1986. Heck et Manfroid abattent la rougeur de Sirius.


André Heck
Des écrits anciens semblent indiquer que Sirius était d’une belle couleur rouge jusqu’au dixième siècle de notre ère environ. Cette simple constatation, si elle était vraie, serait d’une extrême importance astronomique car elle remettrait en cause toute la théorie de l’évolution stellaire et plus particulièrement celle des dernières phases de la vie d’une étoile.
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Au troisième siècle avant Jésus-Christ, le poète grec Aratus décrivait Sirius comme colorée ou plutôt de couleurs variées, faisant allusion, soit à la scintillation, soit au changement de teinte lorsque l’étoile est basse sur l’horizon.
Note: Nous avons vu que, chez Aratos, c'est la constellation du chien qui est d'aspect varié, et non Sirius.
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Les Chinois aussi laissaient entendre que la couleur variait: Lorsque la lumière de Sirius change de couleur, les voleurs sont plus nombreux (Ssu-ma Ch’ien, 140-86 avant J.-C.).
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Les auteurs romains sont plus explicites: rutilo con lumine (avec une lumière rouge) pour Cicéron (50 ans avant J.-C.) et rubra canicula (chien rouge - souvenons-nous que Sirius est l’étoile du Chien) pour Horace (10 avant J.-C.).
Note: rubra canicula, c'est en fait la rouge étoile de la canicule, c'est à dire Sirius, rougie à ras de l'horizon.
Sénèque est très clair lorsqu’il dit: La rougeur de l’étoile du Chien est la plus profonde, celle de Mars est moyenne, celle de Jupiter est nulle. Beaucoup d’autres auteurs latins mentionnent également la couleur rouge de Sirius.
Note: Et revoila la rumeur des "nombreux auteurs romains", dont on ne cite pas les noms.
Dans l’Almageste, Ptolémée (150 avant J.-C.) décrit la couleur de plusieurs étoiles. Six d’entre elles sont rouges: Aldébaran, Antarès, Arcturus, Bêtelgeuse, Pollux et Sirius. Mais un résumé à la fin de l’œuvre omet Sirius dans la liste récapitulative des étoiles rouges qui ne sont ainsi plus que cinq.
Note: L'Almageste a été écrit en 150 après J.-C., et non avant. Il ne contient pas un tel résumé, et c'est peut-être une confusion avec la liste que donnait Al-Battani (Albategnius). De plus, il décrit toutes ces étoiles jaunâtres, et même sous-jaunâtres, et non rouges.
Dans une étude récente, W. Schlôsser et W. Bergmann ont attiré l’attention sur un texte mérovingien de Grégory de Tours (sixième siècle) faisant à nouveau allusion à la couleur rouge de Sirius (rubeola ou robeola).
Note: nous avons vu qu'il s'agissait d'Arcturus.
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Jusqu’au Moyen-âge, il y a donc un doute sur la coloration de Sirius.
Note: ... si on ne lit pas les textes originaux.
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La théorie de l’évolution stellaire prédit que la phase naine blanche succède à celle de géante rouge. Sirius B a donc été une géante rouge dont la luminosité dominait de loin celle de Sirius A. Tout semble concorder et on ne voit pas immédiatement ce qui intrigue tant les astrophysiciens: Sirius B serait passée du stade géante rouge au stade naine blanche en éjectant une bonne partie de ses couches extérieures. Et cela aurait dû se produire vers la fin du premier millénaire.
Mais...
Ce scénario est satisfaisant en apparence seulement, car il cache des points gênants.
La probabilité qu’un tel phénomène ait lieu pour l’étoile la plus brillante du ciel, et en plus au cours de l’époque historique, est infime.
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Lorsque Sirius B était une géante rouge, sa magnitude devait être de l’ordre de -4 à -8, faisant de cet objet un astre exceptionnel qui aurait dû susciter un intérêt beaucoup plus considérable de la part d’éventuels observateurs terrestres contemporains.
Note: Bravo! Ces deux derniers arguments n'ont quasiment jamais été utilisés.
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On a pensé que l’interposition d’un nuage interstellaire entre Sirius et le système solaire pouvait expliquer un rougissement momentané. Si cela a été le cas, ce nuage devait être de petite taille, bien dense et également bien opaque pour que Sirius faiblisse de plusieurs magnitudes en même temps que de rougir. De cette façon, Sirius, devenue une étoile très banale, aurait perdu l’intérêt des anciens.
Mais l’explication la plus souvent citée est basée sur le fait que Sirius fut principalement observée lors de son lever héliaque (juste avant celui du Soleil). En Egypte, du temps des Pharaons, cet événement était important car il annonçait les crues du Nil. Comme le Soleil, Sirius est rouge lorsqu’elle est très basse sur l’horizon et c’est en fait l’une des rares étoiles suffisamment brillantes pour y rester visible.
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Une recherche toute récente de Tong B. Tang parmi les archives de la dynastie Han (premier siècle avant J.-C.) a mis en évidence un passage très clair: le blanc est comme Sirius, le bleu comme Bellatrix, le rouge comme Antarês, le jaune comme Bételgeuse, et le faible éclat comme Mirach.
Note: C'est Rigel qui est bleue, et non Bellatrix, et nous avons vu que Sima Qian avait déjà dit que Quand T’ai-pe (Vénus) est blanche, elle ressemble à Lang (Sirius).
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Une fois de plus, les chroniques chinoises contribuent, des siècles plus tard, à établir la vérité scientifique, en l’occurence ici le fait que Sirius n’a pas changé de couleur à l’échelle historique.

Note: Ouf! Après tout ce suspense, la vérité triomphe.
( Ciel et Terre, vol 102, 1986, p. 151 )

Dernière mise à jour: 02/10/2018

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