1977 Guy Breton fait dire tout le contraire à Agobard
Guy Breton |
Guy Breton, né en 1919 à Gien, journaliste, écrivain, et animateur d'émissions radiophonique, fut un grand spécialiste de la "petite histoire", surtout des histoires d'amour, d'humour, ou encore extraordinaires.
Sur les ondes de la télévision, il a animé de 1959 à 1960, le Cabaret de l'Insolite puis de 1969 à 1974, le Cabaret de l'Histoire.
Ses Histoires d'amour de l'histoire de France parurent dès 1950 dans l'hebdomadaire Noir et Blanc, furent ensuite imprimées en 10 tomes de 1954 à 1965, et enfin diffusées Sur les ondes radiophoniques de 1969 à 1974.
Il présenta ensuite quotidiennement sur France Inter Histoires magiques de l'histoire de France, avec son ami Louis Pauwels.
Il écrivit de nombreux livres, dont certains sont parfois cocasses, comme les nuits secrètes de Paris, qui n'a rien à voir avec l'érotisme, mais présente quelques sectes, assez farfelues, comme celle des druides, où son nom fit sensation au point qu'il dut montrer ses papiers.
Avec une telle productivité, il ne faut pas chercher dans son oeuvre la rigueur de l'historien. Il s'agit simplement de divertir le public en lui racontant de belles histoires. Et c'est ainsi qu'en 1977, il écrit avec Louis Pauwels Histoires magiques de l'Histoire de France où, bien sûr, il s'agit "d'histoires", comme on s'en raconte à la veillée, et non de L'Histoire au sens de Michelet.
Dans l'histoire ci après, Guy Breton n'a tout de même pas réussi à tout inventer, car il reste cinq mots de vrai dans son texte. Mais nous allons voir qu'il y a une erreur - ou invention par phrase, à ce détail près que ces inventions ne sont pas toutes de l'auteur.
Un voyage en Ovni au IXe siècle.
GUY BRETON
EN CE JOUR D'ÉTÉ DE L'AN 852, DIX-HUITIÈME DU RÈGNE DE Louis le Débonnaire,
Note: Ca commence très fort! En l'an 852, Louis le Débonnaire était mort depuis 12 ans.
il fait chaud à Lyon; et de nombreux promeneurs flanent au bord du Rhone à la recherche d'un peu de fraicheur.
Note: Aucune source ne dit rien de tel, mais ça fait plus vivant. Tant qu'à inventer, à la place de l'auteur, j'aurais précisé que c'était un dimanche après midi.
Soudain, quelqu'un désigne le ciel :
- Oh ! regardez !...
Les braves gens lèvent la tête et restent figés. Au même instant, d'autres cris retentissent dans toute la ville :
- Venez voir ! Venez vite ! Il y a grande merveille dans le ciel !...
Note: Mais à l'époque, les rues étaient si étroites que seuls ceux qui étaient survolés pouvaient voir la merveille.
Alors, sortant des maisons, des couvents, des églises, des hommes et des femmes envahissent les rues et demeurent saisis en voyant ce que tout le monde voit.
Note: Ben non, tout le monde ne peut pas le voir, suivant la remarque précédente.
Là, au-dessus d'une prairie, à hauteur de trois maisons, une chose qui ne ressemble à rien de connu, flotte dans l'espace, immobile et silencieuse.
Note: Si c'était au dessus d'une prairie, c'était à l'extérieur de la ville, et seuls les habitants des dernières maisons pouvaient voir.
Est-ce un char ? Un vaisseau ? Une bête ? Un dragon? Personne ne peut le dire.
Note: Et pour cause, puisqu'en réalité personne n'a rien vu.
Tout à coup, la chose se met à descendre lentement vers la prairie et les braves Lyonnais, epouvantés, tombent à genoux.
Note: Etant donné qu'ils ne voient rien, on voit mal pourquoi ils tomberaient à genoux.
La chose descend toujours. Elle est maintenant à quelques pieds du sol. Enfin, elle se pose à terre avec une extraordinaire douceur.
Les Lyonnais, prostrés dans l'herbe, n'osent pas bouger. Frappés de stupeur, ils attendent en silence ce qui va maintenant se passer.
Note: Angoisse! Mais rappelons nous qu'en réalité, ils ne voient rien.
Un long temps s'écoule.
Note: Merci M. Breton, ça c'est du suspense!.
Soudain, un cri jaillit de la foule. Sur un côté de la chose, une porte vient de s'ouvrir. Un escalier se déplie, et voilà que des êtres humains apparaissent en haut des marches. Ils sont quatre : trois hommes et une femme portant des costumes semblables à ceux des Lyonnais et qui les regardent. A présent, ils descendent en se soutenant mutuellement.
Note: Et voila! C'est à se demander si Steven Spielberg ne s'en est pas inspiré pour Rencontres du 3ème type. Remarquons que ces cinq mots "trois hommes et une femme" sont la seule chose de vraie dans tout ce texte.
La foule, ahurie, les observe.
Note: Ca ausssi, ça ferait un excellent plan au cinéma.
Ils descendent toujours, atteignent le sol, avancent en titubant. Ils ont 1'air hébétés.
Quand ils ont fait une cinquantaine de pas, l'escalier qu'ils ont emprunté se replie tout seul, puis la porte par laquelle ils sont passés se referme, et la chose, toujours silencieuse, quitte le sol et s'élève lentement au-dessus de la foule.
Note: Ce qui suppose que la foule soit sortie de la ville pour aller dans la prairie, mais en réalité seuls les habitants des dernières maisons auraient pu voir la scène et aller voir.
Quand elle a atteint une centaine de pieds, elle fait brusquement un bond prodigieux dans le ciel et disparait derrière les nuages.
Alors, les quatre mystérieux personnages se laissent tomber à terre. Ils semblent à la limite de leurs forces. La femme surtout parait fort mal en point : elle pleure et ses membres sont agités par des tremblements.
Note: Tout ces détails ne figurent pas dans la plus inventée des sources originales. Breton laisse galoper son imaginaion!
Les Lyonnais se sont relevés.
- Attention ! crie quelqu'un, n'approchez pas d'eux, ce sont des sorciers !
Mais voilà que 1'un des hommes venus du ciel parle et s'exprime dans la langue des Lyonnais :
- Nous ne sommes pas des sorciers, dit-il d'un ton las. Nous sommes d'un village voisin. Nous avons été enlevés par des genies... N'ayez pas peur de nous !... Secourez plutot
cette femme qui est malade...
Ils sont si pitoyables tous les quatre que des braves gens s'approchent :
- D'où êtes-vous ?
L'homme donne le nom de son village.
-Nous vous expliquerons tout, dit-il, mais soignez cette femme, elle a eu si peur...
Alors, malgré ceux qui crient à mort et au sorcier, on les emmene dans une maison où on les couche après leur avoir fait boire un vin frais où flottent des herbes revigorantes...
La foule s'est amassée devant la porte. Elle attendra des heures avant que les hommes venus du ciel aient la force de parler. Vers le soir enfin, l'un d'eux fait cet extraordinaire
recit :
Note: Quel scénariste, ce Breton! A partir d'ici, il va s'inspirer du texte de Montfaucon de Villars (qui n'est qu'une fiction).
-Voila, dit-il. Nous étions tous les quatre dans un champ quand cette chose que vous avez vue est descendue du ciel et s'est posée près de nous. Des êtres semblables à des hommes en sont sortis et nous ont appelés. Nous avions si peur qu'il nous était impossible de bouger. Alors ils sont venus et nous ont invités à monter dans leur navire aérien. « II faut que vous sachiez qne nous ne sommes pas malfaisants », nous ont-ils dit. Nous les-avons suivis et la chose s'est envolée. Nous étions derrière des fenêtres rondes par lesquelles nous pouvions voir la terre au-dessous de nous. Nous avons vu des campagnes, des rivières et des villes ; puis nous sommes entrés dans un brouillard et, brusquement, nous avons cru être en paradis... « Nous sommes au-dessus des nuages ! » nous a dit l'un des génies.
Ensuite, nous avons dormi. A notre réveil, nous nous sommes aperçus que la chose s'était posée dans un pays inconnu. Le génie qui s'occupait de nous est venu nous chercher et nous a emmenés dans un palais où se trouvaient des femmes très belles.
« Voici nos femmes, a-t-il dit. Vous voyez bien que nous ne sommes pas des demons ! »
Puis il nous a fait visiter la ville et nous sommes remontés dans la chose. Mais avant de revenir ici, on nous a promenés dans différents endroits de la terre. Nous nous sommes posés dans des pays de glace et dans des pays de sable où il fait une chaleur torride. Avant de nous laisser partir, tout à 1'heure, le génie nous a dit :
" Racontez aux autres hommes ce que vous avez vu, et dites-leur que nous ne leur voulons pas de mal, que nous ne venons pas pour jeter du venin sur leurs fruits, empoisonner
leurs fontaines, exciter les orages ou faire tomber la grêle sur leurs moissons... Dites-le pour que vos rois le sachent ! Voila, vous savez tout !"
Note: Tout ce passage est inspiré de Montfaucon de Villars, mais largement embelli.
Les Lyonnais, qui ont écouté ce récit fabuleux, sont perplexes. Soudain, un homme crie :
- Je ne crois rien de tout cela ! Ces gens sont des sorciers. Ils viennent pour faire tomber la grêle !...
- C'est le duc de Bénévent qui les envoie ! dit un autre.
Oui, oui, crie bientôt la foule. C'est Grimoald, le duc de Bénévent, qui les envoie pour massacrer nos moissons ! Ce sont des sorciers !...
- A mort ! Il faut les bruler !...
Note: Là encore, c'est inspiré de Montfaucon de Villars, mais moins embelli.
Et on les emmène.
En attendant que le bûcher soit prêt, la foule hurlante leur fait faire le tour de la ville. On les insulte. On leur jette des pierres. On leur promet l'enfer.
- A mort ! Sorciers ! A mort !...
Note: Montfaucon de Villars ne dit rien de ce tour de la ville.
Mais voila qu'un homme accourt, alerté par tout ce vacarme. C'est Agobard, 1'évêque de Lyon.
- Que se passe-t-il ?
On lui explique que ces sorciers viennent du ciel pour gâter les moissons et qu'on va les bruler.
Agobard est un brave homme. Il se tourne vers les quatre prisonniers et leur demande de s'expliquer. Les autres racontent de nouveau leur extraordinaire aventure.
- Vous voyez, crie la foule, ce sont des sorciers, il faut les bruler !
Mais Agobard secoue la tête :
- Non je vous interdis formellement de les bruler. Ces trois hommes et cette femme ne sont pas des sorciers. Pour la simple raison qu'ils mentent, qu'ils ne sont jamais allés se
promener dans les airs, car de tels faits sont impossibles !
- Mais nous les avons tous vus descendre du ciel, dit quelqu'un.
- Eh bien, vous avez tous eu la berlue ! reprend l'évéque.
Et pendant trois quarts d'heure, il leur expose toutes les raisons qu'on a de ne pas croire à un tel prodige. Il ajoute :
- D'ailleurs, ceux qui affirment en avoir été les témoins pourraient bien risquer eux-mêmes d'être considérés comme des sorciers...
Note: le passage précédent développe le texte dont il s'inspire à coup d'inventions, comme les trois quarts d'heure ou les mensonges.
Il n'en faut pas plus, on s'en doute, pour que les Lyonnais declarent à leur bon évéque que tout cela n'a été qu'un rêve. Et l'on relacha les quatre prisonniers qui retournèrent dans leur village, tandis qu'à Lyon, des centaines d'hommes et de femmes allaient - sans le confier à personne - garder dans leur mémoire l'image obsédante d'une chose mystérieuse descendue du ciel par un beau jour d'été...
Note: cette fois le texte de Montfaucon de Villars est à peine enjolivé.
- Cet Ovni apparu dans le ciel de Lyon au IXe siècle est fabuleux... ou avez-vous trouvé cette histoire?
- Dans un traité écrit par Agobard lui-même. Agobard qui relate les faits, mais qui les nie car il les considère comme étant contraires aux dogmes.
Note: Beau mensonge. Guy Breton n'a jamais lu le texte d'Agobard, dont la traduction française était difficile à trouver, en 1977. Et s'il l'avait lu, il aurait su qu'Agobard disait tout le contraire. Les quatre personnes n'avaient pas été capturées le jour où il les vit, et ceux qui les avaient capturés durent avouer, penauds, qu'ils ne les avaient jamais vu descendre d'un navire aérien.
- Est-ce que d’autres personnes ont parlé de cette aventure prodigieuse?
- Pas de celle-là précisément, mais de beaucoup d’autres du même ordre. Car il faut dire que ce genre d’histoires est assez courant à l’époque. Au point que les Capitulaires de Charlemagne et de Louis le Débonnaire mentionnent les peines imposées aux créatures voguant sur des navires aériens qui étaient accusées de détruire les vignes et les moissons.
Note: Légende qui sort directement de la fiction racontée par Montfaucon de Villars. En réalité, les capitulaires mentionnent des peines contre les sorciers qui excitent les tempêtes, et non contre les occupants de navires aériens.
Pour qu’il y ait eu des lois et des règlements réprimant les délits commis par ces êtres mystérieux, il fallait que leurs apparitions dans le ciel fussent nombreuses...
Note: Savante déduction à partir d'un fait qui n'a malheureusement jamais existé.
- Quelle forme avaient-ils, ces personnages?
- Montfaucon de Villars écrit : « On voyait dans les airs ces créatures de forme humaine, tantôt rangées en bataille, marchant en bon ordre, ou se tenant sous les armes, ou campées sous des pavillons superbes - tantôt sur des navires aériens d’une structure admirable dont la flotte volante voguait au gré des zéphyrs. »
Note: Montfaucon de Villars pouvait écrire n'importe quoi, puisque c'était une fiction. Et dans cette fiction, les "créatures" n'étaient pas des extraterrestres, mais des sylphes, c'est à dire des esprits élémentaux habitant l'air.
- Comment pouvait-on voir des hommes rangés en bataille dans le ciel?
- Eh bien. .. j’émets une hypothèse... Supposons qu’ils aient eu des hélicoptères dorsaux, des hélicoptères individuels leur permettant de quitter l’Ovni, l’astronef, appelez cela comme vous voudrez, et de descendre facilement sur terre.
Note: On pourrait poser la même question pour toutes les armées célestes observées depuis l'antiquité. Ici cette question est inutile puisqu'il s'agit d'une fiction, et l'explication technique qui lui sert de réponse en devient ridicule.
- Des hélicoptères d’extra-terrestres, voilà qui est nouveau!
- Pas tellement. .. Je vais vous raconter une histoire.
Un jour de l’an 842, au moment du siège d’Angers par Charles le Chauve, les Angevins ont vu, dans le ciel, des créatures ayant - je cite - « la forme de sauterelles portant chacune six ailes et armées de dents faites de métal ». Ces êtres étaient rangés en ordre de bataille et volaient en bon ordre, conduits par des éclaireurs et des piqueurs de forme plus élancée. « Après avoir tourné au-dessus des troupes de Charles le Chauve, ces étranges sauterelles métalliques disparurent en direction de la mer…. » Vous ne trouvez pas que ces sauterelles métalliques, ces sauterelles géantes ressemblent bougrement à des hélicoptères?...
Note: Le siège d'Angers eut lieu en l'an 873, et ces âneries sortent visiblement du Guide de la France mystérieuse, de René Alleau, que, vu ses sujets d'intérête, Guy Breton devait probablement posséder.
Séraphin à Céfalu |
- Sans doute ; mais vous parliez tout à l’heure d’hélicoptères dorsaux...
- C’est vrai, et je ne change pas d’avis... Savez-vous où j’ai eu, un jour, le sentiment de voir la plus ancienne représentation d’hélicoptère dorsal ? Eh bien, c’est dans la cathédrale de Cefalu, en Sicile, où se trouvent d’admirables mosaïques du XIIe siècle représentant des anges. .. Oui, des anges ayant six ailes dont deux donnent l’impression de tourner dans leur dos, ou si vous préférez, au-dessus de leur tête...
Note: Il s'agit d'une représentation archétypique des "séraphins", avec six ailes qui portent ici des yeux, comme les roues d'Ezéchiel. Breton n'est pas le premier à essayer de voir des pales d'hélicoptères dans les ailes des séraphins, ni a techniciser une imagerie symbolique. Et, comme les maniaques de la roue d'Ezéchiel en toles et boulons, il ne se rend pas compte qu'une civilisation avancée n'a aucune raison d'utiliser la technologie de la seconde moitié du XXe siècle.
Je ne voudrais choquer personne, mais je pose la question : Et si les anges étaient des extra-terrestres descendus sur terre avec un hélicoptère dorsal, et transformés en personnages célestes par les hommes de l’Antiquité biblique?...
Note: Déja imaginé, mon brave Breton: C'est le mythe des anciens astronautes, théorisé par Agrest et Kolosimo dès 1959.
SOURCES
AGOBARD, De la grêle et du tonnerre.
Note: référence mensongère: Breton ne l'a jamais consulté.
Mgr BRESSOLLES, Saint Agobard, évêque de Lyon (769-840).
Note: autre référence mensongère. Le Comte de Gabalis ou Entretiens sur les sciences secrètes.
Note: cette fois, Breton a bien ce livre, mais il a énormément brodé dessus.
SOURCE: Guy Breton, Louis Pauwels, HISTOIRES EXTRAORDINAIRES, Albin Michel, 1980, p 185-191
Remarques:
La première édition de ce livre est parue en 1977, sous le titre Histoires magiques de l'histoire de France.
Il faut un sacré culot pour prétendre que ce petit roman est tiré du livre d'Agobard qui disait exactement le contraire.
L'auteur donne cependant sa vraie source: Le comte de Gabalis, sans préciser (mais l'a-t-il compris?) qu'il s'agit d'une fiction.
Il est vrai que pour raconter de belles histoires, qui fassent réver le public, réalité ou fiction, tout est bon.
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