1818 Collin de Plancy joue au sceptique


DICTIONNAIRE INFERNAL

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DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

...Charlemagne prononça une sentence contre une aurore boréale, parce que les théologiens et les savans d'alors débitaient que c'était une horde de sorciers envoyés sur des nuages, par le duc de Bénévent, pour ensorceler la France.
Note: Il n'y a rien de vrai dans cette stupide salade, ou l'auteur a mélangé ses convictions, avec la fiction de Montfaucon de Villars, qui, lui même, avait mélangé outrageusement des faits réels et imaginaires. C'est difficile de faire plus faux.

CABALE
...
  — Quoi qu'on fût bien crédule sous le règne de Pepin, on refusait de croire à l'existence des êtres élémentaires.
Note: On ne risquait pas de croire aux sylphes et aux êtres élémentaires, puisque ce concept n'existait pas à l'époque.
Le fameux cabaliste Zédéchias se mit dans l'esprit d'en convaincre le monde : il commanda donc aux sylphes de se montrer à tous les mortels. Ils le firent avec magnificence. On voyait dans les airs ces créatures admirables , en forme humaine, tantôt rangées en bataille, marchant en bon ordre , ou se tenant sous les armes, ou campées sous des pavillons superbes ; tantôt sur des navires aériens , d'une structure admirable, dont la flotte volante voguait au gré des zéphyrs. Mais ce siècle ignorant ne pouvant raisonner sur la nature de ces spectacles merveilleux , le peuple crut d'abord que c'étaient des sorciers qui s'étaient emparés de l'air pour y exciter des orages , et pour faire grêler sur les moissons.
  Les savans, les théologiens et les jurisconsultes furent bientôt de l'avis du peuple ; les empereurs le crurent aussi, et cette ridicule chimère alla si avant, que le sage Charlemagne , et après lui Louis le Débonnaire , imposèrent de grièves peines à ces prétendus tyrans de l'air.
  Les sylphes voyant le peuple , les pédans, et les têtes couronnées même, se gendarmer ainsi contre eux, résolurent, pour faire perdre cette opinion qu'on avait de leur flotte innocente, d'enlever des hommes, de leur faire voir leurs belles femmes , leur république et leur gouvernement, puis de les remettre à terre, en divers endroits du monde. Ils le firent comme ils l'avaient projeté ; et quelques cabalistes croient que l'Amérique fut peuplée en ce temps-là.
  Mais les hommes regardèrent ce magnifique voyage comme un songe et ne voulurent pas rendre hommage à la vérité. Il arriva qu'un jour, entre autres , on vit descendre à Lyon , de ces navires aériens, trois hommes et une femme; toute la ville s'assemble autour d'eux, crie qu'ils sont magiciens, et que Grimoald, duc de Bénévent, ennemi de Charlemagne, les envoie pour perdre les moissons des Français. Les quatre innocens ont beau dire qu'ils sont du pays même,qu'ils ont été enlevés depuis peu par des êtres miraculeux qui leur ont fait voir des merveilles inouïes ; le peuple entêté n'écoute point leur défense, et on allait les jeter dans le feu, quand l'évêque Agobard accourut au bruit. Le saint homme ayant entendu les parties , leur prouva à tous qu'ils s'étaient trompés, et que ces hommes ne pouvaient pas être descendus de l'air. Le peuple crut plus à ce que lui disait son bon père Agobard, qu'à ses propres yeux , s'apaisa et donna la liberté aux quatre ambassadeurs des sylphes.
Note: Jusqu'ici, c'est à peu près ce que raconte Montfaucon de Villars, mais l'auteur ne semble pas comprendre que c'est une parodie.
  L'origine de ce conte cabalistique est encore une aurore boréale. Le siècle de Charlemagne , qui voyait partout des fées et des enchanteurs , prit une nuée pour une armée de magiciens, et chacun exagérant ce qu'il avait vu, on en forma une histoire merveilleuse, dont les cabalistes se sont emparés et que le comte de Gabalis a embellie de ses folles imaginations. ( Voyez Aurore boréale. )
Note: Il y eut effectivement des aurores boréales, en 803, 808, et vers le milieu du IXème siècle, mais il n'en y en eut pas de notables sous Pépin. Il est probable que, pour la description de la cavalcade céleste des sylphes, Montfaucon de Villars se soit plutôt inspiré des descriptions plus précises des aurores de 1615 et 1621. Mais notre auteur est tellement bien persuadé de l'obscurantisme de l'époque de Charlemagne, qu'il invente un emballement de l'imagination populairen récupéré par un comte de Gabalis, qui n'a même pas existé. De plus, les aurores boréales ne sont absolument pas des nuages.
  Mais ce qu'il y a ici de singulier, c'est cette peine imposée à des nuages par deux de nos rois , et qu'on peut voir dans les Capitulaires de Charlemagne et de Louis-le-Débonnaire. Nous n'avons plus le droit de reprocher à Xerxès l'ordre qu'il donna d'enchaîner la mer..
Note: Mais nous, nous avons le droit de reprocher à Collin de Plancy d'écrire d'énormes bétises en prétendant instruire les gens. Les capitulaires contenaient des édits contre les sorciers, mais pas contre les phénomènes célestes, qu'ils soent réels ou imaginaires.

AURORE BOREALE . — Espèce de nuée rare , transparente, lumineuse , qui paraît la nuit, du côté du nord.

On ne saurait croire, dit Saint-Foix, sous combien de formes l'ignorance et la superstition des siècles passés nous ont présenté l'aurore boréale. Elle produisait des visions différentes dans l'esprit des peuples , selon que ses apparitions étaient plus ou moins fréquentes; c'est-à-dire, selon qu'on habitait des pays plus ou moins éloignés du pôle. Elle fut d'abord un sujet d'alarmes pour les peuples du Nord ; ils crurent leurs campagnes en feu, et l'ennemi à leurs portes. Mais ce phénomène devenant presque journalier , il l'ont bientôt regardé comme ordinaire et naturel ; ils l'ont même confondu assez souvent avec le crépuscule. Les habitans des pays qui tiennent le milieu entre les terres arctiques et l'extrémité méridionale de l'Europe, n'y virent que des sujets tristes ou menaçans, affreux ou terribles. C'étaient des armées en feu, qui se livraient de sanglantes batailles , des têtes hideuses séparées de leur tronc, des boucliers ardens, des chars enflammés, des hommes à pied et à cheval, qui couraient rapidement les uns contre les autres, et se perçaient de leurs lances. On croyait voir tomber des pluies de sang ; on entendait le cliquetis des armes , le bruit de la mousqueterie, le son des trompettes : présages funestes de guerres et de calamités publiques. Voilà ce que nos pères ont presque toujours vu et entendu dans les aurores boréales. Faut-il s'étonner, après cela, des frayeurs terribles que leur causaient ces sortes de nuées, quand elles paraissaient ?

— La chronique de Louis XI rapporte qu'en 1465, on aperçut à Paris une aurore boréale qui fit paraître toute la ville en feu. Les soldats qui faisaient le guet en furent épouvantés , et un homme en devint fou. On en porta la nouvelle au roi, qui monta à cheval et courut sur les remparts. Le bruit se répandit que les ennemis, qui étaient devant Paris , se retiraient et mettaient le feu à la ville. Tout le monde se rassembla en désordre, et on trouva que ce grand sujet de terreur n'était qu'un phénomène.


SOURCE: Jacques Albin Simon Collin de Plancy, DICTIONNAIRE INFERNAL, Paris, 1818

Remarques:

Quelques terreurs qu'aient pu causer les aurores boréales, il est plaisant de voir Collin de Plancy jouer au savant en prétendant expliquer par des aurores boréales, des terreurs qui n'ont jamais existé. Visiblement, tout ce qu'il dit dans les deux premiers articles vient du Comte de Gabalis, sans qu'il se soit rendu compte qu'il s'agissait d'une fiction. Mais Collin de Plancy croyait tant à la crédulité du peuple, voyant partout des sorciers, qu'il a tout gobé. Il repète donc que le peuple crut voir des magiciens en navires aériens, et qu'Agobard intervint pour les sauver, mais comme il n'est pas le genre de naïf près à croire à ces fariboles, il invente une explication "rationnelle".
Une explication inventée pour une histoire inventée. C'est en quelque sorte de la naïveté au second degré.
Le pire, c'est qu'à son tour, il sera suivi par des auteurs qui lui font confiance. En particulier par Jules Garinet, qui lui même sera repris par Eliphas Levi, qui lui même...

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