1818 Jules Garinet copie Collin de Plancy


SECONDE RACE

RÈGNE de Pépin - Le cabaliste Zédéchias
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  L'ignorance et des désordres sans nombre signalérent ces temps barbares. Ce même Boniface dénonca au pape Zacharie, et fit excommunier un évêque, convaincu d'hérésie, pour avoir dit qu'il y avait des antipodes. Il se plaignit encore, dans une lettre au même pape, que des gens sans aveu, qui se disaient prêtres, couraient en vagabonds dans la France; et que ces faux missionnaires étaient sacrilèges, sodomites et sorciers
Note: Cette excommunication d'un évêque n'est qu'une légende, sortie du discours préliminaire de l'Encyclopédie. En réalité Boniface a simplement discuté de savoir s'il fallait excommunier un évêque qui aurait soutenu l'existence d'autres hommes (les "antipodes") qui auraient vécu à l'opposé de la Terre
  De pareils débordements ont fait croire que la vision de saint Eucher, la damnation en corps et en âme de Charles Martel, et l'ouverture de son tombeau n'avaient produit que de légères sensations dans l'esprit du peuple et du roi; car enfin, si la foi eut été grande, et le prodige bien avéré, les suites en auraient été plus édifiantes que les sacrilèges, la sodomie et les maléfices.

  Alors parut le fameux cabaliste Zédéchias. Il se mit dans l'esprit de convaincre le monde que les élémens étaient peuplés de substances spirituelles (1). L'expédient dont il s'avisa fut de de conseiller aux sylphes de se montrer en l'air aux yeux de tous; ils le firent avec magnificence. On voyait dans les airs ces créatures admirables, en forme humaine, tantôt rangées en bataille, marchant en bon ordre, ou se tenant sous les armes, ou campées sous des pavillons superbes; tantôt sur des navires aériens d'une structure admirable, dont la flotte volante voguait au gré des zéphyrs
  le peuple crut d'abord que c'était des sorciers qui s'etaient emparés de l'air pour y exciter des orages, et pour faire grêler sur les moissons. Et comme ce spectacle se renouvela plusieurs fois, tant sous Pepin que sous Charlemagne et sous Louis le-Débonnaire, les savans, les théologiens et les jurisconsultes furent bientôt de l'avis du peuple. Les empereurs le crurent aussi, et cette ridicule chimère alla si avant, que le sage Charlemagne, et après lui, Louis-le-Débonnaire, imposèrent de grièves peines à tous ces prétendus tyrans de l'air (2)
  Les sylphes, voyant le peuple, les pédans, et même les têtes couronnées se gendarmer ainsi contre eux, résolurent, pour faire perdre cette mauvaise opinion qu'on avait de leur flotte innocente, d'enlever des hommes de toutes parts, de leur faire voir leurs belles femmes, leur république et leur gouvernement, puis de les remettre à terre en divers endroits du monde. Ils le firent comme ils l'avaient projeté. Le peuple, qui voyait descendre ces hommes, y accourait de toutes parts, prévenu que c'étaient des sorciers qui se détachaient de leurs compagnons pour venir jeter des venins sur les fruits et dans les fontaines. Suivant la fureur qu'inspirent de telles imaginations, dans un siècle grossier, ils entraînaient ces malheureux au supplice. On croirait à peine quel grand nombre ils en firent périr, par l'eau et par le feu, dans tout le royaume.
  Il arriva qu'un jour, entre autres (3), on vit a Lyon descendre, de ces navires aériens, trois hommes et une femme. Toute la ville s'assemble alentour, crie qu'ils sont magiciens, et que Grimoald, duc de Bénévent, ennemi de Charlemagne, les envoie pour perdre les moissons des Français. On allait les jeter au feu, quand Agobard, archevêque de Lyon , accourut au bruit. Il prouva au peuple qu'il se trompait, que des hommes ne pouvaient pas descendre de l'air, et que la prévention les avait abusés a l'égard des quatre inconnus; il fit si bien, que le peuple le crut, et rendit la liberté aux ambassadeurs des sylphes (4).
  Toute cette fable extravagante ne se trouve ainsi détaillée que dans les cabalistes; ils ajoutent que les fées du siècle de Charlemagne étaient des sylphides, et que les hommes héroïques qui illustrèrent ce temps-là étaient nés du commerce des sylphes avec les filles des hommes.
Note: Jusqu'ici, Garinet copie fidèlement Collin de Plancy, sans s'apercevoir que celui-ci s'est inspiré d'une parodie
  Ce qu'il y a de certain, c'est que le peuple d'alors voyait partout des sorciers et des prodiges, et que le clergé ne faisait pas de grands efforts pour déraciner cette opinion dangereuse.
  Charlemagne avait donné la dime au clergé; mais le peuple ne se pressait pas de payer cet impôt extraordinaire. Les moines, pour en assurer le recouvrement, imaginèrent plusieurs moyens sumaturels. D’abord ils supposèrent une lettre , écrite , disaient-ils , par Jésus-Christ même.
  On y lisait que les païens, les sorciers , et généralement tous ceux qui ne voudraient pas payer la dime s’exposaîent à ne rien récolter; et Jésus-Christ , sortant de son caractère de clémence , menaçait d’envoyer dans les maisons des impies , des serpens ailés qui dévoreraîent le sein de leurs femmes....
Une grande famine qui survint , en 793, confirma la première menace. On avait trouvé tous les épis de blé vides **; des personnes dignes de foi entendirent en l’air plusieurs voix de démons, qui déclarèrent qu’ils avaient dévoré la moisson, parce qu’on ne payait pas les dimes aux ecclésiastiques : c’est pourquoi il fut ordonné , sous des peines sévères , qu’on les paierait à l'avenir.
Note: Ce petit passage va bientôt être repris par les anticléricaux.
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  Mais les apparitions aériennes étaient devenues plus importantes que jamais, sous Louis-le-Débonnaire , comme nous l'avons remarqué en parlant de Zédéchias. On voyait clairement des sorciers à cheval sur des nuages, des bataillons de magiciens armés de lances, et des enchanteurs traînant à leur suite, au-dessus de la France, des magasins de poisons.
Note: Il n'y eut pas d'apparitions d'armées célestes sous Louis le débonnaire. Quant aux enchanteurs répandant des poisons, ils semblent sortir tout droit de la fiction de Montfaucon de Villars.
Les théologiens discutaient gravement sur de pareils prodiges. Quelques calculateurs déclaraient qu'on voyait là le présage de la fin du monde, fixée irrévocablement à l'an 1000 de Jésus-Christ. D'autres répondaient que les présages venaient de bonne heure , que l'antechrist ne devait paraître qu'en 1345 , et que la terre serait brûlée, jusque dans ses fondemens, en l'an 1395 ; mais non en l'an 1000, parce que rien ne le prouvait; au lieu que les partisans du second système s'appuyaient sur une prophétie de l'Ancien Testament. Les esprits forts, qui se comptaient alors facilement, avançaient que des hommes n'avaient pas le corps assez délié pour voyager dans les airs ; et les théologiens répondaient que le diable les transportait comme il avait autrefois transporté Jésus-Christ sur le pinacle du temple de Jérusalem.
  Quelques gens sensés s'élevèrent inutilement contre ces opinions extravagantes. L'archevèque Agobard, après avoir crié contre l'avarice, du clergé, qui se faisait donner les biens du peuple en lui promettant de le préserver des maladies, et en entretenant les terreurs , composa un traité sur la croyance où l'on était alors que les sorciers infectaient l'air et causaient les tempêtes (5). « Tout le monde s'écrie dans les orages, dit ce savant prélat, que l'air est maléficié, comme si les sorciers pouvaient envoyer la pluie, déchaîner les vents, et lancer la foudre; plusieurs pays entretiennent un magicien pour détourner les tempêtes de leur territoire. Il y a peu de temps que la mortalité était sur les bœufs : on s'imagina que le duc de Bénévent envoyait des hommes dans les nuées pour répandre des poudres charmées sur les champs, les prés, les montagnes, et pour empoisonner les fontaines et les rivières. Plusieurs étrangers furent pris, comme étant émissaires du duc; et, par une » fatalité inconcevable, ces malheureux poussaient la folie jusqu'à convenir qu'ils étaient sorciers. Le peuple les faisait mourir, et attachait leurs cadavres sur des planches qu'on lançait dans les rivières. Ceux qui faisaient ces exécutions ne réfléchissaient pas que quand chaque Bénéventin aurait eu trois chars de poudre à sa suite, il eût été impossible d'en répandre une assez grande quantité pour causer les ravages qu'on éprouvait. Mais une si crasse ignorance tyrannisait le monde , que des chrétiens ajoutaient foi à des absurdités, qu'on aurait eu peine à inculquer dans l'esprit des païens (6). »
Note: Ici, Agobard est correctement cité.
  Mais les visions n'en continuèrent pas moins. En 842, le diable fit paraître, au mois de mars, dans les plaines du ciel, des armées de différentes couleurs. La lune, dans toute sa beauté, éclairait ce prodige.
  La même scène se renouvela plusieurs fois. En 848 particulièrement, des armées infernales défilèrent, au clair de la lune, entre le ciel et la terre (7). Des apparitions semblables accompagnèrent le siége de Jérusalem , et les païens et les juifs, plus éclairés que nos bons aïeux, n'imaginèrent point les bataillons de sorciers.
Note: les chroniques, citées dans la note 7, mentionnent bien des armées célestes, mais ne disent pas que c'est le diable qui les fit paraître.


(1) Dans la cabale, le feu est habité par les salamandres, l'air par tes sylphes, l'eau par les nymphes ou ondins, la terre par les gnomes.
(2) Collin de Plancy, dans son Dictionnaire infernal, à l'article Cabale, précise que ce conte cabalistique n'est autre chose qu'une aurore boréale. « Mais ce qu'il y a ici de singulier, ajoute-t-il, c'est cette peine imposée à des nuages par deux de nos rois, et qu'on peut voir dans les capitulaires de Cbarlemagne et de Louis-le-Débonnaire. Nous n'avons plus le droit de reprocher à Xerxès l'ordre qu'il donna d'enchaîner la mer! »
(3) Sous Louis-le-Débonnaire, successeur de Charlemagne, et troisième roi de la seconde race.
(4) Le comte de Gabalis, cinquième entretien
(5) Papyre Masson publia les ouvrages d'Agobard en 1606, pour la première fois, après les avoir arrachés des mains d'un relieur qui allait les employer à couvrir des livres, parce qu'ils étaient écrits sur du parchemin. Le manuscrit est encore dans la bibliothéque royale.
(6) Tanta jam stultitia oppresserat miserabilem mundum, ut nunc sic absurdœ res credantur à christianis , quales nunquàm anteà ad credendum poterat quisque suadere paganis creatorem omnium ignorantibus. — Liber contra insulsam vulgi opinionem de grandine et tonitru.
(7) Fragmentum Chronicae Fontanellensis


SOURCE: Jules Garinet, HISTOIRE DE LA MAGIE EN FRANCE, Paris, Foulon, 1818, p 34-47

Remarques:

Bien qu'à la fin, Agobard soit correctement cité, ce livre contient pas mal de légendes, qui, de recopiage en recopiages, vont faire leur chemin.

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