1723 Jacques Abbadie semble nier la vision
Jacques Abbadie, né en 1654 à Nay (pyrénées atlantiques), fut éduqué par Jean La Placette, pasteur de Nay, puis étudia à l'académie de Puylaurens et à l'académie de Saumur. Il fut reçu docteur en théologie à Sedan en 1680. Nomme prédicateur à Saumur, il dut bientôt s'exiler à Berlin. A la mort de son protecteur, le grand électeur Frédéric-Guillaume Ier, il passa en Irlande, puia fut nommé pasteur à Londres. En 1699 il fut doyen de Killaloe, en Irlande. Brillant écrivain, il a laissé plusieurs livres dont le plus important est le Traité de la verité de la religion chrétienne. En 1723, il écrivit le Le triomphe de la providence et de la religion,où, à la fin du premier tome, il mentionne divers prodiges, dont la vision de Constantin.
Eusebe au reste parle avec bien plus de confiance des merveilles que Dieu vient de faire pour l'Eglise Chrétienne que Josephe de ce que Dieu fit autrefois en faveur de fon peuple d’Israël. Dieu, adjoute-t-il, a confirmé la verité de ces choses aux fideles et aux infideles par les évenemens admirables qu’il vient de montrer à leurs yeux. C’est en effet les montrer aux Fideles & aux Infideles que de montrer à toute l’armée le signe des victoires qu’il promet. Nôtre Auteur dit que le temps à rendu temoignage à la merveille, dont il parle. Il a raison. Le temps est le grand Commentateur des Oracles, parce que le temps amene les évenemens qui en. sont l’accomplissement, Qu'est ce que le signe qui apparut à Constantin et à son armée? Un oracle écrit dans les nuëes, en caracteres de lumiere, un oracle que le temps à verifié. Ne l'avons nous pas vû s’accomplir de la maniere la plus sensible et la plus juste cet Oracle celefte et lumineux ?
Où sont les batailles que Constantin a perdues depuis ce temps là? Quels ennemis a-t-on vu lui resister? Quelles forteresses, quels postes, quelles montagnes ont arreté le progrés de ses armes victorieuses? Jeanne d’Arc, qu’on croyoit fatalement destinée à vaincre les ennemis de la France, Jeanne d’Arc ne laissa pas de tomber entre les mains des Anglois qui la firent bruler comme une Sorciere , ce qui fait douter de sa Vocation. Mais où sont les defaites de Constantin, depuis qu'il lui fût dit, dans ce tu vaincras?
Comme l'Empereur, continue Eusebe, étoit agité interieurement de diverses pensées et fort en peine, à ce qu'il disoit depuis, fort en peine de ce que ce prodige pouvoit signifier, la nuit survint, dans laquelle le Christ de Dieu lui apparut pendant son someil avec le ligne qui lui avoit été deja montré dans le Ciel, lui ordonnant d'en faire tirer un semblable sur le modele de celui qu’il avoit vu en l'air et de s’en servir comme d’une defense dans les batailles qu'il livreroit à ses ennemis. Constantin se levant dès que le jour paru commença par dire la chose à ses amis. Ensuite ayant fait venir des graveurs, ou des gens capables de mettre en œuvre, il s'assiet au milieu d'eux, leur decrit la forme du Signe, et leur donne ses ordres sur la maniere d'en faire une representation fidele où l'or et les pierres precieuses ne fussent pas épargnéz, laquelle nous avons veüe nous-même autrefois de nos propres yeux.
Vid on jamais un plus hardi menteur qu’Eusebe le seroit dans cette occasion, s'il prennoit les amis du Prince pour lés temoins d’un fait imaginé ? A ce conte quinze ou vingt ans suffisent pour faire perdre la memoire à toute une Cour qui sans doute n’est pas des moins nombreuses. Car les amis, à qui l'Empereur dit son fonge à son reveil et qui le virent donner ses ordres aux artizans qu’il avoit fait venir, ces amis de l’Empereur ne s’aviserent pas d’en faire un secret. Pourquoi l’auroient ils fait? Le secret n'étoit pas necessaire puisque l'enseigne devoit étre exposée aux yeux du publiq, ni ce secret bien praticable, puisque les ouvriers ne pouvoient travailler sans qu’on le sceut. Mais quelle impudence! Quoi! nous faire un conte qui est également ignoré et des artizans qu’on a employés pour ce travail et des Courtizans qui ont du en être les temoins ? On connoit des fourbes dans le monde : mais je ne sais si on en a vû de cette intrepidité. Car enfin où est l’homme assés depourvû de sens, pour se deshonorer soi même sans necessité, en debitant comme une chose qui doit être connüe de tout le monde un fait dont personne n'a jamais ouï parler ? Encore un coup quelle impudence !
Nôtre Auteur nous fait après cela une tres particuliere description de l’enseigne qui fût alors gravée sur le modele du signe celeste: mais comme cette description est un peu longue, on se dispense de la transcrire ici, pour considerer un autre soin de l’Empercur , qui marque autant que toute autre chose, l'impression que la divine merveille avoit fait sur son Esprit. Constantin, dit Eusebe, surpris de cette admirable vision, et jugeant qu'il n’y avoit point d'autre vrai Dieu que celui qui lui étoit apparu, fit venir devant lui les ministres de cette religion, à qui il demanda ce que signifioit une telle vision, et ce qu'on vouloit lui faire connoïtre par ce signe. Ils repondirent que celui qui lui étot apparu étoit Dieu, et le fils unique du seul Dieu, Οἱ δὲ τὸν μὲν εἶναι θεὸν ἔφασαν θεοῦ τοῦ ἑνὸς καὶ μόνου μονογενῆ παῖδα , et que ce signe étoit la marque de l'immortalité et le trophée de la victoire qu'il avoit autrefois remportée sur la mort, lorsqu’il étoit sur la terre. On lui-montra aussi les causes de son avenement, et les raisons pour lesquelles il avoit conversé entre les hommes. Quoi que l'Empereur trouvat de l'instruction dans ces discours, il admiroit sur tout la divine manifeflation ϑιοϕανειας , qui avoit frapé ses yeux. Cela est precis. Mais quoi! ceux qui ont instruit Constantin dans les principes de sa Religion pris à temoin de ce dont ils n’ouirent jamais parler!
Jacques Abbadie, Le triomphe de la providence et de la religion, Amsterdam, 1723, p. 581-585
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A lire trop rapidement ce texte, on pourrait croire que l'auteur tient Eusèbe pour un fieffé menteur. En fait non, c'est qu'il parle par antiphrase, persuadé qu'il est que la vision de Constantin eut des milliers de témoins.
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