? le curieux rôle de Vigenère

1583 Le curieux rôle de Blaise de Vigenère

Vigenère
Blaise de Vigenère

Blaise de Vigenère, né en 1523, est surtout connu pour son système de cryptographie à substitution polyalphabétique, mais ce fut d'abord un diplomate, qui fut aussi traducteur, et même alchimiste et astrologue (activités qui étaient beaucoup moins sulfureuses au XVIe siècle). De fait, il deploya surtout ces activités, après qu'il eut pris sa retraite à l'age de 47 ans, ce qui lui permis d'écrire quelque vingt livres.
Son interaction avec le récit d'Agobard est nulle, mais il joua un rôle dans la conception du livre de Montfaucon de Villars.
En effet, ayant traduit Les Décades, de Tite Live, il les enrichit d'abondants commentaires, et sa culture alchimique va lui permettre de discuter des élémentaux, à propos de la nymphe Égérie, familière du roi Numa. C'est dans ces commentaires que Montfaucon de Villars va trouver la théorie des élémentaux, qu'il va faire enseigner dans son livre par le fictif comte de Gabalis.
Cependant, dans la théorie des élémentaux de Paracelse, il y en a de quatre types: Les gnomes, habitant la terre, les nymphes habitant l'eau, les sylphes habitant l'air, et les salamandres habitants le feu. Or il n'y a pas de sylphes dans les commentaires de Blaise de Vigenère: il les a remplacé par des sylvains, habitants la forêt. Et d'ailleurs l'auteur ne mentionne nulle part Paracelse, et ne fait pas des nymphes des êtres aquatiques. C'est donc directement chez Paracelse que Montfaucon de Villars va reprendre les sylphes. Blaise de Vigenère n'a fait que lui révéler la théorie des élémentaux. Néanmoins, sans cette théorie, et donc sans l'apport de Vigenère, Le comte de Gabalis n'eut pu être écrit.

Vigenère parle d'abord de la foudre, et de la science du roi Numa, qu'il tenait de la nymphe Egerie. Pour expliciter ce que sont les nymphes, il va donc nous parler des êtres élémentaux, qu'il prétend nous décrire d'après Psellos.


ILS SE LIST DONQUES, qu‘il y a une espece de creatures de forme humaine, qui toutesfois ne descendent pas du premier homme, ains ont leur creation à part, n’ayant pas leur corps composé d’une terrestreité si grossiere, ains d’une plus subtile substance, si qu’ils penetrent une muraille, une closture d'aiz espaix & autres telles solliditez, aguise d’une vapeur de fouldre, sans se dissiper, ains gardans leur forme : & neantmoins ce n’est pas un corps fantastiquc imaginaire, ny accidentel comme celuy du demon, mais realement subsistant: laquelle race de creatures ils constituent comme unc moyenne nature entre les hommes & les demons d’un costé; & de l’autre entre la creaturc raisonnable & la beste brute.
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Pour le regard des bestes brutes,à cause qu’ils consistent du corps seulement, & des esprits vitaux, sans aucune ame raisonnable, dont depend l'immortalité de l’individu; si d'aventure elle ne leur est extraordinairement octroyee d’une grace particuliaire du Createur par le moyen du mariage qu‘elles peuvent contracter avecques une personne mortelle : autrement tout perist en leur mort & dissolution , & leurs corps se corrompent & anneantissent, tout ainsi que des bestes brutes, combien qu'ils soyent d’une trop plus longue vie que nous: les uns plus, les autres moins:
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Leur monde consiste de deux parties comme fait le nostre, du ciel & de la terre; selon Moyse; du hault & du bas, selon Hermes; du dessus & du dessoubs, selon Arthephius. Et pource que la creature raisonnable participe comme d’un temperament general de tous les quatre elemens, & d’une mixtion fort egale & proportionnee; ces gens-là au rebours inclinent plus à l’un d’iceux, comme nous avons desja dit cy dessus des demons; mais bien plus subtils & essentiels que les nostres: si qu'on en met de quattre sortes; les terrestres appellez Gnomons ou Pygmees , certains bas petits bon-hommets, de la haultcur d’une couldee, fort serviables & obsequieux envers les hommes , si d’aventure on ne les mescontente & courrouce;
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LA SECONDE maniere de ces creatures sont les Nymphes, les plus familieres & accostables de toutes les autres; de nostre staturc & grandeur; mais ordinairement presque toutes au sexe femenin, ainsi qu'il a esté allegué cy-dessus de Psellus: parquoy elles appetent fort l’accointance des hommes, & principalement en mariage , pour avoir lignee semblable à nous; mais elle est de peu de duree; & ne passe pas la seconde ou tierce generation; non tant sollicitees à celà par un esguillonnement de luxure, que soubs un espoir, qu’en faveur & consideration de ce sainct lien, dont il n’y en a point d'autre de plus estroict , comme estant un contract d’alliance instituee mesme par le createur pour la deuë & legitime perpetuation de ce siecle; qu'il luy plaira leur faire grace de les annoblir & douër de l’ame raisonnable, afin de pouvoir revivre apres leur mort corporelle. Et à cette cause avant que d’y parvenir, sont secretement quelques penitences austeres, où il ne fait pas bon les espier ne descouvrir, car ce leur est une offense irreconciliable à jamais; d'autant que si on les irrite, on les perd pour tousjours;
Note: Psellus, c'est Michel Psellos (1018-1078), philosophe, polygraphe, et conseiller des empereurs byzantins. Mais il n'a jamais parlé des nymphes, et l'ouvrage censé en parler, ΠΕΡΙ ΕΝΕΡΓΕΙΑΣ ΔΑΙΜΟΝΩΝ est en fait du pseudo Psellos, et fut traduit en français en 1577 sous le titre Traicté par dialogue de l'énergie ou opération des diables. Cependant on n'y trouve pas les quatres espèces de créatures décrites par Vigenère, car le pseudo Psellos, parle en fait de six espèces de diables:
Mon moine frère Marc me disait qu'en général y avait six manières de diables ; ... Desquelles la première est celle qu'il appelait leliuirion en son patois barbaresque, lequel nom signifie en grec δίάπυρος, c'est-à-dire du feu. Cette espèce panade et voltige çà et là par la haute région de l'air. Car tous les diables, comme profanes et maudits excommuniés, ont été chassés et bannis des lieux circonvoisins à la lune, comme d'un certain temple saint. La seconde espèce est celle qui vague et ravage par la basse région de l'air qui nous attouche, laquelle pour cette cause plusieurs, comme par un nom propre et péculier, appellent aérienne. La tierce subséquente est la terrestre. La quatrième est l'aquatique ou marine. La cinquième est la souterraine. La sixième et dernière est la ténébreuse, et insensible.
Ici, Vigenère fait des nymphes des créatures féminines, pour ètre en accord avec le thème de la Nymphe Egérie, mais chez Paracelse, elles habitent l'eau, et sont la quatrième espèce du pseudo Psellos.

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LA TROISIESME espece est des Faunes, Sylvains, Ægipans, gens membrus, & d’une force desmesuree à guise presque de geans , farouches au reste, felons, cruels & peu accostables , voire pernicieux & nuisibles le plus souvent lesquels conversent és hautes montagnes inaccessibles; és rochers & profondes forests desuoyees; ou autres tels lieux solitaires & escartez principalement arides; où ils renversent bien souvent de gros quartiers de pierre & des arbres, & font assez de semblables ravages qu'on refere aux vents, & typhons.
Note: Ces sylvains sont terrestres, comme chez le peudo Psellos, mais n'ont rien à voir avec les sylphes de Paracelse, qui sont la deuxième espèce du pseudo Psellos.
ET LA QUATRIESME est des Pyraustes ou Vulcains, gresles & longuets comme flammes, en forme desquelles ils apparoissent quelquesfois le long des grands chemins & des carrefours, pour decevoir ceux qui esgarez se voudroyent fier & commettre à leur guide. Autrement pour ce que d'ordinaire ils resident dedans les embrasemens de la terre, comme au mont Ethna, & semblables, pour raison aussi de leur inflammation, l’on ne peut pas avoir grand acces ny familiarité avec eux , si d’aventure ce ne sont les enchanteurs & sorciers.
Note: Ces pyraustes sont les salamandres de Paracelse, et la première espèce du pseudo Psellos.
Or toutes ces manieres de creature; se manifestent peu souvent, jamais sans quelque presage de grande importance, ainsi comme par quelque miracle & prodige fort extradinaire :


SOURCE: B. De Vigenère, Les decades qui se trouvent de Tite live mises en langue françoise, à Paris chez Abel Langelier, 1616, col. 1316-1319, première édition en 1583

Remarques:

Selon Didier Kahn, dans son édition du Comte de Gabalis, c'est dans le livre de Vigenère que Montfaucon de Villars a puisé ses informations sur les élémentaux de Paracelse. Mais Vigenère ne cite nulle part Théophraste von Hohenheim, alias Paracelse. Il parle de divers auteurs antiques, d'Apulée, de Philostrate, et, à propos des nymphes, de Psellos. Vigenère peut bien avoir lu le pseudo Psellos, puisque la première édition de son livre est parue en 1583, donc six ans après la traduction de l'ouvrage du pseudo Psellos. Cependant il ne donne pas le même nombre d'espèces d'êtres et est bien plus bavard que sa supposée source.
Il semble donc qu'il nous manque quelques pièces du puzzle.

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