1985: La vérité, enfin!

3. SUPERSTITIONS ET COMETES
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L'un des exemples les plus frappants est celui du célèbre chirurgien Ambroise Paré qui décrit ainsi une comète qui serait apparue en 1527 (cf. hors-texte n° 2): «Cette comète était si horrible, si épouvantable, elle engendrait si grande terreur au vulgaire, qu'il en mourut aucuns de peur, les autres tombèrent malades. Elle apparaissait être de longueur excessive et était de couleur de sang; à la sommité d'icelle, on voyait la figure d'un bras courbé, tenant une grande épée à la main, comme s'il eût voulu frapper. Au bout de la pointe, il y avait trois étoiles. Aux deux côtés des rayons de cette comète, il se voyait grand nombre de haches, couteaux, épées colorés de sang, parmi lesquels il y avait grand nombre de faces humaines hideuses, avec les barbes et les cheveux hérissés. »
Ambroise Paré a écrit ce texte en 1579, soit 52 ans après l'événement, lequel n'était pas une comète mais sans doute une aurore boréale. Une seule description nous en est parvenue, due à un certain Peter Creutzer qui publia à cette occasion un tractatus qui eut deux éditions en allemand, une en latin et une quatrième, très abrégée, en français. Toutes les quatre ont leur couverture illustrée d'une gravure sur bois montrant un bras recourbé tenant une épée, des faces humaines barbues et chevelues, etc. Cette description fut reprise par Lycosthenes dans ses Histoires des prodiges publiées à Bâle en 1557 (en latin) puis par Pierre Boaistuau dans ses Histoires prodigieuses publiées à Paris en 1560 et qui remportèrent un succès considérable. On voit donc qu'Ambroise Paré faisait plus preuve de crédulité que d'imagination en copiant le texte de Boaistuau.

gravure
( Michel Festou, Philippe Véron, Jean-Claude Ribes, LES COMÈTES MYTHES ET RÉALITÉS, Flammarion, 1985, p 55 )


On rectifiera une petite erreur, dans la légende de l'image: c'était le 11 octobre, et non le 11 novembre, date qui nous est plus familière, il est vrai
Mais la vérité est enfin dite: Ambroise Paré n'a fait que recopier une autre source, et le document princeps, est en fait un opuscule de Peter Creutzer, qui appelait "comète", ce qui n'était, en fait, qu'une aurore boréale
On pourra s'étonner que depuis 1865, date ou la gravure d'Ambroise Paré avait été publiée par Pouchet, personne ne s'était donné la peine de remonter aux sources. Mais remonter aux sources est un exercice difficile, un seul auteur ne citant pas sa source suffisant à faire se perdre la piste
Ici, la piste était vite perdue, car si Paré citait Boaistuau comme source, celui ci n'indiquait pas la sienne. Il se contentait de mentionner:
Conradus Licosthenes à décrit & figuré ceste comete avant moy
Mais contrairement à ce que croyait Paré, Lycosthène n'est pas la source de Boaistuau, car il ne dit pas les témoins étaient des milliers; ni que des gens moururent de peur
C'est néanmoins Lycosthène qui détenait la clé du problème, et la raison pour laquelle il a fallu si longtemps pour retouver la piste, est probablement la difficulté d'accéder à son livre, Prodigiorum ac ostentorum chronicon, (tout a changé avec les bibliothèques digitales accessibles sur internet)
C'est en accédant à l'histoire racontée par Lycosthenes qu'on pouvait lire:
Hunc insignis astrologus Petrus Crosserus, Ioan. Liechtenbergii insignis astrologi discipulus interpretatus est.
il ne restait plus qu'à délatiniser Petrus Crosserus, pour retrouver la piste de Peter Creutzer, de son "Außlegung", de sa réutilisation en latin par Gérard de Nimègue, puis de sa traduction en (vieux) français, pour comprendre que la source de Boaistuau était cette version française, alors que celle de Lycosthenes était Gérard de Nimègue (le texte latin de la description est identique).
Les renseignements donnés par Creutzer ne laissait aucun doute: Une comète qui n'est visible que pendant une heure un quart, ça n'existe pas, mais ce pouvait être une aurore boréale. On ne peut guère reprocher à Paré de ne l'avoir pas compris: il n'était pas astronome.
Peut on le taxer de crédulité? Aujourd'hui ce comportement est bien de la crédulité, mais à l'époque, c'était en fait du syncrétisme, et c'était même la régle. D'ailleurs, Ambroise Paré s'en explique:
Les anciens nous ont laissé par escrit que la face du Ciel a esté tant de fois défigurée de Comettes barbues, chevelues, de torches, flambeaux, coulonnes, lances, boucliers, bataille de nuees, dragons, duplication de Lunes & soleils, & autres choses. (cette phrase est de Boaistuau) Ce que ie n'ay voulu obmettre, pour accomplir ce livre des Monstres,...
Ceux qui peuvent être taxés de crédulité, ce sont ceux qui se sont recopiés les uns les autres, sans chercher à savoir d'où venait ce texte, et qui ont ensuite plaqué une explication rationnelle, sur la vision d'une comète qui n'avait jamais existé.


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Dernière mise à jour: 27/11/2014