Ptolémée n'a jamais dit que Sirius était rougeâtre Non, Claudius Ptolemaeus ne s'appelait pas Claude Ptolémée. Claudius n'est pas son prénom, mais le nom de sa "gens", la gens Claudia, et Ptolemaeus, le surnom de sa famille au sein de cette gens. C'est exactement comme Tullius était le nom de la gens de Ciceron, et Cicero le surnom de sa famille, puisque l'orateur Marcus et son frère Quintus s'appelaient tous deux Ciceron. De fait le prénom de Claudius Ptolemaeus nous est inconnu, et nous l'appellerons simplement Ptolémée. Dans son Almageste, Ptolémée donne la liste des étoiles composant chaque constellation, et dans la lite des étoiles des constellations de l'hémisphère austral, il indique:
Note: la traduction de l'abbé Halma ne suit pas le texte grec, dont la traduction littérale est plutôt: Celle dans la bouche, très brillante appellée le Chien et jaunâtre A en croire l'abbé Halma, Ptolémée est formel! l'étoile α du grand chien est très brillante et rougeâtre. Mais tant le dictionnaire d'Anatole Bailly, que celui de Charles Alexandre ou celui d'Emile Pessonneaux, sont d'accord pour dire que ὐπόκιῥῤος signifie jaunâtre. Rougeâtre se disant ὐπἐρυθρος (un peu rouge). D'ailleurs les étoiles dites rouges, ne sont pas du tout d'un rouge vif, et même Mars, vue au télescope, n'est pas vraiment rouge, mais plutôt ocre rose. Rouge est donc un abus de langage.
Ο μέσὸς αὐτῶν καὶ ὐπόκιῥῤος καλοὐμενος ἀντάρης Celle du milieu même et jaunâtre, appellée Antarès (rival de Mars) Or, pour n'être pas vraiment rouge, Antarès a au moins un éclat cuivré (comme Mars, d'où son nom), mais surement pas blanc jaunâtre. Et Ptolémée qualifie aussi de jaunâtre les autres étoiles colorées: Celle entre les cuisses nommée Arcturus jaunâtre La brillante des Hyades sur l'oeil austral jaunâtre (Aldébaran) l'étoile sur la tête du gémeau oriental jaunâtre (Pollux) celle sur l'épaule droite brillante jaunâtre (Bételgeuse) Ce n'est pas tout, dans le Tetrabiblos, la bible de l'astrologie, mais qui donne des indications sur les étoiles et les planètes, Ptolémée ne cite plus que trois étoiles colorées: Antarès, Arcturus, et Aldébaran. Les autres, dont Sirius, sont simplement citées par leur nom, sans indication de couleur. Pire, dans le livre I, la planète Mars est qualifiée de πυρὠδης, donc couleur de feu, mais dans le livre II, elle est aussi qualifiée d'ὐπόκιῥῤος Si on ajoute que, dans ses étoiles colorées, Ptolémée ne mentionne pas α Hydrae, de la même couleur qu'Arcturus, ni la couleur bleuâtre de Rigel, on comprend qu'on ne peut pas se fier aux colorations citées par Ptolémée. Démystifions au passage, une autre légende: Pour Ptolémée, toutes les étoiles auraient été jaunes (ξανθός). Mais alors il aurait trouvé les étoiles un peu jaunâtres plus colorées que les étoiles jaunes, ce qui est absurde. En réalité, Ptolémée parle d'étoiles jaunes dans la construction d'un globe représentant la voûte céleste: DE LA CONSTRUCTION DE LA SPHERE SOLIDE. ... Nous la ferons d'une couleur foncée, et qui ressemble non à celle du jour, mais à celle de la nuit qui nous laisse voir les étoiles. ... nous y marquerons le lieu de l'étoile, en nous servons d'une couleur jaune, ou de telle autre que nous aurons choisie suivant l'éclat et la grandeur des étoiles. (Composition Mathématique de Claude Ptolémée, Par M. L'abbé Halma, tome 2, Eberhart, 1816, page 92-94 ) La couleur jaune n'est donc ici qu'une couleur conventionnelle pour représenter les étoiles, exactement comme les couleurs de nos cartes de géographie politique. Ptolémée est encore formel pour nous donner les coordonnées de Sirius: Gémeaux 17° 2/3, 39° 1/6 Sud Il s'agit de coordonnées écliptiques, car Ptolémée qui connaissait la variation des coordonnées équatoriales, due à la précession des équinoxes, préfèra repérer les étoiles par rapport à l'écliptique, afin que les latitudes écliptiques demeurent inchangées. Seulement, les coordonnées écliptiques de Sirius pour l'an 150, telles qu'on peut les calculer aujourd'hui, sont: +78°40'22" , -39°11'24" , alors que dans le même système les valeurs de Ptolémée sont: +77° 40', -39° 10' Les latitudes sont équivalentes, compte tenu de l'imprécision des mesures de l'époque, mais les longitudes diffèrent d'un degré. Il y a un os! Comment Ptolémée a-t-il pu faire une telle erreur de mesure? C'est tout simple: il n'a pas fait lui même de mesure: En dépit de sa réputation de plus grand astronome de son temps, Ptolémée n'était pas un observateur comme Hipparque, mais un calculateur. Ce n'était pas un astronome d'observatoire, mais un astronome de bibliothèque. Ainsi son catalogue était surtout celui d'Hipparque, avec des coordonnées recalculées pour tenir compte de la précession depuis Hipparque, en prenant justement la valeur définie par Hipparque. Mais voila, en se basant sur les observations de Timocharis, qui ne dataient que d'un siècle et demi, Hipparque avait combiné les observations trop peu précises de Timocharis avec une base de temps trop faible. Il avait ainsi trouvé une précession de 36"/an au lieu de 50.31"/an. Ptolémée, dans son livre VII, prétend avoir vérifié la valeur d'Hipparque, mais il n'en est manifestement rien, puisqu'en utilisant cette valeur trop faible, après une période de trois siècles, il avait commis une erreur importante, ce qui nous a permis de comprendre la vraie méthode de Ptolémée. Il est simplement possible qu'il ait refait le calcul d'Hipparque, en utilisant les mêmes observations que lui. Ainsi, nous savons que Ptolémée était homme a utiliser de fausses données, sur la base de l'autorité de leur auteur, et non à observer lui même. On comprend que la couleur jaunâtre qu'il aurait attribué à Sirius aussi bien qu'à Antarès, n'est pas clairement une donnée d'observation, mais pourrait être une couleur conventionnelle reprise d'un autre auteur. Mais voici pire: d'autres versions du catalogue de Prolémée ne contiennent pas ce qualificatif, qui, selons certains, pourrait n'ètre qu'une malencontreuse interpolation. Il faut se rappeler que le texte initial de Ptolémée est perdu depuis longtemps, que le plus ancien manuscrit en grec ne date que de l'époque carolingienne, et que l'almageste ne fut longtemps connu que par des traductions latines depuis l'arabe. Quand on sait comment les textes se corrompent au fil des copies, on comprend que, bien que, si les différent textes grecs s'accordent, cet accord pourrait n'être que la consécration d'une erreur d'une première copie. Il faut donc un gros travail de recherche critique à travers tous les documents disponibles. Les mots décrivant Sirius dans l'Almageste grec sont: κὐων καὶ ὐπόκιῥῤος , le chien et jaunâtre., et l'abbé Halma mentionne que la manuscrit de Bâle porte κὐων ὐπόκιῥῤος Mais la version d'Al Sûfi porte: le chien et Al-Schira. Selon Schjellerup, le texte initial de Ptolémée était peut-être: κὐων καὶ Σείριος , le chien et Sirius.. Cependant Sirius ne se retrouve nulle part chez Ptolémée, Hipparque ou Geminos, pour qui le nom de l'étoile est bien "le chien". Ceci ne nous prouve pas, que "le chien", le nom de l'étoile, n'était pas suivi du qualificatif ςείριος, l'ardente, qui ne serait pas alors un deuxième nom, mais un qualificatif rappelant que c'est l'étoile la plus brillante du ciel. Cependant, la meilleure édition critique actuellement disponible confirmerait que ce qualificatif est bien ὐπόκιῥῤος Ainsi, Ptolémée n'a jamais parlé de la rougeur de Sirius, il l'aurait qualifié arbitrairement de jaunâtre, sans même qu'il s'agisse d'une donnée observée. Autant dire que nous pouvons abandonner la référence à Ptolémée dans ce dossier, et que ceux qui lui ont fait dire qu'elle était rougeâtre auraient mieux fait de consulter le Bailly à la page 2023. |
Dernière mise à jour: 02/10/2018
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