1927. Thomas J. J. See persiste et signe


T. J. J. See
Nous avons vu dans le dossier de Sirius, que Thomas Jefferson Jackson See avait publié dès 1892, une étude prétendant prouver l'antique rougeur de Sirius.
En 1927, il récidive avec davantage de biscuits, pardon, d'arguments, mais ils sont passablements moisis.
See commence par faire un historique de ses recherches, puis commence d'argumenter.
Take, for example, the argument from the theory of probability alone, and consider the chance that a great number of eminent Greek astronomers, philosophers, writers and poets, should concur in the view that in their time Sirius is red, - a view independently confirmed by many of the highest authorities among the Romans, and verified by annual Festival Customs widely prevalent in Greece and Rome, for centuries, such as the sacrifice of Ruddy Dogs to placate the dog stars, as mentioned by Apollonius Rhodius and Sextius Pompeius Festus, - while no such view that Sirius is red was recorded by the learned Arabians, during the period of Saracen Supremacy in Science, from about 700 to 1400 A. D., or by the modern Europeans since the time of Tycho!
We readily see that such concurrence and persistence in the View that Sirius was red, among the Greeks and Romans, gives it an immense probability.

Prenez, par exemple, l'argument de la théorie de la probabilité seule, et considérez la possibilité qu'un grand nombre d'éminents astronomes, philosophes, écrivains et poètes grecs soient compatibles avec l'idée que, dans leur temps, Sirius est rouge, - Une vue confirmée de manière indépendante par plusieurs des plus hautes autorités parmi les Romains, et vérifiée par des coutumes de festivités annuelles largement répandues en Grèce et à Rome depuis des siècles, comme le sacrifice de chien roux pour apaiser l'étoile du chien, comme mentionné par Apollonius Rhodius et Sextius Pompeius Festus - Alors qu'aucun tel point de vue que Sirius est rouge n'a été enregistré par les savants Arabes pendant la période de suprématie Sarrasine en science, d'environ 700 à 1400 A. D. ou par les Européens modernes depuis l'époque de Tycho!
Nous voyons volontiers qu'un tel concours et persistance dans l'idée que Sirius était rouge, parmi les Grecs et les Romains, lui confère une immense probabilité.

Remarquons le sectarisme consistant à donner une haute autorité à ceux qui vous donnent raison.
Remarquons la savante cuisine dans laquelle See mélange astronomes, philosophes, poètes et coutumes anciennes.
Admirons le sophisme qui affirme que puisque Sirius n'a pas été vue rouge au moyen age, cela prouve qu'elle l'était dans l'Antiquité!
Admirons la science probabiliste de See qui imagine une probabilité immense, alors qu'on apprend à l'école qu'une probabilité est comprise entre 0 et 1.

Puis il rappelle le role de Barker dans la découverte de la rougeur de Sirius dans l'Antiquité, et prétend réfuter les erreurs de Schjellerup. Il signale - avec raison - qu'Albategnius ne mentionne pas 5 étoiles rougeâtres, mais 5 étoiles nébuleuses en accord avec Ptolémée. Pour See, cela suffit à flanquer la réfutation de Schjellerup par terre.

Ensuite, après avoir évoqué le silence arabe sur la rougeur de Sirius, il passe aux sources grecques. A tout seigneur, tout honneur et See commence donc par citer Ptolémée, "the chief authority on Greek Astronomy".
Il en parle avec le plus grand respect, et ne doute pas un instant que Ptolémée n'ait observé lui même les couleurs des étoiles qu'il cite:
The Catalogue takes up the stars by constellations, and duly enumerates the places and brightness of 1022 objects, and if we except α Hydrae, all of the bright stars which to the eye appear conspicuously red are so recorded by Ptolemy. This shows that he was an actual observer of the heavens, in all its extent, and profound mystery, - not 'a mere writer!
Le catalogue reprend les étoiles par constellations, et énumère dûment les emplacements et la luminosité de 1022 objets, et si l'on excepte α Hydrae, toutes les étoiles brillantes qui apparaissent de manière visiblement rouges sont ainsi enregistrées par Ptolémée . Cela montre qu'il était un observateur réel des cieux, dans toute son étendue, et profond mystère, non pas un simple écrivain!
Et See de nous balancer 13 citations en grec de Ptolémée, concernant les étoiles brillantes, sans les traduire, supposant probablement que ses lecteurs ont appris par coeur le Bailly étant petits. Mais lui même ne semble pas l'avoir consulté puisqu'il cite seize fois le mot ὐπόκιῥῤος sans penser à en vérifier le sens dans le dictionnaire...
Le fait que toutes les étoiles soient enregistrées avec un emplacement faux, montrerait plutôt que Ptolémée ne les a pas observées. Et que Ptolémée ait qualifié Antarès de un peu jaunâtre, au lieu de rougeâtre, et qu'il oublie α Hydrae, de la même couleur qu'Arcturus, ainsi que la bleuâtre Rigel, va dans le même sens.

Puis See passe à Geminos de Rhodes
Geminus discusses the intense heat of summer and argues logically and at great length against the theory that it is due to the conjunction of the sun with Sirius. In the course of his remarks he alludes unconsciously to the colour of Sirius by comparing it with other stars.
Geminus discute de la chaleur intense de l'été et se plaide logiquement et très largement contre la théorie selon laquelle il est dû à la conjonction du soleil avec Sirius. Au cours de ses remarques, il se réfère inconsciemment à la couleur de Sirius en le comparant à d'autres étoiles.
Note: ici le texte grec dont nous avons vu la traduction dans le dossier de Sirius.
  »For this (Dog) Star is of the same nature as all the other stars. And whether the stars be fiery, or whether they be merely bright, they all have the same power, and effluvia ought to proceed from the multitude of the stars rather than from the Dog Star.«
  The expression πὐρινα, we take it, refers to the red stars, while Qta obviously denotes the merely brilliant appearance characteristic of the multitude. This subtile but unconscious contrast of the color of the Dog Star, with the merely bright aspect of the stars in general, seems the more significant, since it is only a casual remark.

  »Car cette étoile (le chien) est de la même nature que toutes les autres étoiles. Et que les étoiles soient ardentes, ou qu'elles soient simplement brillantes, elles ont tous le même pouvoir, et les effluves doivent provenir de la multitude des étoiles plutôt que de l'étoile du chien.«
L'expression πὐρινα , nous le comprenons, se réfère aux étoiles rouges, alors que αίϑέρια dénote clairement l'aspect simplement brillant caractéristique de la multitude. Ce contraste subtil mais inconscient de la couleur de l'étoile de chien, avec l'aspect simplement brillant des étoiles en général, semble plus significatif, car ce n'est qu'une remarque en passant.

Ici, c'est de la mauvaise foi: πὐρινα signifie "de feu" et αίϑέρια "éthérée". Geminos nous explique simplement que quelque soit sa nature, de feu, ou éthérée, Sirius est une étoile comme une autre. La traduction de l'abbé Halma était claire, et Schiaparelli était bien d'accord. Mais See, comme un bourreau, met le texte à la torture pour lui faire dire ce qu'il ne dit pas.

Après quoi See sort l'artillerie lourde, et nous assène Aratus, sa traduction par Ciceron, sa traduction par Germanicus, sa paraphrase par Avienus, et son commentaire par Theon.
Mais nous avons vu dans le dossier de Sirius, qu'Aratos ne fait que décrire l'aspect varié (Ποικιλος) de la constellation du chien, et tout le baratin de ses traducteurs et commentateurs ne peut rien y changer. Aratos ne nous dit rien de la couleur de Sirius, et c'est tout.

Puis See nous assène Eratosthene, en avouant qu'il n'apporte rien, puis Hyginus, qu'il soupçonne d'astrologie, parce qu'il ne s'accomode pas des mots qu'il y trouve, puis Sénèque, en se gardant bien de relever que Sénèque décrit l'étoile de la canicule, et non Sirius elle même, puis Columelle, mentionnant l'ardeur de Sirius en parlant de la couleur des roses, puis Pline, dont nous avons vu qu'il mentionne bien les effets de la canicule, sans qu'on puisse rien déduire de la couleur de Sirius.

Pour faire bonne mesure, See appelle à la rescousse les grands poètes. D'abord Homère, dont nous avons vu, avec Schiaparelli, qu'on ne pouvait y trouver une preuve d'un changement de couleur, puis Hésiode, à qui nous devons le mot seirios, ardent, puis Euripide, dont nous avons vu ce qu'on pouvait en tirer, puis Horace, dont nous avons vu l'exagération poétique pour la couleur de la canicule, puis Virgile qui fait étinceler Sirius en plein jour (et ne distinguait pas une comète d'un bolide), puis Manilius, celui qui décrivait Sirius bleu.
Pour juger de la couleur de Sirius dans l'Antiquité, on se serait attendu à ce que See utilise un maximum de témoignages de savants, mais non, ce sont des poètes, dont nous avons vu plus haut qu'on n'y trouvait rien de concluant.

Et See de nous asséner l'argument massue: Les anciens grecs sacrifiaient des chiens roux au moment de la canicule. Et de citer Apollonius de Rhodes qui nous apprend que, pour avoir des vents favorables, les grecs offraient, au sommet des montagnes, des sacrifices avant le lever de la canicule. Ce que confirmerait le poète Ovide (Fastes, IV, 939): "Il est au ciel un chien nommé Icarius; quand cette constellation se met en mouvement, la terre, desséchée, est en proie à une soif brûlante; la moisson mûrit avant le temps. C'est en mémoire de cet astre fatal qu'un chien est aussi sacrifié sur l'autel; c'est son nom seul qui le condamne à périr." (c'est la traduction de M. Nisard, car l'auteur considère aussi que ses lecteurs connaissent le Gaffiot par coeur)
Mais quel rapport avec la rougeur de Sirius? Hé bien, un obscur grammairien nous apporte une pièce du puzzle: Dans De verborum significatu, de Sextius Pompeius Festius, nous trouvons:
CATULARIA porta Romae dicta est, quia non longe ab ea ad placandum caniculae sidus frugibus inimicum rufae canes immolabantur, ut fruges flavescentes ad maturitatem perducerentur.
CATULAIRE Porte de Rome ainsi nommée, parce non loin d'elle, pour apaiser l'astre de la canicule funeste aux moissons, on immolait des chiennes rousses, afin que les moissons déjà jaunissantes, arrivassent à maturité.
Sextius Pompeius Festius (que mentionnait aussi Schiaparelli) nous est ici utile, puisque Félix Gaffiot dit seulement: Catularia porta, nom d'une porte de Rome (Pompeius Festus)
Mais quel rapport entre les sacrifices des grecs au sommet des montagnes, celui de chiennes rousses à Rome, et la couleur de Sirius?
See nous l'explique:
There is, we take it, only one explanation of this remarkable pagan rite: namely, the star was red and dogs of the same color, not far from red, were demanded to satisfy the ruddy Dog Star, and divert the evil »influences«, so that when the fiery Sirius came into conjunction with the Sun, the blooming fruits would not perish of blight but come to full maturity.
Il n'y a, nous l'avons compris, qu'une seule explication de ce rite païen remarquable: à savoir, l'étoile était rouge et des chiens de la même couleur, non loin du rouge, étaient demandés pour satisfaire la rougeâtre étoile du chien et détourner les influences du mal, en sorte que, lorsque l'ardent Sirius venait en conjonction avec le Soleil, les fruits en fleurs ne périssent pas de la rouille mais atteignent leur pleine maturité.
Bizarre que ce sacrifice n'ait eu lieu que près d'une porte de Rome, et pas dans le monde méditerranéen tout entier. Nous avons vu que Schiaparelli avait remarqué que ce sacrifice, le 25 avril, donc bien avant le "lever héliaque" de Sirius, témoignait de l'arrivée de la légende d'Icarius à Rome et n'avait rien à voir avec la constellation du chien, qu'il soit grand ou petit. Quant à la couleur rousse, il y a une autre explication: On sacrifiait une chienne rousse, non pas parce qu'elle était de la couleur de Sirius, mais parce qu'elle était de la couleur de la maladie (la rouille) qui attaquait les récoltes. Nous venons de voir ici, une des preuves les plus farfelues de tout ce dossier.

A la fin, après avoir mentionné l'identité d'Isis et de Sirius, mentionnée par Georges Lafaye, See récapitule les citations de tous ces auteurs: Il y en a vingt. Mais deux auteurs seulement parlent de rougeur (Sénèque) et de rouge (Horace), et tous les deux parlent de la "canicula", et non de Sirius. Les autres auteurs parlant seulement d'astre ardent ou flamboyant.

Et See de conclure par un de ces sophismes dont il a le secret:
There may be some other classic authors who might be advantageously consulted, and it would also be interesting to extend the inquiry to Egyptian, Chaldean, Assyrian, Indian and Chinese writers, but it is doubtful whether much would be gained. For so far as a mathematician can judge from the theory of probability, the foregoing records of the Greeks and Romans have settled the question already.
Il peut y avoir d'autres auteurs classiques qui pourraient être consultés avantageusement, et il serait également intéressant d'étendre l'enquête aux écrivains Égyptiens, Chaldéens, Assyriens, Indiens et Chinois, mais il est douteux que l'on y gagnerait beaucoup. Pour autant qu'un mathématicien puisse juger de la théorie de la probabilité, les récits précédents des Grecs et des Romains ont déjà réglé la question.
Et voila! La probabilité que vingt auteurs aient tous dit que Sirius était rouge sans qu'elle le soit étant quasi nulle, la cause est entendue: Sirius était bien rouge...
Mais en réalité, seuls deux auteurs ont évoqué la rougeur, pour l'étoile de la canicule, ce que personne ne conteste: Sirius à son lever est bien rougeâtre.
Les dix-huit autres auteurs ne disent rien de concluant quant à la couleur de Sirius, ou, au plus, parlent de l'ardeur ou du caractère flamboyant de la lumière de Sirius, donc évoquent effectivement le feu. Mais il faut se rappeler que les anciens ne connaissaient pas les lampes à LED, ni aucun type de lampe autre que la lampe à huile. Torche ou lampe à huile, le feu était le seul moyen qu'ils connaissaient de produire de la lumière. La référence au feu n'est donc qu'une référence à la lumière et non à la couleur.

Pire: Si nous faisons ce que See déclare inutile, en consultant des écrivains chinois, nous découvrons qu'ils décrivent Sirius blanche.

Conclusion:
Probabilité pour que dans l'Antiquité Sirius à son lever ait été rougeâtre: 1
Probabilité pour que dans l'Antiquité Sirius ait été blanche: 1
Probabilité pour que dans l'Antiquité Sirius ait été rouge: 0
Note: et un bonnet d'âne, "king size" pour Thomas Jefferson Jackson See, roi du sophisme.

( T. J. J. See, Historical Researches indicating a change in the color of Sirius, Astronomische Nachrichten, Band 229, 1927, col 245-272)

L'article de See déclencha une salve de réponses la même année, mais ce fut ensuite le silence. Selon Ceragioli, W. Gundel fit une mise au point cette même année 1927, dans l'article "Sirius" de la Paulys real-Encyclopda'ie der classischen Allertumswissenschaft. Mais cette encyclopédie était difficile à trouver et le débat sembla tomber dans l'oubli, comme si éruthro-pistes et eruthro-zététistes pensaient que la cause était entendue en leur faveur.

Dernière mise à jour: 02/10/2018

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