1762. De Mairan et l'invisibilité du satellite de Vénus.

Titius
J.J. Dortous de Mairan
Jean-Jacques Dortous de Mairan, (1678 - 1771), se tourna vers l'étude à l'age de 16 ans. Il fut associé de l’Académie des Sciences, en 1718, puis membre de cette académie en 1719. Il en fut secrétaire "perpétuel" de 1740 à 1743, puis élu à l'académie française. Rédacteur du Journal des scavans en 1752, il fut membre de la plupart des sociétés savantes d'Europe.
A la suite de l'intérêt pour le satellite de Vénus, qui sévit en 1761, il entreprit d'expliquer pourquoi le satellite était généralement invisible. Sa théorie était absolument lamentable, mais paru tout de même dans les mémoires de l'académie des sciences, dont il avait été le secrétaire.
Le même mémoire paru dans Journal des scavans d'Aout 1762, dont Dortous de Mairan était rédacteur.

MÉMOIRE
SUR LE SATELLITE

Vu ou présumé autour de la planète de Vénus, & sur la cause de ses courtes apparitions & de ses longues disparitions.

Par M DE MAIRAN.

LE passage de Vénus sur le disque du Soleil, annoncé & calculé soixante- huit années d'avance par M. Halley, &. qui arriva Le 6 Juin 1761, avoit ranimé chez les Astronomes l’espérance de voir distinctement le Satellite qu'on n'a fait jusqu'ici que soupçonner autour de cette Planète. Quelques Observateurs ont cru en effet l'y avoir aperçu, plusieurs au contraire n’y ont rien vu de pareil, malgré leurs soins & leur attente, & je suis du nombre de ces derniers. J'avouerai cependant que je n’en suis pas moins porté à croire que ce Satellite existe, tant par les anciennes observations que nous avons sur ce fujet , qu'en vertu d'une cause, à mon avis, très-capable de produire ses longues difparitions , & à laquelle je ne sache pas qu'on ait pensé.

D'entrée, De Mairan nous avoue qu'il croit à l'existence de ce satellite, et cette croyance, quasi religieuse va imprégner toute sa démonstration. Il cite ensuite les observations de Fontana sans s'y arréter, ensuite les deux observations de Cassini, et celle de Short. Puis il argumente.

  Qu'on fasse attention maintenant à toutes les circonstances de ces observations, à l'accord surprenant qui règne entr'elles, à l'habileté des Observateurs, à la perfection & à la grandeur des instrumens avec lesquels elles ont été faites, à la consistance du phénomène , à son diamètre trois ou quatre fois plus petit que celui de Vénus, & à peu près en proportion de celui de notre Lune à la Terre, & sur-tout à cette phase toujours semblable à celle de Vénus, seulement échancrée quand la rondeur de Vénus n'est que diminuée, en Croissant quand Vénus est en Croissant, & toujours bien terminée ; il paroîtra sans doute bien difficile que ce ne soit là qu'une illusion d'optique ;& autre-chose que le Satellite même de Vénus.
Note: Déjà nous observons les symptomes de la croyance; augmenter la pertinence des arguments qui vont dans son sens, et diminuer celle de ceux qui vont dans l'autre. En fait, il n'y a que tois observations, dont deux sont en accord. La perfection des instruments est largement surestimée: la lunette de Cassini était grande, mais non dépourvue d'aberrations, et le télescope de Short en était peut-être dépourvu, mais ne faisait que 16.5 pouces de distance focale, soit 42 cm. La consistance du phénomène, qui n'est apparu que deux fois avec une phase en près d'un siècle est illusoire. Quant au croissant toujours bien terminé, il n'apparait guère qu'une fois (et c'était manifestement une étoile)

  Avant que M. Huguens eut découvert l’Anneau de Saturne; on avoit pris quelquefois les extrémités de ses anses pour deux autres Planètes, ou pour deux de ses Satellites qui n’en étoient qu'environ au quart de son diamètre ; mais outre que ce n'étoit qu'avec des petites lunettes, & qu'avec les plus grandes on n'a jamais aperçu d'anneau de cette espèce à Vénus, on voit par l'observation de M. Short, que le phénomène de la petite étoile étoit à plus de 10 diamètres où 40 fois plus loin de sa Planète, que les anses de Saturne ne sont de la leur; ce qui est incompatible avec une telle illusion.
Note: Ici De Mairan bataille contre l'hypothèse de l'illusion, mais son argument est faux: dans les toutes premières observations de Saturne, la cause de l'illusion n'était pas la proximité d'avec la planète, mais tout simplement la petitese de l'image.

  Mais que penser enfin d’un Satellite qui ne paroît que deux fois dans l’espace de quatorze ans, & qui n'est vu ensuite que cinquante - quatre ans après? Et pour revenir à la planète de Saturne, elle en a un de ces Satellites, qui paroissent & qui disparoissent, mais pour quelques jours seulement, mais en règle, dans ses conjonctions périodiques ; & rien de pareil dans le prétendu Satellite de Vénus.
Note: Ici De Mairan démolit l'hypothèse de Gregory d'un satellite avec une face très sombre, mais il va trouver autre chose.

Et maintenant De Mairan joue sa carte maitresse, son hypothèse de l'atmosphère solaire.

  Le Satellite de Vénus est presque toujours plongé dans l’Atmosphère du Soleil , ainsi que sa Planète principale, comme on peut le démontrer par la position &. par les dimenfions de cette Atmosphère ; il est donc presque toujours enveloppé d'une matière fluide, plus ou moins dense, qui nous le cache en tout ou en partie, & qui se complique avec sa petitesse & avec la contexture peu réfléchissante de sa surface; c'est, dis-je, à cette cause variable qu'il faut attribuer ses apparitions fortuites & ses longues disparitions; tandis que fa Planète ne cesse point de se montrer aussi lumineuse que nous la voyons.
Note: Ici nous sommes en pleine pseudoscience: De Mairan invente une atmosphère solaire suffisamment dense pour nous cacher le satellite, mais pas assez pour nous cacher Vénus. Théorie peu cohérente qui n'explique pas pourquoi le satellite est invisible devant le disque solaire.

  Je donnai dans mon Traité de l'Aurore boréale, (sections première & quatrième) une ample description de l'Atmosphère solaire , d'après les observations immédiates de M. Caffini sur la Lumière zodiacale, qui n'est autre chose que cette Atmosphère & le fluide dont il s’agit, en tant qu'il se manifeste à nous sur l'horizon , avant le lever au printemps, après le coucher en automne, & dans les éclipfes totales de cet Astre. Je partirai de là pour abréger & pour montrer l’analogie des effets à la cause , abstraction faite de la validité quelconque de mon hypothèfe sur le phénomène que j'avois pour objet dans ce Traité.
Note: La lumière zodiacale n'a rien à voir avec une atmosphère un tant soit peu dense, mais De Mairan l'interprète comme une atmosphère parce qu'il a besoin d'une telle hypothèse.

  Or 1.° l’Atmosphère du Soleil aplatie vers ses pôles, de figure lenticutaire sur le plan de son Équateur, & de fuseau , de lance ou de cône par son profil, comme elle nous paroît toujours, & sous un angle plus ou moins aigu, plus ou moins obtus , vue de la Terre, s'étend quelquefois par cette longueur conique au-delà de l'orbite terrestre, & par conféquent bien au-delà de l'orbite de Vénus qui est d'un grand tiers plus proche du Soleil que la Terre. D'où il suit que l'orbite de Vénus & vraisemblablement celle de son Satellite qui n’en a jamais été vu plus loin qu'à 10 minutes de diftance , seront presque toujours renfermées dans cette étendue longitudinale de l'Atmosphère solaire.
Note: De Mairan en rajoute une louche en imaginant que la terre elle même est plongée dans cette atmosphère, sans se préoccuper du fait qu'on n'en voit pas les effets. En particulier, il veut ignorer le problème de la résistance à l'avancement dans un fluide, pourtant connu depuis Galilée. Si une planète est freinée par un fluide, elle doit lentement se rapprocher du soleil, ce qu'on observe heureusement ni pour la terre, ni pour Vénus.

2.° Cette Atmosphère considérée par sa largeur ou par son épaisseur, & bornée par notre horizon, y occupe quelquefois 14 ou 15 degrés d'amplitude, & d'autant plus que le Soleil, sur la surface duquel elle appuie, se trouve moins profondément caché sous l'horizon ; d'où l'on peut inférer avec assez de certitude , que l'épaisseur lenticulaire de l’Atmosphère du Soleil croit de plus en plus, à mesure qu'elle approche davantage du centre de cet astre qui lui est commun ; & cette épaisseur doit êue prise de part & d'autre du plan de som équateur, qui fait un angle de 7 1/2 degrés avec l'Écliptique, tandis que les limites de Vénus n’en font qu'à 3 1/2, 4 degrés plus près. L'atmosphère solaire comprendra donc encore en ce sens & presque toujours l'orbite de Vénus, & vraisemblablement celle de son Satellite. Je dis presque toujours, parce que dans ce sens, comme dans celui de sa longueur, ou dans tous les deux à la fois, les apparences de ces dimenfions, de longueur & de largeur, sont infiniment variables & changent souvent d'une année, d'un mois & quelquefois d’un jour à l'autre, sans que nous ayons jusqu'ici de règle ni de loi pour en prévoir les changemens ni pour en connoître la cause.

3.° Enfin l'Atmosphère solaire, considérée par sa densité ou par sa rareté, son opacité ou fa transparence, n'eft pas moins variable que par son étendue. Tout ce que nous savons là-dessus de plus certain par les observations, c'est que sa densité croît visiblement depuis la pointe du fuseau ou du cône, sous la figure duquel nous la voyons sur l'horizon, jusqu'à sa base sur ce même horizon, & que tout auprès ou quelques degrés au-dessus, les grandes Étoiles qu'on voit à travers en sont ternies, & que les petites y disparoissent entièrement ; d'où l'on peut juger qu'un objet privé par lui-même de lumière, qui n'eft visible que par celle qu'il nous réfléchit, & qui ne se peint à nos yeux que sous un angle de 15 à 20 secondes, n’y doit pas moins disparoître,
Note: Cette assertion, totalement, fausse est contredite par les propres sources de De Mairan, c'est à dire par Cassini, qui, en racontant sa découverte de la lumière zodiacale, écrit:
"Je vis cette constellation & celle du Taureau beaucoup plus lumineuses que d'ordinaire vers les sept heures & trois quarts, une demi-heure aprés la fin du crepufcule du soir. Cette lumiere n’estoit bornée du costé de l'Occident que des brouïllards qui estoient à l'horison jufqu'à deux ou trois degrez de hauteur, & sa partie plus claire y avoit La largeur de huit à neuf degrez. Elle s'étendoit obliquement à peu prés selon le Zodiaque, & rasoit du costé du Septentrion les deux Étoiles plus luisantes de la tette d'Aries, dont elle comprenoit tout le corps. Selon sa longueur elle s'étendoit sur les Pleiades,& alloit finir en pointe, & se perdre insensiblement à la teste du Taureau.
  Le Ciel en cét endroit estoit fort clair, de sorte qu'on y pouvoit distingucr à la simple veûë les éroiles de la sixiéme & de la septiéme grandeur ; & cette clarté, quoy-que ressemblante à un brouillard éclairé du Soleil, n'empeschoit pas qu'on ne vist ces petites étoiles, mesme dans le milieu où elle sembloit plus dense, comme on les voit ordinairement à cravers les queuës des cometes."

Ceci est bien normal quand on pense à l'extrème ténuité du milieu qui provoque la lumière zodiacale, qui n'obtient cette lueur que par la traversée de dizaine de millions de km de ce milieu. Mais De Mairan a besoin de ce mensonge, sinon, il ne peut plus expliquer la disparition du satellite de Vénus.

  Mais il y a plus, la densité de cette matière croîtra encore & sera toujours plus grande autour de la Planète & du Satellite qu'elle ne l'étoit par elle-même dans le lieu de l'Atmofphère solaire d'où elle y est tombée, & cela par une cause qui mérite ici une nouvelle attention.

  Tout corps planétaire, tant du second que du premier ordre, est doué, comme on sait, & de quelque manière qu'on l'explique, d’une force centrale qui en retient les parties autour d’un point ; d'où résulte sa sphéricité. Donc, & en vertu de cette force, dont l'action s'étend indéfiniment au-delà en raison inverse des quarrés de distance , tout corps planétaire qui viendra à nâger dans un fluide tel que l'Atmosphère solaire, en affemblera, en entassera les molécules en plus grande quantité autour de sa surface, & en augmentera d'autant la densité : donc le Satellite de Vénus, enveloppé, surchargé d’un semblable fluide qui doit encore accompagner en tout ou en partie lorsqu'il est vu hors des limites, tant longitudinales que latitudinales, de l'Atmosphère solaire, nous y paroîtra sombre ou d'une lumière moins vive que celle de sa Planète, tandis que cette Planète , bien que dans le même cas, n'en sera pas senfiblement dégradée, en comparaifon du Satellite, par les raisons que nous en avons données ci-dessus: à quoi l'on peut ajouter que, toutes chofes d’ailleurs égales, & s'il est vrai, comme l'a pensé M. Newton, que la matière des Planètes soit d'autant plus compacte & leur force centrale d'autant plus grande qu'elles sont plus petites, le Satellite de Vénus devra être encore par-là plus dégradé de lumière que sa Planète; & voilà en effet ce qu'en attestent toutes nos observations, sans en excepter celles de Fontana, en ce point très-conformes à celles de M. Cassini & Short, du moins dans ses figures, où le Satellite est toujours distingué par des hachures de la partie éclairée du disque de Vénus.
Note: C'est de pire en pire. Voila que les planètes attirent l'atmosphère solaire, qui est opaque, et ceci d'autant plus qu'elles sont plus petites. Mais alors, si les satellites sont plus attractifs que les planètes, ce sont celles-ci qui devraient tourner autour de leurs satellites, et non l'inverse. Et puisque la terre et la lune sont aussi plongées dans l'atmosphère solaire, la lune devrait être entourée d'un cocon d'atmosphère solaire, alors qu'on observe rien de tel. En plus cela serait attesté par les observations, y compris celles de Fontana, que De Mairan récupère cette fois sans vergogne. Il n'y a absolument rien de vrai la dedans.

  Concluons donc d'après nos observations , & conformément à ces remarques, que le Satellite de Vénus , vrai ou supposé tel, ne sauroit se montrer à nous que dans ces trois cas.

  Ou, lorsque l’Atmosphère solaire n’atteint pas par sa longueur jusqu'à l'orbite de cette Planète, & à celle de son Satellite.

   Ou, lorsque l’Atmosphère solaire y atteignant par sa longueur, n'y atteint pas par sa largeur.

  Ou enfin , lorsque malgré tous les obstacles de position dans l'Atmosphère solaire, cette Atmosphère & cette enveloppe du Satellite, se trouvent être assez rares ou assez transparentes, pour laisser passer jusqu'à nous une partie suffisante de la lumière qu'il réfléchit vers nous.

Histoire de L'Académie Royale des Sciences, année M.DCCLXII, à Paris, de l'imprimerie royale, M.DCCLXIV., p. 161

Concluons nous aussi: Ce tissus d'âneries est indigne d'un savant, mais caractéristique d'un croyant qui veut sauver sa croyance contre vents et marées. Pour lui, le satellite existe, mais comme il est ordinairement invisible, il faut expliquer son invisibilité. L'hypothèse de Gregory ne marche pas, mais l'hypothèse d'une atmosphère solaire, suffisamment dense et opaque, additionnée de l'hypothèse que les corps sont d'autant plus attractifs qu'ils sont plus petits, réussit à expliquer l'invisibilité du satellite. Aussi absurde cette théorie soit elle pour nous, elle est forcément juste pour De Mairan, puisqu'elle sauve l'existence du satellite.
Il a bien mérité un bonnet d'âne.
Remarquons tout de même que De Mairan avait 84 ans.

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Dernière mise à jour: 22/09/2020