Le syndrome d'Ephore
Vous savez sûrement que notre perception visuelle est sujette à des illusions. En particulier, certaines images peuvent induire des mouvements illusoires. Mais nous pouvons aussi nous tromper en tentant d'estimer un mouvement d'après un point de repère lui même en mouvement. L'exemple le plus classique est de croire en mouvement des étoiles ou des planètes observées à travers une trouée de nuages, par temps partiellement couvert.
Voici un exemple d'une telle méprise en 1974, à Solesmes.
La nuit, un autre mouvement illusoire peut apparaitre en prenant comme référence un objet qu'on suit des yeux, comme un avion ou un satellite. Qu'il passe devant une étoile, et nous avons l'impression qu'il vient de larguer un objet lumineux. Nous fumes victimes de cette illusion dans les années 70, en voyant un satellite éjecter deux petits corps, qui se stabilisèrent dans le ciel quelques secondes après. Il n'y avait plus qu'à vérifier sur une carte céleste: c'était bien deux petites étoiles, qui se trouvaient là de toute éternité
Un phénomène du même type peut arriver pour un mouvement beaucoup plus lent observé sur plusieurs jours. En passant devant une étoile, une comète peut, en continuant sa trajectoire, donner l'impression qu'elle vient de se dédoubler. C'est très probablement ce qui est arrivé à l'historien Ephore, qui, selon Sénèque, aurait cru voir se dédoubler la comète de 372 AC. Sénèque n'est pas tendre avec lui:
Ephore n'est vraiment pas d'une conscience des plus scrupuleuses: souvent il est trompé, souvent il trompe, comme cette comète, si anxieusement observée par tout ce qu'il y avait d'yeux au monde, à cause de la grande catastrophe qu'elle amena dès qu'elle parut, la submersion d'Hélice et de Buris, il prétend qu'elle se divisa en deux étoiles, et il est le seul qui l'ait dit.
On ne sait pas si Ephore observa le phénomène lui même, ou s'il faisait confiance à quelqu'un d'autre, mais il n'y a pas besoin de soupçonner la bonne foi d'Ephore. Voici un exemple de dédoublement illusoire, plus récent et mieux étudié.
Holmes se dédouble
Non, ne cherchez pas un quelconque double jeu de la part de Sherlock Holmes, il s'agit de la comète Holmes, dont l'apparent dédoublement nous a valu, en novembre 2007, une discussion animée sur le forum usenet fr.sci.astrophysique. Une photo parue sur le site HUBBLESITE semblait monter un dédoublement du noyau de la comète:
Augmentons le contraste. Le halo disparait, et, au milieu de la tête, deux noyaux sont bien visibles. Deux.
La comète se serait elle dédoublée comme la comète de Biéla? Le plus ancien du forum avait sa théorie la dessus.
Mais un forum, c'est fait pour abriter des discussions contradictoires. Les objections, humoristiques ou sérieuses fusèrent.
Traitée, l'image ressemblait à un préservatif. Les deux points au milieu étaient ils des OVNI? Des vaisseaux spatiaux? Deux noyaux? Des étoiles?
Si c'était des étoiles, elles devaient se trouver sur une carte céleste. Mais y avait il des cartes célestes assez précises?
Finalement, pas besoin de carte précise. Sur le site Astrosurf, Claude Peguet avait publié une photo de la comète, prise le même jour à quelques heures d'intervalle. Il suffisait de mettre les photos à la même échelle, avec la même orientation (avec un traitement pour rapprocher les apparences des deux images)
La photo, traitée, de Hubble site:
Et celle de Claude Peguet, au télescope de 200 mm avec un compositage de 13 poses de 30s
Sur la seconde photo, les étoiles sont moins posées, mais les positions correspondent. La comète s'est déplacée vers le bas à gauche en ne montrant plus qu'un seul noyau. Le pseudo noyau est visible en haut à droite de la tête, en gardant la même position par rapport aux autres étoiles.
Et voila! Sur la photo de Hubble site, le noyau de droite n'était en fait qu'une étoile, devant laquelle la comète est passée, et dont elle s'est progressivement éloigné. Il ne reste plus qu'à identifier cette étoile. Connaissant les coordonnées de la comète au 01/11/2007, nous la retrouvons grace à Stellarium:
Encore une qui était la depuis longtemps. La différence avec l'étoile qui a trompé Ephore, c'est que Hip 17476 n'est pas visible à l'oeil nu. Mais si un astronome amateur chevronné (qui se reconnaitra très bien) a pu s'y tromper, on conçoit qu'Ephore qui était historien, mais pas astronome, ait pu s'y tromper aussi.
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