1568 Claude de Tesserant complète le livre de Boaistuau.
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Claude de Tesserant, prodigiologue à la façon de son prédécesseur, Pierre Boaistuau, est encore plus oublié que lui. Impossible d'en trouver une biographie, puisque les meilleures encyclopédies et autres dictionnaires spécialisés n'en disent le moindre mot. Il était même si peu connu de son temps qu'Ambroise Paré orthographie son nom "Claude Desserant". Tout ce qu'on sait de lui est qu'il était parisien, et qu'il a voyagé un mois en Italie en 1567, selon une lettre à son éditeur.
Pierre Boaistuau étant décédé en 1566, il fit publier en 1568 une nouvelle édition de ses Histoires prodigieuses, enrichie de treize nouvelles histoires. Des histoires qu'on vit rééditer en 1578, puis 1594 et 1598. Des histoires qui étaient bien dans le style des précédentes, quoique souvent d'origine plus récentes, mélant monstruosités et prodiges. Des histoires tirées de la Bible, d'auteurs antiques, mais aussi d'occasionnels récents. Des histoires dont on devine qu'elles n'étaient guère plus fiables que celles de son prédécesseur. Bref, des histoires...
La table des matières nous le confirme:
Histoire prodigieuse d'un enfant monstre-né, en la présente année, 1567 à Arle en Provence
Histoire de deux enfans Hermaphrodites, lesquels s'entretiennent et de la cause de telle conjunction
Histoire d'un homme avec des cheveux de femme
D'un homme qui avoit le haut du corps comme les hommes l'ont; et les pieds comme un cheval.
Des monstres marins
Des satyres faunes et sylvains
Des femmes qui ont enfanté grand nombre d'enfans
Des visions et prodiges nocturnes qui ont souvent prédit et assigné le jour de la mort des hommes
Histoires diverses des mauvais esprits
Des visions qui apparoissent en l'air
Des arbres, desquels les oyseaux naissent, et les bleds croissent
Histoire d'une danse qui dura un an sans cesser
Histoire d'un merveilleux serpent
Voyons donc ce qu'il raconte des visions qui apparaissent en l'air
Il n'est pas possible de rendre raison de toutes les choses qui adviennent en ce monde , et principallement de celles qui sont contre nature. Car à icelles les principes de la Philosophie faillent, et n'y peut on assoir aucun certain jugement. Il se trouvera ainsi par plusieurs exemples que nous en pourrions alleguer oultre celles desquelles és histoires susdictes nous avons fait mention. Et pource il en faut laisser le jugement à Dieu seul, qui ne fait rien en vain, et qui n'en ignore point les causes ne les raisons.
Note: jusqu'ici l'auteur est prudent.
Mais entre tant d'histoires qui se pourroient presenter pour prouver ce qui est plus clair que le jour, je n'en puis avoir de plus prompt exemple que des visions qui ont souvent apparu en l'air, non point d’estoilles, ne de cometes, d'un Soleil obscurcy, ou d'une Lune qui luy cause fon eclipse (car toutes ces choses sont naturelle) mais des armees d'hommes marchans par troupes et combats qu'on a veu en l'air et autres choses semblables, qui sont visions lesquelles certainement trompent les yeux des hommes, et font doubter si ce qu'on void est vray ,ou si on le void seulement par imagination. Car la veuë est de tous les sens de l'homme le plus certain, le plus subtil, et le plus delicat.
Note: Donc, il s'agit de citer des visions vraiment prodigieuses, telles des armées célestes, et non pas des phénomènes qui ne sont prodigieux que pour les ignorants.
Or de telles visions admirables, les lettres prophanes non seulement, mais ausi les sainctes nous serviront de tesmoignage. Nous lisons au 2 livre des Machabées, chap. 5 que au temps qu'Antiochus partit la seconde fois pour aller en Egypte, par toute la cité de Hierusalem on veid par l'espace de quarante jours des chevaucheurs en l'air courans d'un costé et d'autre, qui avoient des robes de drap d’or, et des haches comme compagnies armees et la course des chevaux estoit diuisee comme par ordonnances, et marchoient avant. Puis mouvemns d'escussons et multitude de heaumes, les espées desgaignées et des dards qu’on jectoit et la splendeur des armures dorées, et de toutes manieres de haubergeons. Telle vision servit (comme je croy) de prediction de la ruine de Hierusalem , qui advint bien peu de temps apres. Et au 10.cha. du mesme 2 livre des Machabées, il est ainsi escript. Mais comme la bataille estoie vehemente , cing hommes chevaucheurs s'apparurent au Ciel à leurs adversaires, ornez, de brides dorées qui faisoyent la conduite des Juifs, desquels deux avoient le Machabée au milieu d’eux , et le gardoient sans danger, en l’environnant de leurs armures: mais ils jectoient sur les adversaires des dards et fouldres, de quoy furent confus d'aveuglissement et tant remplis de troublement qu'ils cheoient. C’est ce qui a esté depuis escrit par S. Luc au 2.cha. des Actes des Apostres.
Note: Et voila! pour rendre incontestable le prodige il suffit de l'abriter derrière le caractère sacré des textes bibliques. Seulement ce prodige est auroréfutable, car incohérent. Mais au lieu de remarquer cette incohérence, l'auteur fait appel à Saint Luc pour renforcer l'indubitabilité du récit, alors même qu'on ne voit rien en rapport dans le passage qu'il cite.
Comme Pierre Boaistuau, Claude de Tesserant cherche à vendre du prodige sensationel, et comme Boaistuau, il cherche à le rendre crédible. Cela a marché pour les lecteurs de son temps, puisque sa prose fut plusieurs fois réeditée. Mais on l'a oublié dès le XVIIe siècle. le progrès de la respectabilité des vraies sciences y est probablement pour quelque chose.
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