La découverte de Neptune

La laborieuse découverte d'Uranus

William Herschel, huile sur toile de Lemuel Francis Abbott,National Portrait Gallery
William Herschel
uranus vu au télescope
ce que vit Herschel
Jusqu'au XVIIIème siècle, le système solaire se limitait aux planètes visibles à l'oeil nu. Bien qu'on ait déjà supposé avec Clairaut qu'il puisse exister des planètes inconnues, la dernière planète était Saturne.

Le 13 mars 1781, en cherchant des étoiles doubles, William Herschel découvrit un astre nouveau, d'un diamètre sensible, mais d'aspect légèrement diffus.
On était habitué aux découvertes inopinées de comètes, mais on découvrait aussi des nébuleuses.
Le 17 mars, en voyant que l'astre avait changé de place, Herschel, pensa à une comète et prévint Maskelyne, l'astronome royal, et Hornsby, directeur de l'observatoire d'Oxford.

Mais non seulement cette fichue comète ne montrait ni tête, ni queue, comme toute comète qui se respecte, mais elle refusait de suivre une honnête orbite de comète, c'est à dire une orbite parabolique, quelque soin qu'on prit à faire les calculs. Toute orbite une fois calculée était aussitôt réfutée par les observations suivantes. Neville Maskelyne, en Angleterre, et Olbers, en Allemagne pensait que l'astre d'Herschel devait plutôt être une planète. C'est Bochard de Saron, président au parlement de Paris (et martyr de la révolution), qui fut le premier à proposer une orbite planétaire. Quelques mois plus tard Anders Johan Lexell, à St Petersbourg, et Pierre Simon Laplace, en France, calculaient une orbite qui représentait enfin le mouvement de l'astre. Une orbite de planète à deux fois la distance de Saturne

En essayant de déterminer l'orbite de la planète, on s'aperçut qu'elle avait déjà été observée plusieurs fois, comme une simple étoile. Ces anciennes observations allaient pouvoir servir à déterminer une orbite précise.

Alexis Bouvard
Alexis Bouvard
Alexis Bouvard, astronome au bureau des longitudes, et qui avait déjà rédigé des tables de position pour Jupiter et Saturne, entreprit de réduire toutes les observations de la planète, baptisée entre temps Uranus. S'apercevant qu'il ne pouvait calculer une orbite qui rende simultanément compte des observations anciennes et des observations modernes, il se résolut à choisir les modernes, c'est à dire postérieures à la découverte de la planète. Il choisit de laisser aux générations futures le soin de décider si le désaccord venait des erreurs d'observations, ou de "quelque action étrangère et inaperçue". Ses tables furent publiées en 1821

Malgré tout le soin qu'avait pris Bouvard à tenir compte des perturbations de Jupiter et de Saturne, la planète refusait d'être observée aux positions prévues, avançant ou retardant d'une valeur bien supérieure aux erreurs d'observations. C'était à en perdre son latin. Uranus semblait se jouer de la loi de la gravitation universelle. On alla jusqu'à se demander si cette loi était encore valable aux grandes distances

Une planète inconnue perturbe-t'-elle Uranus?

La comète de Halley semblait elle aussi fâchée avec la mécanique céleste. En 1833, Valz, de Marseille, suggérait à Arago que ses perturbations pouvaient venir d'une planète inconnue
En 1834, le révérend T.H Hussey suggéra à Alexis Bouvard, alors directeur de l'observatoire de Paris, que les perturbations d'Uranus devaient être causées par une planète encore inconnue. Bouvard n'ayant pas donné suite, Hussey tenta sa chance auprès de Sir George Biddell Airy, l'astronome royal, sans plus de succès
En 1840, Bessel, d'accord avec l'idée d'une planète inconnue, constatait que l'écart atteignait une minute d'arc et s'accroissait de 7 à 8 secondes d'arc par an. Bessel confia le soin de surveiller ces perturbations à son disciple Friedrich Wilhelm Flemming. Malheureusement, Flemming mourut de la fièvre Typhoïde le 28 décembre 1840, et ses travaux sur l'orbite d'Uranus ne furent publiés que 10 ans plus tard

John Couch Adams
John Couch Adams
En Angleterre, John Couch Adams, étudiant de Cambridge, s'intéressa au problème en 1841. En 1843 il se procura (via Challis) les données des observations d'Uranus et utilisa une méthode d'essais successifs qui lui permit de trouver en octobre 1845 une orbite qui représentait passablement bien les perturbations d'Uranus

Le Verrier, Peint par Daverdoing en 1846
Urbain Joseph Le Verrier
Entre-temps, on continuait de perfectionner la théorie du mouvement d'Uranus. En 1842, Hansen, puis Delaunay, firent remarquer qu'on avait négligé des termes dans le calcul des perturbations que causait Saturne, car Saturne subissait elle même une grande inégalité dans son mouvement sous l'action de Jupiter.

Urbain Joseph Le Verrier, répétiteur à l'école polytechnique, qui avait entrepris de revoir tous les calculs de perturbations planétaires, critiqua la formule donné, tout en reconnaissant que le nouveau résultat ne correspondait toujours pas à l'observation.

En septembre 1845 Eugène Bouvard, neveu d'Alexis, présenta à l'académie de nouvelles tables, fondées sur la totalité des observations enregistrées à l'époque, en tenant compte de toutes les perturbations connues. Les divergences entre le calcul et l'observation restaient néanmoins assez importantes pour que Eugène Bouvard, rappelle l'hypothèse de son oncle d'une planète perturbatrice. Cette hypothèse prenait du poids du fait que les écarts atteignaient un maximum vers 1822 avant de diminuer.

Arago, directeur de l'observatoire de Paris et secrétaire perpétuel de l'académie des sciences, confia alors le problème à Le Verrier. Celui ci présenta à l'académie un résultat encourageant de ses recherches en novembre 1845. Le 31 août de l'année suivante, il donna le résultat définitif. Les éléments calculés de la planète étaient:

Demi-grand axe de l'orbite
Durée de la révolution sidérale
Excentricité
Longitude du périhélie
Longitude moyenne au 1er janvier 1847
masse

Ce qui donnait la position:
Longitude héliocentrique vraie
Distance au Soleil
36.154
217 ans,387
0.10761
284°45'
318.47
1/9300 masse solaire


326° 32'
33.06

Le Verrier était optimiste quand au succès de la recherche, car il crut pouvoir déduire pour la planète un diamètre angulaire de 3.3'', ce qui la rendrait facile à distinguer d'une étoile dans une bonne lunette

Airy
George Biddell Airy
Challis
James Challis
Le pauvre Adams, qui avait pourtant de l'avance sur Le Verrier, fut littéralement volé de la priorité de son travail, car Challis, le directeur de l'observatoire de Cambridge, n'entreprit pas immédiatement de vérification (on n'est d'ailleurs pas sur qu'Adams lui ait demandé officiellement). Il préféra renvoyer Adams vers Airy, l'astronome royal. Adams communiqua donc ses résultats à Airy, qui, ne croyant pas trop à la possibilité de découvrir une planète par ce genre de calcul, demanda des précisions supplémentaires sur les perturbations infligées au rayon vecteur de l'orbite d'Uranus.
Il fallut attendre la publication d'un premier mémoire de Le Verrier en juin 1846 pour qu'Airy se convainque de l'intérèt du travail d'Adams, et donne le feu vert à Challis pour commencer la recherche à l'aide du Northumberland télescope

Adams recalcule donc la position supposée de la planète pour les mois à venir, et en juillet 1846 Challis commence d'inventorier la zone où devait se trouver la planète. Mais la recherche est fastidieuse, car Challis ne dispose pas d'une bonne carte céleste de la zone concernée. il doit donc vérifier la position des étoiles une à une. En pratique, puisque la masse de la planète est connue, son volume l'est approximativement aussi, donc sa surface apparente, donc sa magnitude qui doit être de l'ordre de 8. Mais Challis veut aller jusqu'à la magnitude 11, ce qui faisait environ 15 fois plus d'étoiles à vérifier (il aurait été mieux inspiré en procédant magnitude par magnitude). Pire, il néglige de réduire ses observations au jour le jour.

En France, en cet été 1846, on n'avançait guère plus, car à cette époque, on ne disposait pas non plus à Paris de carte céleste jusqu'à la magnitude 8, qui aurait permis de trouver rapidement l'intrus.
En fait une telle carte venait d'apparaître. C'était la planche, pour une ascension droite de 21H, de la Berlin Sternkalendar. Mais cette carte n'était encore disponible qu'à Berlin.

La planète est trouvée!

Encke
Johann Encke
La lunette de l'observatoire de Berlin (aujourd'hui au musée de Munich)
La lunette de 23cm
Pour Le Verrier, le temps pressait. Le 18 septembre, ne tenant plus en place, il se rappela de son correspondant allemand, l'astronome Johann Galle, qui lui avait envoyé une copie de sa thèse de doctorat l'année précédente. Il lui écrivit donc pour lui confier le problème, avec les coordonnées calculées de la planète.
Galle reçut la lettre le 23 et en discuta aussitôt avec Johann Encke, le directeur de l'observatoire de Berlin. Malheureusement, Encke fêtait son 55ème anniversaire ce jour là et avait réservé sa soirée. Galle dut insister mais Encke finit par tomber d'accord et permis à Galle de commencer la recherche en utilisant la lunette de 23 cm d'ouverture de l'observatoire

Johann Gottfried Galle
Johann Gottfried Galle
Heinrich D'Arrest
Heinrich D'Arrest
Le soir même Galle, aidé de son collaborateur Heinrich d'Arrest entreprit la recherche. Galle comptait repérer la planète d'après son disque, mais d'Arrest lui conseilla de vérifier les étoiles une à une sur la carte que venait de terminer Bremiker.

Cette méthode leur permit de trouver rapidement, à 52' de longitude de la position indiquée (mais plus d'un degré de distance angulaire), une étoile de magnitude 8 qui ne figurait pas sur la carte. Mais était-ce la planète ou une étoile oubliée?
Le lendemain, ils vérifièrent: L'étoile s'était déplacée. Victoire! C'était bien une planète.

carte de Bremiker
La carte de Bremiker
En rouge, la position d'après Le Verrier. En bleu, la position trouvée


Le lendemain Galle répondit à Le Verrier:

« Monsieur, la planète dont vous avez signalé la position existe réellement. Le jour même où j'ai reçu votre lettre, je trouvais une étoile de huitième grandeur qui n'était pas inscrite dans l'excellente carte Hora XXI (dessinée par M. le docteur Bremiker)»

Aussitôt le résultat connu, à Paris, on triomphe. Arago déclare à l'académie des sciences:

"Mr Le Verrier a aperçu le nouvel astre sans avoir besoin de jeter un seul regard vers le ciel.; il l'a vu au bout de sa plume"

Quand à Le Verrier, il entrevoit déjà toute une kyrielle de planètes, découvertes successivement par les perturbations qu'elles exercent les unes sur les autres (il changera d'avis plus tard)

Polémique sur la priorité

A Cambridge, c'est le 30 septembre que Challis apprend la découverte de Galle. Consternation! En recherchant dans ses notes, il découvre qu'il avait observée la planète le 30 juillet et le 4 août...
Le 1er octobre le nom de Neptune est choisi pour la nouvelle planète au grand dam de Le Verrier, à qui Arago avait promis de dédier la planète.
Le feu de l'a polémique s'allume le 3 octobre. John Herschel envoie une longue lettre à la revue l'Atheneaum ou il défend l'antériorité des travaux d'Adams.
Mais l'affaire va surtout s'enflammer du fait des tentatives d'Airy et de Challis pour se justifier, qui vont être très mal perçues en France, même si elles se présentent sous la forme de félicitations.

Le 19 octobre à l'académie des sciences, la séance est houleuse. Arago lit les diverses lettres envoyées d'Angleterre, et conclut:

M. Adams n'a pas imprimé, même aujourd'hui, une seule ligne de ses recherches; il ne les a communiqué à aucune société savante. M. Adams n'a donc pas le moindre titre valable pour figurer dans l'histoire de la découverte de la nouvelle planète.

En Angleterre, Airy et Challis passent pour deux idiots qui ont laissé s'échapper l'opportunité d'une si brillante découverte. En France, tandis que Le Verrier est nommé officier de la légion d'honneur (Galle est nommé chevalier), les caricaturistes ont la dent dure

caricature d'Adams et  Le Verrier
Adams accusé par la caricature d'avoir plagié Le Verrier!

Que valaient vraiment les calculs?

En dépit de son succès apparent, la méthode de Le Verrier ne réussit pas à fournir des éléments valables pour l'orbite de Neptune. Une fois que de nouvelles observations eurent permis de calculer l'orbite de la nouvelle planète on s'aperçut que:
- l'orbite de la planète avait un demi-grand axe (rayon) de 30.1 U.A, et une excentricité presque nulle (.009)
- L'orbite calculée si laborieusement par Le Verrier était donc fausse, puisque le rayon prévu était de 36.154 U.A et l'excentricité de .107
- L'orbite calculée par Adams, était encore pire avec un rayon de 37.25 U.A

orbites de Neptune
Les orbites trouvées par Adams et Le Verrier

Pourtant, dans les deux cas, la position trouvée était dans les parages de la position prévue.

positions de Neptune
Les positions trouvées par Adams et Le Verrier

L'astronome Benjamin Peirce, d'Harvard, constatant l'inadéquation des calculs d'orbite, est allé jusqu'à parler d'un heureux hasard. Selon lui la découverte de Galle n'était que fortuite.
On peut en douter, car si la coïncidence vaut, à la rigueur pour Adams (dont les calculs étaient moins précis), l'hypothèse n'est plus tenable pour Adams ET Le Verrier. La similitude des 3 positions ne s'explique pas sans une corrélation
On a fait remarquer que cette concordance n'était due qu'au fait que la recherche avait été effectuée une vingtaine d'années après les perturbations maximum, lors de la conjonction. Cinquante ans plus tard, Galle n'aurait probablement rien trouvé

caricature de Le Verrier
Ne retrouvant pas sa planète, Mr Leverrier colle à la place un calcul prouvant son existence

Remarquons aussi que si Galle avait cherché une dizaine de jours plus tôt, il aurait trouvé Neptune en conjonction avec Saturne, comme autrefois Galilée l'avait (sans le savoir) trouvé en conjonction avec Jupiter

La méthode de Le Verrier

Les erreurs de calculs de Le Verrier sont dues au fait que raisonnant en mathématicien, et non en astronome, il s'était empétré dans un calcul compliqué d'équations à n inconnues, d'où il ne s'était sorti qu'en faisant des simplifications outrancières et inadéquates
On pourrait croire qu'il suffisait de noter les avances et les retards d'Uranus sur sa position théorique, et de déterminer à quel moment le phénomène s'inverse. Mais après avoir soigneusement corrigé les tables de position d'Uranus, Le Verrier obtint les écarts suivants

graphique des avances et retards d'Uranus
avances et retards d'Uranus en secondes d'arc, au fil des ans

C'est que l'orbite de départ était déjà une orbite perturbée. En affinant les calculs Le Verrier n'avait obtenu qu'une orbite elliptique optimisée, minimisant les écarts.
Pour retrouver la planète perturbatrice à partir des perturbations d'Uranus, il fallait trouver sa masse, et les 6 éléments de son orbite, ce qui fait déjà 7 inconnues, mais il fallait aussi trouver la mesure réelle des perturbations, et pour cela connaître l'orbite non perturbée, dont les 6 éléments sont autant d'inconnues supplémentaires. Cela faisait donc 13 inconnues à déterminer, et pour cela Le Verrier disposait de 269 mesures de position.
Un système de 269 équations à 13 inconnues! C'était insurmontable pour l'époque. D'autant que la longitude apparaissait sous une forme plus compliquée qu'une simple équation du premier degré.
Le Verrier chercha à diminuer le nombre des inconnues. Il remarqua d'abord que les inclinaisons sur l'écliptique des grosses planètes connues étaient faibles. Comme la planète perturbatrice était nécessairement une grosse planète, il était raisonnable de la supposer dans le même plan, ce qui permettait d'éliminer les inconnues d'inclinaison et de longitude du noeud ascendant (puisqu'il n'y en a plus) dans les équations, tant pour Uranus que pour Neptune. C'était une bonne idée et cela réduisait le nombre d'inconnues à neuf.
Mais il voulut aller plus loin, et plutôt que de supposer l'excentricité nulle (au moins dans une première tentative) ce qui eut réduit le nombre d'inconnues à 7, il choisit de supposer une valeur arbitraire pour le rayon de l'orbite, en se fondant sur la loi de Bode, ce qui lui laissa 8 inconnues.

Dans une première tentative Le Verrier procéda par essais successifs de 40 valeurs de la longitude. Il trouva que les équations donnaient le meilleur résultat pour une longitude comprise entre 243 et 252°

Puis il changea de méthode et chercha à résoudre directement le système d'équations, quitte à le simplifier drastiquement. Il groupa les observations proches dans le temps et obtint une série de 33 équations basées sur des observations moyennes et fictives. Échouant à les résoudre il se résolut une nouvelle fois à éliminer 6 inconnues. Mais comme les variables étaient déjà des fonctions des éléments, et qu'il conservait des valeurs arbitraires, comme disait Emmanuel Liais, "il ne devait plus trouver ultérieurement dans son analyse que ce qu'il y mettait". Si finalement la position donnée était acceptable, c'est qu'il avait conservé la longitude de la planète dans ses inconnues

La méthode d'un astronome

En raisonnant en astronome et non en mathématicien, on pouvait obtenir un aussi bon résultat, voire meilleur, avec moins de calculs, donc plus vite, comme Liais l'a démontré

Emmanuel Liais, gravure de son ouvrage «L'espace céleste»
Emmanuel Liais
On commence par relire les travaux de Bouvard. Il est patent que les irrégularités du mouvement d'Uranus ne sont pas imputables aux erreurs d'observation et qu'elles ne sont pas permanentes, mais concernent une période de quelques dizaines d'années avant et après 1822, date à laquelle elles s'inversent
Les perturbations ne sont pas sensibles de 1690 à 1780, puisqu'on peut représenter exactement les observations de l'époque par une orbite elliptique, on connaît donc l'orbite non perturbée d'Uranus
La planète perturbatrice est nécessairement extérieure à l'orbite d'Uranus, puisque Saturne n'y est pas sensible
La durée de la période des perturbations sensibles permet de donner une fourchette pour la distance de la planète: entre 28 et 32 U.A.
Arrivé là, Liais déclare que les travaux de Bouvard suffisent à déterminer une longitude approximative qui eut permis de trouver la planète, pourvu qu'on fasse la recherche sur un arc d'environ 10°
On peut aller plus loin, et reprendre la méthode du système d'équation (nous n'avons déjà plus que 7 inconnues)
On fait, comme Le Verrier, l'hypothèse de l'inclinaison nulle, ce qui élimine 2 inconnues
On suppose dans un premier temps l'orbite circulaire, donc l'excentricité nulle, il ne reste plus que 3 inconnues, la masse, la longitude et le rayon de l'orbite, ce qui ne nécessite plus que 3 équations
Trouver la solution d'un tel système connaissant 3 valeurs sûres des perturbations, c'est à la portée de n'importe quel polytechnicien, même non répétiteur, et ça ne vaut pas la légion d'honneur...

Jouons à découvrir Neptune

On pourrait reconstruire la découverte de Neptune sous la forme d'un jeu, dépendant de plusieurs paramètres: La méthode employée, le temps de calcul, la méthode de recherche employée (avec ou sans carte), et le temps de recherche.
Une méthode de calcul compliquée nécessitera un temps de calcul très long, pendant lequel un autre joueur peut trouver.
Mais une précision du calcul insuffisante nécessitera un temps de recherche plus important. Un temps qui peut être optimisé avec la méthode de recherche
Mais il y a aussi des paramètres moins faciles à maîtriser, comme la confiance de l'autorité qui décidera de la recherche

Par ailleurs un astronome amateur peut aujourd'hui s'amuser à redécouvrir Neptune, pourvu qu'il ait accès à un logiciel, qui permette de supprimer une planète de la simulation: On fait alors une simulation de la position d'Uranus sans Neptune, qui donne les positions telles que pouvait les calculer Bouvard. Puis une simulation avec Neptune, qui donne les résultats observés.
On dispose alors des perturbations, avec lesquelles il faut calculer l'orbite de Neptune, et sa position actuelle
Une fois la position calculée, Il n'y a plus qu'à photographier à quelques jours d'intervalles la zone concernée avec un appareil photo numérique monté sur un télescope équatorial entrainé, et a opérer la comparaison en superposant à l'un des clichés le négatif de l'autre. Les étoiles fixes disparaissent, et seule reste la planète dont les deux images ne se superposent pas

La fin d'une légende

Le Verrier, peint par Giacomotti, observatoire de Paris
Le Verrier dans sa gloire
Qu'est finalement la découverte de Neptune?
C'est une belle légende nationaliste, qui eut sa version française ("cocorico"), et sa version britannique ("rule Britannia"). Elle valut à Le Verrier les plus grands honneurs (qui lui montèrent à la tête). Directeur (tyrannique) de l'observatoire de Paris. Membre influent de l'académie des sciences. Sénateur. Le Verrier finit par se croire tout permis
Il renvoya notamment Camille Flammarion qui s'était permis d'écrire un livre sur la pluralités des mondes habités

Il ne fut déboulonné que lorsque qu'il eut l'outrecuidance de faire convoquer son propre ministre au sénat pour y répondre de la situation désastreuse qu'il avait lui même créé! (tous ses collaborateurs avaient démissionné)
C'était trop. Le Verrier fut renvoyé

Restait sa légende. Pendant un siècle, les manuels français, tout en reconnaissant les mérites d'Adams, attribuèrent à Le Verrier la paternité de la découverte de Neptune
Mais sous une autre forme, la légende continue. Aujourd'hui, on s'accorde à attibuer la découverte à 3 astronomes (dont Galle), en mettant Adams et Le Verrier sur un pied d'égalité. On lit même souvent que Galle trouva Neptune d'après les calculs de Le Verrier et Adams (voir le bêtisier)
Or ce n'est pas exact non plus, car les résultats d'Adams, obtenus par tâtonnements, n'avait pas la précision de ceux de Le Verrier, ni leur justification théorique (ce qui explique qu'Airy lui ait demandé de "revoir sa copie"). Le travail d'Adams, est en quelque sorte un "brouillon" préliminaire, mais il faut remarquer qu'à l'automne 1845, au moment où ce "brouillon" fut rendu, Le Verrier travaillait lui aussi en procédant par essais successifs. A un mois près, Adams et Leverrier était à égalité, sauf qu'Adams, qui travaillait à temps perdu, y avait passé deux ans. L'année suivante, Le Verrier avait pris de l'avance, en changeant de méthode
Et la légende oublie d'autre noms. Emmanuel Liais, ancien astronome de l'observatoire de Paris, fit remarquer qu'on devrait y ajouter le nom d'Alexis Bouvard, sans lequel Le Verrier n'aurait jamais fait ses calculs.
D'autre part, si c'est bien d'Arrest qui conseilla l'utilisation de la carte de Bremiker, il faut encore ajouter deux noms: D'Arrest et Bremiker, sans le travail duquel la découverte aurait été bien problématique
Encke l'écrivit d'ailleurs à Arago, qui publia la lettre dans les Comptes Rendus de l'académie des Sciences:

Il y a eu beaucoup de bonheur dans notre recherche: La carte académique de Mr Bremiker, qui, peut être, n'est pas encore arrivée à Paris, mais que je ferai expédier tout à l'heure, comprend justement, près de sa limite inférieure, le lieu que vous avez désigné. Sans cette circonstance infiniment favorable, sans une carte où l’on pût être sûr de trouver les étoiles fixes jusqu’à la dixième grandeur, je ne crois pas qu’on eût trouvé la planète.

C'est donc finalement bien plus de trois astronomes qui sont impliqués dans la découverte de Neptune
Pour la découverte effective, nous devons compter

Alexis Bouvard
Francois Arago
Urbain Joseph Le Verrier
Carl Bremiker
Johann Gottfried Galle
Heinrich d'Arrest
Et pour la découverte potentielle
John Couch Adams
James Challis
...et l'infortuné Flemming, qu'on oublie toujours
On peut mieux juger du rôle de chacun en imaginant la situation en leur absence

- Sans Bouvard, Arago n'aurait pas lancé Le Verrier sur la piste d'une planète inconnue.
- Sans Arago, Le Verrier s'y serait probablement lancé plus tard. Quid des chances d'Adams?
- Sans Le Verrier, il reste Adams, mais Airy n'aurait pas pris ses calculs au sérieux (à moins qu'Adams ne se mette à rechercher lui aussi une solution analytique)
- Sans Bremiker, Galle se fut trouvé dans la même situation que Challis, relevant chaque étoile, et Challis aurait pu être le premier
- Sans Galle, Challis aurait probablement trouvé avant que les français ne commencent une recherche
- Sans D'Arrest, Galle aurait perdu plusieurs jours, mais eut pu trouver avant Challis

- Sans Adams, rien de changé, sauf Challis qui n'aurait pas cherché, et la polémique, qui n'aurait pas eu lieu
- Sans Challis, Adams n'aurait probablement, jamais obtenu à temps une orbite vraisemblable, et serait resté inconnu
- Sans Flemming, hélas, rien de changé

Notons que dans certains cas, Le Verrier n'ayant pas publié de résultat, et Airy n'ayant donc pas pris en compte le travail d'Adams, personne n'entreprends de recherche, du moins dans les années 1840. N'en déduisons pas trop vite que Neptune serait restée inconnue: elle aurait probablement été découverte lors de la décennie suivante, à l'occasion de la nouvelle vague de chasse aux petites planètes

Les raisons du succès rapide de Galle, sont la précision des calculs, et le fait de chercher d'après une carte
Celle de l'échec de Challis sont le flou des calculs d'Adams, et le fait d'avoir du relever la position de trop d'étoiles, sans contrôler ses résultats au jour le jour

La tendance actuelle est, coté français, de revoir à la baisse le mérite de Le Verrier ( cocoricouac! ), et coté britannique, de revoir à la baisse celui d'Adams ( what rules Britannia? )

Notons que les principaux protagonistes de la découverte étaient plutôt jeunes et débutants en astronomie. Or, à en croire un distingué membre de l'académie, ils auraient dû laisser à leurs supérieurs la paternité de leur découverte:

«On ne doit pas livrer à la publicité les noms des aides-astronomes qui font des découvertes, dont tout le mérite revient exclusivement au directeur sous les ordres duquel ils sont placés.»

Ce qui revient à dire que la paternité officielle de la découverte aurait du être attribuée, non à Le Verrier et Galle, mais à Arago et Encke.
Au fait, qui était cet infâme mandarin qui prétendait s'approprier le travail d'autrui?
C'était un certain Urbain Joseph Le Verrier...


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Dernière mise à jour: 20/10/2009