1784 A. F. Delandine invente sans vergogne


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ANECDOTES HISTORIQUES

SUR LA VILLE DE LYON
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Prétendus sorciers arrivés à Lyon dans un char volant au neuvième siècle

  DANS ces temps d'ignorance & de barbarie où l'on brûloit les Juifs, où l'on transportoit les Saxons incrédules d'une contrée à l'autre pour leur faire changer d'opinion , tous les événemens qui sembloient extraordinaires , parurent aux peuples de la France méridionale , les effets d'une force surnaturelle & du pouvoir des Sorciers.

  Les inondations , & surtout les orages qui détruisoient les récoltes & l'espoir des Hameaux, leur furent attribués, et l'on distinguoit parmi eux les souffleurs des tempétes, tempestarii. Ces sorciers ne faisoient pas le mal sans intérêt : toutes les productions des champs, tous les grains abattus par la grêle ou par les vents, fruits de leur haine ou de leurs plaisirs, passoient, à l'aide des chars volans qu'ils dirigeoient à volonté dans les airs , dans une contrée nommée Magonîe. Cest là que les Sorciers trouvoient un débit avantageux de leurs rapines , que leurs greniers, toujours remplis , étoient fans cesse vuidés, & qu'ils faisoient bientôt des fortunes considérables.

  Nos peres vouloient bien les chasser & se délivrer de leurs fléaux ; mais comment faire ? Les poursuivre dans les airs n'étoit pas chose aisée ; il eût fallu avoir le secret de leurs voitures aériennes. La voix de l'homme n'étoit pas assez perçante pour les intimider & se faire entendre au-dessus des nues : alors on éleva les cloches ; on en fit les interpretes de la frayeur publique ; mais avant de les installer dans leur emploi, on voulut leur donner un caractere plus imposant, & de là vint l'usage de leur conférer le baptême. Tous les rituels du temps contenoient des exorcismes contre les auteurs des maléfices, des prieres pour conjurer les sorciers d'interrompre leurs jeux & leurs commerces ; & dès que les cloches eurent été établies pour porter ces paroles de paix , on se mit à sonner pour conjurer le temps.

  Sous l'épiscopat d'Agobard, on vit à Lyon dans la place du change , vis-à-vis la maifon des comtes de Forez , une femme & trois étrangers, qu'on crut descendus d'un char aérien ; le peuple , furieux d'une grêle qui avoit quelques jours auparavant détruit son espérance , s'imagina voir en eux des habitans de Magonie. Il les saisit & les conduisit aux prisons de l'Archevêque. Déjà on se préparoit à les brûler, lorsqu'Agobard, l'homme le plus éclairé de son siecle , chercha à les sauver, & publia à cette occasion un traité curieux & savant contre l'existence des chars aériens & de la contrée de Magonie. Mais en vain le généreux prélat employoit les citations des Sts. Peres , & les raifonnemens tirés de la physique du temps , le bûcher alloit s'allumer, si plus sage encore qu'éloquent , il n'eût fait secrétement évader les étrangers, objets de la haine du peuple , & qui seroient devenus les victimes de sa fureur.

  Dans un moment consacré à la gloire de MM. Montgolfier, où tout retentit des heureux succès de leur découverte, où de hardis Pilotes traversent les airs , sans même l'espoir de trouver Magonie, il est doux de penser qu'on a le bonheur de vivre dans un siecle éclairé & sous un gouvernement sage , qui fait offrir des récompenses à ceux qui , huit siecles auparavant , auroient risqué d'être la proie des flammes & de la venceance du peuple.

Par M. De. L****

  Voyez Colonia , Hist. littéraire de Lyon, tom. 2, pag. 111, l'Histoire de l'église de Lyon, par Poullin de Lumina, pag. 125.


SOURCE: Journal de Lyon ou annonces et variétés littéraires, N° 1, 8 janvier 1784, p. 9

Remarques:

Delandine
A. F. Delandine

L'auteur serait en fait, Antoine François Delandine, qu'on aurait pu bon croire historien, car il apparut comme co-auteur d'un monumental dictionnaire historique. Mais ce dictionnaire, surtout biographique était l'oeuvre de Louis-Mayeul Chaudon, et c'est Le libraire Bruyset qui avait exigé l'apposition du nom de Delandine, qui y avait inséré des suppléments.
  Delandine, lui, avocat de formation, fut député monarchiste aux états généraux, puis dans l'assemblée constituante, où il s'opposa à diverses propositions des républicains. Bibliothécaire de la ville de Lyon vers 1792, il fut emprisonné sous la terreur. Libéré après la chute de Robespierre, il redevint bibliothécaire en 1803. On lui doit, quelques ouvrages à prétention historique, mais on s'étonne qu'il ait pu traiter le récit d'Agobard avec tant de légèreté.
  Que les orages aient été attribués aux sorciers est avéré, mais l'auteur se laisse ensuite aller à écrire une fable extravagante. Ainsi, les tempestaires avaient des voitures aériennes et s'enrichissaient, pendant que pour les contrer on inventa et baptisa les cloches!
  Ainsi l'auteur invente une grèle pour justifier la colère du peuple, le lieu précis, les témoignages, les prisons de l'archevèque, le bucher, les raisonnements à coup de citations et l'évasion finale, que ses sources ne mentionnent pas puisqu'elles disent simplement qu'Agobard avait soustrait les quatre étrangers à la vindicte du peuple.
  Il n'y a quasiment rien de vrai dans le texte de notre "historien" qui ne cite pas la source de qu'il avance, mais cependant sa localisation fera école, et d'autres auteurs après lui situeront l'incident sur la place du change, qui d'ailleurs, n'a porté ce nom qu'au début du XVIe siècle
  Et voila comment on écrit l'histoire!

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