Fontenelle et Maraldi contre Roemer

Népotisme astronomique

Fontenelle
Le Bovier de Fontenelle
Maraldi
Jacques Philippe Maraldi
Si Roemer avait fait son entrée à l'observatoire en 1672 sous la protection de l'abbé Picard, il est moins connu que Jacques Philippe Maraldi y avait fait la sienne sous la protection de son oncle, Jean Dominique Cassini, fondateur d'une dynastie de quatre directeurs de l'observatoire.

Né, comme son oncle à Perinaldo, comté de Nice, le 21 août 1665, il arriva à l'Observatoire de Paris. en 1687, et entra à l'académie des sciences en 1699.

Son propre neveu, Jean Dominique Maraldi, dit Maraldi II - comme il eut Cassini II, Cassini III, etc..., tous membres de l'académie - vint lui même à Paris en 1727, pour entrer à l'académie en 1731.

Il semblerait qu'à cette époque, la science ait été une affaire de famille

Maraldi n'a pas connu Roemer, ni l'époque où celui ci travaillait à l'observatoire, car Roemer rentra à Copenhague en 1681, à l'appel du roi de Danemark, pour y enseigner à l'université. C'est donc en ne connaissant que la version familiale de la découverte qu'il va en parler.
Son article va être résumé par Fontenelle, qui ayant commencé sa carrière littéraire par des vers et des tragédies, ne s'intéressera aux sciences que bien après le départ de Roemer. Lui non plus, bien qu'en France à l'époque, mais agé de 19 ans, n'a pas connu le travail de Roemer. Ce sont donc deux savants ignorants du dossier qui vont prétendre oter sa découverte à Roemer, pour l'offrir à Cassini.

Un article anonyme et tendancieux

L'année 1707, L'Histoire de l'académie royale des sciences, contient un article anonyme, qui met en doute la découverte de Roemer, et renvoie vers un article de Maraldi, dans les Mémoires de l'académie (V. les M. p. 25, c'est à dire: voir les Mémoires, page 25)
On y apprend, que Cassini et Roemer aurait étudié ensemble l'hypothèse de la propagation de la lumière, que Cassini l'avait eu dès 1674, que c'est lui qui prédisit un retard de 10 mn pour l'émersion d'un satellite, mais que Cassini l'abandonna rapidement, tandis que Roemer la soutint et se l'appropria
Autrement dit: Roemer a volé à Cassini une découverte, qui se révéla sans valeur...

En réalité, ce n'est pas en 1674, mais le 22 aout 1676, quand Roemer avait terminé ses travaux, que Cassini fit une communication ou il tenait compte d'un retard de 10 mn du à la vitesse de la lumière. Et il n'abandonna cette hypothèse que 16 ans plus tard. Cette erreur de date semble être à l'origine de légende créditant Cassini de la découverte de Roemer.

Il est malheureux de découvrir que l'auteur anonyme est probablement Bernard Le Bovier de Fontenelle, qui nous avait enchanté dans ses Entretiens sur la pluralité des mondes, et montré plus d'esprit critique dans son Histoire des oracles
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L'article de Maraldi

L'article de Maraldi parait plus honnète, si l'on tient compte que Maraldi défend son oncle et son protecteur. Il y a cependant une erreur de date qui rend les autres dates suspectes: Cassini ne risquait pas de publier en 1698, la prédiction d'une émersion survenue en 1673.
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page 32Maraldi ne semble pas avoir bien compris le problème. Roemer avait découvert l'ordre de grandeur de la vitesse de la lumière, alors que Cassini cherchait avant tout à donner les tables les plus exactes possibles des mouvements des satellites. Cassini avait déja pris en compte l'excentricité de l'orbite de Jupiter, qui ne devait donc pas provoquer d'anomalie, et si la vitesse de la lumière rendait bien compte des anomalies du premier satellite et pas des trois autres, c'est que leurs orbites n'étaient ni circulaires, ni cassinoïdes, comme le croyait Cassini, mais elliptiques

Quand Maraldi affirme qu'une hypothèse doit être compatible avec tous les phénomènes, il a raison. Mais quand il semble croire que l'hypothèse de la vitesse de la lumière n'est pas compatible avec les autres phénomènes, il se trompe. Elle est insuffisante, et laisse envisager d'autres hypothèses. Mais pour examiner l'influence des causes oubliées, il faudrait d'abord éliminer l'influence des causes connues.

Heureusement, son neveu, Maraldi II, va s'atteler à cette tache, déméler les influences des diverses causes, et rendre à Roemer ce qui lui appartenait.

La dure réalité

Ce que n'avaient compris, ni Galilée, ni Cassini, c'est que les orbites des satellites de Jupiter sont des ellipses. Galilée qui avaient hérité l'hypothèse des cercles de son maitre Copernic, se méfiait des théories de Képler, dont la dernière loi ne fut publiée qu'en 1619. Mais Cassini n'avait d'autre excuse que de faire confiance à son compatriote, Galilée. Pourtant, ses observations lui mettait la réalité sous le nez: les plus grandes digressions des satellites étaient variables, ce qui était incompatibles avec un mouvement circulaire, qui aurait montré un balancement de part et d'autre de Jupiter, toujours à la même distance maximum par rapport au diamètre de Jupiter. Et même avec ses cassinoïdes, on comprend qu'avec des orbites fausses, il ne pouvait pas trouver de résultats corrects, et si le premier satellite était le seul ou la correction de la vitesse de la lumière donnait un résultat à peu près exact, c'est que son orbite est peu excentrique, et ses émersions relativement rapides
Mais Cassini s'obstina. Il invoqua les hypothèses les plus diverses, et il eut peut être admis l'action du diable, plutôt que d'utiliser les ellipses képlériennes. Voici ce qu'il dit des digressions.
( Memoires de l'académie royale des sciences, tome VIII, page 317, Les hypothèses et les tables des satellites de Jupiter, réformées sur de nouvelles observations)
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Jean-Dominique Maraldi oublie le népotisme au nom de la Science

Il y eut tout de même un membre du clan des astronomes Périnaldiens, pour préférer la Science à la Famille: Ce fut Giovanni Domenico Maraldi, ou Jean-Dominique Maraldi, alias Maraldi II. Cherchant à déterminer la différence de Longitude entre Greenwich et Paris, il fit lui même de nombreuses observations des éclipses des satellites de Jupiter. En particulier, il utilisa 300 éclipses du troisième satellite qui avaient l'avantage de montrer l'immersion dans l'ombre, aussi bien que l'émersion. Dans un mémoire publié en 1741, il put ainsi déméler les différentes causes d'inégalités, et rétablir dans ses droits la vitesse de la lumière, quitte à désavouer les conclusions de son oncle, Jacques Philippe Maraldi, alias Maradi I, que les mémoires de l'académie appellent alors "feu M. Maraldi".

Conclusion

Vouloir diminuer le mérite de Roemer est absurde. Roemer avait procédé correctement en étudiant la croissance du retard dans deux quadratures opposées. Si sa méthode ne marchait bien qu'avec le premier satellite de Jupiter, et pas avec les autres, la faute en est aux calculs de Cassini qui utilisait des orbites fausses. Comment aurait il pu alors obtenir des résultats justes à 1/10 000 près? Le mémoire ou Cassini expose ses méthodes de calculs est écrit 84 ans après la publication de Astronomia nova de Képler. Mais tout comme Tycho Brahé, excellent observateur et bon courtisan, refusait Copernic et se révéla piètre théoricien, Cassini, qui avait les mêmes qualités, et les mêmes défauts, refusa Kepler
Il préféra jeter la vitesse de la lumière aux oubliettes, parce que sa prise en compte ne suffisait pas à réparer ses bétises
Et Maraldi I, qui devait son poste à son tonton, était mal placé pour le critiquer. Haro sur Roemer qui donna aux astronomes un faux espoir.
Et voila les savants français autorisés à douter encore longtemps de la vitesse finie de la lumière. Car la démonstration suivante viendra elle aussi d'un étranger: L'anglais James Bradley, découvreur de l'aberration de la lumière, mettra du temps à convaincre les savants français. Son travail fut révélé à l'académie par Clairaut en 1737, et il devint membre associé de l'académie en 1748
Heureusement, entretemps, Maraldi II, avait réhabilité la vitesse de la lumière, compatible, tant avec ses observations, qu'avec celles de James Bradley.
Cependant, en 1771, presque un siècle après le travail de Roemer, le Dictionnaire de Trévoux écrit encore:
Quoique M. Bradley prétende avoir observé l’aberration dans le lieu des fixes, néanmoins parce que cette théorie n’est pas encore adoptée de tout le monde, nous ne croyons pas qu’il faille trop se hâter de recevoir une découverte qui n’est encore attestée que par un seul auteur, qui ne s’accorde point avec les observations faites par les astronômes François, & qui est fondée sur le mouvement successif de la lumière, dont les plus habiles astronômes doutent encore.
Il est tout de même curieux que cette méfiance envers les découvertes d'origine étrangère, ait été initiée par un clan d'astronomes d'origine italienne
Mais c'est tout de même un astronome du même clan qui a sauvé l'honneur.

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Dernière mise à jour: 20/08/2019