La découverte de la nébuleuse d'Andromède
Le silence des auteurs antiques
Puisque la nébuleuse d'Andromède, devait être encore mieux visible qu'aujourd'hui, dans le ciel non pollué de l'antiquité, comme se fait-il que les auteurs antiques n'en fasse pas mention? Eudoxe, Aratos, Eratosthenes, Hipparque, Geminos, Vitruve, Germanicus, Hyginus, Manilius, Pline ou Ptolémée, ne nous en disent rien.
Ptolémée en particulier mentionne, outre la chevelure de Bérénice, cinq objets nébuleux, que nous identifions aujourd'hui comme: Messier 7, Messier 22, Messier 44 (la crèche), le double amas de Persée, et une prétendue étoile nébuleuse dans Orion. Mais ce n'est pas M 42, la grande nébuleuse d'Orion, car elle est dans la tête d'Orion, et c'est en fait l'astérisme λ Ori - φ1 Ori - φ Ori. Quant à Andromède, Ptolémée mentionne bien les trois étoiles de la ceinture, mais pas la nébuleuse juste à coté de la plus boréale des trois.
Aristote, qui, pour démonter que les comètes ne sont pas des astres, a besoin de l'exemple d'une étoile chevelue, donc floue, et qui aurait donc du mentionner l'exemple de la nébuleuse d'Andromède, préfère mentionner une étoile dans la hanche du chien, qui est en fait l'amas NGC 2362.
Bien sûr, il faut tenir compte de ce que nombre d'ouvrages de cette époque n'existent plus. En parcourant une liste d'auteurs antiques, on découvre avec étonnement que 90% de leurs oeuvres ne nous sont pas parvenus. Il suffit qu'ils n'aient pas été recopiés assez souvent poir que des livres, pourtant très intéressants, de Polybe ou Tite Live soient définitivement perdus.
De plus, le silence des auteurs dont les oeuvres nous sont parvenus, est déjà moins étonnant quand on remarque que d'autres curiosités célestes, pourtant bien visibles, comme le couple Mizar et Alcor, ou la grande nébuleuse d'Orion, ne sont pas mentionnés non plus. Et si plusieurs auteurs mentionnent "la crèche", entourée de deux ânes, c'est plutôt comme un thème folklorique et non un objet astronomique. C'est donc un savoir astronomique très conventionnel que nous ont laissé les anciens.
IVe siècle. Avienus mentionne des nuées
Néanmoins au IVe siècle de notre ère, Rufus Festus Avienus, dans sa description de la constellation d'Andromède, mentionne quelque chose qui évoque assez bien la nébuleuse.
On est mal renseigné sur la vie de Rufus Festus Avienus, qui aurait été haut fonctionnaire, à une époque où les empereurs romains se succédaient en s'assassinant les uns les autres. Mais on sait qu'il fut le traducteur, assez libre, de poèmes à sujets scientifiques.
En particulier, ses Aratea Phœnomena, sont une paraphrase en vers des Φαινομενα (les Phénomènes) d'Aratos de Soles, poème qui eut, dans l'antiquité, un succès magistral, et fut plusieurs fois traduit en latin. Avienus n'hésite pas à doubler la longueur du poème initial, en y ajoutant des emprunts à d'autres auteurs, avec un résultat poétiquement superbe, mais scientifiquement désastreux: Comment admettre qu'on entende les halètements de la constellation du Grand Chien?
Pourtant, sa description d'Andromède introduit un élément curieux, à la fois poétique et scientifiquement vérifié: la présence d'une petite nuée à l'emplacement des "liens" d'Andromède.
Les traductions classiques, tant d'Aratos, que d'Avienus, ne mentionnent pas cette petite nuée. Voici la traduction d'Aratos par l'abbé Halma:
Là, en effet, tourne avec elle la triste Andromède, représentée sous sa mère. Vous n'aurez aucune peine à la distinguer la nuit, tant sa tête est brillante, ainsi que chacune de ses épaules, l'extrémité de ses pieds, et toute sa ceinture; ses bras sont étendus, et des chaînes attachent encore, même dans le ciel, ses mains toujours écartées l'une de l'autre.
Et voici le texte latin d'Avienus, telle que nous l'a transmis l'humaniste Grotius:
Namque subest, teretisque poli simul orbe rotatur Andromeda, ingenti quae semper luce coruscans Sponte oculos in membra rapit; face denique vertex Ardet anhelanti, geminamque per aera fundunt Lucem humeri, et summis lux aestuat ignea plantis. Ignea quin etiam per cœlum cingula flagrant Andromede, et toto vibrant in corpore flammae. Sed tamen hic etiam vivax est pœna dolenti; Nam diducta ulnas magna distendit in aethra, Vinculaque in cœlo retinet quoque; tenuia quippe Brachia contortis adstringunt vincula nodis.
Au-dessous se trouve Andromède, qui tourne avec le ciel arrondi ; la vaste lumière dont elle brille toujours attire involontairement les yeux sur ses membres ; une torche ardente s'agite sur sa tête, ses bras étendent à travers l'air une double clarté, et des flammes tremblent à l'extrémité de ses pieds. Bien plus, l'écharpe au feu d'Andromède flamboie dans l'espace, et tout son corps est radieux. Et pourtant là encore une douleur éternelle la tourmente ; forcée d'écarter ses bras dans l'étendue, elle conserve des fers jusqu'au ciel ; ses faibles bras subissent l'étreinte de chaînes aux nœuds serrés.
(traduction Despois et Saviot, 1843)
Mais la phrase du manuscrit original ne se terminait pas par vincula nodis. Cette phrase se terminait par:
Vinculaque in cœlo retinent quoque; tenuia quippe Brachia contortis adstringunt nubila nodis.
Il s'agit d'une correction malencontreuse de Grotius, qui n'ayant pas connaissance de la nébuleuse, et ne comprenant donc pas ce qu'une petite nuée viendrait faire là, a remplacé nubila par vincula, qui lui paraissait plus logique, mais qui crée une répétition.
Il a fallu attendre 1977, pour que Jean Soubiran fasse valoir que le nubila, des manuscrits les plus anciens, était parfaitement correct, utilisé plus de 20 fois par Avienus, et préféré par les poètes à son équivalent nubes pour sa forme dactylique. Soubiran pense aussi que tenuia pourrait se rapporter à nubila, plutôt qu'à brachia, car Avienus ne l'emploie jamais pour désigner une partie du corps humain.
Il traduit ainsi le dernier passage:
Car des nuées légères serrent ses bras de noeuds compliqués.
(Jean SOUBIRAN, Une mention antique de la nébuleuse d'Andromède, Revue de Philologie, tome LI, 1977, p. 207-216)
On peut ergoter sur la traduction. On peut même imaginer que ces "noeuds compliqués" évoquent la structure en spirale de la nébuleuse. Contentons nous de remarquer que nubila évoque bien une nébulosité, que cette nébulosité est située à l'emplacement des "liens" d'Andromède, et que là ou les cartes célestes d'autrefois plaçaient ces "liens", se situe justement la nébuleuse. Il est donc difficile d'échapper à la conclusion que le poème d'Aviénus mentionnait bien la nébuleuse.
Mais comment Avienus en a-t-il eu connaissance? Jean Soubiran lui même admet que le mystère subsiste: Il a pu l'observer lui même, ou bien le trouver dans un ouvrage aujourd'hui perdu.
Ainsi, curieusement, le souvenir de l'observabilité de la nébuleuse d'Andromède nous a été conservé, non par un astronome, mais par un écrivain plutôt grandiloquent, désireux d'enrichir son poème.
Xe siècle. Al Sufi décrit un petit nuage
La première mention indiscutable qu'on connaisse de la nébuleuse d'Andromède, se trouve en l'an 964, chez l'astronome persan Al Sufi, qui l'appelle "le petit nuage".
Abd al-Rahman al-Soufi (903-986), souvent orthographié Al Sufi, fut un astronome et horloger persan qui vécut à la cour de l'émir Adud ad-Daula à Ispahan. Il est surtout connu pour sa traduction de l'Almageste de Ptolémée, auquel il apporta des améliorations. Il publia en 964 son oeuvre principale, la Description des étoiles fixes, comportant des tables de position par constellation, et ornée d'illustrations.
La Description des étoiles fixes fut traduite en français en 1874, par l'astronome danois Hans Carl Schjellerup, dont l'édition porte aussi des illustrations. Voici, traduit par Schjellerup, ce qu'Al Sufi dit de la "ceinture d'Andromède", et de la nébuleuse:
Constellation al-marât al musalsala, la Femme enchaînée, aussi nommée al-marat ullati lam tara balan, la Femme qui n‘a jamais eu de mari, et que les Grecs appelaient andrûmîdzâ, ’Aνδρομέδα ou 'Aνδρομέδη, Andromède.
Cette constellation renferme vingt-trois étoiles sans compter la brillante de la tête qui se trouve aussi dans le nombril du Cheval, et est la 1re des étoiles du Cheval et la boréale du second Farg, ainsi que nous l’avons dit à la Constellation du Cheval.
...
Description de la ceinture d'Andromède:
La 12e se trouve dans le côté gauche, et est la plus brillante et la plus méridionale des trois étoiles qui sont situées au milieu du corps après les trois dans l’épaule. Elle est des moindres de la deuxième grandeur; Ptolémée la dit absolument de la troisième, cependant, elle est plus brillante que la méridionale du second Farg qui se trouve sur l’épine dorsale du Cheval et à l’extrémité des ailes, à la fin du dos, et qu’il a posée de la deuxième grandeur. Cette douzième étoile et la 1re qui se trouve entre les épaules de cette figure même ne peuvent être de la même grandeur. C’est celle que l'on marque sur l‘astrolabe et que l’on nomme, djanb al-musalsala, le Côté de l’Encbainée, et aussi, Ventre du Poisson. La 13e est au milieu des trois, la distance entre elle et la brillante 12e est environ de deux coudées. Elle est de la quatrième grandeur. La 14e est la plus méridionale 1) des trois étoiles dans le côté droit. Elle est des moindres de la quatrième grandeur; Ptolémée la dit absolument de quatrième. Entre elle et la 13°, il y a plus d’une coudée. Ce sont ces trois étoiles que Ptolémée dit se trouver au-dessus de la ceinture.
1) il faut lire boréale.
Mention du "petit nuage":
Quant aux Arabes, ils ont trouvé deux séries d’étoiles qui entourent la figure d’un grand Poisson, au-dessous du gosier de la Chamelle. Ces étoiles appartiennent soit a cette Constellation, soit au Poisson boréal que Ptolémée a décrit dans la douzième partie du zodiaque. Ces deux séries commencent au petit Nuage 1) situé très-près de la 14e qui se trouve dans le côté droit et qui appartient aux trois qui sont au-dessus de la ceinture, puis elles se séparent et s’écartent l’une de l’autre vers le milieu du grand Poisson, ensuite elles se rapprochent du milieu jusqu’à ce qu’elles se rencontrent dans la queue qui appartient a ce Poisson et au Poisson boréal que Ptolémée a décrit parmi les signes du zodiaque. Quant à la série antérieure, elle sort du Nuage et passe par une petite étoile située auprès, dont Ptolémée n’a pas parlé; puis par les trois qui sont au-dessous de la tête dans les épaules et entre les épaules, savoir les 1re, 2e et 3e, ensuite par la 10e de la partie supérieure du bras gauche, et par la 11e du coude gauche, enfin par le côté antérieur du Poisson boréal jusqu’à la queue. L’autre série sort aussi du Nuage et traverse les trois étoiles qui sont au-dessus de la ceinture, savoir les 14e, 13e et 12e qui est la plus brillante des trois dans le côté gauche, enfin par le côté postérieur du Poisson boréal que Ptolémée a décrit, jusqu’à la queue.
Fig. 19 a
2) Cette Image porte l’entête. La figure de la Femme enchainée, avec le Poisson que Ptolémée a décrit à la dernière figure du zodiaque.
La nébuleuse d’Andromède située dans la bouche du Poisson est ici marquée de petits points et du mot غبار
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(DESCRIPTION DES ETOILES FIXES par ABD-AL-RAHMAN AL-SUFI, avec des notes par H.C.F.C. Schjellerup, St Petersbourg, 1874, p. 116-120)
La manuscrit d'Al Sufi sera plusieurs fois recopié, avec ses dessins, ce qui nous vaut de connaitre plusieurs versions du dessin de la constellation d'Andromède, où apparaissent un objet pointillé, à la place effective de la nébuleuse.
Sue ce dessin daté de 1009, une sorte d'astérisme apparait à l'avant de la tête du poisson. Il est ambigu, mais il est à la place de la nébuleuse.
Sur cet autre, daté de 1250, un astre en pointillé apparait au même endroit. (Le dessin est inversé comme sur un globe céleste.)
Même astre en pointillé à l'emplacement de la nébuleuse sur ce dessin réalisé en 1428, en Italie du nord. (Le dessin est aussi inversé.)
Ensuite, on ne trouve plus rien d'autre. En 1667, Ismael Bouillaud mentionne une carte de l'an 1500 qui aurait montré la nébuleuse d'Andromède.
(ISMAELIS BULLIALDI AD ASTRONOMOS MONITA DUO, Paris, 1667)
Ce dessin qu'il en donne n'est manifestement qu'une gravure au trait faite au XVIIe siècle, reproduisant l'image précédente, de 1428. Peut être voulait-il dire: une carte du XVe siècle. En tous cas, il ne donne pas de référence précise.