Le satellite de Vénus? Quel satellite de Vénus? Ni les logiciels de reconstitution du ciel nocturne, comme Stellarium, ni les manuels d'astronomie, ni les dictionnaires ne mentionnent un satellite à Vénus. L'observation au télescope n'en montre pas non plus et on ne sache pas que les sondes spatiales en aient découvert un qui soit visible depuis la Terre. Tout le monde s'accorde à dire que, ni Mercure, ni Vénus n'ont de satellite. Alors, d'où sort cette histoire de satellite de Vénus?
Elle sort du musée des idées fausses. Car si, aujourd'hui on sait bien que Vénus n'a pas de satellite, c'était moins évident au XVIIIe siècle, où on connaissait un certain nombre d'observations d'un satellite à Vénus.
Des observations que leurs auteurs n'arrivaient souvent pas à refaire.
Des observations que les autres observateurs n'arrivaient pas à faire.
Des observations qui ne se firent plus avec le progrès des instruments.
Des observations que les astronomes mirent aux oubliettes en 1887, après une étude critique et apparemment définitive de Paul Stroobant.
1645. La fable de la découverte du satellite par Francesco Fontana.
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Depuis 1875, l'astronome Napolitain Francesco Fontana est considéré comme le premier à avoir observé un satellite à Vénus. Pourtant, il n'avait jamais rien prétendu de tel. Il ne prétendait avoir observé que des globules sombres. De plus, ses observations n'eurent guère d'écho de son temps, et ne furent prises au sérieux que par un mathématicien qui n'était pas lui même observateur. Enfin, il fut ignoré pendant deux siècles, et en particulier au moment où la polémique sur l'existence du satellite battait son plein.
Paradoxalement, on ne se mit à croire aux observations de Fontana qu'à l'époque où on ne croyait plus au satellite de Vénus.
Mais c'est décidément une légende: non seulement Fontana n'a jamais observé que des globules sombres, mais ils étaient illusoires, car de dimensions inférieures à la résolution de sa lunette.
1695. Jean-Dominique Cassini, initie le mystère du satellite de Vénus.
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Non, ne croyez pas ceux qui disent qu'on se mit à chercher le mystérieux satellite dès 1672: On n'en savait rien. De fait ce n'est qu'en 1695 que Jean-Dominique Cassini révéla qu'en 1672, puis en 1686, il avait observé près de Vénus un mystérieux objet, plus petit et plus pale que Vénus. Il n'en avait pas parlé tout de suite, car il attendait de le revoir pour en savoir plus.
Dès 1728, la Cyclopaedia de Chambers mentionne ces deux observations.
En 1740, James Short refit une observation semblable à celle que Cassini fit en 1672, et rappela celle ci dans son compte rendu.
L'année suivante, l'académie royale des sciences rendit compte de ces observations dans le cadre de l'hypothèse d'un satellite de Vénus.
1759-1768. Passage de Vénus devant le soleil et flambée d'observations.
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Les manuels d'astronomie nous apprennent que Vénus fait devant le disque solaire, deux passages séparés de 8 ans, tous les 130 ans, environ. Mais on ne l'a pas toujours su, et le premier passage, qui ait été observé avec un instrument, le fut en 1639 par les anglais Jeremiah Horrocks et William Crabtree, grace aux tables rudolphines de Képler.
Après les tables rudolphines, on calcula beaucoup d'autres tables, plus précises. On vit ainsi les tables de Bouillaud, de Newton, du compte de Pagan, de La Hire et de Lemonnier. On savait donc que Vénus ferait de nouveaux passages en 1761, et en 1769, et on l'attendait de pied ferme. C'est à cette occasion qu'on fit une bonne partie des observations du supposé satellite.
1765. Encyclopédistes et vulgarisateurs mentionnent le problème.
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Après la rafale d'observations liées au transit de Vénus devant le soleil en 1761, mais sans qu'on ait réussi à voir le fameux satellite sur le disque solaire, le phénomène se tarit, et plus aucune observations ne furent faites à propos du transit de Vénus en 1769.
Les astronomes, les savants, les vulgarisateurs se trouvèrent donc avec un paquet d'observations dans leurs archives, émanant parfois d'astronomes dont la compétence était reconnue, mais qui concernaient un objet qu'on ne voyait plus. Ce satellite avait-il vraiment existé? Il ne restait plus qu'à en discuter.
1875-1887. Retour de l'intérêt pour le satellite et démystification définitive.
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Après les échecs des tentatives d'observations lors des derniers transits, il semble que personne ne se soit soucié de tenter d'observer le satellite de Vénus lors du transit de 1874. Encore moins lors de celui de 1882. Néanmoins, en 1875, l'allemand F. Schorr ressortit l'hypothèse du satellite de Vénus, sous forme d'une étude de près de deux cent pages.
Cette étude appela bientôt des commentaires, puis d'autres études, au point que, comme il y avait eu une rafale d'observations au siècle précédent, il y eut une rafale d'articles, et de paragraphes de livres, pendant une dizaine d'années, jusqu'à ce que Paul Stroobant, publie une étude suffisamment convaincante pour envoyer le satellite de Vénus aux oubliettes.
1889 Le satellite de Vénus entre au musée.
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Après l'étude de Stroobant, pour un scientifique, il n'est plus question de penser que la satellite de Vénus ait jamais existé. En conséquence une observation d'un petit corps céleste près de Vénus sera expliqué par n'importe quoi d'a priori compatible, sauf par le satellite de Vénus.
C'est ainsi que l'astronome Barnard, placé dans ce cas de figure, attendra 14 ans pour en parler, et n'invoquera pas un satellite de Vénus. Désormais, le satellite de Vénus est répertorié au musée des idées fausses, et n'est plus évoqué que sous l'angle historique ou celui de le science-fiction.
1919 Le réalisme fantastique récupère le satellite de Vénus.
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Si le réalisme fantastique est un courant d'idée qui jouit d'un bel intérêt dans les années soixante, en particulier grace à la revue Planète, il a ensuite été supplanté par le "new age" (encore moins crédible) et ne parle plus qu'aux nostalgiques. Mais il eut un précurseur, en la personne de Charles Hoy Fort, auquel les auteurs des années soixante rendirent hommage. Charles Fort collectionnait tout ce qui semblait mettre la science en échec. Après lui, les collaborateurs de Planète firent de même. On comprend que le mystère du satellite de Vénus ne pouvait qu'intéresser tout ce petit monde.
Analyse finale
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Après avoir déroulé toute cette histoire, il faut reconnaitre que la croyance aux savants en prend un coup. Certains d'entre eux, et non des moindres, ont déraillé complètement. Il se sont conduits comme des ufomanes. Ils ont même été recadrés par d'authentiques ufologues. On serait donc tenté de ne plus croire à la science. Seulement la science n'est pas une affaire de croyance. La science, ça ne se croit pas, ça se pratique, et le "déraillement" du satellite de Vénus a été tellement partiel et passager qu'il est aujourd'hui quasiment oublié. On ne peut pas en déduire une indiscernabilité entre science et pseudo-science; ni d'ailleurs un "grand-partage", mais on doit seulement reconnaitre que la science est parfois contaminée temporairement par des processus pseudo-scientifiques.