1894 L'abbé Desroches fait l'apologie de la vision.

L'abbé Desroches, nous a pondu la plus magistrale apologie de la vision de Constantin, bourrée de preuves, indubitables pour lui, mais toutes plus fausses ou absurdes, les unes que les autres.

  L'auteur de cet ouvrage a donné tous ses soins et multiplié ses recherches pour arriver à la solution du grand problème historique du IVe siècle. Ce problème est ainsi conçu : l'apparition d’une croix lumineuse à Constantin en 312 est-elle un fait vraiment historique? Ne serait-elle pas une légende inventée à la gloire du héros chrétien et du christianisme lui-même ? Et puis dans quelle contrée est-il possible qu’elle ait eu lieu? Est-ce en Allemagne, en Italie ou en Gaule?

Bien sûr, il est certain de la justesse de son travail.

  Le prodige constantinien ne peut plus être révoqué en doute, c'est un point acquis désormais à l'histoire.
Note: En réalité c'est seulement l'existence du labarum qui est historique.
Mais dans quelle région s'est accomplie la vision céleste? Les uns prétendent que c’est en Italie; la plupart des auteurs désignent les Gaules : lesquels ont raison? Notre auteur, pour répondre, recueillera les témoignages des deux partis ; ceux qui seront les plus nombreux et les mieux autorisés auront la victoire. Les témoins qui auront déposé en faveur de la réalité des faits comparaitront de nouveau pour désigner la contrée honorée des miracles constantiniens ; car le même peut attester un fait et indiquer en même temps le lieu où ce fait s’est accompli. Il ne faudrait donc pas voir une vaine redite dans les dépositions d'un mème témoin et passer outre. Ainsi l'historien Eusébe est interrogé pour attester la certitude des apparitions, ce qui ne l'empêche pas de comparaître une seconde fois pour nous dire que la croix rayonnante et la formation du Labarum eurent lieu avant le passage des Alpes. Ainsi Constantin fait à son biographe la confidence de tous les détails du prodige qu'il affirme sous la religion du serment, et au même instant il déclare ne pas connaître le lieu où il se trouvait avec son armée au moment où cette croix étincelante illumina l'espace.

Mais déjà, il révèle le sophisme stupide, déjà utilisé par ses prédécesseurs, qu'il va utiliser tout au long de son livre: la preuve par l'absence.

Le seul état des lettres et des esprits durant l'ère constantinienne nous est un sûr garant de la véracité du récit de l'évêque de Césarée. Aussi, en face des prodiges qui convertirent Constantin le Grand et la majorité de son Empire, les adversaires sc turent. Pourquoi leur silence? Pourquoi leur oubli à démasquer de faux miracles? Quelques mots leur auraient suffi pour détruire à tout jamais les adorateurs du Christ. Les adversaires de l'Evangile n’ont rien dit, ils ont affecté un silence calculé qui se tourne en preuve irrécusable contre eux. S'ils ont gardé le silence, c’est qu'ils n'ont rien pu dire.
Note: Et s'ils n'ont rien pu dire, c'est évidemment qu'ils n'en savaient rien. On imagine pas les adversaires de l'évangile faire le jeu de leurs ennemis en se taisant. L'abbé Desroches, comme ses prédécesseurs, s'est tiré une balle dans le pied.

Il utilise aussi, comme ses prédécesseurs, la preuve par la tradition.

Les écrivains du XIXe siècle, malgré leur scepticisme déja suranné, ne parviendront jamais à déchirer les pages de l'Histoire ecclésiastique, ni à faire taire la voix de quinze cents ans.

Il donne de l'autorité à sa démonstration, en appelant une kyrielle d'auteurs, même des auteurs supposés.

Dès l'an 312, un grand nombre d'écrivains s'occupèrent des prodiges constantiniens. Lactance est le premier qui en écrivit; Eusèbe de Césarée, le biographe de l'Empereur, en a relaté jusqu'aux moindres détails; puis les orateurs officiels, le panégyriste Nazarius, et Prudence, et les historiens ecclésiastiques, Socrate, Sozomène, Philostorge, Théodoret, et très probablement un grand nombre d'ouvrages disparus dans l'incendie de la Bibliothèque d'Alexandrie, la plus riche que l'on eût connue jusqu'à cette époque.
Note: En réalité, Eusèbe est le seul à parler clairement de la vision, et son texte est soupçonné d'avoir été remanié.

Et tout au long de son discours, il va utiliser un argument faux, mais auquel il croit avec la foi du charbonnier: Toute l'armée de Constantin fut témoin du prodige.

  Evidemment, les premiers narrateurs de l'apparition miraculeuse furent les soldats qui en avaient été les témoins. En pénétrant dans l'enceinte de Rome tombée en leur pouvoir, les légions, encore tout émues du prodige de 312, se hätèrent de le raconter dans les rues et sur les places de la ville éternelle. Constantin vint appuyer lui-même leurs dires. en érigeant sur la place la plus fréquentée sa statue en pied, le représentant, non plus la main armée de la pique traditionnelle, mais d’une longue croix. Sur le socle du monument, chacun pouvait lire : Par la vertu de ce signe salutaire, j'ai délivré Rome, le Sénat et le peuple romain.
  Dès lors, le bruit du prodige vola de bouche en bouche ; en peu de temps, il devint une rumeur générale : chrétiens et païens furent unanimes à reconnaitre que cette victoire si prompte, si complète fut une œuvre surhumaine. Lactance, l'un des grands écrivains de l’époque, fut le premier à y faire allusion dans l'un de ses ouvrages paru en 314, c'est-à-dire deux ans seulement après l'événement prodigieux. Cet ouvrage est intitulé : De la mort des persécuteurs des chrétiens. À la simple lecture, on sent que l'auteur le composa au milieu de l'effervescence populaire ; il n'entre dans aucun détail. Lactance est d'un laconisme désespérant pour nous; on eût désiré quelques détails, tandis qu'il nous a laissé à peine un écho fugitif. Pour le moment, le public ne demandait rien de plus; les moindres circonstances du prodige circulaient dans tous les foyers, elles faisaient la matière de toutes les conversations. Le Sénat, quoique le refuge assuré du paganisme, voulut témoigner à son tour sa gratitude envers le libérateur de Rome ; il le fit en constatant que sa victoire était encore plus l'œuvre de la Divinité que l'effet de sa valeur. Il éleva un arc de triomphe à la gloire de Constantin, et aussi à la mémoire de l'intervention divine qui s'y était manifestéc. On le voit encore à côté des ruines du Colisée,

Il n'y a plus qu'à expliquer pourquoi ce merveilleux prodige fut, en apparence, si peu commenté.

  Vingt-trois ans après, Eusèbe, en écrivant la vie de Constantin, nous a donné, sur la merveilleuse apparition et l'inscription qui l'accompagnait, tous les détails qu'on puisse désirer pour bien connaître le prodige de 312. Avant cette époque, il avait composé son Histoire ecclésiastique, où il se contente de faire allusion à cette apparition merveilleuse. Ces mêmes évènements furent aussi racontés à diverses reprises par des orateurs et des panégyristes chargés de prendre la parole devant l'Empereur et toute sa cour à certaines solennités, telles que les quinquennales et les décennales. Comme ces orateurs étaient paiens, ils employaient des termes à double sens pour ménager la religion du prince et des chrétiens, en même temps que les croyances du polythéisme. Dans la suite parut une série d'historiens ecclésiastiques pour continuer l'oeuvre historique d'Eusèbe, et tous conservèrent le souvenir de la fastique apparition et de la confection mystérieuse du Labarum.
Note: Évidemment, puisqu'ils s'étaient tous inspiré d'Eusèbe.

Maintenant, il faut bien avouer qu'il y eut des sceptiques.

  Ainsi jusqu'au XVIe siècle, les peuples ont cru sans hésitation au récit d'Eusèbe, et dans cet espace treize fois séculaire, à peine eût-on rencontré çà et là quelques voix discordantes. Quand donc les doutes et les dénégations commencèrent-ils à poindre à l'horizon? Presque de notre temps. Les fils de Luther, toujours animés du désir de combattre nos dogmes, furent les premiers à lever l'étendard de la révolte. En 1642, un magistrat de Genève, Jacques Godefroy. critique assez distingué, signala les contradictions qu'il avait cru remarquer chez les différents historiens de l'apparition, oubliant que chaque écrivain a sa manière de raconter. Il consigna ses doutes dans son édition des œuvres de Philostorge, auteur du IXe siècle, qu'il a, du reste, enrichies de savantes annotations.
  Peu de temps après, un de ses fougueux coreligionnaires, Hornebeck, voulut arrêter les effets de la bulle du pape Urbain VIII sur le culte des images, de cultu sanctarum imaginum. Dans la crainte que les catholiques n'appuyassent leur foi sur le prodige constantinien, il s'efforça de l'anéantir sous les flots de ses dénégations, dans son Examen de la Bulle de 1652. À force de violences, il dépassa le but ; ses négations n'eurent pas d'écho, même chez les Réformés.
  Hornebeck eut cependant des imitateurs dans cette lutte; mais ils laissérent de côté les violentes déclamations et tâchèrent d'arriver au même but au nom de la science. C'est encore la rubrique de nos critiques modernes. Les uns soutinrent que l'apparition d'une croix lumineuse fut un stratagème imaginé par Constantin pour relever le moral de ses troupes découragées; d'autres capitaines l'avaient fait avant lui. Quelques autres invoquèrent les phénomènes physiques, un halo solaire, un mirage, etc., pour expliquer la lumineuse apparition de la croix.
  Le XVIIIe siècle, avec son prétendu philosophisme, emboite le pas des protestants sur ce point d'histoire. Voltaire et son école tinrent à honneur de repousser avec dédain la narration de l'évêque de Césarée. Le luthérien Jacques Abadie, doyen de Kilolsé en Irlande, à la fin de son ouvrage intitulé : Triomphe de la Providence, expose avec chaleur l'existence du prodige, mais en y mêlant les préjugés d'un sectaire. Presque en mème temps, le savant Basnage, avec un certain ton de bonne foi, met en doute l’apparition d’une croix à Constantin dans ses Annales politico-ecclésiastiques.
  Ensuite parut l'ouvrage beaucoup trop vanté de l'abbé Mosheim, sous le titre: De rebus christianorum ante Constantinum magnum commentarii. Il discute l'évènement à son point de vue, tantôt pour, tantôt contre, et, finalement, il conclut pour la négative ; c'est le genre de M. Gaston Boissier, moins le talent.
  Christian Thomasius, de la mème église, va jusqu'à traiter de fable insensée l'histoire d'Eusèbe, appelant le père de l'histoire ecclésiastique le plus vil des imposteurs. et le premier empereur chrétien le plus inique de tous les princes. Son ouvrage porte un titre qui révèle bien l'esprit dans lequel il a été écrit : Fabula impudentior de signo crucis Constantino in coelo apparente, fable impudente d'une apparition de croix à Constantin. Aux yeux de ce sectaire, nos évêques ne sont que des suborneurs superstitieux, dont l'unique zèle consiste à égarer les esprits. Omnia ostendunt quo studo antistites jàm tùm temporis superstitione imbuere populi animos fictis etiam ubicumque miraculis laboraverint. L'hérésie, comme on le voit. ne se ment pas à elle-même; elle poursuit toujours aveuglément le cours de ses haineux préjugés. Ne vaudrait-il pas mieux discuter les faits, chacun à son point de vue, sans recourir aux injures ?
  De nos jours, les rationalistes et les libres-penseurs marchent à la remorque du protestantisme, tout en ne professant aucun culte ; mais ils ont senti que là aussi il y avait esprit de positivisme et de rationalisme. Pour eux, ils mettent une certaine discrétion, je dirai même de la délicatesse dans leurs doutes et leurs cauteleuses dénégations, affectant de la bonne foi et même quelque respect pour l’histoire et les historiens. En prudents critiques, ils n'avancent qu'à pas mesurés, ils prennent les pages de l'histoire, ils les examinent à la loupe en se demandant tout bas si leur auteur n'aurait pas été inspiré par un esprit de servilisme ou de basse flattrie qui l'aurait fait dévier des voies de la vérité. Placés dans ce faux jour, Constantin et Eusèbe furent passés au laminoir du doute et devinrent des objets de suspicion. On s'en prit d'abord à l'évêque de Césarée ; on le dépouille de tout prestige, on en vient à lui refuser toute considération sous prétexte qu'on le trouve trop enclin à la flatterie, voulant à tout prix exalter son héros. Les plus modérés finissent par le regarder comme un homme qui manque d'autorité et dont il faut se défier, tout en avouant qu'il fut un érudit de premier ordre, un écrivain fécond, un historien placé au sommet des affaires de son temps. Puis on attaque l'empereur chrétien à son tour, car il fut le premier narrateur des prodiges, l'inspirateur d'Eusèbe qui écrivit sous ses ordres. Ils ne craignirent pas de faire jouer à Constantin le grand le rôle d'une femme sur le retour de l'âge, qui aime à raconter ses anciennes prouesses d'autrefois. Ils nous représentent l'Empereur, au déclin de sa carrière, en tête à tête avec son historien, se plaisant à dire et redire ses hauts faits et en particulier sa victoire sur Maxence, victoire qui le rendit le maitre du monde.
  Comme on le voit, les hypothèses des critiques modernes sont d'une extrême gravité. Elles ne tendent à rien moins qu'à trainer dans la boue les hommes les plus considérables du IVe siècle; elles aboutissent à faire de Constantin et d’Eusèbe deux imposteurs, deux insignes faussaires. Une telle accusation lancée contre d'aussi grands personnages parut même aux libres penseurs dépasser un peu la mesure. Ils se ravisèrent et trouvèrent moyen de rejeter la narration d'Eusébe sans toucher à l’honorabilité de l'Empereur et de son biographe. Ils convinrent, après mûr examen, que le héros n’en avait imposé à personne, qu'il avait naïvement raconté à l'évêque de Césarée les faits tels qu'il croyait les avoir vus. Eusèbe, d’après eux, fut également de bonne foi; il a consciencieusement enregistré les détails que lui avait fournis Constantin : ni l'un ni l’autre ne furent imposteurs; ils ont agi dans la droiture de leur conscience. Mais alors, s'ils ont dit vrai, comme l'avouent les rationalistes eux-mêmes, les faits miraculeux sont donc réels? ils les admettent donc comme nous ? Oh ! nullement : quel est donc le noeud de l'énigme? Ils ont trouvé que l'Empereur avait été le jouet d’une hallucination.
Note: On aimerait la source, cer il est bien possible qu'ils avaient seulement parlé d'illusion.

Après tant de dénégations, il lui faut réaffirmer sa foi dans le miracle.

  Telle est, si je ne me trompe, la marche du Labarum à travers les siècles ; telles sont les phases qu'a subies la narration d'Eusèbe. Chaque siècle, en passant, a déposé ses jugements sur les hommes et les choses. Le fleuve séculaire a laissé derrière lui une vase aux multiples couleurs ; mais l'image du héros n'a pas été altérée devant l'histoire; le récit d'Eusèbe n'a subi que de légères égratignures. Au milieu de nos disputes d'école et de nos orages sociaux, le prodige de la croix lumineuse est resté debout, stat crux dum volvitur orbis !

Maintenant, il faut tout de même examiner les problèmes.

PROBLÈMES RENFERMÉS DANS LA QUESTION DU LABARUM
...
  Premier problème. — Est-il vrai qu'en l'an 312, pendant que l'Empereur et son armée étaient en marche pour aller châtier le tyran de Rome, une croix lumineuse parut au dessus du soleil, en plein jour, illuminant tout l'espace? Est-il vrai qu'une inscription de feu apparaissait à l'entour, portant ces mols : in hoc signo vinces, tu vaincras par ce signe! Comme ces apparitions étaient rayonnantes et en plein jour, l'empereur et ses légions durent les contempler et en être dans la stupeur; ainsi que l’a raconté l'évêque de Césarée. Devons-nous le croire ou sommes-nous en présence d’une légende imaginée à la gloire du héros et du catholicisme? Tel est le premier problème qui se dresse devant nous. J'ose espérer démontrer jusqu'à l'évidence qu'il s’agit ici d'un fait aussi réel que l'existence de César dont personne ne doute.
  A ce fait se rattache l'apparition également lumineuse d'une légende que l'Empereur et ses soldats ont pu lire ensemble; cet incident est comme le complément de l'apparition de la croix rayonnante. Un autre incident s'y rattache encore comme l'interprétation de ces apparitions lumineuses, c'est un songe qui suivit les apparitions.
  À leur aspect, Constantin fut en proie à la plus grave anxiété; la vue d’une croix était encore à ses yeux et aux yeux de ses compagnons d'armes d’un funeste présage. Pendant son sommeil, le Christ apparaît au héros, lui ordonne de former un étendard nouveau sur lequel on représentera la croix qu'il avait vue; que cet étendard porté à la tête des armées les rendra victorieuses. C'est cet étendard qu'on appellera plus tard Labarum.

Ce premier problème une fois surmonté, en apparait un second, puis un troisième.

  Second problème. — Lorsqu'on aura démontré par toutes les preuves connues que cette apparition de croix et d'inscription est vraie, que la vision du Christ durant le sommeil de Constantin est réelle, que le nouvel étendard fut commandé par le Christ et que tous ces faits sont des vérités prouvées, démontrées jusqu'à l'évidence, un autre problème se présente à nous. Le voici : En quelle contrée se trouvait Constantin au moment de la merveilleuse apparition? Était.ce en Gaule, en Italie ou en Allemagne? Se trouvait-il campé sur les bords du Rhin ou sur les rivages du Tibre? Les Italiens, et à leur tète, le savant Baluze, le supposent aux portes de Rome; mais Eusèbe et la plupart des auteurs anciens et modernes, soutiennent qu'au moment du prodige, l'Empereur n'avait pas encore franchi les Alpes. Ce second problème historique sera, je l'espère, résolu avec clarté et les témoignages seront poussés jusqu'à l'évidence.
  Troisième problème. — Une fois démontré que l’italie ne fut pas le théâtre de l'apparition, mais les Gaules, il nous restera une autre question fort impor- tante, fort épineuse à résoudre : quel est donc ce lieu précis des Gaules qui fut le théâtre de la miraculeuse apparition? En quelle ville, en quelle localité, Constantin et son armée campaicnt-ils, lorsque la croix céleste illumina les airs au dessus de leur tête? Plusieurs villes ont aspiré à l'honneur d’avoir été le théâtre du prodige constantinien, comme on voit certaines villes de la Grèce prétendre à la faveur d’avoir été le berceau d'Homère. Ce dernier problème est excessivement ardu, la plupart le regardent comme insoluble. Néanmoins, malgré ma faiblesse et peut-être à cause de ma faiblesse, je vais tenter une solution. L'enfant inconsidéré prévoit moins les précipices et il s'élance en avant, et quelquefois il arrive au but, audaces fortuna juvat. Nous jouerons l'enfant de la fortune, et si le succès ne répond pas à notre attente, nous aurons eu du moins l'honneur de l'avoir entrepris. Nous avons à notre arc des flèches récemment découvertes : 1° une voie romaine découverte en 1855; 2° un acte en parchemin de l'an 536, désignant le territoire béni teragium sanctæ crucis; 3° de très antiques pélerinages avec dime féodale; 4 des traditions locales conservées jusqu'à nos jours. Ce petit arsenal de témoignages n’était pas aux mains de nos devanciers; on les soupçonnait, mais on ne les possédait pas.

il faut maintenant se défendre face au premier problème

LE LABARUM DEVANT LA CRITIQUE
...
Eusèbe de Césarée, le biographe de Constantin et son confident, a raconté dans ses moindres détails l'apparition d'une croix rayonnante aux yeux de l'Empereur et de son armée allant combattre Maxence. Il rapporte l'inscription également de feu in hoc signo vinces, qui entourait cette croix. Il fait aussi connaître le songe de la nuit suivante où le Christ en personne vint lui ordonner la formation d'un étendard chrétien. En présence de tous ces faits, quelle sera l'attitude du rationalisme? Avant de les examiner et d'en étudier la véracité, il tombe à bras raccourcis sur les narrateurs du prodige. Il commence par déclarer Eusébe un homme sans autorité, un flatteur aveugle, uniquement préoccupé de glorifier sa religion et son héros, un écrivain qui ne mérite aucun crédit et dont on doit se défier. Et puis, se ravisant, le rationalisme s'aperçoit que le vrai coupable n'est pas Eusèbe, qu'il s'est contenté de rapporter les faits tels que l'Empereur les lui a racontés, « Ces embellissements du miracle, Eusèébe était bien capable de les inventer de toutes pièces, disent-ils, mais s'il fallait trouver le responsable, nous accuscrions Constantin en personne, toujours avide de se donner pour le favori des cieux et pour le bras droit du Tout-Puissant. Tout cet ensemble de miracles provient de conversations séniles de l'Empereur, au déclin de sa carrière. Quand il était en verve de confidence, dit M. Boissier, il racontait et racontait sans cesse sa mémorable victoire sur Maxence. Et comme dans ces sortes d'histoires on ne les redit jamais de la même façon, le prodige a pris toutes les proportions que lui donne l'évêque de Césarée. »
   De la sorte les rationalistes nous aménent insensiblement à nous défier d'Euséhe et à mépriser les récits de Constantin, lors même qu'il les appuierait de la religion du serment.
  Pour nous, qui n'avons aucun motif de suspecter Constantin, ni de rejeter son biographe, nous nous demanderons: si ces deux personnages sont aussi méprisables que les libres penseurs nous le donnent à entendre, d'où vient que la postérité a décoré le fils de Constance Chlore du nom de Grand, qualification que les siècles ont respectée? Pourquoi les historiens venus après Eusèbe, tels que Rufin, Socrate, Sozomène, Philostorge et Lant d'autres ont-ils constamment adopté la narration d'Eusèbe? Pour quelle raison les monnaies de l'époque et des siècles suivants ont-elles religieusement conservé les empreintes du Labarum, du divin monogramme et des autres détails rapportés par l'évèque de Césarée? Si tous ces faits étaient des inventions fabuleuses, pourquoi les fauteurs du paganisme, si intéressés à les démentir, ont-ils gardé le silence ? Certes, les écrivains idolâtres ne manquaient pas à cette époque. Il y avait le préfet de Rome, Symmaque, qui fit les derniers efforts pour ranimer le polythéisme expirant, il y avait l'historien Zosime dont la haine de Constantin égalait sa haine contre le Christ; il y avait un Aurélius Victor, un Eutrope, un Macrobe et cent autres, et malgré leur désir ardent de relever les autels des Dieux, ils ont gardé le silence, comme nous l’avons maintes fois observé! Craignaient-ils de déplaire aux peuples? Mais la population était encore en grande majorité idolätre à cette époque. Ou bien n'ont-ils pas eu assez de clairvoyance pour s'apercevoir qu'Éusèbe et Constantin leur imposaient des fables! Il a fallu la perspicacité des rationalistes venus treize siècles plus tard pour mieux juger des hommes et des choses du quatrième siècle, risum teneatis, amici?
  Nos contradicteurs ont la prétention d’avoir mieux étudié les personnages et les faits et ainsi d’être en droit de rejeter les pages de leur histoire.
  Eh bien! à notre tour, étudions de plus près ces personnages et les faits de leur temps; essayons de constater par nous-mêmes l'exactitude des jugements rationalistes. Tous les partis s'accordent à reconnaître que trois hommes ont joué le plus grand rôle dans les évènements du IVe siècle. Ces trois personnages sont : Constantin, Eusèbe, évêque de Césarée, et Lactance, précepteur du fils ainé de l'Empereur Constantin, en faveur duquel s’opérèrent les prodiges de 312 et qui les raconte à ses deux auteurs familiers, l'évêque de Césarée qu'il avait admis dans son intimité et auquel il révéla les moindres détails des évènements, et Lactance, l’un des meilleurs écrivains de son siècle, qui eut aussi quelques relations intimes avec l'Empereur en sa qualité de précepteur de son fils. Toute la discussion roulera finalement sur la valeur de ces trois personnages ; il est donc nécessaire de les étudier à fond pour bien constater s'ils furent capables de nous tromper, s'ils furent bien renseignés; en un mot, s'ils nous offrent toutes les garanties de véracité et de confiance.

Puis il faut se défendre en particulier face à l'académicien Gaston Boissier, auteur de La fin du paganisme.

   Mais l’insinuation de l’éloquent académicien va se heurter à d'autres obstacles. Il présume que le héros n'aurait vu qu'en songe, comme en rève, cette croix rayonnante et l'inscription lumineuse qui l'accompagnait. Alors d'où vient que ses quarante mille hommes virent également ces prodiges et qu'ils en furent stupéfaits au point de murmurer et de menacer de renoncer à cette guerre? Est-ce que l'hallucination de Constantin se serait communiquée à ses compagnons d'armes! Ce phénomène inouï dans l'histoire ne serait pas un moindre miracle que celui qu'on chercherait à éluder. Ce serait le cas d'appliquer ici l'adage de l'auteur de la Solution des grands problèmes : combien il faut être crédule pour devenir incrédule !
Note: Le songe est effectivement l'hypothèse la plus probable, mais L'abbé Desroches est tellement persuadé que toute l'armée fut témoin, qu'il utilise cet argument faux pour tenter de ridiculiser son adversaire.
  En résumé, si la narration d'Eusèbe est mensongère, on se demande comment le monde lettré a pu y croire durant tant de siècles?
Note: Exactement comme le mode païen a pu croire aux dieux de l'Olympe durant tant de siècles.
Comment les monnaies romaines, à partir de 342, ont porté l'empreinte de ce Labarum imaginaire, de cette croix aérienne ?
Note: La "croix aérienne" n'était pas nécessaire à l'existence du labarum.
Comment les innombrables inscriptions que le savant de Rossi a découvertes dans les ruines, dans les catacombes, jusque sur les loculi des tombeaux, ont pu reproduire tous ces souvenirs mensongers? Et dans l'hypothèse que l'Empereur et son historien n'aient conté que des fables, qui nous dira par quels procédés Constantin a pu imposer à son armée un changement de drapeau, remplacer les aigles romaines par les emblèmes chrétiens sans provoquer le moindre murmure, le moindre soulèvement? Que se passerait-il dans nos régiments si, tout d'un coup, on remplacait les couleurs nationales par des emblèmes étrangers ?
Note: Il s'gissait d'un emblème nouveau, mais non perçu comme étranger. Et la révolution française a bien remplacé le drapeau fleurdelysé par le drapeau tricolore.
Et certes, sous ce rapport, les Romains n'étaient pas moins fiers que nous. Avec la croix lumineuse aux yeux de toute l'armée, on conçoit ce changement d'étendard sans provoquer le moindre murmure, parce que l'armée, bien loin de se soulever, dut se sentir flattée de voir à sa tête un drapeau venu du ciel et que les dieux lui donnaient comme un gage assuré de la victoire. Cette apparition merveilleuse légitimait tout à leurs yeux encore éblouis des splendeurs du prodige. Sans l'exactitude des faits racontés par Eusèbe, à quelle cause attribuer la conversion de l'Empereur et celle des peuples sur tous les points de l'Empire? Comment se rendre compte qu'un Empereur, né dans le paganisme, vivant au milieu de nations païennes, devienne tout à coup un adorateur du Christ?
Note: La conversion de Constantin ne fut pas brutale, le christianisme ne lui était pas étranger, comme l'abbé Desroches l'admet plus loin, et les moeurs de Constantin restèrent empreintes de paganisme.
D'où vient que les chrétiens, traqués jusqu'alors comme des bêtes fauves, deviennent subitement l'objet des sympathies de l'Empereur et de ses proconsuls? Pourquoi les hommes les plus illustres de l’époque, les Arnobe, les Lactance, les Augustin, les Prudence, les Gérôme, les Socrate, les Rufin, etc., se font-ils chrétiens? Si donc Constantin s'est converti, c'est qu'il a cru aux prodiges racontés par Eusèbe et dont il fut le témoin. On ne saurait l'attribuer ni à l'ambition, ni au scepticisme, ni à des hallucinations, ni à aucune des hypothèses inventées par le rationalisme. Dire hardiment que si Constantin n'eût pas été le plus fort, il fût demeuré païen, il aurait dédaigneusement rejeté le Labarum pour retourner à ses vieilles enseignes, c'est déclarer qu'on ne croit pas à l'intervention divine, ni à l’apparition d’une croix, ni à l'inscription qui l'enveloppait comme une guirlande, ni à cette vision du Christ venu pour en ordonner la création, ni rien de ce que raconte l'historien du héros. S'il n’eût rien vu de tout cela, il ne l'aurait pas affirmé en s'exposant au plus formel démenti.
Note: Mais il n'a affirmé tout cela qu'à la fin de sa vie, devant un homme de confiance, qui ne serait pas permis d'en douter.

Maintenant, il faut expliquer pourquoi la Vie de Constantin n'est pas historique.

Qu'ils lisent le chapitre onzième de cette biographie et ils connaitront le plan de l'historien. Eusébe nous y avertit que son dessein n'a pas été d'écrire toutes les actions bonnes et mauvaises de Constantin, mais seulement les actions édifiantes et qui peuvent contribuer à la gloire de Dieu, quid solo Constantini gesta ad pietatem pertinent narraturus sit (Ὅτι μόνας τὰς Κωνσταντίνου νῦν ἱστόρησε θεοφιλεῖς πράξεις). ll n'avait point à parler des parricides de Rome, ni des intrigues de Jérusalem, ni de tout autre fait étranger à son but, comme la mort de Crispus et celle du coupable Arius. Ce n'est donc point par une basse flatterie ni par défaut de sincérité qu'il a passé ces pénibles détails sous silence. « Pour moi, dit-il, malgré mon infériorité à traiter un aussi grand sujet, j'essaierai de conserver la mémoire des meilleures actions du héros ».

L'auteur doit avouer qu'Eusèbe ne connut la vision céleste qu'à la fin de la vie de Constantin.

  Vers l'an 325, l'Empereur se mit à construire sa nouvelle capitale sur l'emplacement de l'antique Byzance; il en fit la dédicace en 330. C'est à dater de ce moment que l'Empereur appela dans ses palais tous les hommes les plus distingués de son Empire. Eusébe de Césarée s'y présenta et ne tarda pas à en être le plus bel ornement. Insensiblement, Constantin en fit son commensal et son familier. C’est alors que, dans leurs fréquents tète-à-tête, il raconta tous les détails des évènements miraculeux de 312. Tout porte donc à croire qu'avant cette intimité avec l'Empereur, il ne connaissait pas encore les prodiges qui signalèrent la défaite de Maxence. On ne saurait expliquer autrement la différence de rédaction existant cntre celle de son Histoire ecclésiastique et celle de sa Vie de Constantin, surtout en se rappelant qu'Eusèbe était un infatigable chercheur empressé à recueillir les moindres évènements.
Note: Bien sûr, mais un peu plus loin l'abbé Desroches va nous dire le contraire.

Et voici ce que se contentait de dire Eusèbe dans son Histoire ecclésiastique.

  Secondé par Le « secours du ciel, Constantin s'empara en un clin d'œil de la première, de la seconde et de la troisième arméc. Bientôt toute l'Italie lui est ouverte et il arrive enfin aux portes de Rome.

Et maintenant comment on apprécia ce qu'il disait dans son panégyrique.

  Voilà ce discours que l'Empereur écouta avec un extrème plaisir, summo cum gaudio. Les critiques ont raison d'observer qu'Eusébe n'a pas mentionné l'apparition de la croix en plein jour, ni l'inscription en lettres de feu qui l'accompagnait. L'orateur a désigné la croix comme le puissant organe de la victoire, mais sans parler des prodiges de 312 en présence de l'Empereur et de toute son armée. D'où peut venir un tel silence au moment où les détails de l'apparition, auraient si bien trouvé leur place? Il faut supposer ou qu'Eusèbe ne connaissait pas encore les détails de l'apparition, ou bien qu'il a regardé comme fastidieux de répéter des choses connues qui circulaient depuis longtemps dans les conversations et qu'alors il se contenta d'y faire allusion; ou bien encore qu'il réservait ces détails pour sa biographie de Constantin à laquelle il travaillait déjà.
  La première hypothèse est inadmissible.
Note: Nous venons de voir qu'on ne saurait l'expliquer autrement.
Comment Eusébe aurait-il pu ignorer ce grand évènement qui avait depuis longtemps franchi les frontières de l'Empire? Il a nommé en propres termes la croix comme l'organe de la victoire, tandis que dans son Histoire ecclésiastique il s'était contenté de mentionner l'impulsion divine, ou l'instinct de la divinité, à l'instar des sénateurs romains dans l'inscription qu'ils gravèrent sur l'arc de triomphe en mémoire de la victoire du héros, monument que nous voyons encore au pied du mont Palatin. La seconde hypothèse, savoir que l’orateur a regardé comme inutile et méme comme fastidieux de redire des détails universellement connus, est la plus probable.
Note: Cette contradiction d'un paragraphe à l'autre rend la démonstration absurde.

L'auteur tente d'invoquer un autre témoin.

  Cependant il en est un qui proclame hautement la vérité des prodiges constantiniens; il se nomme Arthémius, qualifié du titre de comte par le savant Baronius. Ce brave légionnaire, qui avait fait partie de la grande campagne d'ltalic sous Constantin, vivait sous le règne de Julien l’Apostat. Celui-ci ayant appris qu'il était chrétien le fait traîner au supplice en haine du catholicisme et de Constantin. Les actes de son martyre nous ont été conservés par Simon ou Siméon le métaphraste, c'est-à-dire littérateur ou amplificateur. Malheureusement cet écrivain, qui ne manque pas d'élégance, ne fait pas autorité: il est regardé plutôt comme rhéteur que comme historien. D’autre part, il vient assez longtemps après les évènements : le métaphraste est de la fin du IXe siècle. Cependant il nous fournit un témoignage fort précieux; il nous montre que, si longtemps après l'apparition, la relation d'Eusébe avait conservé toute sa fraicheur; cette page de littérature imagée concorde admirablement avec le texte de la Vie de Constantin par Eusèbe. Bien que le métaphraste ne soit pas regardé comme un véritable historien, sa rédaction revêt toute la force de l'histoire, puisque l’un et l'autre concordent ensemble.
Note: Et pour cause, car le métaphraste était connu pour interpoler sans vergogne. Il est probable qu'il a tout simplement puisé dans la Vie de Constantin.

Et miantenant l'auteur met dans le même sac les juifs "déïcides", et les "idolâtres" pour les discréditer.

   Cependant je ne trouve pas étrange que ces grands évènements aient rencontré des contradicteurs; il en sera toujours ainsi. Théodoret nous informe que de son temps il en existait déjà. Les premiers qui les ont attaqués comme faits incroyables, comme évènements fabuleux, sont les Juifs. Ils étaient dans leur rôle; de race déïcide ils n'auraient jamais voulu reconnaitre que la croix de leur crucifié püt devenir un gage de victoire. Les seconds adversaires du miracle furent les idolâtres. Pendant trois siècles ils s’efforcèrent de noyer dans le sang les adorateurs du Christ, d’anéantir sa doctrine et son Église. Mais ceux-ci ne recouraient guère à la parole: ils eurent la conspiration du silence; ils affectèrent de ne rien savoir des prodiges opérés, en quelque sorte, sous leurs yeux.
Note: Encore la croyance à la multiplicité des témoins, mais cette fois ci, l'auteur y va un peu fort: on a l'impression que le miracle fut visible de tout l'empire, comme le serait une éclipse de lune.
  Gélaze de Cyzique, successeur d'Eusèbe sur le siège de Césarée, nous a laissé les mèmes révélations sur les ennemis de l'apparition miraculeuse. Mais la haine des uns et le silence affecté des autres deviennent malgré eux un nouveau genre de preuves en faveur du miracle. Car si ces adversaires conjurés avaient découvert la possibilité de nier les faits ou de les faire passer comme fabuleux, leur animosité leur aurait bien inspiré la dénégation. Cependant le plus grand nombre a gardé le silence, et ceux qui ont écrit, comme Zosime, Julien l'Apostat, Symmaque et d'autres, se sont contentés du sarcasme, de la moquerie et de divers arguments de cette nature.
  Tous ces procédés annoncent un adversaire aux abois; il garde le silence parce qu'il ne peut rien répliquer; il a recours au sourire moqueur parce que c'est une argumentation toujours facile, mais qui ne prouve absolument rien.
Note: Et encore la preuve par le silence.

  Objections. — La critique a soulevé plusieurs objections autour de notre thèse historique. il faut y répondre.
  1° Incertitude chez Constantin. — On a dit : l'Empereur était lui-même si peu sûr des évènements miraculeux de 312, qu'il n'en a parlé d'abord qu'en termes généraux et vagues, à la façon des païens de son temps. Il a attendu de longues années avant de révéler les détails qu’il a confiés plus tard à Eusébe, comme s'il eût craint les démentis des témoins du prodige.
  La plus simple lecture de l'histoire fournit des réponses par centaines : I. Philostorge, quoique fort peu suspect d'attachement à Constantin et à Eusèbe, a raconté lui-même que l'Empereur fut si étonné de la vue d’une croix rutilante dans les airs, que n'en pouvant croire ses yeux, il interrogea ses compagnons d'armes pour s'assurer qu'ils voyaient le mème prodige. Leur réponse fut affirmative. Il est donc faux d'avancer que Constantin n'avait point d'abord parlé de l'apparition de la croix.
Note: Il est tout aussi faux d'afirmer que Constantin avait dit cela. Que pouvait en savoir Philostorge, qui d'ailleurs semble ne rien dire de tel dans son Histoire Ecclesiastique, dont nous n'avons plus que l'abgégé par Photius.
...
  2° Silence des contemporains. — Pour un évènement aussi retentissant, aussi populaire que l'apparition d'une croix lumineuse au grand jour, d'où vient que si peu d'auteurs en aient parlé? Tout d'abord il faut nous rappeler qu'au IVe siècle on était encore fort loin de l'imprimerie qui vomit chaque jour des milliers de volumes. 11 ne faut pas oublier non plus qu'un grand nombre d'ouvrages anciens sont perdus. Ainsi Ammien Marcellin avait une histoire en trente-sept livres, il nous en reste à peine la moitié. Et ce sont les volumes perdus qui auraient parlé des apparitions de 312. Nous en dirons autant de l'Histoire ecclésiastique de Théodoret et de cent autres. En outre, il faut tenir compte de la conspiration du silence qui s'était formée alors.
  Tous les agents du paganisme se gardèrent avec un soin extrème de rien avancer en faveur de la religion du Christ. Lisez Zosime, auteur contemporain, qui a décrit tous les événements du IVe siècle, vous n'y trouverez pas un mot de la céleste apparition, pas mème une allusion évasive. Tous les autres ont affecté le mème silence: on dirait à les en croire que tout cela était imaginaire, que le polythéisme avait continué de dominer en maitre toutes les consciences. Leur silence est trop facile à comprendre. Les paiens auraient-ils consenti à seconder par leurs écrits une religion dont ils voulaient l'anéantissement à tout prix? Auraient-ils voulu contribuer à publier que le Christ appuyait les armes de l'Empereur et que leurs vaines croyances avaient fait leur temps? Tous les écrivains. fauteurs du polythéisme au IVe siècle, affectent de ne rien connaître ni de la conversion de Constantin, ni de la propagation phénoménale de la nouvelle religion. Tous ces gens sont avant tout préoccupés des questions religieuses, zélés pour leur culte, fiers de leurs grands souvenirs, très attachés à leurs vieux usages, et cependant ils gardent le silence touchant l'immense victoire du christianisme.
Note: Toujours cet argument complotiste du silence, alors qu'il est si simple d'admettre que tous "ces gens" ne savaient rien.

Il n' a été traité ici que de la réalité de la chiasmophanie, mais rappelons nous que l'abbé Desroches mentionnait deux autres problèmes: le pays où avait eu lieu la vision, puis l'endroit exact. Or cet endroit exact, l'abbé Desroches pense l'avoir trouvé: c'est près de Chalons-sur-Saone. Cerise sur le gateau: c'est dans son diocèse, à 20 lieues de chez lui.

Si l'apparition de la croix miraculeuse à Constantin eut lieu au moment où le héros chevauchait sur la voie militaire qui passait par là, ce nom étrange n'a rien que de naturel : on conçoit sans peine que cette localité sans nom en reçut le nom de terre de Sainte-Croix.
  Pour moi, après avoir longtemps médité ce problème et consulté de nombreux ouvrages, je demeure persuadé que le miracle constantinien accompli en ces lieux a pu seul donner le nom de Sainte-Croix à cette localité. Je ne concois rien autre qui ait amené cette historique appellation.
...
J-P. Desroches, LE LABARUM, Paris, Honoré Champion, 1894

En comparant les affirmations de l'abbé Duvoisin, de l'abbé Vrindts et de l'abbé Desroches, nous remarquons qu'ils utilisent les mêmes faux raisonnements:
- Toutes l'armée de Constantin fut témoin du prodige, et le fait était largement connu.
- Le silence des auteurs de l'époque prouve la réalité de la vision.
- L'absence de doutes pendant 13 siècles témoigne encore pour la réalité de la vision
Alors qu'en réalité:
- Nous n'avons comme garant de cette observation par toute l'armée que l'empereur Constantin lui même, qui ne se souvenait même plus de la date et du lieu, et qui était si peu sûr d'être cru qu'il dut le confirmer par serment. Aucun autre témoin ne nous est connu.
- Si les auteurs de l'époque en avait entendu parler, ils ne seraient pas génés pour en parler, pour ou contre, que leurs arguments soient de bonne ou de mauvaise foi. Cet argument d'une conspiration du silence n'est que du complotisme.
- L'absence de doutes chez des auteurs chrétiens, montre seulement que la vision était intégrée au catéchisme auquel doit croire tout bon chrétien.
En ajoutant qu'il se contredit, il est clair que pas plus que ses deux prédécessurs, l'abbé Desroches n'a réussi à prouver objectivement la réalité de la vision. Il n'a réussi qu'à prouver qu'il y croyait fermement.

Dernière mise à jour: 05/12/2023

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