1842, Arago se laisse convaincre par Sénèque et Ptolémée

François Arago, nous a laissé une copieuse notice scientifique sur la vie et les travaux de William Herschel.
Il y aborde le supposé changement de couleur de Sirius.


Arago
Y a-t-il un seul exemple bien constaté de changements de couleur dans la lumière des étoiles?

  Le rouge est, au fond, la seule couleur que les anciens aient jamais distinguée du blanc dans leurs catalogues d'étoiles. Ceux de ces astres auxquels Ptolémée attribuait une teinte rougeâtre ( Aldébaran, Pollux, Antarès, l'épaule d'Orion ) sont rouges aujourd'hui comme il y a 1700 ans. Sirius semblerait seul faire exception à la règle.
  Sirius a changé de nuance, si, comme on l’affirme, Aratus, Ptolémée , Cicéron , Horace, Sénèque lui attribuent une teinte rougeâtre. Il suffira donc de vérifier, de discuter les textes anciens, car l'étoile est maintenant d’une blancheur manifeste, incontestable.
  Thomas Barker, le premier, je crois , qui se soit livré à ce travail, me servira de guide.
  Dans Aratus on trouve, à l’occasion de Sirius, ποικιλος . Divers passages de l’Iliade et de l’Odyssée semblent bien établir que ce mot signifiait littéralement, bariolé plutôt que rouge. Cependant, c’est l’acception de rouge que Cicéron lui a donnée. Si en substituant rutilus au terme grec, l’orateur romain renonçait à dessein à la fidélité , qui , en pareille matière, est le principal mérite , il faudrait supposer que lui-même avait reconnu les propriétés rutilantes de la lumière de l’étoile.
  Horace , dans sa seconde Satire , a évidemment entendu qualifier une étoile rouge en employant le mot rubra.
  Sénèque ( Quest. nat. ) faisait la teinte rouge de l'étoile caniculaire , plus foncée que celle de Mars;
  Ptolémée , enfin , disait expressément que l'étoile du grand Chien , était de la même couleur que le cœur du Scorpion.
  Que peut-on opposer à des témoignages si concordants ? Le voici:
  En parlant du grand Chien dans l’ouvrage intitulé Poeticon astronomicon , Hyginus y signale deux étoiles remarquables: l’une, située sur la langue, s’appelle le Chien, dit l’affranchi d’Auguste; l’autre, désignée vaguement comme se trouvant sur la tête, portait le nom de Sirion. C’est à Sirion qu’Hyginus appliquait les expressions flammae candorem; donc Sirius était jadis blanc.
  Barker répond que le passage de Ptolémée s‘applique textuellement à la gueule du Chien , à l’étoile que tout le monde appelle aujourd’hui Sirius , et nullement au Sirion situé au-dessus de l’oreille du Chien, nullement à une étoile qui pouvait être remarquable du temps d’Hyginus et avoir déjà cessé de briller du temps de Ptolémée. Au surplus ,on pourrait citer de nombreux passages empruntés aux anciens auteurs et dans lesquels candor est employé pour désigner l’éclat plutôt que la nuance d’une lumière.
  Un savant anglais fort versé dans la littérature ancienne, M. Th. Forster, a soutenu il y a quelques années (en 1817), contre l'opinion de son compatriote Barker, qu'on ne peut arriver à rien de démonstratif, de précis touchant l'ancienne couleur des astres, à l'aide de passages empruntés aux auteurs classiques. M. Forster prouve très-bien que les écrivains de l'Antiquité , que les poètes surtout , ont usé avec une bien grande latitude des termes destimés à caractériser la couleur des corps; il a certainement raison d'être surpris que l'expression purpureus (pourpre) soit appliquée par un même écrivain, par Virgile, à une rose, à une violette, aux flots de l'Adriatique, etc. ; mais je ne devine pas comment de telles remarques pourraient jeter du doute sur cette affirmation de Sénèque : Sirius est plus rouge que Mars; sur l'υποκιρρος (rougeâtre) appliqué en même temps par Ptolémée, à Antarès, à l'épaule d'Orion, à Aldébaran et à SIRIUS.
  Tout bien examiné, tout bien pesé, il semble donc que Sirius était jadis rougeâtre et qu'en moins de 2ooo ans il est passé de cette teinte au blanc le moins équivoque.

Note: Sénèque parlait bien de la "canicula", et non de Sirius, et nous avons vu que Ptolémée qualifiait aussi bien Antarès que Sirius de jaunâtre.
( Arago, ANALYSE historique et critique de la Vie et des Travaux de sir William Herschel, ANNUAIRE POUR L'AN 1842 PRÉSENTÉ AU ROI Par le Bureau des Longitudes, 2e Edition, 1842, p. 350 )

Dernière mise à jour: 04/10/2018

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