1741. L'académie fait le point sur le satellite de Vénus.
les mémoires pour 1741 | |
le secrétaire pour 1741 | |
L'académie royale des sciences fut fondée par Colbert en 1666, succédait à l'académie Montmorienne, fondée en 1657, et répondait à la création de la Royal Society of London, crée en 1660. A l'origine elle ne dédaignait pas de s'occuper d'études bien terre à terre, concernant l'agriculture, et ne publiait pas de bulletin. Ce n'est qu'au début du XVIIIe siècle quelle se préoccupa de publier les communications dans des volumes annuels de mémoires, qui paraissaient dans les années suivantes.
Après l'observation de James Short, l'académie fait le point sur le problème du satellite de Vénus.
Sur un Satellite aperçu aupres de la Planète de Vénus.
La Terre a un Satellite qui est la Lune, Jupiter environ cinq fois aussi loin du Soleil que la Terre en à quatre, & Saturne près de deux fois aussi loin que Jupiter en a cinq, sans compter l’Anneau qui lui tient lieu de plusieurs Satellites, pour l’éclairer pendant la nuit. L'esprit systématique, la commodité des analogies & le penchant que nous avons à faire agir la Nature selon nos vûes & nos besoins, n’ont pas manqué là-dessus de persuader à bien des Philofophes que les Satellites avoient été donnés aux Planètes les plus éloignées du Soleil, comme un supplément à sa lumière
affoiblie par l'éloignement, & qu'ils leur avoient été donnés en d'autant plus grand nombre qu'elles étoient plus éloignées de cet Astre. Mais la Planète de Mars vient rompre la chaîne de l'analogie, étant beaucoup plus loin du Soleil que nous, & n'ayant point de Satellite, du moins ne lui en a-t-on pu découvrir aucun jusqu'ici, quelque soin qu'on se foit donné pour cela. À l'égard des Planètes inférieures, Vénus & Mercure, on a cru qu'elles n'en avoient point & qu'elles n’en devoient point avoir, étant beaucoup plus proches du Soleil que la Terre; elles sont aussi le plus souvent confondues dans ses rayons, & cette circonstance n'augmente pas peu la difficulté de découvrir ce qui les environne.
Cependant feu M. Cassini aperçut en 1686 auprès de Vénus, quelque chose qui avoit toutes les apparences d'un Satellite; c’est dans son Traité de la Lumière Zodiacale qu'il le rapporte. Il venoit d’observer cette Lumière le 28 Août à 4 heures 15 minutes du matin, lorsqu'en regardant Vénus par une Lunette de 34 pieds, il vit à trois cinquièmes de fon diamètre vers l'Orient, une lumière informe de toute autre espèce, & qui sembloit imiter la phase actuelle de Vénus, dont le disque étoit échancré du côté de l'Occident. Le diamètre de ce Phénomène étoit à peu-près égal à la quatrième partie du diamètre de Vénus. M. Cassini l'observa pendant un quart d'heure, après quoi il ne le vit plus, sans doute par la clarté du jour ou du crépuscule, qui étoit grande. Il ajoûte que le 25 Janvier de l'année 1672, il avoit vû une apparence toute semblable depuis 6 heures 52 minutes du matin jusqu'à 7 heures 2 minutes, où la clarté du crépuscule la fit évanouir, Vénus étoit de même en croissant & le Phénomêne aussi ; de manière que quelque réservé que fût M. Cassini sur les nouveautés astronomiques, il ne put s'empêcher après ces deux observations, de douter du moins si ce ne seroit point là un Satellite de Vénus, d'une consistance moins propre à réfléchir la lumière du Soleil que sa Planète principale, & qui auroit à peu-près la même proportion avec Vénus que la Lune a avec la Terre. M. Grégori en parle plus affirmativement dans l'endroit de son Aftronomie phyfique, liv. 6, où if examine quelles seroient les apparences du Ciel vû de Vénus, & il croit plus que vrai-semblable d'après les deux observations de M. Caflini, que c’est en effet un Satellite de cette Planète.
Ce qui est surprenant, c'est que quelques recherches que M. Cassini ait faites depuis en divers temps, pour achever une découverte de si grande importance, n'a jamais pu y réussir,
& nul autre Astronome que nous sçachions, dans l'espace de 54 ans, n'a pu voir ce Phénomène après lui, non pas même M. Bianchini célèbre par ses découvertes sur la Planète de Vénus, quoiqu'il y ait employé d'excellentes Lunettes de Campani de plus de 100 pieds de longueur.
Voilà où l'on en étoit sur le Satellite vrai ou apparent de Vénus, lorsque M. Short Ecossois, également habile à construire des Télescopes & à s'en servir pour les observations astronomiques, revit enfin l'année dernière ce Satellite, si c'en est un, dans les mêmes circonstances & avec les mêmes phases que M. Cassini a décrites. C'est ce que j'appris au commencement du mois de Janvier de cette année, par M. Coste auteur de la Traduction du livre de l’'Entendement Humain de Locke, & de plusieurs autres ouvrages; j'en fis part à l'Académie, & cette Compagnie me chargea de m'informer plus particulièrement de cette obervation & de ses suites, & de lui en rendre compte. Mais par malheur la nouvelle apparition du Satellite de Vénus, trop femblable en cela aux deux premières, n'a pas été plus constante. M. Short n'avoit pu encore le revoir au mois de Juin dernier. Son observation fut faite à Londres le 3 Novembre 1740 au matin, avec un Télescope par réflexion de 16 1/2 pouces Anglois, & qui augmentoit 50 à 60 fois le diamètre de l'objet: M. Short aperçut d'abord comme une petite Etoile fort proche de Vénus, sur quoi ayant adapté à fon Télefcope un
plus fort Oculaire & un Micromètre, il trouva la distance de la petite Etoile à Vénus de 10 minutes 20 secondes. Vénus paroissant alors très-distinctement & le Ciel étant fort serein, il prit des Oculaires trois ou quatre fois plus forts, & il vit avec une agréable surprise que la petite Etoile avoit une phase, & la même phase que Vénus; fon diamètre étoit un peu moins que le tiers de celui de Vénus, sa lumière moins vive, mais bien terminée ; le grand Cercle qui passoit par le centre de Vénus & de ce Satellite, qu'il seroit difficile de qualifier autrement, faisoit un angle d'environ 18 à 20 degrés avec l'Equateur, le Satellite étant un peu vers le Nord, & précédant Vénus en Ascenfion droite. M. Short le considéra à différentes reprises & avec différens Télescopes, pendant l'espace d’une heure de temps, jusqu’à ce que la lumière du jour ou du crépuscule le lui ravit entièrement. Ces circonstances font tirées d'une lettre de M. Turner, écrite de Londres le 8 Juin à M. Coste.
Un Corps céleste si difficile à apercevoir de la Terre, ne paroît point être fait pour nous, & l'on ne sçauroit guère se défendre d'en conclurre qu'il est donc destiné à éclairer un autre Monde & d'autres Habitans, L’analogie à cet égard, prise en général, ne laisse rien à desirer.
Mais nous remarquerons ici qu'elle pourroit n'être pas si bien fondée cette analogie, à l'égard du nombre des Satellites, qu'on croit devoir être d'autant plus grand que la Planète principale est plus éloignée du Soleil. Nous avons déja vû qu'elle se démentoit par rapport à la Planète de Mars plus éloignée que nous, & qui n'a pourtant pas de Satellite, & voilà qu'elle se dément encore à l'égard de la Planète de Vénus moins éloignée que nous, & qui en a un aussi gros que notre Lune. Mais sans nous arrêter à des exceptions qui pourroient encore être douteuses, examinons la chose en elle-même. La nuit d’une Planète, toutes choses d’ailleurs égales, doit être censée d'autant plus profonde que son jour a été plus brillant; car le passage de l'un à l'autre en sera d'autant plus marqué. Donc si les Planètes de Vénus & de Mercure ont des Habitans, & si nous Jugeons de leurs befoins par les nôtres, comme le suppole l’analogie en question, une ou plusieurs Lunes leur sont d'autant plus nécessaires pendant la nuit, qu'ils sont plus proches du Soleil & qu'ils ont été plus éclairés pendant le jour. Ce sera, comme on voit, tout le contraire pour les Planètes plus éloignées, pour Jupiter, par exemple, qui est environ 5 fois plus loin du Soleil que nous; sa lumière ou son illumination pendant le jour étant en raison inverse du quarré de sa distance, se trouvera par-là environ 25 fois plus foible que celle que nous recevons. La nuit de Jupiter sera donc à cet égard 25 fois moins obscure que la nôtre ; car le jour & la nuit ou un moindre jour, sont
pour les mêmes yeux des quantités purement relatives.
D'un autre côté les 4 Lunes de Jupiter, les 5 Lunes de Saturne & la partie éclairée de son Anneau ne feront point une compensation à la foible lumière du jour lorsqu'elles paroîtront pendant le jour: car leur lumière réfléchie étant, toutes choses d'ailleurs égales, proportionnelle à la lumière directe du Soleil, elle sera éteinte en présence du Soleil ; comme l'est celle de notre Lune. Ainsi de quelque façon que lon tourne la raifon de convenance alléguée à ce sujet, on y trouvera peu de solidité.
Sur un Satellite aperçu aupres de la Planète de Vénus., Histoire de L'Académie Royale des Sciences, année M.DCCXLI, à Paris, de l'imprimerie royale, M.DCCXLIV., p. 124 |
On remarque que plutôt de s'inquiéter des causes qui ont fait paraitre un satellite que seuls deux privilégiés ont vu, l'auteur se préoccupe de la possibilité théorique du satellite, à la lumière des analogies et des causes finales. Malheureusement le résultat final est incohérent et l'on n'en sait pas plus.
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