Le Magasin Pittoresque, fondé en 1833 par Edouard Charton, à l'imitation du Penny-Magazine fondé à Londres par Charles Knight, fut à l'origine un hebdomadaire à deux sous, orné de gravures sur bois. Il n'avait d'autre but que "d'enrichir de distractions pures et instructives les loisirs de la vie intérieure , et du foyer domestique , riche ou pauvre." . C'est à dire qu'il érait lu avec délectation par les curieux peu fortunés.
On pouvait donc s'attendre à trouver dans ce magazine, de l'instruction, mais pas vraiment de l'érudition, de la vulgarisation, mais pas de la rigueur scientifique, de belles histoires, mais pas de l'Histoire. C'est ainsi qu'en 1853, parait un article anonyme en trois livraisons consacré au livre des prodiges, assorti de gravures qui sont effectivement tirées du Prodigiorum ac ostentarum chronicon mais redessinées. Le journaliste ne peut s'empécher d'ajouter quelques autres belles histoires tirées d'auteurs qu'il n'a manifestement pas lu.
Quant à la biographie de Lycosthènes, il faut une bonne dose de naïveté pour croire qu'il commença à rédiger son livre à l'age de 18 ans, et ne fit quasiment rien d'autre. Il faut une bonne dose d'arrogance stupide, pour le traiter de "moitié fou", puiqu'il n'avait jamais fait, avec plus d'opiniatreté, que ce que faisaient les savants de son temps
C'est dans la première livraison qu'est mentionné la "comète" de 1527.
|
LE LIVRE DES PRODIGES,
PAR CONRAD LYCOSTHENES (1).
L'antiquité avait eu son livre des Prodiges; La Renaissance devait posséder le sien, et ce fut un réveur qui, gravement affublé du titre de philosophe, se chargea de lui faire ce présent. Un demi-siècle ne s'était pas encore ecoulé depuis qu'Alde Manuce avait publié ce qui nous reste du livre de Julius Obsequens, ecrivain que l'on suppose avoir vécu un peu avant le règne d'Honorius, lorsqu'un savant professeur d'Heidelberg. nommé Théobald Wolfhart, fit imprimer un gros volume dans lequel ses propres recherches se confondaient avec celles de l'écrivain romain. Voilé sous le pseudonyme de Conrad Lycosthènes, Wolfhart pretendit donner à ses compatriotes un livre du plus haut enseignement, el il n'hésita pas à dedier l'étrange compilation, qui lui avait couté vingt et un ans de travail, aux premiers magistrats de la ville de Bale. Ce fut, ou peu s'en faut, l'unique emploi de celle vie laborieuse, car notre philosophe naturaliste, moitié fou, moitié observateur jndicieux, ne vécut que quarante-quatre ans et mourut en 1561, bien peu d'années après 1'apparition de son livre.
(1) Prodigiorum ac ostentorum Chronicon, Basilae,1557, in-fol
|
Frappé des misères sans nombre, et même des crimes qui désolent son époque, l'écrivain allemand ne trouve rien de mieux, pour forcer le monde à une tardive résipiscence, que de lui présenter le tableau de tous les évènements prodigieux par lesquels se manifeste le courroux céleste. Les dates qu'il adopte sont précises, et il marche rigoureusement armé de la chronologie; c'est le seul mérite qui conserve une sorte d'utilité à ses récits. Quant aux théories scientifiques qu'il émet et aux conclusions qu'il adopte, il se montre, en astronomie et en histoire naturelle, ce qu'étaient en cosmographie Sébastien Munster et Belleforest.
Veut-on savoir, par exemple, quelle idée nos pères se formaient de la comète formidable qui causa un si grand effroi à une partie de 1'Europe en 1527, et dont 1'apparition cependant ne dura qu'une heure un quart? Lycosthenes nous le fera comprendre, ne fût-ce que par les exagérations de son récit; il ira plus loin même, et il formulera dans une gravure bizarre le phenomène céleste qu'il avait pu voir dans son enfance. Grâce a lui, nous apprenons que cette comète immense etait d'une couleur sanglante qui so modifiait a son estrémité par une teinte de safran. Du sommet sortait un bras recourbé, armé d'un glaive immense, tout prèt à frapper. Trois etoiles scintillaient à l'extrémité dc l'arme céleste; mais celle qu'on voyait à la pointe était à la fois la plus brillante et la plus grande. Sur les cotés du corps lumineux, on distinguait des rayons qui affectaient les formes de piques et d'épées de moindre dimension (les haches et les poignards sont um luxe de l'artiste du seizieme siecle, car 1'auteur n'en fait pas mention). Au milieu de ces armes apparaissaient des têtes humaines roulant ça et là parmi les nuées.
La Comète de 1527, Suivant Lycosthenes |
Les gravures fantastiques qui accompagnent le récit de Lycosthènes étaient destinées à frapper les imaginations troublées, bien plus, à coup sûr, qu'elles n'étaient un moyen d'instruction, et l'on s'aperçoit de leur influence immédiate lorsqu'en lisant un ecrivain excellent du seizième siecle, Simon Goulard, on acquiert la certitude qu'il n'a modifié la description qu'il donme du même phénomène que pour la faire concorder arec l'image de la terrible comète. « Le regard d'icelle, ajoute-t-il, donna telle frayeur a plusieurs qu'aucuns en moururent; autres tombèrent malades.». Le disciple de Lichtenberg, l'Astrologue renommé, Petrus Creusserus, ayant soumis le phénomène terrible aux règles de son art, on en tira les conséquences qu'admettait la science menteuse de l'époque . ces pronostics étaient tels |
que les esprits les plus judicieux en furent troublés pendant près d'un demi-siède. Lycosthenes n'avait signalé que les ravages de da Hongrie et le Sac de Rome comme étant la suite infaillible des évènements annoncés par la comète de 1527. Au temps de Henri IV, Simon Goulard s'écriait: « Et qu'a vu, l'espace de 63 ans depuis, toute l'Europe, sinon les terribles effets en terre de cest horrible présage du ciel?... Après lui survindrent les terribles ravages des Turcs en Hongrie, la famine en Souabe, Lombardie et Venise; la guerre en Suisse, le siège de Vienne en Autriche, la suète en Angleterre, le desbord de l'Ocean en Hollande et Zélande, où il noya grande estendue de pays, et un tremblement de terre de huit jours durant en Portugal! »
|
Cet article patauge à fond dans la légende de la crédulité de nos ancètres, et enchaine les suppositions et les inventions. Lycosthènes ne s'était pas voilé sous un pseudonyme, mais avait simplement hellénisé son nom, comme cela se faisait à l'époque (Wolfhart = loup vigoureux = Lycosthenes, en grec). Il n'était pas moitié fou, moitié observateur jndicieux, mais simplement compilateur. Il n'a jamais dit qu'il avait vu cette comète. La gravure tentait simplement de représenter le phénomène décrit, et non à frapper les imaginations troublées. Simon Goulart (rebaptisé Goulard) n'a pas modifié la description pour le faire correspondre à la gravure, il a simplement repris celle de Boaistuau.
Les autres livraisons de cet article contiennent d'ailleurs autant d'erreurs et d'inventions, et l'auteur est manifestement un ignare qui n'a de leçons à donner à personne.
On peut aussi noter que l'article sur le Livre des prodiges, dans l'encyclopédie en ligne
Imago Mundi n'est qu'un simple copié-collé de l'article du Magasin pittoresque. Après quoi, d'autres indélicats ont fait un copié-collé de la page d'Imago Mundi, comme il est d'usage sur le Web, pour ceux qui veulent faire l'intéressant.
|