Le ciel des anciens
La précession des équinoxes
Aldébaran en coordonnées équatoriales en 3150 av J.C. |
Bien que nous connaissions, au moins de nom, le phénomène de la précession des équinoxes, nous avons du mal à nous représenter ses conséquences à long terme. En fait, nous savons que le pôle céleste se déplace, mais nous ne nous représentons pas bien que l'équateur celeste se deplace aussi, et que les étoiles visibles changent au cours des millénaires. Ainsi, à la latitude de Paris, l'étoile Rigel, de la constellation d'Orion, est aujourd'hui bien visible, mais n'était pas visible au Néolithique.
La position, de l'écliptique ne change pas par rapport aux étoiles, et le soleil traverse toujours les mêmes constellations, mais la position de l'équateur céleste change, en sorte que le point vernal, c'est à dire le point où le soleil est sur l'équateur céleste lors de l'équinoxe de printemps, se déplace à travers les constellations. Comme les coordonnées célestes sont basées sur le pôle et l'équateur céleste, avec pour origine le point vernal, c'est toute la grille des coordonnées qui se déplace au fil des ans, par rapport aux étoiles.
Du temps où la liste des constellations a été établie, le point vernal était dans la constellation du bélier, et cette constellation était la première de la liste des constellations zodiacales établie par Aratos:
Sunt Aries, Taurus, Gemini, Cancer, Leo, Virgo,
Libraque, Scorpius, Arcitenens, Caper, Amphora, Pisces
Ce sont le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge,
et la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau, les Poissons.
Mais aujourd'hui, le point vernal est dans la constellation des Poissons, et sera bientôt dans celle du Verseau, à la grande joie des ésotéristes qui attendent cette "ère du Verseau" avec impatience (ils risquent fort de déchanter).
Mais alors, avant que cette liste soit établie, donc dans la haute antiquité, le point vernal devait être dans la constellation précédente, celle du Taureau, et encore avant, dans celle des Gémeaux. C'est bien ce qui nous permet de dater les premières observations astronomiques. Camille Flammarion remarque qu'on trouve des traces d'un zodiaque qui aurait commencé avec la constellation du Taureau, mais rien pour ce qui est des Gémeaux.
De fait, nous pouvons aujourd'hui reconstituer facilement le ciel des anciens, et nous remarquons que vers 3150 avant J.C., la brillante Aldébaran se trouvait à l'aplomb du point vernal, avec une ascension droite de 0 H, contre 4 H 36 mn aujourd'hui ( l'ascension droite est la longitude céleste repérée sur l'équateur céleste à partir du point vernal, et une heure d'ascension droite vaut 15° ). On comprend alors qu'en ces temps reculés, la brillante Aldébaran aurait du servir de repère... s'il y avait eu des astronomes.
La légende des étoiles "royales"
Cette position d'Aldébaran près de l'équinoxe de printemps, aurait inspiré aux Perses, un système de répérage à quatre étoiles. Nous employons le conditionel, car cette hypothèse préte à l'astronomie perse une antiquité peut vraisemblable. Ecoutons Camille Flammarion:
On a écrit des dissertations interminables sur l'antiquité du zodiaque, les uns la faisant remonter à quinze mille ans, les autres à vingt-deux mille.
...
C'est seulement vers le sixième siècle avant notre ère que notre zodiaque a reçu les noms qui nous ont été conservés.
...
Remarquons à ce propos que Aldébaran du Taureau, Antarès du Scorpion, Régulus du Lion et Fomalhaut se trouvent à peu près à angle droit l'une avec l'autre et partagent le ciel en quatre parties égales. Ces quatre étoiles, brillantes er remarquables, appelées aussi étoiles royales, étaient vénérées par les Perses 2500 ans avant nore ère, comme les quatre gardiens du ciel. Alors Aldébaran, ou l'oeil du Taureau, était dans l'équinoxe du printemps et gardien de l'est; Antarès, ou le coeur du Scorpion, se trouvait précisément dans l'équinoxe d'automne, et était le gardien de l'ouest; enfin Régulus, le coeur du Lion, n'était qu'à une petite distance du solstice d'été, et Fomalhaut, à une petite distance du solstice d'hiver, de manière à désigner pour les Perses le midi et le nord.
( Camille Flammarion, Les étoiles et les curiosités du ciel, Marpon et Flammarion, 1882, p 439-441 )
Le ciel en 3150 av JC. Les croix vertes sont les équinoxes, les jaunes, les solstices, et les "R" indiquent les étoiles royales
La reconstitution de ce ciel des anciens montre que ce partage du ciel par les quatre étoiles est approximatif. En 3150 av J.C. Aldébaran et Antarès étaient à peu près à la place qui leur revient, mais Régulus et Fomalhaut en étaient distantes d'une dizaine de degrés. Par contre, vers 2300 avant J.C. Régulus et Fomalhaut étaient à leurs places, et c'est Aldébaran et Antarès qui ne l'étaient plus. Au millénaire suivant, ce repèrage avait perdu son sens, et du temps d'Ézéchiel, et des premiers royaumes perses, encore bien plus, puisqu'Aldébaran était à 33° du point vernal. On peut donc largement douter de la "royauté" de ces quatre étoiles, qui ressemble plus à une rêverie qu'à un fait historique. D'où vient donc l'histoire des quatre gardiens du ciel vénérés par les Perses?
Si nous cherchons les sources de Camille Flammarion, nous remarquons que François Arago disait la même chose dans son Astronomie Populaire:
Aldebaran du Taureau, Antarès du Scorpion, Régulus du Lion et Fomalhaut du Poisson austral, partagent le ciel en quatre parties presque égales. Ces quatre étoiles, très-brillantes et très-remarquables, appelées aussi étoiles royales, étaient sans doute les quatre gardiens du ciel des Perses, 3 000 ans avant J.-C. Alors Aldébaran était dans l'équinoxe du printemps et gardien de l'est; Antarès, ou le coeur du Scorpion, se trouvait précisément dans l'équinoxe d'automne et était le gardien de l'ouest; enfin Régulus n'était qu'à une petite distance du solstice d'été, et Fomalhaut à une petite distance du solstice d'hiver, de manière à désigner pour les Perses, le midi et le nord.
( François Arago, Astronomie Populaire, tome 1, Gide et J. Baudry, 1854, p 342 )
La source de Flammarion est donc retrouvée, mais, malgré son immense érudition, Arago n'était pas un historien de l'astronomie, comme Delambre, et il n'indique pas sa source. Voyons donc ce que dit Delambre de l'astronomie des Perses.
Delambre ne consacre justement aucun chapitre à l'astronomie des Perses, ce qui suggère qu'elle n'avait pas l'importance que pouvait lui accorder Flammarion. Il écrit même:
Nous ne connaissons l'Astronomie des Perses que par le fragment de Chrysococca publié par Bouillaud.
Par contre, il s'étend sur l'astronomie indienne, en dénonçant les erreurs de son prédécesseur Bailly, qui voulait absolument prouver l'existence d'une astronomie très élaborée plusieurs millénaires avant notre ère, et dont des fragments auraient été recueillis par les grecs. Et sur ce point, Delambre n'est pas tendre avec Bailly:
Bailly ne discute pas, il plaide une cause, il fait valoir tout ce qui lui est favorable, il déguise ou dissimule ce qui lui est contraire;
...
Il cherche à prouver que 3000 ans avant notre ère, les Indiens observaient.
Le Zend-Avesta rapporte que quatre étoiles gardaient les quatre points cardinaux du monde. Peut-on imaginer rien de plus vague qu’une pareille remarque ? Or, dit Bailly, Aldébaran et Antarès n’étaient alors qu’à 40’ des équinoxes. On voit en effet que ces étoiles sont diamétralement opposées, au moins en longitude. Où sont les deux autres qui devraient être à 90° des premières ; nous n’en trouvons que de sixième grandeur ou de cinquième tout au plus. Bailly se rejette sur Régulus et sur le Poisson austral, qui sont à 6 et 11° des deux autres points cardinaux.
( Delambre, Histoire de l'Astronomie ancienne, tome 1 , Vve Courcier, 1817, p 433 )
Ce serait donc Jean-Sylvain Bailly, qui aurait affirmé ce gardiennage du ciel par Aldébaran, Régulus, Antarès et Fomalhaut. Et c'est probablement son aura historique de mathématicien, astronome, littérateur, membre de plusieurs académies, maire de Paris, et victime de "La Terreur" qui a fait accepter cette idée par Arago. Delambre lui même, avant de flétrir son utopie d'un peuple ancien qui nous a tout appris, reconnait l'utilité de l'histoire de l'astronomie de Bailly:
Celle de Bailly, beaucoup plus célèbre et plus étendue qu'aucune autre, a été entreprise dans l'intention de prouver aux gens de lettre et aux gens du monde, l'importance et l'utilité de l'Astronomie;
Voyons donc ce qu'écrit Bailly:
Nous avons fait voir que la premiere division du zodiaque doit avoir placé l'équinoxe au commencement d’une constellation , & en supposant que ce commencement fût celui du taureau , le zodiaque ne peut pas être plus moderne que l’an 2400 : mais il paroît , par le livre de Job , que les signes du zodiaque étoient connus , & par conséquent établis dans le tems où les pléïades annonçaient le retour du printems, ce qui donne aux signes du zodiaque une antiquité de 3000 ans avant J.C ;
Note: Voici les deux versets où apparaissent les Pléïades dans le livre de Job:
9:9 Il (Dieu) crée l'Ourse et Orion, et les Pléïades et les Chambres du sud.
38:31 Est ce que tu noue les liens des Pléïades, ou bien relâches tu les cordes d'Orion?
On voit qu'il faut beaucoup d'imagination pour y voir une annonce du retour du printemps par les Pléïades. D'autre part, le commentaire de la bible du chanoine Osty explique que certains passages s'inspirent du livre de Jérémie, qui est donc antérieur, et que le climat de troubles sociaux évoqués place la rédaction du livre de Job avant la réforme d'Esdras et de Néhémie, soit vers 450, et non 3000 avant notre ère.
L‘ANTIQUITÉ que la division du zodiaque paroît avoir chez les Perses, contribuera peut-être à rendre tout-à-fait vraisemblable celle que nous venons de soupçonner. M. Anquetil, dans sa traduction du Zend-Avesta, nous donne quelques détails sur les idées des anciens Perses à l’égard des étoiles. Ils les regardent comme une multitude de soldats , expression qui répond à celle de l‘armée céleste , dont il est si fouvent mention dans l'écriture. Ils disent (sans doute pour donner l'idée du grand nombre des petites étoiles ) qu‘il y en a 486000. Quatre grandes étoiles sont, selon eux, les surveillantes des autres ; ces étoiles sont taschter, qui garde l’est ; satevis, l’ouest, venand, le midi, hastorang, le nord. Nous pensons que par ces étoiles les Perses ont voulu partager le ciel, & qu’ils les ont désignées comme répondant aux quatre points cardinaux. Or la division des points cardinaux naît de celle du zodiaque par les points équinoxiaux & solstitiaux, & par conséquent les étoiles qui désignent l’est, l’ouest, le nord & le midi désignoient alors les équinoxes & les solstices. Cela nous paroît évident. En conséquence, nous remarquons que vers l’an 3000 avant J.C., les étoiles étant moins avancées de 60°, aldébaran étoit précisément dans l’équinoxe du printemps. Cette belle étoile a donc pu être regardée comme la gardienne de l’équinoxe ou de l’est. Antarès, ou le coeur du scorpion, se trouvoit aussi précisément dans l’équinoxe d’automne : voilà le gardien de l’ouest. Regulus n’étoit qu’à 10° du solstice d’été & phomalhaut à 6° du solstice d’hiver. Ces quatre étoiles de la première grandeur, toutes très-brillantes & très-remarquables, forment une division du ciel en quatre parties presque égales, qui a trop de rapport avec celle des Perses pour n’y pas reconnaître une identité parfaite, & pour ne pas déterminer à 3000 ans avant J.C. la date de cette division du zodiaque au moins en quatre parties.
( Bailly, Histoire de l'Astronomie ancienne, 2de édition , De Bure, 1781, p 480 )
Mais la traduction du Zend-Avesta par Anquetil donne un autre son de cloche:
Tandis qu'Ahriman étoit fans forces, Ormusd produisit des êtres. Il forma d’abord Bahman, qui devoit faire aller (gouverner) le Monde d'Ormusd.
Ahriman le menteur fut d’abord; il fit ensuite Akouman.
Des productions du Monde (pur), la première que forma Ormusd , fut le Ciel , que Bahman devoit bien conduire, ce Monde de lumiere avec lequel étoit la pure Loi des Mehestans. Il sçavoit que ces productions devoient durer jusqu’à la résurrection. (Il fit) ensuite Ardibehescht puis Schahriver, puis Sapandomad , puis Khordad , puis Amerdad. Du Monde ténèbreux, Ahriman (tira) Akouman, Ander, puis Savel , puis Nekaëd , & ensuite Tarik & Zaretch.
Des productions du Monde (pur), la premiere que (fit) Ormusd fut le Ciel ; la seconde, l’eau; la troisiéme , la Terre ; la quatrième , les arbres; la cinquième , les animaux,
la sixiéme, l’homme.
Note: on note le parallèle avec la création en 6 jours de la genèse biblique: création de la lumière et séparation d'avec les ténèbres, création du firmament et séparation des eaux du dessus et du dessous, séparation de la terre d'avec les eaux et création de la végétation, création des luminaires célestes, création de la vie animale, création de l'homme. Le Zend Avesta ne fait pas créer la lumière au premier jour, car la dualité lumière/ténèbre est préexistante dans le zoroastrisme.
II. Sur la formation de la lumiere. Ormusd forma la lumiere entre le Ciel & la Terre; (il fit) les Étoiles qui paroissent (toujours les Fixes), & celles qui ne paroissent pas
(toujours les Planetes); ensuite la Lune, puis le Soleil comme il est dit : il forma d'abord le Ciel. Les Étoiles fixes que l’on pouvoit appercevoir , furent partagées en douze Constellations, comme autant de meres dont les noms sont, l'Agneau , le Taureau , les Gémeaux, le Cancer , le Lion , L'Épi , la Balance, le Scorpion, l'Arc , le Capricorne, le Seau & les Poissons.
Note: on reconnait la liste des constellations d'Aratos, en remplaçant l'agneau par le bélier, l'épi par la Vierge, l'arc par le sagittaire (l'archer) et le seau par le verseau.
...
Tous ces(Astres) ont été donnés au commencement, ils ont été faits pour rester dans le Monde ; pour que , si l'ennemi se présente , si Péetiäré cherche lui-même à nuire, les créatures , par leur secours, soient délivrées de ceux qui (veulent) leur faire du mal.
Combien ces (Astres) (n’) ont-ils (pas) de soldats (prêts) à faire la guerre à ces (ennemis de la Nature)! Six mille & quatre cens quatre-vingt mille petites Étoiles ont été formées pour seconder chaque Etoile de ces (Constellations. Ormusd) a encore placé aux quatre côtés (du Ciel) quatre sentinelles, pour veiller sur les Étoiles fixes. Il les a établies surveillantes sur les nombreuses Étoiles des (Constellations). Il a établi l'une de tel côté , sur tel lieu , l’autre, de tel autre côté, sur tel autre lieu ; & cela par sa propre force , par sa puissance, lui qui a donné ces Étoiles fixes comme il est dit : Taschter garde l’Est ; Satevis garde l’Ouest ; Venand garde le Midi ; Hastorang garde le Nord. On appelle Meschgâh une grande (Étoile) qui est au milieu du ciel. Lorsque l'ennemi vient en grand nombre, cette grande (Étoile) protège le midi, c'est Rapitan.
Note: 486000 petites étoiles pour seconder chaque étoile des constellations du zodiaque, dans leur combat contre les forces du mal! On voit qu'on n'est plus dans le domaine de l'astronomie, mais bien dans celui de la religion.
( Anquetil du Perron, Zend Avesta, ouvrage de Zoroastre, tome 2 , Tilliard, 1771, p 342 )
Donc selon le Zend-Avesta, Taschter garde l’Est, Satevis l’Ouest, Venand le Midi, Hastorang le Nord. Mais il n'est dit nulle part que ces êtres sont des étoiles de première magnitude placées à angle droit. On ne sait pas si ce sont des étoiles ou des constellations. Pire, on ne sait même pas si ces êtres célestes sont visibles. D'autre part la rotation diurne de la voûte céleste rend illusoire l'assimilation avec des étoiles qui prennent toutes les directions possibles au cours de leur mouvement diurne. Force est de constater qu'on ne sait pas très bien ce que sont ces quatre gardiens célestes.
Pourtant Bailly est formel: Ces gardiens sont quatre étoiles brillantes répondant aux quatre points cardinaux, et donc aux points équinoxiaux et solstitiaux (ce qui fait deux hypothèses arbitraires d'un coup). Puis constatant qu'Aldébaran et Antarès se trouvaient aux points équinoxiaux 3000 ans avant notre ère, il en déduit que ce sont là les gardiennes du ciel de l'est et de l'ouest, sans se préoccuper de la date de rédaction du Zend-Avesta, ni des deux autres gardiennes.
Mais, pour gratuite qu'elle soit, cette hypothèse s'accorde parfaitement avec sa théorie d'une civilisation très avancée plus de 3000 ans avant notre ère. Voila pourquoi il parle d'identité parfaite, alors que pour nous, il ne s'agit que d'une simple rêverie peu digne d'un astronome tel que Bailly.
En conclusion, cette histoire des quatres étoiles "royales" vénérés par les Perses n'a aucune réalité, bien qu'elle ait trompé des astronomes qui se sont recopiés les uns les autres, en se basant sur la respectabilité de leur source.
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