1855. Arago présente le dossier du satellite de Vénus.


Arago
Francois Arago (1786-1853), mathématicien et astronome, académicien des sciences à 23 ans, professeur à l'école polytechnique, directeur de l'observatoire de Paris, secrétaire perpétuel de l'académie des sciences, et même chef du gouvernement provisoire de la république, est un savant tellement célèbre qu'il a droit à un boulevard parisien à son nom.
Il fut un grand vulgarisateur et donna de 1813 à 1846 des cours d'Astronomie populaire qui furent publiés après sa mort sous le nom "d'Astronomie Populaire", dans un ouvrage en quatre volume, plus savant que celui de Camille Flammarion.
C'est donc arbitrairement qu'est donné la date de 1855, puisque nous ignorons la date ou fut professé le contenu du livre XIX qui concerne Vénus, et en particulier le chapitre XI, à propos de son satellite.

CHAPITRE XI
QUE DOIT-ON PENSER DU SATELLITE DE VÉNUS?

  Vénus est aussi grande ou presque aussi grande que la Terre; la Terre a un satellite, donc Vénus doit aussi avoir un satellite. Telle est la conséquence à laquelle ont conduit certains systèmes cosmogoniques et des considérations empruntées aux causes finales. Examinons maintenant les faits.
  Le 28 août 1686, à 4h 15m du matin, Dominique Cassini vit près de Vénus, à 3/5es de son diamètre vers l'orient, une lumière faible et informe, qui avait une phase semblable à celle de la planète. Le diamètre du phénomène égalait le quart de celui de Vénus. L’observateur le vit pendant un quart d'heure; il se servait d’une lunette de 10 mètres. La lumière du jour le fit disparaître.
  Cassini avait fait une observation analogue, le 25 janvier 1672. Depuis 6h 52m du matin jusqu’à 7h 2m, le petit astre était en croissant, comme Vénus, et éloigné de la corne australe d’une quantité égale au diamètre de Vénus du côté de l'occident ; le 3 septembre, le petit astre ne se voyait plus.
  Short, également connu comme constructeur de télescopes et comme astronome, fit en Angleterre les observations suivantes sur le même sujet :
  Le 23 octobre 1740, un télescope ayant 5 mètres de foyer montre une petite étoile près de la planète.
  Un autre télescope, d’une semblable distance focale, grossissant de 50 à 60 fois, fit voir le même astre. Un grossissement de 240, appliqué à ce second instrument, montra que la petite étoile avait une phase précisément semblable à celle de Vénus. La phase s’aperçut aussi à l’aide d’un grossissement de 140. Le diamètre du petit astre paraissait être le tiers de celui de Vénus; sa lumière n'était pas aussi vive que celle-de la planète, mais l’image paraissait parfaitement tranchée.
  La distance du satellite à la planète était de 10’ 2" au moment de l’observation.
  Short rapporte qu’il apercut Vénus et Ie satellite pendant une heure. La lumiére du Soleil fit disparaitre le satellite à 8h 1/4.
  Pour prouver que les instruments employés a ces. observations étaient en bon état, je dirai que le méme jour, Short vit deux taches noiratres sur le disque de Vénus.
   Montaigne, astronome de Limoges, & qui des observations de divers genres, et surtout celles de plusieurs cométes avaient valu une: certaine célébrité, vit quatre fois Je satellite de Vénus du 3 au 11 mai 1761.
  Les observations de Montaigne se composent de la distance du satellite a la planéte; et de ce qu’on a appelé, depuis surtout qu’on s’occupe des étoiles doubles, des angles de position. Le tout déterminé par estime.
  La lunette avait 2m.74 de longueur, et grossissait de 4O à 50 fois. Le satellite présentait la méme phase que Vénus; sa lumiére était faible, et son diamétre paraissait s'élever au quart de celui de la planéte.
  Roedkier, à Copenhague, vit la méme apparence avec une lunette de 3 métres de foyer, les 3 et 4 mars 1764. Les 10 et 11 du même mois, Horrebow et plusieurs curieux firent dans la même ville des observations analogues ; ils dirent s’être assurés par divers moyens que l’inage qu'ils prenaient pour un satellite ne pouvait être une illusion d'optique.
  Montbarron, à Auxerre, qui se servait d’un télescope grégorien de 90 centimètres, aperçut aussi le satellite les 15, 26 et 29 mars 1764, dans des positions notablement différentes.
  Lambert, qui a discuté ces diverses observations avec toute l’habileté qu’on devait attendre d’un si grand géomètre, mentionne en tête de son Mémoire l'explication que le père Hell en avait donnée.
  L’astronome de Vienne prétendait que ces images étaient le résultat d’une double réflexion de la lumière qui se serait opérée d’abord sur la cornée de l'oeil, ensuite sur la surface de la lentille oculaire dont la concavité faisait face à l'observateur ; je veux dire sur la surface de cette lentille convexe, la plus voisine de l'objectif. A l’appui de cette explication, il rendait compte des mouvements que le déplacement de l'oeil devait produire et avait produits, en effet, dans une fausse image observée par lui.
  Sans s'arrêter à cette cause d’illusion , si facile à reconnaître, Lambert entreprit de déduire de quelques-unes des observations citées, les éléments de l’orbite d’un satellite, et il trouva que le mouvement s’exécutait dans un plan faisant avec le plan de l’écliptique un angle de 63°; que l'orbite de l’astre avait 0.2 d’excentricité ; que le temps de la révolution autour de la planète s'élevait à 11j.2; enfin que le grand axe, vu perpendiculairement de la Terre en 1761, aurait sous-tendu un angle de 54’.
  Les diverses observations pouvaient se coordonner avec ces éléments dans les limites que comportait un calcul fondé sur des données obtenues seulement par voie d’estime. Une objection trés-puissante au premier abord était produite contre l’existence du satellite. Pourquoi, disait-on, ne l’a-t-on pas vu se détacher en noir sur le corps du Soleil pendant le passage de Vénus? Lambert, d’aprés les éléments cités, répond a la difficulté de la maniére la plus compléte; il montre qu’a cause de la grande inclinaison du plan de lorbite à l'écliptique, le satellite se mouvait en dehors du disque apparent du Soleil, soit au-dessus, soit au-dessous, dans les passages de 1639, de 1761 et de 1769, les seuls qu’on ait observés depuis invention des lunettes.
  Il découle du travail de Lambert que le satellite de Venus, s'il existe, a un diamétre représenté par 0.28, celui de la Terre étant 1, tandis que le diamétre de la Lune est 0.27;
  Que sa distance à la planéte qui le maitrise est un tant soit peu plus grande que la distance de la Lune à la Terre ;
  Que Vénus devrait avoir sept fois plus de masse que la Terre, et une densité huit fois plus grande, sur quoi il faut remarquer que de trés-petits changements dans les éléments réduiraient considérablement ces nombres.
  Si on n’a pas vu le satellite sur le Soleil, & l'époque des passages de Vénus, on aurait pu l’apercevoir pendant des conjonctions non écliptiques de la planéte, et l'on ne cite aucune observation de ce genre; mais on sait ce que valent les faits négatifs.
  Remarguons, d’ailleurs, que la faiblesse du satellite, dans chacune de ses apparitions, prouve qu’il est d’une constitution peu apte à réfléchir la lumiére solaire ; que peut-étre il est doué d’une certaine diaphanéité, ce qui permettrait en quelque sorte de l’assimiler & nos nuages.
  Mairan, qui croyait fermement à I’existence de ce satellite, expliquait ses rares apparitions par l’interposition habituelle de l’atmosphére solaire ou plutôt de la lumiére zodiacale, sur la route parcourue par les rayons qui viennent du satellite à la Terre. D’autres ont supposé que le satellite de Vénus, ainsi que tous les satellites connus, tourne autour de cette planéte en lui présentant toujours la méme face, et ont trouvé dans la combinaison de cette égalité avec les réflexibilités trés-inégales des divers points de sa surface, une cause naturelle des trés-rares apparitions de l'astre mystérieux.
  Mais c’est assez insister sur cet objet; j’ai voulu présenter au lecteur toutes les piéces du procés: chacun pourra ainsi se faire une opinion qui, dans l'état actuel de nos connaissances, ne peut étre que du domaine des probabilités.

François Arago, ASTRONOMIE POPULAIRE, tome deuxième, Paris 1855, p. 538

Après tous ce savants qui ont douté du satellite, ne laissant guère -hormis Lambert- que les réveurs pour y croire, on pourrait penser qu'Arago allait magistralement renvoyer le satellite au musée des idées fausses, et bien non, il ne prend pas parti, et laisse le lecteur se faire son opinion.

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Dernière mise à jour: 15/10/2020