Analyse de la gravure au pélerin
Nous allons ici comparer chaque détail de la gravure, avec d'autres figurant sur des gravures du XVIème siècle
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Le dessin du soleil, dans sa charmante naïveté, avec visage, flammes et rayons, est typique du début du XVIème siècle. Voici quelques représentations du soleil, de cette époque. On remarque, que chaque détail de la gravure, flamme, couronne d'irradiation, rayons, se retrouve tojours sur une gravure, mais pas tous simultanément
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La Lune est dessinée plus grande que le soleil, ce qui n'est pas correct, mais permettait au graveur de bien montrer sa figure. C'est qu'au XVIème siècle une convention voulait que la lune soit toujours dessinée avec une figure, bien qu'on ne semble voir une figure qu'à la pleine lune. On la représentait généralement en croissant, avec des cornes parfois exagérées, et le visage tourné vers le soleil, c'est à dire avec une phase inversée.
Ici, les cornes sont correctes, le croissant est dans le bon sens, et la phase correspond bien à la proximité avec le soleil. Cette exactitude est donc suspecte, car elle ne correspond pas aux conventions de l'époque. Mais il y a tout de même une erreur: une étoile visible entre les cornes
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1550 |
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Les étoiles sont dessinées avec 6 branches irrégulières, selon la représentation conventionnelle, qui est une façon d'exprimer l'irradiation et la scintillation. Elle sont tantôt pleines et tantôt "éclairées", commes elles le sont sur les gravures du XVIème siècle.
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1510 |
1533 |
1537 |
v1520-1540 |
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La roue d'Ezéchiel
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L'étrange roue à deux jantes perpendiculaires, c'est tout simplement la roue d'Ezéchiel, telle qu'on la représentait au XVIème siècle. Mais l'artiste a oublié de figurer des yeux sur le pourtour. Cette roue purement mécanique s'en trouve désacralisée, ce que ne se serait probablement pas permis un artiste du XVIème siècle
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L'arbre
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L'arbre permettrait de faire une datation a lui tout seul. Avec leurs structures fractales, les arbres ont donné du mal aux dessinateurs, qui ont progressé dans leurs représentation au cours des siècles, dessinant d'abord une boule de feuillage au dessus d'un tronc, puis des houppes de feuillage au bout de rameaux, puis finalement des feuilles au bout de brindilles. ici la représentation est typique des années 1530-1550. C'est à se demander s'il n'est pas là, rien que pour dater le style de l'image.
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Le personnage de cette gravure, le voyageur parvenant au bout du monde, est classiquement appelé "pélerin", sans doute à cause de son baton. Du coup, la gravure fut souvent appelée: "gravure au pélerin". Pourtant, il ne porte pas les vétements des voyageurs ou des pélerins tels qu'on les représentait au début du XVIème siècle. Il ne porte pas non plus les coquilles des pélérins de St Jacques de Compostelle.
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1499 |
1521 |
Ce personnage porte, en fait, les vétements longs d'un clerc, ou d'un étudiant. Le baton n'est peut être là que pour suggérer qu'il a beaucoup voyagé pour arriver au bout du monde.
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La sphère céleste
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La sphère céleste est ici une demi sphère, dont seule la partie arrière est visible, ce qui permet à l'artiste de montrer l'univers en coupe. l'assombrissement sur le bord est là pour monter la courbure, bien que cela n'ait de sens qu'avec un éclairage
Les artistes du XVIème siècle ont utilisé diverses astuces pour représenter des sphères emboitées, quitte y faire une ouverture.
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Dürer, l'astronome, 1504 |
S. Franck, Die Guldin Arch, 1538 |
Sébastien Münster, Cosmographia, 1550 |
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Le ciel empyrée ( du grec εμπυρος, enflammé ) se reconnait, à la fois parce qu'il est au delà de la sphère des étoiles fixes, et par la présence d'un rideau de flammes au premier plan. La présence de la roue d'Ezéchiel indique qu'il s'agit bien du séjour du créateur, et non du ciel de feu d'Aristote, ou de celui des kabbalistes, peuplé de salamandres
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1545 |
Kirchen postilla, , Wittenberg, 1550 |
1557 |
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Le grand absent de cette gravure, celui dont la présence serait logique dans le ciel empyrée, à coté de la roue d'Ezéchiel et face au personnage étonné, c'est manifestement Dieu. Mais cette présence, logique dans une gravure d'inspiration religieuse, devient génante dans une illustration de la croyance à la Terre plate. C'est pourquoi dans une réutilisation plus moderne de la gravure, il a été éliminé par recadrage. Nous ne saurons pas exactement comment il était représenté avant d'avoir retrouvé l'original de la gravure, mais nous savons que, même si elle est du XIXème siècle, l'image de Dieu doit ètre cohérente avec celles du XVIème siècle. Il doit donc être représenté en majesté, rayonnant dans sa gloire, avec couronne, tiare ou auréole. Ne sachant pas jusqu'ou s'étendait la gravure, nous ignorons s'il y avait la place pour un trone, et des anges
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Le cadre
La présence d'un cadre dans une gravure du XVIème siècle ne pose pas de problèmes en elle même, car certaines gravures de l'époque en ont un.
Les problème est ailleurs, et à deux niveaux:
1) Le cadre tronque des parties significatives de l'image: soleil, roue d'Ezéchiel, aura circulaire. On a même la preuve qu'il tronque l'image dans le bas. Il s'agit d'onc d'un cadre rajouté après coup.
2) Ce cadre avec des salamandres et des colonnettes gothique flamboyant est du style du XVème siècle. A moins de disposer d'une machine à voyager dans le temps, un artiste du XVème siècle ne pouvait évidemment pas dessiner un cadre sur une gravure du XVIème. Ce cadre a donc été dessiné postérieurement au XVIème siècle, à une époque ou le gothique flamboyant était revenu à la mode, c'est à dire vers la fin du XIXème siècle. En retaillant l'image, le cadre la transformait en une représentation acceptable de la croyance médiévale à la Terre plate. Le style gothique du cadre est manifestement là pour médiévaliser davantage la gravure.
Ce que savait faire Flammarion en 1858 |
Quant à l'origine du cadre, il y a trois possibilités:
1) Flammarion a trouvé cette illustration déja recadrée, y a vu une représentation de la croyance médiévale à la Terre plate, et a cherché une légende en rapport. C'est cependant peu probable puisque nous savons qu'il existe une version moins recadrée.
2) Flammarion a fait recadrer cette image pour la transformer, en cette même représentation.
3) Flammarion a dessiné lui même le cadre, dans le même but. Remarquons, que dans les deux derniers cas, il a une tricherie manifeste, aggravé par le fait que l'image est non seulement désacralisée (en éliminant Dieu), mais aussi médiévalisée
Mais Flammarion était il assez bon graveur pour dessiner ce cadre? La réponse est oui. Il suffit de comparer (à droite) le cadre avec ce que savait faire Flammarion en 1858. S'il n'avait pas perdu la main trente ans plus tard, dessiner ce cadre n'était pour lui qu'une question de temps
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Conclusion
Comme l'avait remarqué Bruno Weber, chaque détail de la gravure, sauf le cadre, se retrouve, avec des ressemblances diverses, dans des gravures du XVIème siècle. Mais qu'est ce qui ressemble le plus à une gravure du XVIème siécle qu'une autre gravure du XVIème siècle?
Cette gravure peut être une excellente gravure d'un artiste du XVIème siécle, comme elle peut être un excellent pastiche d'un non moins habile artiste du XIXème. Le cadre étant ajouté postérieurement dans les deux cas. Il y a tout de même deux arguments qui feraient pencher la balance vers le pastiche:
La première est qu'elle est "trop belle pour être vraie": Soleil et ciel empyrée riches en détails, lune correctement dessinée, arbre placé là pour mieux dater le style. C'est troublant.
La seconde est que si la gravure est du XVIème siècle, elle ne peut être que l'oeuvre d'un grand artiste. Or les oeuvres de ces grands artistes étant bien connues, il est bizarre qu'une telle gravure nous ait échappé.
Nous pouvons donc conclure:
- que Camille Flammarion n'est pas l'auteur de la gravure.
- Que cette gravure pourrait être du XVIème, mais plus probablement du XIXème siècle.
- Que le cadre a été rajouté au XIXème siècle.
- Qu'il est possible (mais pas certain) que Flammarion soit l'auteur de ce cadre.
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