1995 Patrick Huet romance à outrance

Huet

Patrick Huet, écrivain lyonnais, s’est illustré dans beaucoup de domaines littéraires, allant du roman jusqu’au conte pour enfants... en passant par la poésie, le livre de voyage, le documentaire et les ouvrages de réflexion.
Il est l’auteur d’une vingtaine de romans, d‘une centaine de contes et de nouvelles, et de plusieurs milliers de poèmes. On comprend qu'il ne manque pas d'imagination.
Ses romans vont du roman d’aventures au roman humoristique, en passant par le roman de science-fiction.
Ses contes pour enfant, vont du conte de fées classique, au conte didactique, en passanr par le conte animalier.
Mais à l'occasion, il se lance aussi dans l'histoire locale, et l'histoire insolite, l'un n'empéchant pas l'autre, surtout à Lyon. Mais nous allons voir que dans cette histoire lyonnaise insolite, c'est surtout le conteur qui prend le dessus.


REMARQUE

La nouvelle suivante fait partie d'une collection d'histoires basées sur des faits réels, mais romancés à la façon de l'auteur.

  Rencontre du 3° Type Au Moyen-Age.

  En ces temps obscurs éclairés par le fragile espoir d'un Au-delà meilleur, tout ce qui n'entrait pas dans le cadre défini par les théologiens était considéré comme hérétique et digne du bûcher. Le Diable était partout, prêt à saisir l'impudent qui s'éloignerait des normes établies. Le commun des mortels avait été éduqué en ce sens et il croyait aussi durement que de la roche. Si d'aventure, il regardait au-delà du mur, repoussait le joug des superstitions, il ne tardait pas à subir un procès pour sorcellerie et à connaître la morsure des flammes.
Note: Nous voila en plein dans le mythe de la nuit du moyen-age.

  Terrorisés par l'Enfer et ses habitants, citadins et paysans, artisans et serfs, devinaient la main du Démon derrière toutes les manifestations pour eux inhabituelles.
Note: Avec pour corollaire la crédulité et la paranoia.

  Ainsi, lorsqu'un beau matin de l'an de grâce 840 de notre ère, les Lyonnais virent un engin volant déchirer les brumes recouvrant la ville et se poser à l'actuelle Place du Change (dans le Vieux-Lyon) puis libérer trois hommes et une femme, un effroi sans bornes les saisit. Une peur venue du plus profond de leur âme. Un seul cri jaillit de leurs lèvres comme le vaisseau repartait : « Sorciers !»
Note: L'histoire initiale parle bien de trois hommes et une femme, mais tout le reste est faux. Aucun engin volant n'atterrit à Lyon en 840, et donc aucune foule ne cria aux sorciers, enfin la place du change n'existait pas.
Mais l'auteur va maintenant consacrer plusieurs pages à décrire l'hystérie de la foule, pendant que les quatre prisonniers tentent de se justifier en expliquant qu'ils ont été enlevés par les sylphes. Pour rendre la scène plus vivante, l'auteur invente des personnages, une petite vieille, un forgeron, un boulanger, un boucher, qui vont jouer leur rôle, comme dans une pièce de théatre.


  Les quatre voyageurs furent capturés, ligotés et traités de « sorciers de Magonie » envoyés pour perdre les récoltes et répandre le mal. Un bûcher déjà s'amoncelait et, de toutes les sombres ruelles de la ville, l'on accourut, avide de voir brûler ces impies, dans un grand tapage de joie et de peur mêlées.
Note: L'auteur, à la suite de nombreux prédécesseurs, imagine un bûcher, pour brûler ces sorciers. En réalité ce n'est qu'au XIe siècle qu'on commença à brûler les condamnés sur un bûcher.
Ensuite entre en scène, le personnage principal: l'archevêque Agobard.


  Le tumulte parvint aux oreilles de l'archevêque Agobard alors qu'il rédigeait tranquillement son « traité sur la grêle ». La plume courait sur le parchemin et les barbules dessinaient d'étranges arabesques.
Note: Ce n'est qu'après l'incident des prétendus magoniens qu'Agobard écrivit son traité, pour dénoncer les superstitions liées à la grèle et aux orages.

  La porte de son cabinet s'ouvrit violemment ; un clerc essoufflé jaillit en trombe.

  — Qu'est-ce là que cette intrusion ! Rugit le dignitaire. N'avais-je point demandé que l'on ne me dérangeÂt point ?

  — Je prie Monseigneur de pardonner ma hâte, mais la situation est terrible...

  — Parle donc mon garçon ! Et foin de politesse, je veux tout savoir.

  — Des sorciers de Magonie, Monseigneur, des Sylphes, ils se sont posés place du Change.
Note: Répétons que la place du change n'existait pas, mais la croyance aux sylphes n'existait pas non plus. Elle n'apparut que sept siècles plus tard.

  — Place du Change ! S'exclama Agobard en se levant d'une traite.

  En endossant les habits de sa fonction, il marmonnait pour lui-même.

  — Des Sylphes ? Ici ? Cela ne se peut ! Des ordres ont été donnés, des lois édictées. Impossible, c'est impossible !
Note: L'auteur utilise ici la légende moderne, où Charlemagne aurait édicté contre les sylphes, et navigateurs aériens. Mais même si c'était vrai, les sylphes ne risquaient pas d'obéir aux édits de Charlemeagne.

  Apercevant le clerc qui l'attendait, immobile et les bras ballants, il ajouta.

  — Allons voir ces prétendus Sylphes !

  Il se précipita aussitôt sur les lieux du drame, accompagné d'une suite nombreuse. L'emplacement était un chaudron en ébullition. Le vacarme était à son comble et, au centre de la foule, trois hommes et une femme subissaient injures et coups divers.

  — Place ! Vociféra un clerc en agitant une clochette pour mieux se faire entendre. Faites place à Monseigneur Agobard !

  Le brouhaha décrut et l'assistance ouvrit un passage au cortège épiscopal. Agobard se planta face au quatuor malmené, observa intensément les prisonniers. Ses yeux volèrent ensuite sur la poignée d'individus qui les maintenait, sur la vieille au visage vert de rage et sur les spectateurs. Il se décida enfin à intervenir.

  — Quelle est donc la cause de cette agitation ? Les Lyonnais ont-ils perdu la raison pour se complaire en de tels emportements ?

  — Des sorciers, ce sont des sorciers ! cracha la petite vieille en noir.

  — Explique-toi, femme ! Ordonna le prélat.

  La vieille se ramassa comme sous la morsure d'un fouet. Elle donna un coup de coude au forgeron à sa gauche tout en reculant d'un pas. Le massif artisan répondit à sa place.

  — Ce sont des sorciers de Magonie, des magiciens. Ils sont descendus du ciel tout à l'heure. Ils ont été envoyés par les Sylphes pour jeter du venin sur les fruits et dans les fontaines. Ils vont détruire les moissons, tuer nos enfants, provoquer la grêle, la famine, la mort. Ce sont des Sylphes, ils sont capables du pire. Là-haut dans leurs navires, ils...
Note: Nous voila en pleine salade syncrétique, où se mèlent les écrits d'Agobatd et ceux de Montfaucon de Villars.

  — Il suffit ! Coupa brusquement Agobard. Assez de sornettes et de sottises pour ce jour d'hui ! J'ai dit assez!

  Il promena un regard farouche sur l'assistance, sur le forgeron, sur la vieille à l'aspect fielleux qui disparut bien vite.

  — Ces hommes et cette femme ne sont point descendus du ciel, martela-t-il. Vous avez été abusés. Abusés ! Il est dans les moeurs du Diable de jouer de si mauvais tours que l'on croit voir ce qui n'existe pas. Et vous, pauvres benêts, vous avez été dupés par de fausses images. Vous laissez le Démon vous guider jusqu'à mettre à mort vos semblables alors que la Justice n'appartient qu'à l'Empereur et à Dieu. Il suffit, maïntenant. Retournez à votre ouvrage et oubliez tout ceci. Allez !

  Domptée par le ton sec et péremptoire de l'autorité la plus élevée en pays lyonnais, la foule se dispersa en silence. Quant aux quatre malheureux voyageurs, heureux d'avoir échappé à une mort épouvantable, ils ne firent plus jamais allusion à leur voyage dans le ciel ni à la Magonie. L'archevêque Agobard s'était montré formel, leur aventure était une illusion, ils avaient été abusés.
Note: Ici, c'est la légende où Agobard démontra l'impossibilité des voyages aériens, et où le peuple préféra le croire plutôt que de croire ses propres yeux.

  En les regardant s'éloigner discrètement, Agobard se taisait, le coeur lourd de pensées secrètes. Les lois de Louis I le Débonnaire (qui vivait là la dernière année de son règne) venaient d'être violées. Déjà, plusieurs décennies auparavant, son père — Charlemagne — devant la profusion des engins qui volaient impunément et en plein jour au-dessus des villes et des campagnes et devant les innombrables tentatives de communications, ce grand empereur avait dû prendre des mesures strictes. Il avait promulgué une loi interdisant aux Sylphes tout contact avec les sujets de son royaume et les avait menacés de lourdes peines (s'ils tombaient entre ses mains).
Note: Ici, c'est la légende des capitulaires de l'empereur dans toute sa splendeur. En réalité aucun engin n'avait volé impunément au dessus des villes et des campagnes, et Charlemegne édicta seulement contre les sorciers qui prétendaient agir sur le temps.


REMARQUE

  La nouvelle précédente est inspirée d'un fait divers réel survenu en l'an 840 et relaté dans plusieurs ouvrages. Notamment par Félix BENOIT qui, dans « Hérésies et Diableries à Lyon » (auquel le lecteur pourra se reporter) déclare page 86 et 87:
  « Vers l'an 840, sur la place dite aujourd'hui du Change, un engin volant se pose et trois hommes et une femme en descendent (...) Pas question de rencontre du troisième type, mais plutôt d'une peur terrifiante qui pousse la foule à allumer un feu et à y jeter les curieux voyageurs aux cris de “sorciers de Magonie !” »

***

  Le conte de Gabalis narre les mêmes événements dans son cinquième entretien sur les sciences occultes. Il ajoute également :
  « Le fameux cabaliste Zedechias se mit dans l'esprit, sous le règne de Pépin, de convaincre le monde que les éléments sont habités par un grand nombre de peuples. L'expédient dont il s'avisa fut de conseiller aux Sylphes, détenteurs des forces élémentaires, de se montrer en l'air à tout le monde :
...
Note: Félix Benoit ne cite pas ses sources, et lui aussi fait appel au "comte de Gabalis", personnage fictif, devenu ici "conte de Gabalis" (ce qui est peut-être plus honnête). L'auteur prétend aussi s'inspirer du "traité de la grêle d'Agobard", qui s'intitule en réalité Contra insulsam vulgi opinionem de grandine et tonitruis, mais qu'il ne semble pas avoir lu, puisque celui-ci dit quasiment le contraire.

SOURCE: Patrick Huet, Rencontre du 3° Type Au Moyen-Age, éditions Patrick Huet, 1995

Remarques:

Nous étions prévenus, c'était romancé. Mais tellement romancé qu'il n'y a plus de vrai que le nom d'Agobard, et le fait qu'il y avait trois hommes et une femme. L'auteur nous a concocté un petit roman en quatorze pages, pour développer - en disant tout le contraire - ce qu'Agobard avait raconté en deux phrases. Il est vrai que Guy Breton avait fait la même chose en quatre pages.
Sur son propre site, l'auteur commente:
Une histoire d’Ovni au Moyen-âge. Écrite d’après un événement réel qui s’est déroulé à Lyon en l’an 840. Quand les bûchers s’amoncelaient pour effacer l’incroyable.
A l'origine, ce n'est pas une histoire d'OVNI mais de faux témoignage, et ce n'était pas en 840, mais vers 815. Quant aux bûchers ils n'apparurent que deux siècles plus tard. Encore une fois, il n'y a rien de vrai.

Accueil Paranormal OVNI Ufologie Agobard Organigramme
Dernière mise à jour: 02/09/2023