Les vulgarisateurs face au mystérieux satellite de Vénus
1765. L'encyclopédie vulgarise puis apologise.
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On connait les difficultés qu'eurent Diderot, D'Alembert, et leur éditeur Lebreton pour publier la première édition de L'Encyclopédie. On connait moins le nombre d'éditions ou le fait qu'elle ait généré l'encyclopédie thématique de Panckoucke. Mais on sait encore moins qu'elle est un jalon important dans la légende du satellite de Vénus. En effet, après que le chevalier De Jaucourt ait écrit l'article "Vénus", un complément s'avéra nécessaire à propos de son supposé satellite. Malheureusement, ce complément fait fi de toute prudence scientifique et prend fait et cause pour l'existence d'un satellite, dont on sait aujourd'hui qu'il n'existe pas.
1773. Lambert prétend trouver l'orbite du satellite.
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En 1761, Baudouin de Guémadeuc avait calculé une orbite du satellite de Vénus, mais qui sentait l'amateurisme. Douze ans plus tard, Jean Henri Lambert s'attaque plus sérieusement au problème, et entreprend de réduire les différentes observations. Il se base d'abord sur celles de Montaigne, d'où il déduit une période de 11 jours, puis analyse les observations suivantes avec le canevas de cette période. Il analyse ainsi 14 observations et en tire des tables. Mais il en déduit aussi le grand axe de l'orbite du satellite, qui, associé à la période lui permet de calculer que la densité de Vénus est 8 fois celle de la Terre (donc supérieure à celle de l'or).
1782. Charles Bonnet croit au satellite
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Charles Bonnet, naturaliste genevois, découvreur de la parthenogenèse, mais aussi philosophe, énonça ses idées en 1764 dans Contemplation de la nature. Un livre qui respirait le déisme, les causes finales et l'analogie. Comme Gregory, il pense que toutes les planètes devraient avoir des satellites. Dans la première édition de 1764, il affirme "Vénus et la terre ont chacune leur satellite". Mais voila que cette existence est contestée. Aussi rajoute-t-il, dans l'édition de 1782, une note pour défendre l'hypothèse de l'existence du satellite.
1789. De Lalande doute du satellite
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Si on ne présente plus l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, l'Encyclopédie thématique de Pancoucke est moins connue. Elle était pourtant bien plus riche avec ses 206 volumes.
Le troisième tome de la série "Mathématiques", rédigé entre autres par D'Alembert, Charles, Condorcet et De Lalande, contient un article sur les satellites des planètes, signé D.L, c'est à dire De Lalande. On y trouve un paragraphe consacré au satellite de Vénus, corrigeant ce qui en avait été dit dans de dernier tome de l'encyclopédie. Cette fois il n'est plus question d'admettre l'existence du satellite, mais de constater que c'est une illusion d'optique.
1793. William Herschel explique qu'il n'a jamais vu le satellite.
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William Herschel fut le meilleur astronome observateur de son temps. Il construisit d'ailleurs ses télescopes lui-même. S'il découvrit la planète Uranus, il découvrit aussi des milliers de nébuleuses. On comprend que quand il disait avoir observé un astre, c'est qu'il existait. Inversement s'il annonçait avoir cherché un astre, sans rien trouver, c'est que cet astre n'existait pas non plus. C'est ce qui est arrivé avec le satellite de Vénus, pour lequel, sans vraiment le chercher, Herschel a observé Vénus en vain.
1802. De Lalande récidive
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Joseph Jérome De Lalande était une autorité en matière d'astronomie et d'Histoire des sciences. C'est donc lui qui se chargea de terminer et de compléter la nouvelle édition de l'Histoire des mathématiques, de Jean-Etienne Montucla, que la mort avait empéché d'aller au delà du premier tome.
Dans le dernier tome, qui est entièrement de De Lalande, il traite en particulier de l'astronomie planétaire, et donc de Vénus et du problème posé par son satellite. Et bien sûr, il décrète que les astronomes n'y croient plus.
1802. Johann Bernoulli évoque la planète Uranus.
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Johann Bernoulli, troisième du nom, ne doit pas être confondu avec son père et son grand père, mathématiciens comme lui. D'ailleurs, on ne précise même pas son prénom quand on parle de lui à propos du satellite de Vénus, en sorte qu'on se tromperait vite sur son identité, vu le nombre de savants nommés Bernoulli. Le plus fort est qu'on en parle à tort, en lui attribuant l'hypothèse que la planète Uranus aurait pu être prise pour le satellite de Vénus. En fait, cette hypothèse sort d'une lettre d'Euler à Bernoulli.
1811. Le baron Von Ende pense aux petites planètes.
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Si la planète Uranus fut découverte par Herschel en 1781, il a fallu attendre 1801 pour que Piazzi découvre la première petite planète, Céres, qui a d'ailleurs le même éclat qu'Uranus, mais qui n'avait pas, comme Uranus, de diamètre apparent sensible dans les instruments de l'époque. La découverte de Céres fut fortuite, mais amena par une recherche systématique a découvir 3 autres petites planètes. En 1811, outre Uranus, on connaissait donc 4 nouvelles planètes, ce qui amena le baron Von Ende à soupconner qu'une de ces planètes pouvait avoir été prise pour le satellite de Vénus.
1821. Delambre invoque des illusions d'optique.
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Jean-Baptiste Joseph Delambre est entré dans l'histoire pour avoir calculé, avec Pierre Méchain, la longueur d'un arc de méridien qui devait servir à la définition précise du mètre étalon. Mais il est auaai connu de ceux qui s'intéressent à l'astronomie, par son histoire de l'astronomie, divisée en plusieurs parties: astronomie ancienne, astronomie du moyen age, astronomie moderne, et astronomie du XVIIIe siècle. Le dernier chapitre de l'astronomie moderne, consacré à Cassini, lui donne l'occasion de parler de ses deux observations du satellite de Vénus.
1832. David Brewster soupçonne de fausses images d'origine optique.
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David Brewster, qui fut pasteur, avant d'être savant, croyait dévotement à la vérité de la Bible, et à l'universalité des mondes habités, au point qu'il réfuta Darwin, et soutint unr polémique avec un pasteur sceptique sur les humanités extraterrestres. Mais en tant que savant, il avait étudié la biographie de Newton, étudié la polarisation par réflexion vitreuse et inventé le kaléidoscope et le stéréoscope. Ceci lui permit de défendre la mémoire de Newton contre Michel Chasles, et ici d'invoquer des doubles réflexions vitreuses pour expliquer les observations du satellite de Vénus.
1835. Littrow soupçonne aussi de fausses images.
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Joseph Johann Littrow, astronome de formation autodidacte, mais de compétence assez reconnue pour devenir directeur de l'observatoire de Vienne, s'y connaissait bien en optique astronomique, puisqu'il fit refaire les instruments de son observatoire et travailla avec l'opticien Plössl. Dans son ouvrage, Die Wunder des Himmels, reconnue comme un classique de la littérature astronomique germanophone, Il décrit, bien sûr, les planètes du système solaire, et mentionne à cette occasion le fantômatique satellite de Vénus, qu'il compare au canular de la plnète Hercule.
1838. Thomas Dick estime probable l'existence du satellite.
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Thomas Dick, pasteur, professeur de sciences et écrivain, se passionna pour l'astronomie à l'age de neuf ans. Après avoir fait ses étuders à l'Université d'Édimbourg, il enseigna à Dundee, puis à Stirling d'où il fut renvoyé, puis à Methven, et enfin à Perth, où il publia, en 1817, The Christian Philosopher, qui l'incita a se consacrer à la littérature.
En 1838, il écrivit Celestial scenery, où, entre autre sujets, il discute du satellite de Vénus, qui lui parait devoir exister, par analogie avec la lune de la Terre.
1840. Le dictionnaire de Gehler ne laisse pas croire au satellite.
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Johann Samuel Traugott Gehler (1751-1795) qui avait fréquenté le savant touche-à-tout, Johann Heinrich Winckler, publia de 1787 à 1795 son Physikalisches Wörterbuch (Dictionnaire physique). C'était un dictionnaire scientifique et technique en 6 volumes, qui mentionnait toutes les connaissances de l'époque en la matière.
Après son décès, l'ouvrage fut repris par plusieurs collaborateurs, qui en firent une édition en 11 volumes. Y participait Karl Ludwig von Littrow, le fils de Joseph Johann Littrow, qui y inséra des articles d'astronomie, en particulier sur la planète Vénus et son satellite.
1844. le futur amiral Smyth espère sauver le satellite.
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Le capitaine William Henry Smyth, qui servait dans la Royal Navy, s'intéressa à l'astronomie en 1817, en rencontrant à Palerme l'astronome Piazzi, et construisit son observatoire en 1825. Il écrivit en 1844, A Cycle of Celestial Objects, un livre en 2 tomes, dont le second contenanit un important catalogue d'objets célestes, qui fit autorité en son temps. Devenu plus tard amiral, c'est sa renommée d'astronome qui lui valu une mer lunaire à son nom. Quant au satellite de Vénus, il semblait y tenir beaucoup, quand on voit les efforts qu'il fit pour ne pas le rejeter.
1855. Arago présente les observations du satellite et les théories à son sujet.
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Francois Arago (1786-1853), mathématicien, astronome, et même homme politique, fut un grand vulgarisateur et donna beaucoup de conférences pour lesquelles il fit même construire un amphitheatre à l'observatoire de Paris (il se dit qu'il regardait toujours la personne qui lui paraissait la plus bête pour voir si elle semblait avoir compris). Après sa mort, ses cours furent publiés en quatre volume par Barral, sous le nom "d'Astronomie Populaire".
C'est dans le dernier livre du deuxième volume qu'Arago traite de la planète Vénus, et dans le dernier chapitre qu'il présente le dossier de son satellite, mais sans prendre parti.
1858. Lecouturier se trompe dans les dates.
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Henri Lecouturier (1819-1860), fit des études de droit, mais ne plaida jamais, et après avoir taté sans succès de la littérature à compte d'auteur, se tourna vers les sciences. Il devint bientôt un remarquable érudit et se lança dans le journalisme scientifique. Il collabora avec le journal Le Pays, puis avec Le Moniteur Universel, et fonda la revue La Science pour tous.
Sa science préférée étant l'astronomie, il entreprit d'écrire le Panorama des Mondes, dont il ne put publier que le premier volume, consacré aux planètes et aux comètes. A propos de Vénus, il consacre trois pages à son faux satellite.
1865. Flammarion ne se mouille pas.
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En 1865, Camille Flammarion avait déjà publié La pluralité des mondes habités, et Les mondes imaginaires et les mondes réels, sans compter ceux consacrés au spiritisme (hé oui). Mais il n'avait encore que 23 ans, et son bagage scientifique se résumait surtout à avoir été calculateur à l'observatoire de Paris. Mais son ame de vulgarisateur, qu'il vivait comme un sacerdoce, le poussant à révéler au bon peuple, les merveilles de l'univers, il publia Les Merveilles Célestes, lectures du soir où il donne à ses lecteurs de quoi réver sur les autres mondes. Mais pour le satellite de Vénus, il ne se mouille vraiment pas.1865. Amédée Guillemin résume l'embarras des astronomes.
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Amédée Guillemin, compte parmi les grands vulgarisateurs de la fin du XIXe siècle, avec Louis Figuier et Camille Flammarion. En matière d'astronomie son oeuvre majeure fut "Le Ciel", publié en 1865, mais dont la cinquième édition, cartonnée, gaufrée et doré sur tranche fournit de magnifiques livres, à offrir au premier de la classe à la distribution des prix.
Pour ce qui est du satellite de Vénus, il préfère prendre exemple sur Arago, plus grand vulgarisateur que lui, et qui ne s'était pas prononcé sur l'existence du satellite.
1873. Thomas William Webb expose succintement l'énigme
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Thomas William Webb, pasteur anglican, mais aussi astronome amateur de haut niveau, fut vénéré parmi les autres astronomes amateurs pour avoir écrit Celestial Objects for Common Telescopes, qui fut leur bible pendant près d'un siècle. Il exposa dans ce livre cette fameuse énigme du satellite de Vénus, dont on se demandait toujours comment il pouvait être à la fois visible aux uns et invisible aux autres. Mais lui aussi se contente d'exposer le dossier sans prendre parti.
Bilan de plus d'un siècle de discussions
Il faut bien reconnaitre que plus d'un siècle après le premier article de l'Encyclopédie, il n'y a pas d'unanimité.
Des astronomes observateurs, comme De Lalande, Delambre, Herschel ou Littrow, ne croient pas du tout au satellite.
Des écrivains comme Charles Bonnet ou Thomas Dick, croient fermement au satellite.
Entre les deux, des vulgarisateurs comme Arago ou Guillemin, donnent des raisons de se méfier, mais ne prennent pas partie.
Par ailleurs, les explications à base d'illusion d'optique ne s'appliquent surement pas à toutes les observations. Nous avons vu qu'il s'agissait souvent de confusion avec des étoiles, mais tous ces auteurs ne l'avaient pas compris.
Alors? P'tet ben qu'oui, p'tet ben qu'non. Mais la solution viendra dans les décennies suivantes.
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