Les tentatives d'explication de la vision de Constantin
L'explication princeps fut évidemment le miracle, mais dès que la vision de Constantin commença d'être contestée, on tenta de lui trouver des explications prosaïques, garantie cette fois à 0% de miracle. Il y en a qui méritent qu'on les étudie. Il y en a qui font rire.
Le miracle.
Le miracle fut évidemment la première explication avancée, puisque la vision de Constantin fut d'abord relatée dans des histoires de l'église, bien evidemment écrite par de pieux coyants. Jusqu'au XVIIe siècle, on y croit dur comme fer, comme le montre le père du Molinet.
Voila la verité de la vision que Constantin eut de la sainte Croix, qui estant appuyée par des témoignages si authentiques et des preuves aussi solides et aussi anciennes que la chose mesme, il y a sujet de s'étonner qu'on veüille encore revoquer en doute, cet insigne miracle qui a esté veu en plein jour par tant de perfonnes, et par une armée si nombreuse.
Dissertation historique sur la vision que Constantin eut de la croix de N.S., Journal des scavans, 14/04/1681, p. 126-127
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Deux siècles, plus tard, le torrent du doute étant passé au siècle précédent, on ne peut plus défendre le miracle, qu'avec sectarisme et mauvaise foi.
L'apparition miraculeuse, en faveur de laquelle nous venons de citer les monumens de l’histoire les plus incontestables, a paru un fait certain à toutes les générations chrétiennes jusque vers le milicu du dix-septième siècle ; c’est la prétendue réforme qui la première a osé le mettre en problème; et sa lignée philosophique, jusqu’à Voltaire et par delà même, s’est fait un devoir et un plaisir de se rendre dans l’occasion, en cela comme en bien d’autres erreurs, l’écho du protestantisme. Cependant quand nous n’aurions que l'autorité seule d'Eusèbe à donner pour appui au miracle, son témoignage suffirait pour le mettre au rang des faits les mieux avérés, sans examiner même les caractères de ce père de l’histoire ecclésiastique. Quel est en effet le critique éclairé, l'homme de bon sens qui, pour s'assurer d’un événement éclatant et d’une haute importance, ne se contente pas du témoignage d’un seul historien contemporain, que non seulement sa génération, intéressée à le
traiter d'imposteur s’il avait trahi la vérité, n’a pas osé contredire ; maïs qu’elle a reconnu , ne fût-ce que par son silence, et que toutes les générations suivantes ont reconnu pour véridique durant l'espace entier de treise siècles?
Vrindts, La croix de Migné vengée de l'incrédulité et de l'apathie du siècle, Librairie ecclésiastique de Rusand, 1829, p. 110-111
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Pour l'abbé Vrindts, qui est un croyant sectaire, le miracle est forcément réel, et donc, ceux qui en doutent sont des aveugles, et ceux qui le nient des impies. Les démonstrations de sa fausseté sont donc absurdes, et le silence général, une démonstration éclatante de sa vérité.
La fraude.
La fraude fut d'abord soupçonnée pae des protestants, puis quasiment affirmée par Voltaire.
Comment concevoir qu’une vision si admirable, vue de tant de milliers de personnes, et si propre à justifier la vérité de la religion chrétienne, ait été inconnue à Eusèbe, historien si soigneux de rechercher tout ce qui pouvait contribuer à faire honneur au christianisme, jusqu’à citer à faux des monuments profanes, comme nous l’avons vu à l’article Éclipse? et comment se persuader qu’il n’en ait été informé que plusieurs années après, par le seul témoignage de Constantin? N’y avait-il donc point de chrétiens dans l’armée qui fissent gloire publiquement d’avoir vu un pareil prodige? auraient-ils eu si peu d’intérêt à leur cause que de garder le silence sur un si grand miracle? Doit-on, après cela, s’étonner que Gélase de Cyzique, un des successeurs d’Eusèbe dans le siège de Césarée au ve siècle, ait dit que bien des gens soupçonnaient que ce n’était là qu’une fable inventée en faveur de la religion chrétienne?
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N’a-t-on pas lieu de penser après cela que l’apparition prétendue de la croix dans le ciel n’est qu’une fraude que Constantin imagina pour favoriser le succès de ses entreprises ambitieuses?
Voltaire, Dictionnaire philosophique, imprimerie de la société littéraire typographique, 1784, p. 443-448
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Non, on n'a pas le droit de soupçonner une fraude, puisque Constantin n'aurait révélé cette apparition qu'à Eusèbe, vers la fin de son règne, donc à une époque où il n'avait nul besoin de frauder.
La croix parhélique
Les halos solaires, colonnes et autres parhélies formant parfois des croix, il était logique que, dès le XVIIIe siècle, où on commença à douter de la vision de Constantin, on imagine une telle croix pour expliquer la vision de Constantin.
Notum est Astrophilis, plerosque Halones solares et parhelios, uti lunares quoque et paraselenas , sine cruce apparere , ac pracipue circa solares coronas et parhelios cruces esse rarissimas, quo magis miranda res Constantino visa merito fuit, cum hodieque multi sunt, quos facile credo per omnem vitam ne parhelios quidem ne dum crucem in halone solari vidisse.
On sait par les astronomes, que la plupart des halos solaires et parhélies, ainsi que les halos lunaires et parasélénes, apparaissent sans croix, et que, surtout autour des couronnes solaires et des parhélies, les croix sont très rares ; combien plus étonnante fut par conséquent la chose vue par Constantin, puisque même aujourd'hui il y en a beaucoup qui, je le crois facilement, n'ont même pas vu la croix dans le halo solaire de toute leur vie.
J.A. Fabricius, Patrologia Graeca, Hambourg, Christian Liebezeit, 1712, Liber VI, p. 19
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L'apparition de ce genre qui eut le plus grand retentissement dans l'histoire de notre civilisation chrétienne est certainement celle du fameux LABARUM de Constantin. Dans sa guerre contre Maximien Hercule, cet empereur et son armée furent témoins de l'apparition d’une croix brillante qui fixa dans le ciel les regards étonnés de plusieurs milliers d'hommes. Les auteurs se sont peu étendus sur les circonslances météorologiques du phénomène ; cependant ils ont remarqué que le ciel était couvert d’un voile gris et que le temps devint pluvieux. Ce sont bien là les conditions du halo. Nous pouvons parfaitement admettre la réalité de la vision, mais en lui restituant son caractère purement naturel.
(Camille Flammarion, L'atmosphère météorologie populaire, Hachette, 1888, p. 257)
Note: Constantin était en guerre contre Maxence, et non Maximien Hercule, et Eusèbe ne parle pas des circonslances météorologiques. Il dit simplement que le jour commençait à décliner.
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Hypothèse sans fraude, ni miracle, mais un tel phénomène forme une croix grecque, et non le labarum décrit par Eusèbe.
Le faux souvenir
Le faux souvenir à l'avantage d'expliquer pourquoi Constantin est tellement bien persuadé des son observation qu'il le jure à Eusèbe, alors qu'on n'on trouve aucun témoin, ce qui laiserait soupçonner un mensonge. Il est déja évoqué en 1756 par Chauffepié.
Je dis, que le Serment de Constantin dans ce cas n'est pas d'un aussi grand poids qu'on Le prétend. Supposons d'abord qu'il l'a fait de bonne foi et dans la simplicité de son âme, comme ce n’a été que fort longtems après, qu'il a raconté la vision qu'il avoit eue de jour, et le songe qu'il avoit fait la nuit suivante, on peut fort bien penser, sans faire tort à la probité d'un Prince vertueux, qu'ayant perdu en partie le souvenir des circonstances d'un fait arrivé depuis si longtems, il y a ajoûté, retranché, et a confondu les choses, sans aucune mauvaise intention, et qu’en conséquence il a cru pouvoir affirmer par serment ce qu'une mémoire peu fidéle lui fournissoit.
Par exemple, il pourroit avoir vu un phénoméne naturel, une Parhélie, ou Halo Solaire, comme le prétendent divers Savans, ensuite il avoit peut-être vu en songe l'inscription τούτῳ νίκα, et confondant les tems et les circonstances, il crût avoir vu l'inscription de jour.
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Jacques-Georges de Chauffepié, Nouveau dictionnaire historique et critique pour servir de complément ou de continuation, au Dictionnaire historique et critique de M. Pierre Bayle, tome quatrième, Amsterdam, 1756, p. 8
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Le flamant rose.
La première observation de soucoupes volantes, eut l'occasion d'être expliquée par un vol de pélicans. Mais il n'y a de nouveau que ce qui est oublié, et la première observation de croix céleste fut expliquée... par un flamant rose.
Le flamant, qui est un des plus grands oiseaux du globe, n'est pas seulement un moule excentrique et bizarre omme l’avocette, il est pharamineux ct caricatural. C'est un canard rose de cinq pieds de haut monté sur des échasses de deux pieds et demi pour le moins, et qui a le cou si long qu'on l’accuse de s’en servir comme d'une canne et de s'appuyer dessus. Il vole les jambes pendantes et le cou tendu, et comme ses ailes sont beaucoup trop courtes pour son corps, il fait de loin à l'observateur l'effet d'une croix de feu qui s’emporte dans les airs. J'ai toujours été tenté d'attribuer à l'espièglerie d’un individu de cette espèce l'apparition du fameux labarum qui versa un si grand courage dans le cœur des soldats du pieux Constantin combattant contre le tyran Maxence et qui décida le triomphe des chrétiens sur les infidèles.
Alfred Toussenel, Le monde des oiseaux, Paris, librairie Phalanstérienne, 1853, p. 328-329
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Très poétique, seulemnt ça ne s'accorde pas du tout avec la description d'Eusèbe.
La configuration planétaire.
Cette hypothèse, aux relents astrologiques, a été professée, depuis 1948, par F. Heiland, et était montrée dans les années 80, au planétarium de Munich: Le labarum de Constantin lui aurait été inspiré, non pas par la vision d'un phénomène diurne, mais par l'observation nocturne d'une configuration planétaire particulière.
Certes, pour un esprit de culture païenne, une configuration planétaire exceptionnelle, comme celle du 5 novembre de l'an 1, pouvait avoir un sens. Voici le ciel à Rome, la veille de la bataille du Pont Milvius.
Mais ici, on se demande bien comment voir un labarum dans cet alignement approximatif.
Conclusions
On pouvait s'attendre à ne trouver que des explications absurdes, décrétées arbitrairement par leurs auteurs. Certes, l'hypothèse du miracle est bien dans ce cas, mais il y en a une qui tient parfaitement la route, sans fraude, ni miracle, ni extraterrestres: C'est l'hypothèse de Jacques-Georges de Chauffepié, qui n'a pas pris une ride, deux siècles et demi plus tard.
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