1695. J.-D. Cassini lance l'énigme du satellite de Vénus.
Cassini | |
Giovanni Domenico Cassini, né le 8 juin 1625 à Périnaldo, dans le comté de Nice alors sous domination génoise, s'intéressa jeune à l'astronomie, au point de l'enseigner, à vingt-cinq ans, à l’Université de Bologne.
Sa renommée atteignit Paris. Colbert l'associa alors à l'Académie Royale des Sciences qu'il venait de fonder, et l'invita à Paris, pour l'Observatoire alors en construction. Cassini, arriva à Paris le 4 avril 1669, tenta sans succès de faire modifier les plans de l'observatoire et en pris la direction en 1671.
Fondateur d'une dynastie de quatre directeurs de l'observatoire, il y laissa le souvenir d'un grand observateur, qui découvrit quatre satellites de Saturne, la tache rouge de Jupiter, la division en deux de l'anneau de Saturne, et la lumière zodiacale.
Ajoutons qu'il fut aussi un bon courtisan, puisqu'après avoir découvert quatre satellites à Saturne, il les baptisa Sidera Lodoicea (les astres de Louis), imitant en cela Galilée qui avait nommé ceux qu'il avait découvert Medicea Sidera (astres médicéens), en l'honneur de Cosme II de Médicis.
Mais à l'inverse, il est regrettable (et peu évoqué à l'observatoire) qu'il fut un très mauvais théoricien, qui imagina des sottises à propos des comètes, et n'admit jamais les ellipses képlériennes.
C'est donc en étant directeur depuis à peine un an, qu'il fit sa première observation de ce qui ressemblait à un satellite de Vénus. Une observation qui ne dura que 10 minutes, et qu'il ne put renouveler avant 14 ans. C'est pourquoi il n'en communiqua d'abord rien, ni compte-rendu, ni dessin. Le dessin qu'on en montre parfois est du à l'imagination de Joseph Bertrand (et faux).
C'est en 1686, qu'il put en faire une nouvelle observation, alors qu'il étudiait la lumière zodiacale. Il la relata alors, avec la précédente dans l'étude qu'il publia en 1695: Découverte de la lumière céleste qui paroist dans le zodiaque. La date mentionnée par l'imprimeur est M.DC.LXXXV. soit 1685, mais comme l'ouvrage contient des observations jusqu'en 1693, c'est probablement M.DC.XXXXV., ou M.DC.XCV., qu'il fallait lire.
Observations faites pendant l'esté & l'automne de 1686
Le 28. Aoust à 3. heures 45. minutes du matin je ne vis rien dans la lumière différent de ce que j'avois veû le jour précédent. À 4. heures 15. minutes en regardant Venus par la lunete de 34. pieds, je vis à trois cinquiémes de son diamétre vers l'Orient une lumiere informe, qui sembloit imiter la phase de Venus, dont la rondeur estoit diminuée du costé de l'Occident. Le diamétre de ce phenomene estoit à peu prés égal à la quatriéme partie du diamétre de Venus. Je l'observay attentivement pendant un quart d'heure, & aprés avoir interrompu l'observation l’espace de quatre ou cinq minutes, je ne la vis plus : mais Le jour estoit grand:
J'avois veû une apparence semblable qui imitoit la phase de Venus le 25. Janvier de l'an 1672. depuis 6. heures 52. minutes du matin jusqu'à 7. heures 2. minutes, quand la clarté du Crépufcule la fit évanouïr. Venus estoit alors en croissant, & ce phenomene qui estoit égal à peu prés à la quatriéme partie du diamétre de Venus, estoit aussi en forme de croissant. Il estoit éloigné de la corne autrale du diamétre de Venus, du costé de l'Occident. Dans ces deux observations j'ay douté si ce ne seroit pas un satellite de Venus qui seroit d'une consistance moins propre à refléchir sa lumiere du soleil,& qui auroit à peu prés la mesme proportion à Venus que la lune à la terre, estant à la mesme distance du soleil & de la terre, que Venus, dont il imiteroit les phases. Mais quelque recherche que j'aye faite aprés ces deux observations, & en divers autres temps, pour achever une découverte de si grande importance, je ne l'ay jamais pu voir que ces deux fois. C'est pourquoy je suspends mon jugement sur ce phenomene. S'il revient plus souvent, on aura ces deux époques, qui comparées aux autres observations pourront servir à trouver les règles de son retour, s'il se peut réduire à quelque règle.
Cassini- Découverte de la lumière celeste qui paroist dans le zodiaque, imprimerie royale, M.DC.LXXXV., p. 45 |
Aucune des sources consultées ne donne de reconstitution des observations de Cassini, sauf la pseudo reconstitution faite par Joseph Bertrand, pour son article dans l'Astronomie d'aout 1882. Nous avons donc, sur la base du texte de Cassini, et connaissant la lunette dont il s'était servi, reconstitué ce que Cassini avait pu voir le 25 janvier 1672, avec l'aide de logiciels comme Stellarium, Xnview et Paint Shop Pro.
1/2 distance d'observation pour voir l'image de droite à l'échelle (si x 150)
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Aspect de Vénus d'après Stellarium |
ce que Cassini pouvait voir |
Nous savons que Cassini observait avec sa lunette de 34 pieds, qui avait 108 mm d'ouverture, 11 m de focale, et bien sûr, renversait l'image. En supposant le verre homogène, l'objectif était tout de même affecté de l'aberration chromatique, comme il est expliqué dans l'affaire Cassini. Pour être débarrassé de cette aberration l'ouverture doit être inversement proportionnelle au diamètre de l'objectif, ce qui fait croitre la longueur comme le carré du diamètre de l'objectif. Avec une lentille de 108 mm, la longueur eut du être d'une quarantaine de mètres et non de onze.
Nous ignorons le grossissement exact employé par Cassini, que nous pouvons supposer de 150, mais nous savons que le diamètre de Vénus était de 27.5"
L'image de droite reconstitue ce que pouvait voir Cassini, dans la lumière du petit matin, avec un grossissement de 150, et une résolution de 4.5".
Nous constatons, de visu, que ce n'est pas trop convaincant, et que si cette image pouvait correspondre à une lune autour de Vénus, elle pouvait aussi correspondre à une fausse image d'origine instrumentale. Sachant que des reflets parasites apparaissent parfois dans les oculaires à plusieurs lentilles, il faudrait, pour éliminer cette hypothèse, connaitre exactement l'oculaire dont Cassini s'est servi, et s'il utilisait toujours le même.
Nous n'avons pas cherché à reconstituer l'observation du 28 aout 1686, où Vénus était gibbeuse, avec un diamètre apparent de seulement 14.2". Le petit corps eut alors été sans forme précise, avec un diamètre inférieur au pouvoir séparateur de la lunette. C'est au point qu'une simple étoile pourrait convenir, mais Stellarium n'indique aucune étoile faible ni petite planète à proximité immédiate de Vénus. Comme la date parait précise, c'est encore l'origine instrumentale que nous pouvons soupçonner.
Cependant, bien qu'on puisse soupçonner l'origine instrumentale, la réputation d'observateur de Cassini était telle que la possibilité d'un satellite de Vénus fut prise au sérieux, et James Short se souviendra de son observation quand il mentionnera la sienne en 1740 dans les Philosophical transactions.
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