1847 J.B. Montfalcon loue la lucidité d'Agobard


MARCHE DE LA CIVILISATION - IXe SIECLE

  Agobard avait un esprit supérieur à son siècle : non-seulement il ne partagea point des préjugés populaires qui avaient alors une grande force , mais encore il les combattit avec énergie. Un de ses écrits 3 réfute une opinion fort répandue de son temps dans le Lyonnais: on croyait que certains hommes appelés tempestaires soulevaient à leur gré les tempêtes , et vendaient ensuite les fruits que la grêle avait frappés, ou les animaux qui avaient péri par suite des inondations et des orages, à des acheteurs mystérieux venus aux travers des airs. Mais laissons parler l‘archevêque de Lyon: « Nous avons vu et entendu, dit-il, beaucoup de gens assez fous et assez aveugles pour croire et pour aflirmer qu’il existe une certaine région appelée Magonie , d’où partent, voguant sur les nuages, des navires qui ont servi à transporter dans cette même contrée les fruits abattus par la grêle et détruits par la tempête , après toutefois que la valeur des blés et des autres fruits a été payée par les navigateurs aériens aux tempestaires de qui ils les ont reçus. Nous avons vu même plusieurs de ces insensés qui, croyant à la réalité de choses aussi absurdes, montrèrent à la foule assemblée quatre personnes enchaînées, trois hommes et une femme, qu’ils disaient être tombés de ces navires: depuis quelques jours ils les retenaient dans les fers , lorsqu‘ils les amenèrent devant moi suivis de la multitude, afin de les lapider; mais, après une longue discussion, la vérité ayant enfin triomphé, ceux qui les avaient montrés au peuple se trouvèrent, comme dit un prophète, aussi confus qu’un voleur lorsqu’il est surpris ».
Agohard fait ensuite un appel au jugement des hommes éclairés, et appuie son opinion des textes de l'Ecriture qu‘il avait beaucoup étudiée. ll combat , à la fin de son écrit , une autre croyance superstitieuse , fort répandue à cette époque: « Il y a peu d’années,» dit-il , à l’occasion d’une mortalité de bœufs, « on avait semé le bruit absurde que Grimoald, duc de Bénévent , parce qu’il était l‘ennemi de l‘empereur très chrétien Charles , avait envoyé des hommes chargés de répandre sur les plaines et les montagnes, dans les prairies et les fontaines, une poudre pernicieuse qui , ainsi répandue, donnait la mort aux bœufs. Nous avons ouï dire que beaucoup de personnes prévenues de ce délit furent arrêtées, et que quelques-unes furent massacrées , d’autres attachées sur des planches et jetées à l’eau; et ce qu‘il y a de plus étrange , c’est que ces hommes , aprés avoir été pris , rendirent, témoignage contre eux-mêmes , disant qu’ils possédaient une pareille poudre et qu’ils l'avaient répandue çà et là: car le diable , par un jugement équitable de Dieu, usait si bien du pouvoir qu’il avait reçu contre ces misérables , qu’il les faisait servir à eux-mêmes de faux témoins pour leur condamnation , et que ni les châtiments , ni les tortures, ni la mort elle-même , ne pouvaient les détourner de témoigner à faux contre eux-mêmes. Telle était la conviction publique , qu’il y avait bien peu d’individus qui trouvassent absurde une pareille chose. On ne pouvait raisonnablement imaginer de quoi se composait une poudre qui ne donnait la mort qu'aux bœufs , en épargnant les autres animaux , ni comment elle pouvait avoir été portée sur des régions si étendues qu’il eût été impossible aux hommes de les couvrir de cette poussière , quand même tous les Bénéventîns , hommes femmes , vieillards et jeunes gens , seraient sortis du pays avec trois chars qui en fussent chargés. Une si grande démence s’est emparée de notre malheureux siècle , que des chrétiens croient aujourd‘hui des choses absurdes qu‘on n‘aurait jamais pu faire croire autrefois aux païens qui ignoraient le Créateur de l’univers. J’ai voulu citer ce fait, parce qu‘il est semblable à celui sur lequel roule ce traité , et parce qu’il peut être une preuve et un exemple des vaines séductions et des altérations du bon sens. » Il y a en toujours, dans les campagnes du Lyonnais , beaucoup de tendance aux croyances superstitieuses; bien avant le neuvième siècle, et longtemps après, le peuple montra beaucoup de foi aux légendes ainsi qu’à la magie. On aime à voir un archevêque de Lyon combattre avec toute la supériorité de son génie des opinions qui avaient cours non-seulement chez les classes inférieures , mais encore dans les rangs les plus élevés de la société.

3- De la Grêle et du Tonnerre, trad. en français par A. Péricaud. Lyon, 1841, in-8°.


SOURCE: J.B. Montfalcon, Histoire de la ville de Lyon, Lyon, 1847, tome 1, p. 303

Remarques:

  Il est remarquable que les jugements sur Agobard soient très contrastés. Les uns le louent, les autres le condamnent. Et souvent à propos des mêmes faits, comme le culte des images ou l'inspiration divine de la bible. Pour les esprits bornés, sectaires, rétrogrades, soumis à l'autorité de l'église, Agobard fleure l'hérésie. Pire, il est parfois traité de criminel pour son attitude lors de la déposition de Louis le débonnaire par ses fils. Pour les esprits nourris au sein du siècle des lumières, au contraire, il est un précurseur. Et c'est vrai qu'on peut dire qu'Agobard avait neuf siècles d'avance sur les esprits de son temps, et même peut être deux de plus, si on se limite au monde ecclésiastique. Il n'est donc pas excessif de dire, comme Montfalcon, qu'Agobard avait du génie. Cette avance et ce génie l'ont condamné à être incompris de son temps, et c'est pourquoi ses oeuvres n'ont pas eu d'écho. Les ecclésiastique ont continué de croire qu'on pouvait agir sur le temps, et sans Papire Masson, qui sauva une copie Lyonnaise des oeuvres d'Agobard, nous n'en connaitrions que quelques lettres.

  Les sources de Montfalcon ne sont pas seulement la traduction de Péricaud, mais aussi L'histoire littéraire de la France de J.J.Ampère. Cela se voit à ce que, chez Montfalcon, les tempestaires ne vendaient pas seulement les fruits et les blés péris, mais aussi les animaux, comme chez Ampère.

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