Sima Qian décrit Sirius blanche et changeant de couleur
Sima Qian, historien et astrologue
Sima Qian |
Sima Qian, ou Se Ma T'sien (145 av. J.-C.-86 av. J.-C.), fut le premier historien chinois, à écrire l'histoire de la Chine depuis sa création.
Fils de Sima Tan, annaliste de la cour, il vécut sous le règne de l'empereur Wudi (141 av. J.-C.-87 av. J.-C.). Très précoce, il lisait les livres anciens dès l'âge de dix ans. À vingt ans, il voyagea dans diverses provinces. Plus tard, il travailla pour le gouvernement ce qui lui permit d'effectuer plusieurs voyages aux quatre coins de l'empire.
En 107 av. J.-C., Sima Qian succéda au poste d'annaliste de son père, ce qui, en lui donnant accès aux archives royales, lui permit de continuer l'œuvre ambitieuse de celui-ci: un livre racontant toute l'histoire de la Chine.
Il commença à écrire en 104 av. J.-C. Disgracié par l'empereur Wudi, il fut castré, mais fut amnistié en 96 av. J.-C., et devint secrétaire privé de l'empereur. Il acheva en 91 av. J.-C., son œuvre principale, le Shiji, ou Mémoires historiques, qui comporte de nombreuses biographies, et donne tant une histoire qu'une description des moeurs, et même une description du ciel, dans son chapitre 27, intitulé "les gouverneurs du ciel".
Voici le passage où il parle de Sirius, selon la traduction d'Edouard Chavannes.
Le ciel de Sima
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(La mansion) Chen (le Trio) est le Tigre blanc.
Note: c'est à dire la constellation d'Orion. Chen est aussi prononcée Tsan.
Les trois étoiles qui sont en ligne droite sont Heng-che (le Peson).
Note: ce sont les étoiles ζ (Alnitak), ε (Alnilam) et δ (Mintaka) qui forment le baudrier d'Orion.
Au-dessous sont trois étoiles en forme de pointe qu’on appelle Fa (le Châtiment); elles représentent ce qui concerne la décapitation et la fin.
Note: c'est L’épée d’Orion. l’auteur parle de pointe car l'étoile inférieure est plus brillante que l’étoile supérieure.
Les quatre étoiles extérieures sont Tso yeou kien kou (les Épaules et les Cuisses de gauche et de droite).
Note: ce sont les étoiles α (Bételgeuse), γ (Bellatrix), κ (Saïph) et β (Rigel) d'Orion.
Trois petites étoiles placées en angle sont appelées (la mansion) Tsoei-hoei; elles forment la tête du Tigre; elles président aux troupes protectrices.
Note: La mansion Tsoei correspond à λ , φ¹ et φ² d’Orion.
Au sud de celles-ci sont quatre étoiles appelées T’ien-ts’e (les Latrines célestes).
Note: les étoiles α , β , γ , δ du Lièvre.
Au-dessous des Latrines est une étoile appelée T’ien-che (la Flèche céleste); quand la Flèche est jaune, c’est de bon augure ; quand elle est verte, blanche ou noire, c’est néfaste.
Note: D'après l'Uranographie chinoise de Schlegel, il s'agit de l'étoile Piazzi V 342, mais c'est absurde car elle est de 5ème magnitude et ne pourrait donc rester visible après que l'absorption atmosphérique l'ait fait changer de couleur. Il s'agit probablement de l'étoile α Colombe.
A l’ouest de celle-ci, il y a des étoiles qui sont réparties en ligne sinueuse neuf par neuf en trois endroits ; le premier (de ces groupes de neuf étoiles) s’appelle T’ien-k’i (l’Étendard céleste); le second s’appelle T’ien-yuan (le Jardin céleste); le troisième s’appelle Kieou-yeou (les Neuf festons).
A l’est (de ces étoiles) est une grande étoile appelée Lang (le Loup) ; lorsque Lang (le Loup) darde ses rayons et change de couleur, il y a beaucoup de brigandages et de vols.
Note: Il s'agit de Sirius. Quand elle scintille fort, elle scintille de toutes les couleurs.
Au-dessous sont quatre étoiles appelées Hou (l’Arc); (elles sont dirigées) droit (contre) Lang (le Loup).
Note: Il s'agit apparemment des mêmes étoiles que les Babyloniens appelaient également l'arc.
Dans l’emplacement symétrique à celui de Lang (le Loup), il y a une grande étoile qu’on appelle Nan-ki-lao-jen (le Vieillard du pôle austral). Lorsque le Vieillard est visible, il y a bon gouvernement et paix ; lorsqu’il est invisible, des guerres s’élèvent. On a coutume, au moment de l’équinoxe d’automne, de l’observer dans la banlieue méridionale.
Note: C'est Canopus, deuxième étoile la plus brillante du ciel, qui n'est pas visible à Pékin, mais l'est à Shanghai et dans le sud de la Chine.
Beaucoup de ces descriptions contiennent des pronostics, basés sur l'apparence des astres (qui ne dépend pourtant que des caprices de l'atmosphère). En particulier, les chinois déduisaient beaucoup de pronostics de l'apparence de la planète Vénus, alias T’ai-pe (la grande blanche).
Quand on fait la guerre, on prend modèle sur T’ai-pe ; si T’ai-pe marche vite, on marche vite ; si elle est lente, on marche lentement ; si elle darde ses rayons, on ose combattre ; si elle scintille et est impétueuse, on est impétueux ; si elle est ronde et calme, on est calme. Si on suit la direction qu’indiquent les rayons, on est heureux ; si on va en sens contraire, on est toujours malheureux. Quand elle apparaît, on fait sortir les soldats ; quand elle disparaît, on fait rentrer les soldats.
Quand elle a des rayons rouges, il y a combat ; quand elle a des rayons blancs, il a deuil. Quand elle est noire, ronde et darde des rayons, il y a affliction, il y a des événements qui concernent l’eau. Quand elle est verte, ronde et darde de petits rayons, il y a affliction, il y a des événements qui concernent le bois. Quand elle est jaune, ronde et a de doux rayons, il y a des événements qui concernent la terre, il y a une bonne moisson.
Cette abondance de descriptions de la couleur de "la grande blanche" et des pronostics associés, nous fait bien comprendre que, dans le cas de Sirius, il ne s'agit pas non plus de changements réels de la couleur de l'étoile. Bien plus, la couleur réelle de Vénus nous renseigne sur celle de Sirius:
Quand T’ai-pe est blanche, elle ressemble à Lang
Donc, pour Sima Qian, ou les auteurs qu'il a copié, Sirius est bel et bien blanche. Il n'a jamais dit, comme on lui fera dire plus tard que Lang a changé de couleur, mais simplement que lorsqu'elle change de couleur (en scintillant de toutes les couleurs), elle est pronostic de brigandages.
(Edouard Chavannes, Les Mémoires Historiques de Se-ma Tsien, tome troisième, ch. XXVVII, p. 352, Paris, 1899)
Un autre livre de pronostics, le Jinzhou Zhan, écrit trois siècles plus tard, prend lui aussi Sirius (avec Véga), comme étalon de blancheur.
Dès lors, impossible d'admettre que Sirius paraissait autrefois rouge dans le monde méditerranéen, et blanche en Chine.
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