1575 François de Belleforest y va aussi de son complément
le livre |
François de Belleforest |
François de Belleforest, né en 1530 à Samatan (Gers), n'est pas comme Claude de Tesserant,inconnu des dictionnaires de biographie. Ce fut un écrivain prolixe, mais qu'on s'accorde à trouver peu exact
Il voyagea à Toulouse, à Bordeaux, puis à Paris où il re,contra des auteurs comme Pierre de Ronsard, Jean Antoine de Baïf, Remy Belleau, et Antoine Du Verdier.
En 1568, il devient historiographe du roi Henri III, mais l'infidélité de ses récits lui fit perdre cette place. Devant vivre de sa plume, Il se mit alors aux gages des libraires, écrivant à tout va, des livres qu'il livrait toujours à la date prévue. On lui doit une cinquantaine d'ouvrages sur la cosmographie, la morale, la littérature et l'histoire, dont de nombreuses traductions. Sa prolixité, comme son manque d'exactitude ont fait qu'il ne fut jamais qu'un plumitif, capable d'écrire rapidement sur de nombreux sujets.
En 1575, il écrivit un nouveau complément aux Histoires prodigieuses de Pierre Boaistuau, qu'avait déjà complété Claude de Tesserant. Ce sujet lui convenait bien, car on y demande bien plus du sensationnel que de l'exactitude. Les histoires qu'il mentionne sont bien dans la veine de ses deux prédécesseurs.
TABLE DU TROISIESME TOME DES HISTOIRES PROdigieuses.
De deux gentils-hommes se raportans de face, voix, parolle et gestes, qu'il estoit impossible de les discerner en sorte quelconque
Merveilleuse providence et façon de faire d'un chien à Siene, durant que les Françoys y estoient assiegez, et du naturel du chien, et histoire d'iceluy.
Bataille de Gais et Corneilles advenue au pays de Vaux aux Alpes, fort prodigieuse, l'an mil cinq cens soixante sept.
Estrange aparition d'hommes en procession, non veuez, ni cogneuz de personne.
Estranges et effroiables apparition du malin esprit, tant tadis, que maintenant en plusieurs endroicts de la terre.
Impressions miraculeuse du signe de la croix en un arbre, au pais de Bretaigne, au diocèse de Rennes.
Espouventables esclairs qui apparurent en Perigort l'an 1567 et une lance de feu au milieu d'iceux, avant la bataille de Mouvanz.
Estrange apparition d'une Gallée de feu sur la rivière de Dordonne, et les occurrences advenues en icelle.
Combat Cruel, et batailles veues diverses foys de nostre tempz, en l'air, et autres plusieurs succez.
D'un monstre né à Paris de deux enfans s'entretenans par le Nombril.
D'un monstre nai en Gascoigne l'an 1571 pres de la ville de Beaumont de Lomaigne, descript par le Seigneur Camboline, Consul et medecin en ladite ville.
Histoire advenue au pays de Laonnois l'en 1565 d'un merveilleux et effroyable saisissement du corps d'une femme par le maling esprit.
Histoire des montz qui vomissent flammes tel qu'est l'Ethne, ou Montgibel en Sicile, et plusieurs autres considerations sur ce propos, et si cela doit estre mis entre les prodiges.
Histoyre du tremblement effroyable de terre advenu en la cité de Ferrare et environs en l'an 1570 et des considerations et causes naturelles des terre-trembles.
Histoire de l'effroyable et merveilleux desbord de la riviere du Rhosne dedans és entours de la cité de Lyon, et de la cause de cecy et signifiance ou présage.
Histoire de divers partz monstrueux advenuz de nostre temps, et nommément d'une femme en la cité de Cracovie en Poloigne qui engendra un enfant qui avoit un serpent en l'eschigne du dos, qui lui rongeoit.
Histoire de diverses apparitions d'espritz aux hommes, et si on doibt croire qu'il soit possible que les hommes voyent les espritz.
Voyons donc ce qu'il raconte des visions qui apparaissent en l'air, comme nous l'avons fait pour ses prédécesseurs
Les impressions de l'air eftans diverses, ainsi que déja nous avons dit, ce n'est sans cause si diversement aussi elles sont traittées, et que jaçoit que les Seigneurs Bouaistuau, et Testerant, ayent doctement discouru sur Le mesme sujet que je poursuis, aussi bien qu'en plusieurs autres choses si ne lairrons nous pourtant de poursuyvre, non les causes (impossibles à deduire) ains les exemples ou qu'ils ont oublié, ou qui n'estoient advenuz encor, du temps qu'ils escrivoient leurs gentils,& doctes volumes.
Note: l'auteur brosse la manche à ses prédécesseurs.
Je sçay bien que telles impressions sont mises entre les Meteores , et que elles sont des corps imparfaictement mixtionnez, soit à l'esgard de la comparaison et conference des corps animez, ou à cause que soudain ils sont engendrez en l'air, entant que ce sont des substances corporées , ou ayant corps composez de qualitez diverses , et icelles imparfaictes , pour ce que elles ne subsistent que fort peu de temps et ne sont de longue durée, ains s'escoulent tost ou s’esvanouissent, ou se fondent , ou convertissent és elemens desquels elles ont pris origine.
Note: l'auteur admet que les météores sont naturels, pour mieux valoriser les autres prodiges célestes.
Mais nonobstant que tout cecy soit causé, en ce que de l'air avant on le voit , des vapeurs, et exhalations, si y a il des considerations de plus haulte consequence entant que l'exhalation estant de peu-de durée (comme dict est) ces apparitions s’estants monstrées longuement, et par quelques jours continuels , et en formes plus massiues que ne porte la nuée, et souvent estant cheutes à terre avec effait semblable aux passions humaines, ou
par l'effusion de sang , ou cliquetis de harnois froissez de lances, et hannissement de chevaux , je ne sçay avec quelle raison on pourroit imputer cecy aux effectz communs de la nature.
Note: l'auteur essaye de distinguer les phénomènes qui ne peuvent être naturels.
Or de les tirer,et sèparer de la nature, il est impossible, d'autant que necessairement il fault que la production vienne d’elle : mais comment? ce n'est à l'homme d'en donner la raison , non plus qu'il n'a le scauoir naturellement d'exposer les moyens que les esprits (soyent bons où mauvais) ont de se monstrer , comme ainsi soit que ce sont substances intellectuelles, et par consequent incorporelles, et ainsi invisibles , et sans corps, et auquel s'ils aparoissent, quoy qu'ils le prennent en la nature commune des choses, si n’est il absolument possible à l'homme d'en rendre la cause qui soit du tout necessaire. Or d'autant que ceux qui n'ont guere pris de plaisir, ou contentement d'esprit, oyans comme les sages, avec la sumission deuë à la pieté de la religion, donnent force à ces impressions non accoustumées, ne sçachans en donner raison, et ne recevans que cecy eut signifiance, sont venuz d'une faute en autre et ont dit que cecy estoient des Fantosmes , non tels que sont les feux errans, et ambulatoires qui aparoissent de nuit ou pres les fleuves et lacz, ou és Cemitieres, et lieux qui sont gras, ains comme les visions, et illusions , qui nous font presentez en fonge , et qu’en icelles l'œil tant soit delicat ou subtil est trompé, et n'y peut assoir jugement que par l'imagination.
Note: l'auteur essaye de discréditer les sceptiques qu'il taxe d'ignorance.
Mais c'est allé trop avant, et fault dire que ceux qui en parlent ainsi, sont trop amis de leur sens et ne peuvent comprendre, ny recepvoir sinon ce que leur seule raison leur peut monstrer et comme poser à l'objet certain de leu veuë : et que mettans cecy en doubte, ils ne font aussi conscience de laisser la verité des saincts escrits en arriere, et la certitude des histoires ,comme chose fabuleuse. La où le Chrestien , qui scait quel soing Dieu à des siens et comme il nous advertit et par les moyens communs et par ce qui est extraordinaire en la nature, confessera aussi que ces impressions non-usitées, et qui n'aparoissent qu'en temps de grandes calamitez, tant s'en faut que soient illusions ou choses imaginées par la veuë trompée des hommes , que la verité en à esté cogneuë, et de nostre temps, et jadis et par les histoires sacrées et profanes , ainsi que je vay vous le deduire , sans faire conscience de repeter ce que les autres ont dit, comme l'ayant cueilly des mesmes jardins, d’ou ils en ont tiré leur contentement: et avant que toucher aux profanes, l'histoire des Macabées nous servira de preuve suffisante, et de laquelle voicy les propres paroles : En la mesme saison, Antioque s’apresta de faire son second voyage cn Æpypte. Or advint il que par toute la Cité de Jerusalem On veit par l'espace de quarante jours en l'air des chevaliers courans et iceux vestuz de cotes d'armes toutes dorées, portans des
lances tout ainsi que ceux qui sont armez: et voioit on les rancz des chevaux mis en ordre comme pour batailler et les assaultz des deux costez combatans ensemble. On voioit le mouvement des pavois et escuz, et une grand troupe d'hommes , morrionnez, et tenans leur glaives nudz,et desgainez,et gettans leurs traits, ny manquant une grand splendeur des armures enrichies d'or, et tous ayans des corselez endossez en ceste armée. A ceste cause tous prioient Dieu que ceste apparition se convertist et redondast au bien, et provffit de leur sainte Cité. Vovez si cecy estoit illufion, ny impression ordinaire, l'une trompant la veuë, et l'autre qui s'evanouist tout soudainement: puis que toute la Cité de Jerusalem en eut la veuë, et cognoissance, l'œil n’y estoit point fraudé et il y avoit quelque cas de plus que l'imagination: et durant cecy l'espace de 40 jours, c'estoit bien pour le voir, et pour estonner les plus grans Philosophes, entant que naturellement les impressions, ou Meteores ne sont de si longue durée, j'entends celles qu'on met entre les fantosmes :
Note: l'auteur nous ressort les armées célestes de Jérusalem, déjà alléguées par Claude de Tesserant, sans en voir davantage l'incohérence. Au contraire l'impossibilité du phénomène lui sert de preuve, pour en affirmer le caractère prodigieux. Il ne lui vient pas à l'idée de douter de la véracité du récit, alors même que les livres des Machabées ne sont pas reconnus par les juifs, ni par les protestants, ni même considérés comme vraiment canoniques par les catholiques. Sans compter que le premier livre ne contient pas ce prodige, et que le second livre est plus sensationaliste qu'historique.
Mais pas sons plus avant en noz discours et suyte d'histoires, car ceste bataille aërienne fut le pronostic de la misere, et pillage de Jerusalem, qui bien tost s’en ensuivit, par la nouvelle de la mort du Roy duquel les Juifs se doutoient le plus. Tout ainsi que grandz ont esté les faits des Romains, merveilleuses leurs conquestes ; et estranges leurs façons de faire, aussi à on veu de prodigieux signes , et au Ciel, et en la terre durant la gloire de leur Empire, et n'est guere advenu trouble ny malheur en leur Cité, qui n'ait esté presagé par quelque cas monstrueux, ou plein de prodige, et vous prie, quel plus grand desastre advint il guere jamais à Romme, que celuy,ou la furie de Sylle laissa presque la Cité sans citoyen qui fut homme de marque, et grand noblesse, si ce
n'estoient de ceux qui estoient de sa ligue?
Note: l'auteur affirme que les malheurs de Rome furent toujours précédés de prodiges, mais ne donne qu'un exemple, peu idoine.
Lisez les histoires , et verrez, que quelques quatres vingts ans avant que nostre seigneur se feit homme, on ouye en Italie, au pays à present dit de labour en la Champaigne, Napolitane , un estrange bruit en l'air, qui representoit le froissement et son des armes, et les cris, et huerie d'une armée lors que on est au combat, de sorte que par plusieurs jours , on veit deux armées s'entrechoyans ensemble. Ce n’est pas tout, car sur la terre mesme , on apperceut la trace des hommes, et des chevaux , les herbes, plantes , et buissons gastez , et foulez , tout ainsi que si un grand Camp y eut fait passage.
Note: Selon Julius Obsequens, cela s'est passé en 83 avant notre ère, Mais si l'on découvrit effectivement des traces de chevaux et d'hommes et d'herbe foulée, on ne fit qu'entendre et rien ne fut vu.
Comme que ce soit , on soit que cecy fussent des Demons, donnans de tels assaultz , et effrays
aux hommes, et que Sathan familiarisast ceux qui le servoient , si est-il que la chose advint, et seruit de prediction à celle grande et horrible guerre civile esmeuë entre Marius, et Sylle et leurs ligues, et amys et en laquelle fut autant espandu de sang que en pas une que jamais eut eu ce peuple, contre les nations estranges :
Note: Ce phénomène ne pouvait annoncer une bataille puisque la guerre entre Marius et Sylla était terminée, mais eut lieu l'année précédant les proscriptions.
et denonça par figure ce que l'effait executa en celle effroyable , et cruelle proscription , et confiscation des corps & des biens des seing de Rome, laquelle n'en eut jamais de pareille, sauf celle qui fut faite par le Triumvirat, Poursuyvons les saisons des temps,car je ne me soucie d'estre long, pourveu que je contente le desir des studieux avec la diversité, et le Chrestien, en luy faisant voir les grands Jugements de Dieu , et l'infinité de sa misericorde en ces signes, que il luy plaist monstrer sur nous, entant que nulle histoire doit estre mise en avant que pour sa gloire, et instruction de son eglise.
Note: Traduction: je rallonge la sauce, mais il faut bien que je vive de ma plume.
Jerufalem estant assiegée par Tite filz de Vespasien, fut assez souvent advertie de sa ruine si elle eut escouté et la prophetie de celui qui inspire les profetes, et la parole de ses disciples, et les signes du Ciel la menaçans : mais durant le siege, ce fut lors que plus que jamais elle peut cognoistre l'ire du Ciel se declairer, et s’'espandre sur elle : entant que (laissant les autres apparitions et presages ) quelques jours, avant que le soleil se couchast, on veit en l'air des chariots par toute la contrée, et des soldats armez courans à travers les nues et espandus autour de la ville : Que cela signifioit, on le veit bien tost apres par experience et par le sac de la ville, et ruine du temple, et massacre de la plus part des citoyens.
Note: Ce prodige est raconté par Flavius Josephe, après ceux d'une comète, d'une grande lumière, d'une vache vélant d'un agneau, et de l'ouverture inopinée de la porte du temple. Le 27 mai, avant le lever du soleil (et non le coucher) on vit des chariots pleins de gens armés traverser les nuages. Vu les mauvaises conditions d'éclairement, et le fait que les nuages en altitude devaient être plus lumineux que les plus bas, on peut penser à une pareidolie.
Il y a au total 15 ½ pages consacrés aux visions célestes, contre 6 seulement chez Claude de Tesserant.
On compte:
44 histoires prodigieuses en 345 pages chez Boaistuau, soit 7.8 pages/histoire
13 histoires prodigieuses en 124 pages chez Tesserant, soit 9.5 pages/histoire
17 histoires prodigieuses en en 367 pages chez Belleforest, soit 21.6 pages/histoire
Il est manifeste que François de Belleforest qui vivait de sa plume, "rallongeait la sauce" pour fournir le plus grand nombre de pages possibles. Et comme il devait les fournir à temps, il devait s'épargner la tâche de vérifier et citait de mémoire, d'où ses erreurs.
On peut donc bien dire que François de Belleforest fut un plumitif de la prodigiologie.
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