1906. Barnard révèle une observation d'étoile inconnue.
E. E. Barnard |
Edward Emerson Barnard fut un des plus grands astronomes observateur de son temps. Né dans une famille pauvre, il travailla dès l'enfance comme assistant d'un photographe, et s'intéressa bientôt à l'astronomie, utilisant pour sa première lunette astronomique, une lentille de récupération au bout d'un tube de carton.
A 18 ans, il put se procurer le livre de Thomas Dick, The practical astronomer, et s'acheta une lunette de 5 pouces d'ouverture.
Il découvrit sa première comète en 1881, une autre l'année suivante, et put profiter du mécénat de H. H. Warner, de Rochester, qui offrait 200$ pour chaque comète découverte, ce qui lui permit de s'offrir une petite maison, pour lui et sa femme, avec "l'argent des comètes".
Il put s'inscrire à l'université Vanderbilt en 1883, et postula en 1887 pour travailler à l'observatoire Lick, où il fut embauché en 1888.
Il y développa la photographie des comètes, et fit la première découverte photographique d'une comète en 1892. La même année il découvrit un nouveau satellite de Jupiter, le premier a être découvert depuis l'année 1610. Sa méthode photographique lui permit aussi de découvrir des nébuleuses obscures, dont la fameuse "tête de cheval". Plus tard, Il découvrit "l'étoile de Barnard", qui a le mouvement propre le plus rapide du ciel.
En 1892, donc, c'est déjà un astronome expérimenté qui observa une étoile inconnue à environ une minute d'arc de Vénus.
An unexplained observation
Perhaps it may not be too late, after fourteen years, to call attention to an observation made on the morning of Saturday 1892, Aug. 13.
While examining Venus on that date with the 36 inch of the Lick Observatory — as I had done at other times previously — I saw a star in the field with the planet. This star was estimated to be of at least the 7th magnitude. The position was so low that it was necessary to stand upon the high railing of a tall observing chair. It was not possible to make any measures, as I had to hold on to the telescope with both hands to keep from falling. The star was estimated to be 1’ south of Venus and 14s± preceding, at 4h50m a.m. Standard Pacific Time. The observation was therefore at 0h50m Aug. 13, Greenwich Mean Time.
The position of Venus at the time of this observation would be
α = 6h 52m 44s δ = +17° 11.8'.
From this, the position of the star would be about
α = 6h 52m 30s δ = +17° 11.0'.
For 1855, this would be
α = 6h 50m 21s δ = +17° 16.6'.
There seems to be no considerable star near this place and the object does not agree with any BD. star.
The observation was made in broad daylight, a half hour before sunrise.
Unless this was one of the brighter asteroids (not Ceres, Pallas, Juno, or Vesta, however, which were elsewhere) I am unable to account for the observation.
The elongation of Venus from the Sun was about 38° which would exclude the possibility that the object was an Intra-Mercurial planet, but it does not preclude the possibility of its being a planet interior to Venus, though such is not probable.
I have previously hesitated about calling attention to the observation, but I think now that it is best to put it on record.
There can be no mistake in the date, and a reflection from the image of Venus is out of the question. No other star was seen near Venus on this date.
I send a copy of a sketch made at the time.
E. E. Barnard.
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Une observation inexpliquée
Peut être n'est il pas trop tard, après quatorze ans, pour attirer l'attention sur une observation faite le matin du samedi 13 aout 1892
En examinant Vénus à cette date avec le 36 pouces de l'observatoire Lick - comme je l'avais fait précédemment à d'autres moments -, j'ai vu une étoile dans le même champ que la planète. Cette étoile était estimé à au moins la 7ème magnitude. La position était si basse qu'il était nécessaire de se tenir sur la haute rampe d'un grand fauteuil d'observation. Il était impossible de prendre des mesures, car je devais tenir le télescope à deux mains pour ne pas tomber. L’étoile a été estimée à 1’ au sud de Vénus et 14s ± avant, à 4 h 50 m, heure normale du Pacifique. L'observation était donc à 0 h 50 min le 13 août, heure de Greenwich.
La position de Vénus au moment de cette observation serait
α = 6h 52m 44s δ = +17° 11.8'.
A partir de là, la position de l'étoile serait environ
α = 6h 52m 30s δ = +17° 11.0'.
Pour 1855, ce serait
α = 6h 50m 21s δ = +17° 16.6'.
Il semble n'y avoir aucune étoile considérable près de cet endroit et l'objet n'est en accord avec aucune étoile du BD.
L'observation a été faite en plein jour, une demi-heure avant le lever du soleil.
À moins que ce soit l'un des astéroïdes les plus brillants (à l'exception de Ceres, Pallas, Juno ou Vesta, qui étaient ailleurs), je ne peux pas rendre compte de l'observation.
L’élongation de Vénus à partir du Soleil était d’environ 38°, ce qui exclurait la possibilité que l’objet soit une planète intra-mercurielle, mais elle n’exclut pas la possibilité qu’elle soit une planète intérieure à Vénus, bien que cela ne soit pas probable.
J'ai d'abord hésité à attirer l'attention sur l'observation, mais je pense maintenant qu'il est préférable de la signaler.
Il ne peut y avoir aucune erreur dans la date, et une réflexion de l'image de Vénus est hors de question. Aucune autre étoile n'a été vue près de Vénus à cette date.
Je joins une copie d'un croquis réalisé à l'époque.
E. E. Barnard.
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Note: Barnard nous induit en erreur en disant que quand il est 4 h 50 mn à l'observatoire Lick, il est 0 h 50 à Greenwich, en fait, il est 12 h 50 mn à Greenwich en Temps universel (TU), mais 0 h 50 mn en temps des éphémérides (TE).
Le BD. c'est le Bonner Durchmusterung, le catalogue d'étoiles d'Argelander, dont les coordonnées étaient indiquées pour 1855.
Barnard a bien raison de soupçonner un astéroïde, comme l'aurait fait Flammarion, mais il n'y a guère que les quatre qu'il cite qui puissent atteindre la septième magnitude. Par contre, un astéroide se type "Aten", intérieur à l'orbite de la Terre pourrait, bien que nettement plus petit que les quatre cités, atteindre la septième magnitude lors d'un rapprochement.
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(E.E.Barnard, An unexplained observation, Astronomische Nachrichten, volume 172, July 1906, col.25)
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Barnard se garde bien d'invoquer un satellite de Vénus, mais admet, bien que peu probable, la possibilité d'une planète intérieure à l'orbite de Vénus. Observant avec la lunette de 36 pouces de l'observatoire Lick, il n'a pas pu se tromper sur l'aspect de l'objet qui était bien stellaire. Devant obéir au plan de travail de l'observatoire, il n'a pas pu tenter de retrouver cette étoile le lendemain.
Attaqué sur la réalité de son observation, dans les colonnes de la même revue, il réplique en donnant quelques détails supplémentaires:
So far as I can remember, the conditions under which the observations were made are correctly stated in A.N. 4106. They are borne out by the original notes which follow the sketch in my note book. These notes say
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»While examined Venus from 16h30m to 16h50m«
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In Volume I Publications of the Lick Observatory, p. 296, there is a table for sunrise at Mt. Hamilton which gives for Aug. 13, sunrise at 5h23m. This is 33 minutes after my observation, and is the »half hour before sunrise« referred to by me.
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E. E. Barnard.
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Autant que je me souvienne, les conditions dans lesquelles les observations ont été faites sont correctement données dans A.N. 4106. Elles sont confirmées par les notes originales qui suivent le croquis dans mon cahier. Ces notes disent
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«Pendant que Vénus fut examiné de 16h 30m à 16h 50m»
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Dans le volume I des Publications de l'observatoire Lick, p. 296, il y a une table pour le lever du soleil au mont Hamilton qui donne pour le 13 août, lever du soleil à 5h 23m. C’est 33 minutes après mon observation et c’est la demi-heure avant le lever du soleil dont je parle.
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E. E. Barnard.
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Note: A nouveau, Barnard s'embrouille pour donner les heures: 16h 50 mn, c'est en T.E., et 5h 23 mn, en TU.
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(E.E.Barnard, Reply to Mr. Rudolph Pitovano's remarks in A.N.4117 concerning "An unexplained observation", by E.E. Barnard, Astronomische Nachrichten, volume 172, col. 315)
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Voila un joli cas d'école. Que pouvait bien être cet objet d'aspect stellaire? Barnard a examiné l'hypothèse d'une étoile, d'un astéroïde et d'une planète intra Vénusienne.
Mais il n'a pas examiné les hypothèses:
- D'un astéroïde proche de la Terre, dont la dérive aurait tout de même du apparaitre pendant une observation de 20 mn
- D'un ballon en altitude éclairé par le soleil levant, mais dont la dérive est assez rapide pour être mise en évidence en une seule minute.
- D'un OVNI, mais c'en était justement un, sauf qu'il s'agissait d'un objet céleste, et non volant.
- D'une étoile temporaire, ou nova, hypothèse qui fut émise après la publication de l'article de Barnard, mais que, 14 ans après l'observation, il n'était plus possible de vérifier.
Et c'est là que nous voyons que Barnard n'a pas eu un bon réflexe: face à un astre nouveau, planète ou étoile, il eut du alerter la communauté astronomique internationale, qui eut pu tenter de suivre l'astre. Il aurait probablement été identifié, au lieu d'être bêtement classé comme inexpliqué.
Cette observation de Barnard ne semble avoir été apportée au dossier du satellite de Vénus qu'en 1985, par Corliss. Barnard lui même n'y voyait pas un satellite de Vénus, mais on peut remarquer que s'il avait pu l'identifier, cela aurait fait une possibilité d'explication supplémentaire, à celles déjà émises pour le satellite de Vénus.
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