1893 Jules Bois se prend pour le comte de Gabalis
 Jules Bois |
Ami du poète Georges Rodenbach et du critique d'art J.-K. Huysmans, ses oeuvres donnaient une grande place à la femme, mais aussi à l'ésotérisme, à la métapsychique, à l'occulte, voire à Satan.
En effet, il fréquenta l'abbé Boullan, prêtre interdit, ayant viré au satanisme, qui ayant d'abord intéressé plusieurs occultistes, fut ensuite désavoué par eux, notamment Stanislas de Guaita, qui déclara que Boullan avait érigé la fornication en pratique liturgique. Boullan mourut en 1893, se disant victime de la magie noire de Guaita. Jules Bois accusa alors Guaita de l'avoir assassiné, ce qui lui valut un duel au pistolet avec Guaita, dont les deux duellistes sortirent indemmes.
C'est aussi en 1893, que Jules Bois va écrire une oeuvre très curieuse, extrapolant sur les thèmes développés dans Le comte de Gabalis, où les idées de l'abbé Boullan sur le surnaturel et la sexualité, ne sont peut être pas étrangères.
COMMERCE AMOUREUX DES SAGES
AVEC LES
DAMES ET LES DEMOISELLES DES ELEMENTS
VII
Comment voulez-vous que les Sylphes aient confiance désormais en l’espèce humaine après la mésaventure qui les affligea du temps du rabbin Zedechias, sous le règne de Pépin?
Ce kabbaliste persuada aux génies de l’air qu’il serait utile à leur renommée d’éblouir le monde par leur miraculeuse apparition. Obéissants, ils se montrérent aux hommes en toute magnificence. Dans l’éther ces splendides esprits se rangeaient en bataille, ou campaient sous des tentes de nuages. C’était, certaines fois, une flotille volante dont les navires aériens emportaient des nautoniers aux ailes lucides selon le gré des Zéphirs... Bast ! le populaire, perverti par les prêtres, s’écria : « Ohé! les sorciers et sorcières... Haro sur eux et sur elles. C’est de la grêle et de l’orage qu’il nous promettent pour nos moissons. »
Note: extrapolation anticléricale: Montfaucon de Villars n'accusait pas les prêtres.
Ces stupides paysans ne comprenaient pas que les Sylphes accomplissaient tout simplement leurs grandes manœuvres dans les airs, et cela visiblement afin de réjouir les habitants de la planète. Vox populorum vox principum. Empereurs, théologiens et même jurisconsultes crurent que la populace avait raison et l’on assista au ridicule procès fait par Charlemagne et Louis le Débonnaire aux Sylphes comme tyrans et perturbateurs de l’atmosphère.
Note: Ici Bois justifie la ralliement des princes à l'opinion populaire, par une maxime de son invention, inspirée de "Vox pouli, Vox Dei", maxime elle même inventée sur la base d'une lettre d'Alcuin à Charlemagne, qui, au contraire, mettait en garde contre l'identification de la voix du peuple à celle de Dieu.
Alors ces génies formèrent un autre plan des plus ingénieux. Ça et la ils arrachèrent du sol des hommes de robuste encolure, a qui ils firent lier connaissance avec leurs femmes sur une nuée. Ces gars décidés ne se laissaient pas prier deux fois, et les Sylphides devenues leurs amantes les initiaient aux beautés de l'amoùr et du gouvernement aériens. Cela fait, les Sylphes reposaient ceux qui les avaient faits cocus sur divers points de la terre, espérant trouver en ces hôtes qu’ils avaient gorgés de félicité des avocats de la gent interastrale, et des apôtres de l’aérostat.
Note: nouvelle extrapolation sur Le comte de Gabalis: Montfaucon de Villars dit bien que les Sylphes firent voir "leurs belles femmes, leur republique & leur gouvernement", mais pas que les sylphides initièrent les ravis aux beautés de l'amour. Les idées de l'abbé Boullan sont peut être à l'origine de cette sexualisation du récit, quoiqu'on peut remarquer, avec Claude Maugé, qu'elle est implicite chez Montfaucon de Villars. Il n'empêche que, avec ou sans l'abbé Boullan, Jules Bois expose cette sexualisaton explicitement, avec ses nuées-lupanars.
Hélas! la plèbe ne voulut point se laisser évangéliser. Dès qu’elle voyait lui tomber du ciel ces messagers des Sylphes, elle se ruait sur eux et les traînait au supplice incontinent. « Ce sont des magiciens, criait-elle, des empoisonneurs dont le seul dessein est d’envenimer les sources et les fruits.
A Lyon les bateaux des Sylphes avaient déposé trois hommes et une femme. Ceux-ci allaient périr sous l’inculpation de sorcellerie, lorsque le bon Agobard, évêque de la ville, voulut ouïr la défense des accusés. Ils proclamérent que des êtres miraculeux les avaient transférés comme par enchantement dans une contrée aérienne où, ils avaient vu monts et merveilles. L’excellent prélat se gratta l’oreille, car il ne voulait ni contrarier les juges, ni verser le sang de ces apôtres de la sylphomanie.
Note: petite extrapolation pour faire plus vrai. Guy Breton fera bien mieux. Mais dans le récit de Montfaucon de Villars, il n'est pas question de juges. Ces juges apparaissent en 1784 dans les élucubrations d'A. G. Rozier.
Pour tout concilier il décréta : « Il n’est point vrai que ces hommes soient descendus de l’air et ce qu’il prétendent avoir vu est impossible. » Le père Agobart avait tant d’influence sur ses ouailles qu’elles préférèrent croire a sa parole qu’à leurs yeux. Les ambassadeurs des Sylphes furent délivrés et il ne manquèrcnt pas de faire, auprès des dames et damoiseaux de la ville, la réclame la plus convaincue en faveur des Sylphes et des Sylphides. Ah! je vous assure que bien des ménages furent divisés. (1)
1. Voilà pourquoi Lyon est une des cités les plus mystiques de la France; le germe de plusieurs hérésies fut jeté en cette terre inquiète par les mains vengeresses de sylphes.
Note: extrapolation très personnelle de Jules Bois, qu'on ne retrouve guère chez d'autres auteurs.
SOURCE: Jules Bois Le commerce amoureux des sages, in Entretiens politiques et littéraires, N° 53, Paris, 25 octobre 1893
Remarques:
Le passage ci dessus est tiré d'un ouvrage de 71 pages, paru en 6 livraisons, du 25 septembre au 25 décembre 1893. L'auteur y explique assez doctoralement comment, les sages, les magistes, les philosophes, les adeptes peuvent lier commerce avec les esprits élémentaires, inspirés de la kabbale, évoqués par Paracelse, et décrits par Montfaucon de Villars dans les 5 entretiens du Comte de Gabalis.
Mais Jules Bois extrapole, comme s'il en savait plus que Gabalis lui même, ce en quoi, il sera imité par les ufologues, qui prétendront savoir mieux qu'Agobard, ce que les Lyonnais avaient vu.
Il explique comment, par des pratiques qui fleurent la magie, lier commerce avec les gnomides, les nymphes, les ondines et les salamandres. Comment s'approprier leurs bonnes graces, les erreurs à ne pas commettre pour les garder.
Au fond, Jules Bois est une sorte de Comte de Gabalis suractivé. Aujourd'hui, on imaginerait bien un "flyer" à son nom, évoquant ses pouvoirs.
Maintenant, est ce de l'humour, ou pas? Dans le cas de Montfaucon de Villars, on le sait: c'était de l'humour. Dans les cas de Jules Bois, capable de se battre en duel avec Stanislas de Guaita pour l'honneur d'un sataniste, c'est beaucoup moins sûr...