La vision de Constantin
La vision de Constantin est la chiasmophanie la plus célèbre, elle est aussi la première de toutes. Pourtant, selon la desciption originale, l'empereur Constantin n'a jamais vu de vraie croix dans le ciel, mais plutôt une sorte de monogramme. Bien pire, il semble que l'apparition n'a, en fait, jamais eu lieu.
Le contexte
Nous sommes au début du IVe siècle. L'empire romain vit sous le régime de la tétrarchie depuis Dioclétien. Il y a donc quatre empereurs: deux Augustes, et deux Césars (qu'on pourrait appeler empereurs adjoints). Lors de l'abdication de Dioclétien, Constance Chlore et Galère deviennent les augustes d'occident et d'orient, avec Sévère et Maximin Daïa comme Césars. Les choses se compliquent en l'an 306, à la mort de Constance Chlore. Son fils Constantin devient César pendant que Sévère devient Auguste. Mais Maxence prend le pouvoir à Rome, se déclare Auguste et élimine Sévère, qui meurt en 307. Or Constantin se déclare aussi Auguste. Il y en a donc un de trop, et les deux empereurs vont s'affronter en l'an 312. Constantin rameute ses troupes et entre en Italie. Le 28 octobre 312, il livre la bataille du pont Milvius, ou Maxence périt noyé dans le Tibre.
L'observation prétendue.
le labarum |
Prétendue, car il semble bien que l'observation la plus connue, l'observation céleste diurne, avec apparition d'une devise, n'ait jamais eu lieu.
Il y a, en fait, trois phases:
L'observation diurne de Constantin, qu'Eusèbe de Césarée est seul à raconter, et qui est aussi la seule qui nous intéresse en tant que Chiasmophanie.
Le rève nocturne de Constantin, raconté à la fois par Lactance, et par Eusèbe, et qui, paradoxalement est moins contesté.
La fabrication du labarum, qui n'est pas mise en doute, mais dont on n'est pas sûr de la date et du lieu.
C'est surtout l'observation diurne, qui a été abondamment racontée, commentée et illustrée. Mais il y a des incohérences si l'on essaye de faire une synthèse.
Dans la version la plus raccourcie, la veille de la bataille du pont Milvius, Constantin, au milieu de son armée voit une croix dans le ciel, avec une devise. La nuit suivante, il voit, en rève, le Christ, portant le même signe. Le lendemain, il convoque des prètres chrétiens pour se faire expliquer son rève, puis appelle des ouvriers pour lui fabriquer une enseigne avec le signe, après quoi il part combattre Maxence et gagne la bataille. Mais cette version est absurde: il nous faudrait admettre que tout ceci se serait passé en l'espace d'environ 24 heures.
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Mieux vaut s'en remettre au seul récit d'Eusèbe, base de tous les autres, en se rappelant qu'en pratique, cette observation diurne n'est qu'une légende.
Selon Eusèbe, Constantin vit dans le ciel, avec toute son armée, une croix de lumière au-dessus du soleil, portant une inscription signifiant: τούτῳ νίκα (Victoire à ceci).
La nuit venue, le Christ lui apparut avec le même signe qu'il avait vu dans les cieux, et lui ordonna d'en faire une image. Le lendemain, il appela des orfèvres et leur fit fabriquer une enseigne à l'image de ce signe, qu'on appela le labarum.
Les illustrations
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Quand on se rappelle que la vision de Constantin est censé avoir provoqué la conversion de l'empereur, ce qui a amené à la conversion de l'empire au christianisme, on se doute que le phénomène doit avoir été abondamment illustré. De fait, ce n'est pas le phénomène supposé historique qui a été représenté, mais bien sa légende, c'est à dire l'apparition d'une croix latine, avec la devise "in hoc signo vinces". En réalité la vision n'a probablement jamais existé, et si elle avait existé, c'est un "labarum" qui aurait du être vu, avec une devise en latin dont nous ne connaissons que la traduction en grec.
La polémique.
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La Vision de Constantin semble avoir été admise sans contestation jusqu'au XVIe siècle, quand des écrivains protestants réécrirent l'histoire de l'Eglise. Ce furent les centuries de Magdebourg (Ecclesiastica historia integram Ecclesiae Christi ideam ...). On y parle à peine de la vision de Constantin, qui ne figure pas dans l'index. Ensuite, il nous faut sauter un siècle pour trouver encore quelques historiens sceptiques, mais la vraie polémique eut lieu au XVIIIe siècle, avec Chauffepié, le chevalier de Jaucourt, et Voltaire, qui réduisirent la vision diurne à une fable.
Les tentatives d'explications
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Comme toujours, il y a des tentatives d'explications. On trouve souvent des explications psychologiques alors que le phénomène est physique, et inversement des explications physiques pour un phénomène psychologique ou sociologique. Et le fait que l'interprétation dominante soit religieuse n'arrange rien. Les savantasses vont avancer des explications sans même avoir étudié les données du problème. Car finalement, l'important n'est jamais que de sauver sa croyance.
Analyse
L'essentiel de l'analyse a été fait par les différents auteurs qui ont critiqué la croyance en la vision. Nous savons donc:
- Que le seul texte de base est le récit inséré dans la Vie de Constantin, attribué à Eusèbe.
- Que même si ce texte est bien d'Eusèbe, il a probablement été remanié ensuite.
- Que meme s'il n'avait pas été remanié, Eusèbe, aussi érudit fut il, n'était pas un auteur critique face à un récit extraordinaire.
- Que Constantin lui fit ce récit vers la fin de sa vie, alors qu'il ne se souvenait ni de la date, ni du lieu, et qu'il était si peu sûr d'être cru qu'il le confirma par serment.
- Que nous ne connaissons aucun autre témoin, et que l'affirmation que toute l'armée fut témoin vient du seul Constantin.
L'hypothèse que la vision décrite par Eusèbe ait bien eu lieu est donc intenable. Car alors:
- Elle aurait eu des dizaines de milliers de témoins, qui en auraient raconté le spectacle à qui voulait les entendre
- Divers auteurs, à commencer par Lactance, en auraient parlé. Eusèbe lui même en aurait parlé dans son Histoire ecclésiastique.
- Constantin n'aurait pas été obligé de le confirmer par serment à un Eusèbe qui connaissait déjà l'histoire.
Nous avons donc le témoignage incohérent d'un homme seul, une vingtaine d'années plus tard, probablement remanié, qui plus est.
Dans ces conditions, à supposer que Constantin ait bien vu quelque chose, ce n'était certainement pas un prodige spectaculaire qu'il avait vu avec son armée. Peut être un phénomène météorologique, qu'il aurait plus tard confondu dans un faux souvenir avec une vision nocturne. Si le phénomène supposé n'est que possible, la confusion dans un faux souvenir, déjà évoquée par Chauffepié, est quasi certaine.
Conclusion
Nous pouvons maintenant être sûr que la fameuse vision diurne de Constantin, avec croix et devise céleste, n'a jamais existé. A partir d'un faux souvenir de Constantin, s'est établi un récit, remanié au cours des siècles, aboutissant à une vision grandiose devant toute une armée.
Mais nous avons eu l'occasion de voir comment un tel phénomène est traité dans le cadre d'une croyance: Le phénomène supposé miraculeux étant considéré comme vrai, tous les arguments qui démontrent son existence sont supposés valables, alors que tous ceux qui l'infirment sont combattus comme faux. Les auteurs qui affirment son existence sont vus comme honnètes, et ceux qui disent le contraire considérés comme de mauvaise foi. Nous avons vus à l'oeuvre les abbés Duvoisin, Vrindts et Desroches, qui ont commis exactement les mêmes sophismes pour démontrer la réalité de la vision de Constantin.
Dans ce cas précis, la croyance était d'ordre religieux, mais le phénomène est plus général, et on le retrouve tout aussi bien pour la croyance au paranormal, aux extraterrestres, à l'astrologie, aux chemtrails, etc.
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