliquer ce qui se passe dans le ciel qui me paraît constituer un progrès immense.
  Car il y a deux cents ans seulement, on n'aurait pas cherché un astronome; on aurait cherché un prophète, un homme inspiré de Dieu qui aurait expliqué aux bonnes gens de Cherbourg leur situation.
  Il leur aurait dit que Dieu manifestait sa colère pour leurs méfaits, mais qu'il y aurait un moyen de l'apaiser.
  Et alors, selon que le saint homme aurait été entrainé vers l'architecture ou vers le militarisme, il aurait persuadé aux Cherbourgeois soit de bâtir une église, soit d'égorger quelques- uns des ennemis de Dieu.
J.CORNELY

J.Cornely exagère un peu. Deux cents ans, cela nous ramène en 1705, époque ou l'académie des sciences existait depuis une quarantaine d'années, mais avec quatre cents ans, ce qui nous ramène à 1505, cette remarque est tout à fait exacte. Pourtant, comme nous le verrons plus loin, 72 ans plus tard, Jean-Claude Bourret en sera encore à faire plus confiance à un prophète (Ezéchiel) qu'à un astronome.

La Croix, choisit de s'adresser directement à l'arsenal de Cherbourg. ( 10 )

Notre correspondant, plus avisé a été demander l'explication au très éminent directeur de l'observatoire maritime, M. de la Rosière, qui, sans hésitation, lui a donné le mot de l'énigme. L'astre, le météore lumineux, le ballon, etc., nest autre que la planète Jupiter.
Ce n'est pas la première fois que cet astre trop brillant vient étonner les naïfs sur notre globe.
En effet, Jupiter, du 4 au 11 avril, se couche vers 8 heures du soir, et à ce moment, il est environ à 17 degrés au nord de la ligne Est-Ouest.
ces chiffres répondent très exactement aux indication sommaires données par quelques correspondants: astre dans la partie nord de Cherbourg, marche régulière, disparition après une heure ou deux.
...
Un journal trop zélé annonce qu'il ne peut s'agir de Jupiter, qui, dit il, a disparu de notre ciel depuis le début de février; il aurait bien du consulter une éphéméride.

Les 8 heures du soir, c'est pour Paris, et non pour Cherbourg, mais c'est mieux. L'objet était bien une planète, et Jupiter était effectivement visible. Mais si le lieutenant de vaisseau De la Rosière avait mieux consulté ses éphémérides, il aurait vu que Vénus était également visible. Nous savons que la magnitude de Vénus était de -4.43, et celle de Jupiter de -1.9, c'est à dire que les témoins de l'époque voyaient Vénus 10 fois plus brillante que Jupiter, ce qui invalide l'identification de M. de la Rosière. D'autre part l'heure de disparition du phénomène était plus tardive que le coucher de Jupiter, mais compatible avec celui de Vénus. Si planète il y avait, c'était donc Vénus, et non Jupiter.
Quant au journal trop zélé, lisons le Journal des débats. ( 11 )

On a parlé de Jupiter, (en ce moment invisible sur notre hémisphère)

Jupiter invisible dans l'hémisphère nord? Cela ne serait possible que si Jupiter était au pole sud céleste. Le Journal des débats ferait bien d'investir dans un bon livre d'astronomie.

Le Petit Parisien s'adresse aussi au lieutenant de vaisseau De la Rosière ( 12 )

Mon avis, jusqu'à plus ample observation, est que nous nous trouvons en présence de la planète Jupiter, qui apparaît en ce moment très grosse à l'oeil nu.
L'auréole que l'on aperçoit autour du point lumineux est ce qu'on appelle un halo. Il se dessine surtout par les temps de brouillard, alors que l'étoile est voilée par un léger nuage.

Le lieutenant de vaisseau De la Rosière n'est ni bon astronome, ni bon météorologue, puisqu'il prend Vénus pour Jupiter, et confond une couronne avec un halo. Mais il est sur la voie: C'est bien une planète, et sa largeur apparente est due au brouillard.

Et l'observatoire de Paris, ce panthéon de l'astronomie française, qu'en pense-t-il?
A Cherbourg, on s'impatiente:
selon Le Matin: ( 5 )

« Il est insensé, disait-on, tout à l'heure, que l'observatoire de Paris n'ait rien fait pour donner le mot de l'énigme. »
Qu'il vienne donc, et qu'il apporte la lumière avant la fin de la semaine.

Selon La Croix: ( 13 )

On demande qu'un membre de l'observatoire de Paris, d'où on ne peut suivre le phénomène, vienne à Cherbourg faire une série d'observations.

Selon le Petit Journal: ( 14 )

Bien des gens demandent qu'un membre de l'Observatoire de Paris, d'où on ne peut suivre le phénomène, vienne à Cherbourg prendre une série d'observations et nous apporter la lumière.

Pourquoi, l'observatoire de Paris méprisait il la cause des Cherbourgeois, alors que les américains semblaient s'y intéresser?( 11 )

On annonce la prochaine arrivée d'une mission scientifique américaine désireuse d'étudier ce phénomène cosmique nouveau

observatoire
l'observatoire de Paris en 1905
Puisque l'observatoire n'allait pas à Cherbourg, ce furent les journalistes qui allèrent à l'observatoire. Et ce fut encore pire (nous abrégeons): ( 12 )

En l'absence du directeur, M. Loewy, nous avons été reçu par le secrétaire, M. Fraissinet, - une jolie tête de savant, encadrée d'un collier de barbe grise.
M. Fraissinet, ordinairement grave comme doivent l'être tous les gens qui s'occupent des choses du ciel, sourit aussitôt quand nous nous mimes à exposer l'objet de notre visite.
Le phénomène de Cherbourg?... Une fumisterie, monsieur... Ce ne peut être qu'une fumisterie... répondit il aussitôt.
Il reprit:
Nous n'en connaissons ici, il est vrai, que ce que les journaux ont publié à son sujet. En effet, contrairement a ce qu'on a prétendu, aucune note ne nous a été transmise, personne ne nous a avisé.
...
Assurément, répond M. Fraissinet, ni Vénus ni Jupiter ne doivent être mis en cause, car, en ce cas, ce n'est pas seulement à Cherbourg que le phénomène serait constaté
...
- Voulez vous mon idée de derrière la tête? Eh! bien, il doit y avoir par là quelque farceur qui s'amuse au détriment de ses concitoyens.

Hé bien voyons! Un farceur avec des moyens colossaux, s'amuse à mystifier les Cherbourgeois à l'aide d'un gigantesque ballon captif lumineux, insensible au vent, et qu'il manipule savamment tous les soirs pour lui faire imiter la course de Vénus.
Quel pince-sans-rire, ce M. Fraissinet ( Auguste, de son prénom ).

Les météorologues n'y comprennent rien

Les météorologues seraient ils plus brillants? Hélas non. ( 15 )

M. Charles Vélain, professeur de géographie physique et de météorologie, donne son avis sur la question:

Ce n'est pas un météore. Tout d'abord j'avais pensé qu'il s'agissait d'un halo. Mais les dimensions du disque lumineux, la périodicité du phénomène, excluent maintenant cette hypothèse.
Selon moi, il doit s'agir simplement d'expériences de navigation aérienne.

M. Mascart, directeur du bureau central météorologique, partage cette opinion:

- Je ne possède, nous dit il, aucun renseignement certain sur le phénomène, aucune observation scientifique. Mais s'il est tel que le décrivent les journaux, ses caractères ne s'appliquent à aucun météore observé jusqu'ici.
meteo
Et le bureau météorologique ayant fait appel à toute sa sagacité, n'y comprend rien, selon l'usage.

Voila des météorologues comme en dessinait Christophe, pour Le savant Cosinus

Le commandant rend son rapport

Le Chasseloup-Laubat étant rentré au port, le capitaine de vaisseau Calloch de Kérillis, maintenant chef de division de l'Atlantique Nord, rendit enfin compte de sa mission. Mais ce n'était toujours pas concluant (nous citons les journaux): ( 16 )

La position du corps lumineux a paru aux officiers du Chasseloup-Laubat, qui l'ont observé, assez éloignée de celle qu'aurait du occuper Vénus à cette heure; de plus, le noyau ne paraissait pas non plus en correspondance à la forme du croissant de cet astre; mais, étant donné les conditions défectueuses d'observation dans lesquelles on s'est trouvé, le batiment étant à la mer, ils ne croient pas devoir tirer une conclusion ferme.

C'est bien la peine d'avoir cinq galons ou trois étoiles à sa casquette, pour découvrir, après coup, qu'on navire en mer est moins stable que la terre ferme pour observer un astre.
Les officiers n'arrivent pas à identifier l'astre, mais il est probable qu'ils ont mis le cap dessus, auquel cas, ils se sont aperçus que la hauteur de l'objet ne changeait pas quand on s'en approchait, ce qui excluait le ballon.
Mais si la position ne correspondait pas avec celle où on s'attendait à voir Vénus, où était donc Vénus? les officiers du Chasseloup-Laubat ne semblent pas l'avoir vu, sans quoi, ils auraient mentionné que la vraie Vénus était visible dans une autre direction. S'ils ne l'ont pas vu alors qu'elle était devant leurs yeux, c'est évidemment parce que l'objet qu'ils observaient était bien Vénus.
Néanmoins, le commandant confirme que c'est bien un astre: ( 17 )

Le commandant du cuirassé Chasseloup-Laubat, dont nous avons relaté hier le rapport au préfet maritime sur le phénomène lumineux de Cherbourg, conclut en ce qui le concerne, qu'il s'agit bien d'un corps céleste.


Vénus est d'ailleurs de plus en plus soupçonnée: ( 17 )

Il est bon de remarquer que ces apparences lumineuses déconcertantes peuvent tout spécialement se produire avec Vénus dont le régime astronomique a été déconcertant en maintes circonstances. Son éclat est tout particulier, on l'admire principalement dans les soirs où elle s'écarte à ses plus grandes élongations du soleil et retarde de trois heures sur le coucher du soleil.

Hélas, ce petit cours d'astronomie est aussi l'occasion de sortir quelques bétises de plus: ( 17 )

Cette capricieuse planète posséde aussi ce qu'on a nommé le phénomène de la « lumière secondaire »...
On a pensé aussi qu'il s'agit peut être d'une « lumière cendrée » analogue à celle de la lune, et qui aurait sa cause dans la lumière réfléchie par la terre, ou par Mercure vers Vénus.

(lorsque Vénus est en croissant, l'éclairement qu'elle reçoit de la terre est des dizaines de milliers de fois plus faible que celui que la Lune en reçoit)

Ces surprises peuvent être accentuées en ce moment par ce fait que, d'après ce que relate l'abbé Moreux, directeur de l'observatoire de Bourges, l'activité solaire constatée par lui à partir du 2 février dernier, et qui réagissait peut être sur le phénomène de Cherbourg, a brusquement cessé.

Et les officiers du Chasseloup-Laubat ne sont pas en reste ( 17 )

A la dernière heure, notre correspondant de Cherbourg nous dit que les officiers du Chasseloup-Laubat, après avoir coordonné leur observations, ne seraient pas éloignés de penser finalement qu'il s'agirait d'une comète;

Une comète qui ne serait observable, en tant que comète, que du pont du Chasseloup-Laubat? Hum!

Quant à la très sérieuse Académie des Sciences, elle finit par s'y mettre aussi: ( 18 )

Il y a, aux environs de Paris, un brave aéronaute forain, qui n'est pas du tout de cet avis. Il croit fermement que le phénomène en question est tout simplement... un ballon construit par lui, contenant des lampes à incandescence, qui lui a été commandé, il y a quelque temps, par des Américains.
Il aurait expédié cet aérostat dans une gare de Paris, où ses clients en auraient pris livraison quelques jours avant les apparitions aériennes de Cherbourg.
Et savez vous où nous entendions parler de cette version plutôt originale? Dans le vestibule même de l'Académie des sciences.
Il est vrai que nos savants souriaient doucement de cette idée... lumineuse.


festival de stupidités

Ces bêtises vous ont plu? Alors en voici un petit inventaire.
- Un ballon captif anglais faisant des signaux
- Un ballon dirigeable
- Un cerf-volant
- Un nouveau soleil
- Un nouveau satellite
- Une comète en formation
- Une nébuleuse
- Une nouvelle planète
- Un "météore" (sans plus de précisions)
- Un mirage
- Une aurore boréale
- Une mystification (à l'aide de quoi?)
- Un bolide
- Un ballon libre en train d'atterrir (à Nantes)
- Une expérience de navigation aérienne (car les avions n'existaient pas encore)
- Un halo provenant d'une déviation de l'image solaire
- Un phénomène lumineux d'ordre magnétique
- La planète Jupiter

Et Camille Flammarion relève des hypothèses encore plus surréalistes: ( 19 )
- Est-ce une étoile temporaire comme celle qui terrifia nos ancêtres l'année de la Saint-Barthélémy? Est-ce l'étoile des mages qui ressuscite? Ne serait-ce pas un météore d'un nouveau genre, un bolide fixe, roulant, diurne, périodique? un tonnerre en boule se reformant chaque soir? un parhélie vertical dû à la réfraction du soleil couché? un halo atmosphérique?

Et le pire, c'est que certaines de ces stupidités furent évoquées par des astronomes!
La planète Vénus avait bien été évoquée par "une personnalité cherbourgeoise", mais son avis n'eut pas de succès.

La solution du mystère

Il y eut quand même quelques publications pour sauver l'honneur, à commencer par le journal local.

Dès le 5 Avril Cherbourg Eclair soupçonne la planète Vénus: ( 21 )

Il a été constaté, très sérieusement, que la planète Vénus, qui brille d'un incomparable éclat depuis quelque nuits, échappait à l'observation quand apparaissait le phénomène.
  Y a-t-il là un point quelconque de corrélation?

Puis le 11 avril, le même journal, suite à l'appel à ses lecteurs, donne la plume à un lecteur éclairé: ( 34 )

Je crois qu'il est temps en effet de faire cesser les inquiétudes de ceux qui s'imaginent voir un astre mystérieux, et je vous avoue que ce n'est pas un spectacle banal de rencontrer le soir à tous les coins de rue des groupes regarder curieusement... la planète Vénus, communément désignée sous le nom d'«Etoile du Berger».
  Il y a deux mois que l'on peut en effet la voir, et dès la tombée de la nuit, car son éclat a augmenté jusqu'à ces jours ci où son diamètre apparent est six fois plus grand qu'à la fin de l'année. Parfois elle est apparue à travers un brouillard un peu dense, et il se produisait un magnifique halo dont la lumière paraissait aussi à peu près vive que le halo de la lune à ses premiers jours. Quand elle se couche au contraire dans un ciel pur, elle devient d'un beau rouge qui est celui de tous les astres à leur coucher ou à leur lever, ce qui est du à la vapeur d'eau d'une épaisseur plus grande d'atmosphère.
...
R.LEVESQUE

Et voila! C'était Vénus. Par contre notre lecteur s'y connait moins en optique atmosphérique, car ce n'était pas un halo, mais une couronne, et le rougissement à l'horizon n'est pas du à la vapeur d'eau mais à la Diffusion de Rayleigh

Le Petit Parisien donne aussi la parole à un partisan de Vénus:( 12 )

Une autre personnalité cherbourgeoise bien connue pour s'occuper d'astronomie croit se trouver en présence de la planète Vénus. Voici, d'ailleurs, les très intéressantes explications qu'il nous a données:
- J'ai commencé, dit il, à observer Vénus, que l'on appelle indifféremment l'étoile du berger, l'étoile du matin ou l'étoile du soir. Depuis le commencement de l'année, Vénus apparait le soir et, de 17 secondes 8 en janvier, son diamètre apparent a graduellement augmenté pour atteindre 61 secondes 4. C'est à cette grosseur que les Cherbourgeois observent en ce moment le phénomène.

Ensuite Le Temps: ( 4 )

Nous avons demandé son avis, sur ce sujet, au maitre Camille Flammarion. Voici ce qu'il a bien voulu nous dire:
Il est véritablement étrange que depuis 10 jours qu'ils observent avec stupéfaction cette « lueur mystérieuse », les habitants de Cherbourg ne l'aient pas comparé à Vénus qui brille actuellement d'un vif éclat dans le ciel du couchant. Cette absence de comparaison me fait penser qu'ils prennent tout simplement l'« étoile du berger » pour un astre nouveau

Puis, c'est l'Illustration qui donne la parole à Camille Flammarion: ( 22 )

Depuis plus de quinze jours tous les journaux se font l'écho d'une observation mirobolante faite par les habitants de l'une des plus grandes villes de France, qui contemplent tous les soirs dans leur ciel un astre inconnu et inexplicable. Ce «mystère» de Cherbourg fait couler des flots d'encre. Quelle peut être cette apparition céleste!
...
Des milliers de personnes cherchent tous les soirs la solution de l'énigme. Le préfet maritime prescrit une enquête et le commandant du cuirassé Chasseloup-Laubat rédige un rapport. Les officiers de marine ne se prononcent pas. Le phénomène lumineux reste enveloppé d'un profond mystère (note 1)
On peut lire dans les journaux les mieux informés qu'un bolide a été vu à Tunis et qu'il pourrait bien être venu planer sur la rade de Cherbourg. Un journal de Paris, daté du 16 avril, publie ceci: «Le globe lumineux que l'on apercevait à Cherbourg a fait son apparition, il y a trois jours, à La Réole (Gironde), et tous les soirs une grande quantité de curieux se rendent sur un point élevé de la ville pour examiner ce curieux phénomène.» Etc., etc.
...
Voilà ce qu'on peut lire partout, assaisonné de mille insanités. Or, depuis trois grands mois, la belle planète Vénus, l'étoile du Berger, l'astre le plus éclatant de la voûte étoilée, brille tous les soirs dans le ciel de l'ouest, crevant les yeux, pour ainsi dire, de son éblouissante lumière.
...
Pour en revenir à Vénus, cause de tout cet émoi populaire, le premier étonnement des Cherbourgeois a dû être causé par l'agrandissement apparent de ce point lumineux vu à travers une atmosphère humide et mal défini. L'imagination aura fait le reste.
Note 1: Notre correspondant, M. J. Desrez, a pris, à l'intention de nos lecteurs, ce croquis sommaire indiquant, au-dessus des «Ormeaux», la lueur mystérieuse telle qu'elle apparaissait aux Cherbourgeois vers le 10 avril.
croquis

Et Flammarion, comme d'habitude de déplorer l'ignorance publique, et de vanter le savoir de sa Société Astronomique de France. Mais que montre le croquis? Le mystérieux phénomène, est il cette tache blanche, à gauche? Que nenni! Il suffit de comparer avec la reconstitution du ciel par Stellarium pour voir que cette tache n'est autre... que la lune.

ciel du 10

Enfin, Flammarion ne pouvait pas laisser passer l'occasion de dénoncer ce magnifique exemple de l'ignorance populaire, dans le bulletin de sa société (nous abrégeons). ( 19 )

    Le phénomène lumineux de Cherbourg. -- L'ignorance publique est véritablement formidable. Pendant quinze jours, le « phénomène lumineux » de Cherbourg a fait couler des flots d'encre. Toute une ville de France, et non des moindres, regardait, chaque soir, cette « lueur inexpliquée », et les correspondahts des journaux de Paris leur adressaient les descriptions les plus bizarres et les plus contradictoires. On parlait d'un disque ovale décrivant des sinuosités dans le ciel. On invoquait l'apparition d'un météore électrique, d'un halo provenant d'une déviation de l'image solaire, d'un ballon captif Illuminé, d'un nouveau genre de signaux maritimes, d'un astre inconnu, d'une comète, d'une « constellation »! Les descriptions ont été si variées, que les lecteurs se demandaient aussi s'il ne s'agissait pas là d'une réclame audacieuse rappelant les essais d'annonces lumineuses faits en Amérique sur les nuages.
Il y a mieux. Le onzième jour d'observation, le 11 avril (car l'étrange apparition avait commencé le 1er, et les marins auraient pu la prendre pour un poisson d'avril), le préfet maritime de Cherbourg prescrit au commandant du Chasseloup-Laubat d'étudier le phénomène lumineux. les officiers de marine ne peuvant expliquer le mystère; l'un d'eux pense, toutefois, que ce pourrait etre la planete Jupiter.
...
    Or, un astre éblouissant de lumière resplendissait tous les soirs dans le ciel du couchant. C'est Vénus, la célèbre Etoile du Berger. On la voyait de tous les points de la France, de l'Europe, de l'Asie, des Etats-Unis, et de Cherbourg, comme de tous les autres pays. Depuis trois mois, elle trônait au-dessus de nos têtes tous les soirs. De plus, elle était à son maximum d'éclat, si lumineuse qu'elle portait ombre, comme un petit clair de lune, Et personne, à Cherbourg, ne parle de Vénus, personne ne lui a comparé l'éclat du nouvel astre situé dans la mème région du ciel, personne n'a pensé que cet astre mystérieux pourrait bien n'être autre que la radieuse planète, personne n'a eu l'air de savoir que Vénus était là !
    L'administration prescrit une enquête !
    Tous les journaux de France se font les échos de l'étonnement des Cherbourgeois.
    En vérité, c'est tellement fort que je me demande moi-même si je ne rêve pas en rapportant une pareille histoire, si une telle plaisanterie est possible en plein vingtième siècle.

Flammarion oublie de mentionner qu'à Cherbourg, quelqu'un avait déjà pensé à Vénus, et que lui même fut interrogé par Le Temps. Il ne relève pas non plus l'incompétence étonnante de l'observatoire de Paris. Probablement ne tient il pas à sa facher avec les membres de cet observatoire, où il avait autrefois travaillé

Près d'un demi siècle plus tard, une vague d'observations de "soucoupes volantes" submerge la France. L'Astronomie, bulletin de la société astronomique de France, ne peut s'empécher de rappeler l'illustre confusion:( 23 )

Or, il y a presqu'un siècle, exactement en 1905, une aventure du même ordre fut déclenchée en France. Voici ce que l'on pouvait lire dans notre Bulletin de mai 1905, page 243, sous ce titre: Le phénomène lumineux de Cherbourg :

(suit l'article précédent)
Le rédacteur est peut être mal placé pour critiquer les erreurs des autres, lui qui écrit siècle, au lieu de demi-siècle.

Mais l'affaire est parfaitement claire:

Début avril 1905, à Cherbourg, Vénus brillait de tout son éclat, vers l'ouest-nord-ouest
Mais les Cherbourgeois ne l'ont pas vu. A la place ils ont vu un mystérieux phénomène qui avait l'éclat de Vénus, le mouvement de Vénus, et les heures d'apparition et de disparition de Vénus
Dès lors, si l'on veut qu'un authentique phénomène mystérieux soit apparu sur Cherbourg, pour tenir du compte du fait qu'on ne voyait qu'un seul objet, et non deux, il faudrait admettre que, pendant qu'un mystérieux objet imitait la planète Vénus, la planète Vénus, elle, avait disparu, ce qui est intenable

C'était donc bien Vénus, dont l'apparence était altéré: le fait qu'on ait décrit une auréole de 1.5° indique que l'image de Vénus était entourée d'une "couronne", phénomène du à la diffraction de la lumière de Vénus par de microscopiques gouttelettes de brouillard.

Nous pouvons même nous payer le luxe de voir ce que les Cherbourgeois ont vu.

Vénus avec une couronne

Vénus entouré d'une couronne trône au-dessus de Jupiter le 11 mars 2004 (photo Lorie Giebel)

Quant au prétendues évolutions, elles n'apparaissent que dans dans une lecture trop rapide des sources initiales, en oubliant la signification réelle des mots employés par le témoin moyen:
"une énorme boule lumineuse, qui, après avoir décrit une courbe au dessus de la ville, disparut vers onze heures, dans la direction d'où elle était venue."

L'expérience de l'enquéteur céleste, apprend que pour le témoin moyen, un point lumineux brillant, comme Jupiter ou l'ISS, ça s'appelle une boule. "une énorme boule" signifie simplement: un point lumineux très brillant.
De même une "courbe au dessus de la ville" signifie en pratique, une courbe dans le ciel
Enfin "la direction" signifie en fait le secteur, Sud-Ouest, Ouest, Nord-Ouest, et...
Finalement ce passage doit être traduit: "un point lumineux très brillant, qui, après avoir décrit une courbe dans le ciel, disparut vers onze heures, dans le même secteur où il était apparu."
Méconnaître cette façon de décrire les objets qu'ont les témoins, tout en étant partisan de l'hypothèse de l'engin mystérieux, conduit à traduire:
"Un énorme globe lumineux, qui, après décrit une trajectoire courbe au dessus de la ville, disparut vers onze heures, dans la direction d'où il était venu."

Mais les articles détaillés envoyés par des correspondants locaux, décrivant la scène comme s'ils s'étaient trouvés avec les témoins, insistent sur la régularité de la course de l'objet, qui apparaissait tous les soirs avec un décalage de quelques minutes, et finissait par disparaitre à l'horizon en changeant de couleur. C'était bien là le comportement de Vénus.

Les ufologues entrent en scène

Pour l'astronomie, la cause est entendue, c'était Vénus.

Cependant, en 1925, l'extravagant Charles Fort, déjà auteur du livre des damnés, récupère l'affaire de Cherbourg, et tente de montrer l'insuffisance de l'explication par Vénus. ( 24 )

Charles Fort
Charles Hoy Fort
These were about the hours of the visibility of Venus. In this period, Venus set at 9:30 P.M., and Jupiter at 8 P.M. It is enough to make any conventionalist feel most reasonable, though he'd feel that way anyway, in thinking that of course then this object was Venus. In my own earlier speculations upon this subject, this one datum stood out so that had it not been for other data, I'd have abandoned the subject. But then I read of other occurrences: time after time has something been seen in the local sky of this earth, sometimes so definitely seen to move, not like Venus, but in various directions, that one has to think that it was not Venus, though appearing at the time of visibility of Venus. Between these appearances and visibility of Venus there does seem to be relation.
C'était à peu près les heures de visibilité de Vénus. Durant cette période, Vénus se couchait à 21h30, et Jupiter à 20 heures. Il suffit de faire une hypothèse conventionnelle très raisonnable, même si elle a déja été faite de toute façon, en pensant que, bien sûr, cet objet était alors Vénus. Dans mes propres spéculations antérieures sur ce sujet, cette donnée ressortit de telle sorte que si il n'y avait pas eu d'autres données, j'aurais abandonné le sujet. Mais ensuite j'en ai lu d'autres occurrences: chaque fois quelque chose a été vu dans le ciel local de cette terre, parfois vu si nettement se déplacer, pas comme Vénus, mais dans différentes direction, que l'on doit penser que ce n'était pas Vénus, bien qu'apparaissant au moment de la visibilité de Vénus. Entre ces apparitions et la visibilité de Vénus il semble bien exister une relation.

Il faut dire que Charles Fort, n'a jamais rien compris à l'astronomie, à ses pompes et à ses oeuvres, au point qu'il prenait le symbole " pour celui du pouce anglo-saxon, alors qu'en astronomie, il s'agit de la seconde d'arc. Inutile, donc, de lui demander à quoi on reconnait Vénus. Inutile de lui demander pourquoi les Cherbourgeois n'ont pas vu Vénus, qui était devant leurs yeux. Pourquoi ils ne voyaient qu'un seul objet, et pas deux. Son problème n'était pas de comprendre ce qui s'était réellement passé à Cherbourg, mais de sauver le mystère. Il raisonne donc comme un ufomane, en ne s'intéressant pas aux informations fiables, qui permettent de comprendre, mais aux informations incompatibles avec l'explication officielle, sans se soucier de leur fiabilité, ni de leur cohérence

Puis en 1953, Desmond leslie, co-auteur de Flying saucers have landed avec le charlatan Georges Adamski, mentionne le phénomène en oubliant son identification: ( 25 )

1905 April 1st.Cherbourg, France. Glowing disk, with corona, seen over the town several nights in succession.
1er avril. Cherbourg, France. Disque incandescent, avec une couronne, vu au-dessus de la ville plusieurs nuits consécutives.

En 1972, on va voir l'affaire de Cherbourg être mentionnée comme un cas d'école, dans un article étudiant le problème des OVNI. ( 26 )

S & Av
Curieux mais méfiants, les scientifiques savent que l'erreur humaine n'a pas de bornes. Un exemple, qui serait incroyable si les journaux de l'époque n'avaient abondamment fait état de l'événement au cours de son déroulement, est donné par le « phénomène de Cherbourg » de 1905. Cette année-là, à partir du 1er avril, apparut dans le ciel de cette ville une lueur remarquable dont les détails étalent décrits différemment selon les témoins, les éléments les plus constamment retenus étant la forme ovale et l'irrégularité du mouvement. Il fallut quinze jours d'observation pour que la lueur puisse être identifiée avec la planète Vénus. On notera, parmi les multiples enseignements de cette affaire, que l'étude effectuée le 11 avril, sur l'ordre de la Préfecture maritime, par les officiers de marine de la base, n'avait abouti à aucun résultat et aussi que, si l'on cherchait aujourd'hui à analyser les témoignages recueillis seulement le premier jour, on-devrait rejeter « I'hypothèse Vénus » comme inconciliable avec les faits. Ainsi, au cas où le ciel de Cherbourg aurait été couvert du 2 au 15 avril, il y aurait dans les archives un OVNI de première grandeur.

Cette conclusion n'est pas tout à fait exacte. Les officiers de marine avait tout de même conclu que ce ne pouvait être qu'un astre, et si les données du seul premier jour d'observation, ne permettent pas de considérer l'explication par Vénus, comme certaine ou probable, à travers la grille de traduction que nous avons vu, l'explication est néanmoins possible.

Puis l'affaire va atterrir en 1977 dans le catalogue d'observation d'OVNI de Michel Bougard. ( 27 )

bougard
Michel Bougard
Très exactement trois jours plus tard, c'est à dire le 1er avril 1905, un objet étrange, ne ressemblant en rien à un poisson, apparut dans le ciel de Cherbourg. Bien que le quotidien normand « l’Astre » décrit le phénomène comme une grosse étoile rougeâtre en mouvement, Camille Flammarion, l’astronome bien connu, expliqua cette observation par la planète Vénus dans un des bulletins de la Société Astronomique de France (vol. 19, p.243). Mais qu’en était-il exactement ? Le « Journal des Débats » du 4 avril signalait qu’en fait l’objet était apparu à plusieurs reprises, entre vingt heures et vingt deux heures, au dessus de la ville de Cherbourg. Dans une autre édition du « Journal des Débats » (12 avril), on précise que la dimension apparente était de 15 cm et que l’objet était ovale. Dans le « Figaro » du 13 avril, le commandant de Kerillis du « Chasseloup-Laubut » estimait que la position du corps ne correspondait nullement à celle de Vénus.
...
Ma conviction personnelle est que la planète Vénus a commencé, en avril 1905, une belle carrière d’« agent de confusion », et que d’autres astronomes ou scientifiques n’allaient pas manquer de l’utiliser de nouveau quelques décennies plus tard pour expliquer bon nombre d’observations d’O.V.N.I.

A en croire Bougard, c'est abusivement que Flammarion identifiait le phénomène à Vénus, car Bougard collectionne, comme Fort, les éléments qui ne collent pas avec Vénus. Et c'est bien normal puisque Bougard recopie Fort, en le traduisant tant bien que mal. C'est ainsi que "le phénomène de Cherbourg", devient chez Charles Fort, "l'Astre Cherbourg", puis chez Bougard, le journal "l'Astre".
C'est dire assez que l'argumentation de Bougard vaut encore moins que l'argumentation de Fort, c'est à dire rien.
Quant à sa conclusion, elle n'est pas claire. Veut il dire que l'affaire de 1905 inaugurait une longue série de confusion avec Vénus, ou veut il dire qu'à partir de 1905, les astronomes ont commencé d'expliquer les OVNI par des confusions avec Vénus?

La Science, selon Jean-Claude Bourret

bourret
Jean-Claude Bourret
On ne présente plus Jean-Claude Bourret à ceux qui ont connu les années 70. Pour les autres, rappelons que, tenant une émission radiophonique, intitulée Pas de panique, au moment de la vague d'OVNI de 1973/1974, il interviewa de nombreuses personnalités sur ce sujet, et en sortit un livre: La nouvelle vague des soucoupes volantes.
Le succès venant, il embraya sur une série de conférences ( où on lui demandait régulièrement s'il y avait une base d'OVNI dans le triangle des Bermudes ), et sur de nouveaux livres sur les OVNI, bourrés de rapport de gendarmerie.
Son hypothèse favorite était, à l'époque, que les OVNIs viennent du futur, et son adage favori ( repris au physicien James Mc Donald ) était que "les OVNIs sont le plus grand problème scientifique de tous les temps".
Mais Jean-Claude Bourret n'était pas lui même scientifique. Qu'entendait il donc par "scientifique"?. Nous allons le comprendre en lisant ce qu'il dit, en 1977, de l'affaire de Cherbourg dans la science face aux extra-terrestres. ( 28 )
Il commence par citer quelques articles, prétendument publiés par Cherbourg-Eclair, mais qui en réalité viennent de journaux parisiens, puis il commente.

« Le journal de Caen, pour sa part, signale qu'un officier chargé de relever des observations sur l'astre mystérieux que l'on observe depuis quelque temps avait cru pouvoir identifier que l'astre était la planète Jupiter. L'inexactitude de ce renseignement a été scientifiquement démontré et l'on croit qu'il s'agit d'un phénomène céleste que les astronomes n'ont pas eu jusqu'à présent à étudier. »

Les tentatives d'explications sont tout à fait significatives d'un état d'esprit qui n'a pas changé. En 1905 comme en 1977, nous, les Terriens, connaissons tout. Cette évidence étant répétée, en 1905 comme en 1977, les rationalistes dogmatiques n'hésitent pas à puiser dans les connaissances acquises, pour coller une explication, aussi absurde soit elle, sur un phénomène manifestement nouveau et inexplicable. L'astronome Lucien Rudaux, de l'observatoire de Donville; a estimé le diamètre de cet «astre» à trente fois celui de la planète Lune. Or, il ne s'agissait pas d'un astre puisque cette lueur extraordinaire était visible dans un rayon maximum de 50 km autour de Cherbourg.
...
Cherbourg a-t-elle vu en 1905 ce que le prophète Ezéchiel a vécu il y a plus de 2 500 ans, en 592 avant Jésus-Christ? Dans la revue de l'Unesco Impact, de décembre 1974, un ingénieur de la NASA, Joseph Blumrich, va beaucoup plus loin que la simple hypothèse. Ce technicien de l'espace cosmique, à partir des récits de la Bible a reconstitué le vaisseau spatial à bord duquel Ezéchiel a fait un voyage terrorisant.

Ainsi donc, selon Bourret, les terriens sembleraient avoir toujours cru tout savoir, surtout de 1905 à 1977. Les sceptiques, les Pyrrhonistes, les Socrate et les Montaigne, n'auraient donc jamais existé.

Au fait, quel "rationaliste dogmatique" disait que le phénomène de Cherbourg était Vénus? C'était en particulier Camille Flammarion. Ce même Flammarion qui fustigait les esprits dogmatiques, étudiait les fantômes, et proclamait que "l'inconnu d'hier est la vérité de demain".
Ainsi, à en croire Jean-Claude Bourret, Camille Flammarion aurait été un rationaliste dogmatique, qui, sans doute, ne menait ces recherches hors normes, voire sulfureuses, que pour tromper ses adversaires.

Ensuite, les vilains rationalistes utilisent les connaissances acquises: c'est mal. La connaissance c'est fait pour remplir des rayonnages de bibliothèque. Pas pour s'en servir.

Le phénomène de Cherbourg était "manifestement nouveau et inexplicable". Dame, puisque Vénus appartient aux connaissances acquises, et qu'on n'a pas le droit de s'en servir, le phénomène est forcément inexplicable.

"L'astronome Lucien Rudaux, de l'observatoire de Donville; a estimé le diamètre de cet «astre» à trente fois celui de la planète Lune."
D'abord, la lune n'est pas une planète, ensuite Lucien Rudaux n'a pas observé l'astre, ni estimé son diamètre. Il n'a fait qu'essayer de traduire - de travers - les estimations des témoins. Enfin, pourquoi Lucien Rudaux aurait il raison contre Camille Flammarion, qui s'y connaissait au moins autant que lui?

"cette lueur extraordinaire était visible dans un rayon maximum de 50 km autour de Cherbourg.". De quel chapeau de magicien sortent donc ces 50 km? Aucune source consultée n'en parle.

"Cherbourg a-t-elle vu en 1905 ce que le prophète Ezéchiel a vécu il y a plus de 2 500 ans"
Rappelons que si, le livre d'Ezechiel est, pour appeler un chat, un chat, un livre délirant, "la roue d'Ezéchiel" est une légende. Ezéchiel n'a jamais parlé d'UNE roue, encore moins d'un engin ressemblant à une soucoupe volante.
On peut consulter le dossier ici
On se demande quelle drogue invraisemblable les témoins de Cherbourg auraient du prendre pour réussir à voir la scène hallucinante d'Ezéchiel, à la place de leur minable grosse étoile auréolée.
Et nous avons vu plus haut que, dans le journal Le Siècle, J.Cornely expliquait que c'était un progrès que les cherbourgeois réclame un astronome, car deux siècles plus tôt, ils auraient fait confiance à un prophète. Or c'est exactement ce que fait ici Jean-Claude Bourret.

Donc, à en croire ce passage de Jean-Claude Bourret, la Science ce serait:
- De ne pas se servir des connaissances acquises.
- De faire confiance aux savants qui vous donnent raison, et de traiter les autres de "rationalistes dogmatiques".
- De faire confiance à des informations venues on ne sait d'où, quand elles confortent votre opinion.
- De faire confiance à des textes délirants pourvu que leur interprétation vous donne raison.

Aujourd'hui, la légende

Avec le temps, l'histoire exemplaire du phénomène de Cherbourg s'est réfractée dans plusieurs cultures.

schatzman
Evry Schatzman
Dans la culture rationaliste, elle devient l'archétype de la confusion grotesque, où même les autorités se font piéger. Voici comment Evry Schatzman, médaille d'or du CNRS et membre de l'institut, raconte l'affaire en 1992. ( 29 )

Il est vrai que la poursuite de Vénus n'est pas une affaire nouvelle. A l'époque de la séparation de l'Église et de l'Élat en France en 1905, la presse de Brest publia de nombreux articles sur un mystérieux aérostat que l'on voyait tous Ies soirs au large de Brest. Cela attira l'attention de la presse pasienne, et finalement le Préfet maritime envoya un aviso à la poursuite de cet objet. Comme le raconta alors Flammarion dans L'Astronomie. "l'aviso poursuivit la planète Vénus pendant plusieurs heures sans s'en rapprocher sensiblement".

Cette histoire de poursuite est plaisante, mais manifestement, Evry Schatzman, qui avait déja raconté l'affaire en 1983, lors d'une table ronde sur les OVNI, a été trahi par sa mémoire. N'étant pas encore né à l'époque ou parut l'article original de Camille Flammarion, il avait probablement lu l'histoire dans le numéro de novembre 1954 de l'Astronomie, à l'époque de sa parution. Voila pourquoi, 38 ans après, nous lisons "aviso", au lieu de "croiseur", et "Brest" au lieu de "Cherbourg"

Il est, bien sûr, tout à fait normal, que sur une autorité aussi sûre, un site se voulant sérieux, reprenne cette histoire: ( source au 29/04/2012 )

Un cas célèbre cité par Flammarion dans L'Astronomie est la poursuite de Vénus pendant plusieurs heures au large de Brest par un aviso (bâteau-courrier).

En sens inverse, la culture ufomaniaque ne veut se souvenir que des éléments qui invalident l'explication par Vénus, à l'instar de Charles Fort, Michel Bougard et Jean-Claude Bourret. Voyons donc ce qu'écrit le Forum OVNI Ufologie (FOU, pour les intimes):

En 1905 un phénomène insolite apparut pendant plus d’une semaine dans le ciel nocturne du port français de Cherbourg.
A mes yeux cet événement revêt une certaine importance, peut-être à cause du nombre des témoins : la population d’une ville entière. Voici ce ce qu’on pouvait lire dans le quotidien Le Matin du 3 avril :
«Hier soir, vers huit heures, on a aperçu, venant du large et à une altitude qui ne peut être - même approximativement- déterminée, une énorme boule lumineuse qui, après avoir décrit une courbe au dessus de la ville, disparut vers onze heures dans la direction d’où elle était venue. S’agit-il d’un ballon dirigeable ou d’un phénomène météorologique ? Personne n’est à même, quant à présent, de résoudre la question. Déjà, la nuit dernière on l’avait signalée, et hier, le vice-amiral-préfet maritime avait fait fonctionner les projecteurs électriques de la digue.
...
Le Matin précise six jours plus tard :

« Toutes les autorités du port ont tenu conseil et, durant trois nuits, montèrent le quart sur la place Napoléon. De leurs observations, il a résulté qu’il fallait renoncer à l’hypothèse d’un ballon ou de signaux en mer, et qu’il s'agissait incontestablement d’un phénomène cosmique auquel demeurait étrangère toute participation humaine.»

Nombre de journaux et publications signalèrent l’événement, y compris le Bulletin de la Société des Astronomes Français, qui considéra avec une bienveillante ironie que ce gros objet lumineux n’était autre que la planète Venus.

( source au 29/04/2012 )
Si nous comparons avec l'article du matin déja cité, nous voyons que la phrase "Le disque lumineux était un astre." a disparu. Dame! Un "phénomène cosmique auquel demeurait étrangère toute participation humaine", c'est tout à fait compatible avec un engin extraterrestre. Pas un astre. Pour sauver l'engin extraterrestre, des griffes des méchants rationalistes, il faut donc faire un pieux mensonge, et expurger l'article original de sa phrase la plus importante.

Et le commentaire du "modérateur", n'est pas mal non plus:

mais quel connerie :(

la planète vénus est 1000 fois plus petite. les gens ne sont pas débiles, ils arrivent quand même à faire la différence entre une étoile et quelque chose d'inconnu.

Vous pouvez vous exercer à compter le nombre d'erreurs, dans ce court passage

On pourrait espérer que FOU est une exception, et que les autres auteurs admettent que l'objet de Cherbourg était bien la planète Vénus. Mais non, voici que David Galley se fait l'avocat dy mystère et consacre neuf pages aux observations de Cherbourg, sous le titre:

Un ovni dans le port de Cherbourg en 1905 ?

Et de raconter l'affaire d'après les journaux de l'époque, notamment Le Matin, et Cherbourg-Éclair. C'est bien, mais quand il en vient à citer l'article d'Henri de Parville, qui explique l'objet par la planète Vénus, il se dépèche de le réfuter:

Voila, incontestablement, un chef d'œuvre de mauvaise foi. Que la brillance de Vénus abuse une personne ignare en matière d'astronomie pourquoi pas ? Mais qu'une foule de trois mille personnes (c'est le nombre de curieux rassemblés le 7 avril) soit dupe est plus difficile à envisager. Plus significative encore, la réaction des autorités maritimes empêche de céder à la facilité d'une telle explication 55.
55 Plusieurs autorités scientifiques de l'époque l'ont d'ailleurs rejeté, la présentant comme insatisfaisante. Dès son édition du 4 avril le Cherbourg-Éclair consignait à ce sujet: « M. Lucien Rudaux, directeur de l'observatoire de Donville, près de Granville (Manche), et ayant par conséquent une expérience spéciale de cette région céleste,ne pense pas que le phénomène "puisse être astronomique"; il ne correspond a rien qui ait été observé d'analogue jusqu'à présent, en aucune station astronomique ou autre. »

Ben voyons! Tout ceux qui ne sont pas d'accord avec l'auteur sont de mauvaise foi. La lucidité des foules est bien connue. Et le fait qu'on ait trouvé un directeur d'observatoire (mais aussi unique membre, d'un observatoire minuscule) qui ne comprenait pas que le phénomène puisse être astronomique, prouve bien que ce phénomène ne l'était pas. A ce détail près que d'autres astronomes n'ont pas dit la même chose et que ce directeur n'est pas allé à Cherbourg voir ce que les gens voyaient. En sélectionnant bien les sources, on arrive à démontrer tout ce qu'on veut. C'est le B.A. BA de la pseudocience.
Et l'auteur de conclure:

Cette attitude des autorités et de personnes avisées exclut l'idée d'une confusion de masse face à un phénomène naturel. Incontestablement, il semble évident qu'il s'agit d'un objet artificiel. ( 35 )

Non, M. Galley. Si objet artificiel il y avait eu, il aurait été gigantesque, et surtout, il eut fallu que la planète Vénus, pourtant grosse comme la Terre, eut disparu du ciel. En effet, pendant que nos braves témoins voyaient leur objet, aucun ne voyait Vénus, qui était au même endroit du ciel, et se couchait à l'heure ou l'objet disparaissait. L'hypothèse de la disparition de Vénus étant intenable, il faut bien se rendre à l'évidence: une foule de 3000 personnes peut observer Vénus sans la reconnaitre, et un astronome, à qui on décrit Vénus de façon absurde, peut aussi ne pas la reconnaitre. Ce sont là des enseignements de l'ufologie objective. Celle qui sait distinguer les vessies et les lanternes.

Conclusion

Oui, cette histoire est vraiment exemplaire. Personne n'a su faire une enquète complète et objective, et les autorités, quelles qu'elles soient se sont montrées lamentables.
Le commissaire de police ne sait pas reconnaitre Vénus, et prévient la préfecture maritime
Le préfet maritime ne sait pas reconnaitre Vénus, et prévient le gouvernement
Les officiers de marine n'arrivent pas à reconnaitre Vénus
Le public ne sait pas reconnaître Vénus, mais le contraire eut été étonnant
L'astronome local ne sait pas reconnaitre Vénus d'après la description qu'on lui en fait
L'observatoire de Paris ne comprend pas que cela puisse être Vénus
Les journalistes ne savent pas reconnaitre Vénus, auquel cas ils auraient été plus forts que les astronomes
Les seuls à avoir reconnu Vénus sont quelques astronomes amateurs, et Camille Flammarion (pas tout de suite, mais il n'était pas sur place). Mais Camille Flammarion, qui dénonce l'ignorance publique, n'ose pas dénoncer celle des astronomes.
Quant aux ufologues modernes, ils font de la science "en négatif", éliminant les éléments sûrs et cohérents, pour ne garder que les incohérents.
Comme disait Camille Flammarion, c'est à de demander si on rève! Comment cela fut il possible?

Cela fut possible à cause de l'ignorance qui régnait à tous les niveaux:
Le public ne connaissait rien à l'astronomie
Les policiers et les journalistes non plus
Les officiers de marine n'en avaient que des notions sommaires, leur permettant de faire le point en mer
Les astronomes ne connaissaient pas la façon dont le public décrit les astres

Et tout cela est bien normal, si l'on admet que tout ces gens connaissaient au plus une partie de ce qu'ils étaient censés avoir appris. Les sciences n'étaient pas enseignées à l'école primaire, et furent reléguées longtemps au second rang. En particulier l'astronomie, n'apparaissait que dans les classes terminales de l'enseignement sous la forme de la cosmographie. Et cette cosmographie, n'était enseignée que dans les classes de philosophie et de rhétorique, domaines où elle n'était pas la plus utile. Enfin la cosmographie décrivait l'univers comme si c'était l'oeuvre d'un architecte, et non pas comme on le voit dehors à l'oeil nu, ou dans un planétarium. En conclusion, les seuls à savoir expliquer aux ignorants, l'univers tel qu'on le voit dehors à l'oeil nu, sont encore une fois les astronomes amateurs.


Notes et références

1) Cherbourg-Eclair, 3 avril 1905, p 1. Le Petit Journal, 3 avril 1905, p 1. Le Matin, 9 avril 1905, p 2.

2) Le Matin, 3 avril 1905, p 1.

3) L'Humanité 4 avril 1905, p 1.

4) La Croix, 6 avril 1905, p 2. Le Petit Parisien, 12 avril 1905, p 1. Le Temps, 13 avril 1905, p 3.

5) Le Matin, 6 avril 1905, p 1.

6) Le Matin, 9 avril 1905, p 2.

7) Le Figaro, 10 avril 1905, p 3. consultable ici

8) Le Petit Journal, 10 avril 1905, p 1.

9) Le Temps, 4 avril 1905, p 3.

10) La Croix, 12 avril 1905, p 1 & 2.

11) Journal des débats, 12 avril 1905, p 2.

12) Le Petit Parisien, 12 avril 1905, p 1 & 2.

13) La Croix, 7 avril 1905, p 4.

14) Le Petit Journal, 6 avril 1905, p 4.

15) L'Humanité 13 avril 1905, p 3.

16) Le Matin, 13 avril 1905, p 3. Le Figaro, 13 avril 1905, p 4.

17) Le Temps, 14 avril 1905, p 3.

18) Le Petit Journal, 19 avril 1905, p 1.

19) L'Astronomie, mai 1905, p 243.

20) Le Matin, 10 avril 1905, p 1.

21) Cherbourg éclair, 5 avril 1905, p 3.

22) l'Illustration, 22 avril 1905.

23) L'Astronomie, novembre 1954, p 438.

24) Charles Hoy Fort, New Lands, II, ch 20

25) Desmond Leslie & George Adamski, FLYING SAUCERS HAVE LANDED, Werner Laurie 1953, ch 2.

26) Jacques Levy, les OVNI sont dans le vent, Sciences & Avenir, n° 307 septembre 1972, p 715.

27) Michel Bougard, La chronique des OVNI, Jean Pierre Delarge 1977, p 198.

28) Jean-Claude Bourret, La Science face aux extraterrestres, France Empire 1977, p 186

29) Evry Schatzman, La grande démystification, Ciel et Espace, n° 268 avril 1992 p 36

30) Cherbourg éclair, 3 avril 1905, p 1.

31) Cherbourg éclair, 8 avril 1905, p 1.

32) Cherbourg éclair, 4 avril 1905, p 1.

33) repris par Cherbourg éclair, 10 avril 1905, p 1.

34) Cherbourg éclair, 11 avril 1905, p 1.

35) Christian Doumergue et David Galley, la fabuleuse histoire des OVNI, les éditions de l'Opportun, 2021, p. 211 à 219

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Dernière mise à jour: 22/09/2023