1874. Schjellerup réfute la rougeur en traduisant Al Sûfi


H. C. F. C. Schjellerup
  Voici encore quelques remarques dignes d’attention. C’est un fait très-curieux rapporté par les anciens et jusqu’aujourdhui incontesté, que Sirius était jadis une étoile rongeâtre. Cicéron, en traduisant Aratus, s’exprime ainsi: Namque pedes subter rutilo cum lumine claret fervidus ille canis stellarum luce refulgens; Horace dit (Sat. II. 5. 39): Seu rubra Canicula findet infantes statuas; Sénèque dit même qu'elle est plus rouge que Mars (Acrior sit Caniculae rubor, Martis remissior, Jovis nullus. Quest. nat. I, 1); et toutes les éditions du catalogue de Ptolémée l'indiquent comme étant υποκιρρος . Aujourd'hui, tout le monde sait qu'elle est très-blanche, et on en a conclu qu'elle a perdu la coloration qu’elle présentait anciennement. Cependant, il est aussi notoire que Cicéron a traduit assez librement le passage de son modèle grec, qui ne fait pas mention de la couleur rouge de Sirius. En outre l'on peut montrer, que les plus anciennes copies de l’Almageste n‘ont probablement pas porté l’épithète susdite pour Sirius. Voici pourquoi. En comparant les significations propres que donne Sûfi à chaque étoile de son catalogue, avec celles données par Ptolémée, on aperçoit assez facilement une parfaite concordance, qui doit aussi avoir eu lieu entre les plus anciennes traductions arabes de l'Almageste et l’original grec. Or, l'ancienne couleur rouge de Sirius deviendrait plus que suspecte, en ceci que l'on ne trouve aucune traduction arabe du mot υποκιρρος chez Sùfi, en parlant de Sirius.

  Voici encore une preuve de la non-existence de la note susdite dans les traductions arabes de l’Almageste. Al-Battani, qui a très-bien connu toutes ces traductions (voir la préface de Sûfi), ne rapporte, dans son ouvrage: De numero stellarum, que cinq étoiles rougeâtres, tandis que l’Almageste grec nous en présente six.
Note: La traduction d'Al Battani est contestée et il semble qu'Al Battani ne parlait pas des étoiles rougeâtres ou jaunâtres, mais des étoiles nébuleuses, qui sont effectivement cinq chez Ptolémée.

  Il me paraît donc très-douteux, si Ptolémée (on Hipparch) a réellement désigné Sirius comme une étoile rouge, d’autant plus qu’il faut vraisemblablement lire dans l'Almageste Ο ὲν τῷ ςτόματι λαμπρότατος καλοὐμενος κὐων καὶ Σείριος (au lieu καὶ ὐπόκιῥῤος d'après Halma), conformément aux désignations que donne Ptolémée aux autres étoiles brillantes, qui portent un nom propre comme α Bootis (ἀρκτοῦρος), α Leonis ( βασριλίσκος ), α Scorpii ( ἀντάρης ), etc.
Note: La reconstitution du texte visant à lire "le chien et séirios", est contestable puisque Sirius avait toujours été appelée "le chien", mais cette objection tombe si l'on admet que "séirios" n'est pas un nom, mais un qualificatif, "l'ardente", suivant le nom.
La traduction la plus près du texte initial est: Celle dans la bouche, très brillante appellée le Chien et jaunâtre, avec la correction de Schjellerup, elle devient, ... appellée le Chien et ardente
Pour Antarès, Ptolémée dit: Ο μἐσος αὐτών καὶ ὐπόκιῥῤος καλοὐμενος ἀντάρης, Celle au milieu même et jaunâtre, appelée Antarès
Mais personne ne conteste, qu'Antarès, elle, est rougeatre. C'est à se demander si Ptolémée mérite qu'on le corrige, surtout quand on sait qu'il qualifie Mars, tantôt de jaunâtre, tantôt de feu.

  Ce qui est une chose sûre, c’est que Cicéron a été le premier qui en ait fait mention, que Horace l’a suivi, et qu’après Sénèque, personne n'en a parlé ultérieurement. D’autre part, Eratosthène, Aratus, Manilius, Hygin et Germanicus (César) n’ont nulle part signalé cette particularité de Sirius.
Note: Nous avons vu qu'avec son "rutilo", Cicéron n'écrit même pas que Sirius est rouge, mais que le Chien brille d'une lumière éclatante. Horace dit bien rubra Canicula, la rouge canicule, mais justement, il parle de l'étoile de la canicule, et non de Sirius proprement dit, et Sénèque fait de même.
La réfutation la plus sérieuse de l'hypothèse de Schjellerup vient de ce que la meilleure édition critique de l'Almageste confirme que c'est bien υποκιρρος. Néanmoins, rappelons nous que nous n'avons plus le texte original depuis longtemps, et qu'une faute survenue dans la première copie se retrouverait probablement dans toutes les copies ultérieures.
( H. C. F. C. Schjellerup, Description des étoiles fixes, St.-Petersbourg, 1874, p. 25 )

Dernière mise à jour: 02/10/2018

Accueil Sciences Astronomie Erreurs Sirius